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REVUE CRITIQUE
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DE L'IMPRIMERIE DE REAL.
A Saiott-GarinaM-sn-Làrt.
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LIVRES NOUVEAUX
PUBLIÉS PENDANT L'ANNÉE 1837,
REDIGEE PAR
LIBRAIRIE CHEFTBULIEZ ,
Paris,
RDI SAINT- ANDRE-DES-ARTS , N° 68
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BULLETIN LITTÉRAIRE
ET SCIENTIFIQUE.
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LITTERATURE, HISTOIRE.
OEUVRES DE MOLIERE, avec 1rs noies de lous les commentateurs; 2e édi-
tion publiée par M. L. Aimé-Martin. — Paris, 183;, chez Lefèvre. 4 vo-
lumes in-8" demi-compacts. 24 fr.
Le Molière de M. Aimé-Martin jouit déjà depuis long temps
d'une réputation bien méritée. En effet, sous le titre modeste
de Notes de tous les commentateurs il renferme un commen-
taire tout nouveau qui résume et complète tous ceux qu'on
possédait jusqu'alors. On y reconnaît cette pureté de goût ,
cette délicatesse de sentiment , cette sagacité et cette finesse qui
distinguentM. Aimé-Martin, et en ont lait l'un des meilleurs lit-
térateurs de notre époque. Il a choisi tout ce qu'offraient d'in-
téressant les notes des anciens commentateurs, et y a joint ses
propres observations, qui, exemptes de toute pédanterie, de
toute couleur d'école , présentées avec simplicité et empreintes
d'une vraie admiration pour les beautés du texte, sont un bel
hommage rendu au génie.
Le théâtre de Molière, ce chef-d'œuvre sublime, le plus
beau titre de gloire littéraire pour la France , ne vieillira sans
doute jamais comme peinture de caractères, parce que, sauf
quelques modifications extérieures , la nature humaine reste
au fond toujours la même , et se reproduit à toutes les épo-
ques, à peu près, avec les mêmes travers, les mêmes pen-
chants , les mêmes passions Mais dans maints détails il se ren-
contre des traits comiques basés soit sur les mœurs du temps
ou sur des usages qui n'existent plus , soit aussi sur des dictons
populaires, sur de vieilles anecdotes ou farces dramatiques j
aujourd'hui presque entièrement oubliées. C'est sur ces pas-
sages-là qu'ont principalement été dirigées les recherches de
M. Aimé-Martin , et les résultats intéressants qu'il a obtenus
ajoutent un nouveau charme à la lecture de Molière , dont
on ne perd plus aucune pensée , aucune intention comique.
Plus on relit Molière, plus on admire son inépuisable verve,
ainsi que sa parfaitecon naissance ducœur et de l'esprit humain.
2 LITTERATURE ,
On voit qu'il étudiait la nature avec une attention soutenue,
et M. Aimé -Martin nous le montre portant sur la scène
maintes circonstances de sa vie privée , peignant dans le Mis-
anthrope ses malheurs domestiques, se prenant lui-même
pour modèle du personnage d'Alceste, et ayant en vue son
ami Chapelle dans celui de Philinte. « On a dit, observe le
commentateur, que cette opposition de caractère était une
savante combinaison de l'art; c'est mieux encore, c'est une
profonde observation de la nature! »
Cette habitude du poète de chercher ses modèles autour de
lui , dans le monde et dans la vie réelle , était si bien connue
de ses contemporains, qu'on vit souvent des seigneurs de la
cour de Louis XIV s'empresser à lui fournir des traits ridicules
dont il pût profiter pour quelque nouvelle comédie. C'est
ainsi qu'il a pu créer des chefs-d'œuvre immortels, et traduire
sur la scène tous les travers de son siècle avec une vérité de-
vant laquelle ses ennemis eux mêmes demeuraient muets d'é-
tonnement. Aussi, est-ce dans ses ouvrages qu'il faut étudier
l'art dramatique, plutôt que d'aller puiser ses inspirations dans
les ébauches également sublimes sans doute, mais encore in-
formes , d'un siècle plus reculé. Après la fièvre anglo-ger-
maine qui a régné depuis quelques années parmi nos jeunes
littérateurs à la mode , il me semble que cette nouvelle pu-
blication du Molière de M. Aimé-Martin est un signe favo-
rable du retour au bon goût et aux véritables maîtres , d'au-
tant plus qu'elle fait partie d'une collection de classiques fran-
çais qui renfermera tous les principaux écrivains de cette belle
langue si claire, si pure, si éloquente, à laquelle nos témé-
raires novateurs ont porté tant de rudes coups de massue, et
qu'ils prétendaient déjà avoir laissée pour morte sur le champ
de bataille. La lutte n'aura sans doute pas été inutile. Il en
restera quelque chose . un peu moins d'exclusisme dans le
goût, un peu plus de liberté dans l'allure de l'esprit. Mais les
grands écrivains des siècles passés reprendront leur place au
premier rang , et l'on reconnaîtra peut-être que pour s'asseoir
à côté d'eux il ne faut pas débuter par vouloir les renverser.
M. Lefèvre , l'éditeur de cette nouvelle Bibliothèque clas-
sique , est un des libraires qui montrent la plus intelligente
activité pour multiplier les éditions des chefs-d'œuvre de la
littérature française. Il les a présentés tour à tour sous les formes
les plus diverses, depuis l'in-32 jusqu'au grand format à deux
colonnes. Ses collections fournissent ainsi toutes les bibliothè-
ques, depuis les plus riches, où se trouvent ses magnifiques
in-8° de luxe, jusqu'aux plus modiques, où ses éditions com-
pactes, réunissant le double avantage d'être à bon marché et
d'occuper peu de place , ont fait entrer la plupart des bons
HISTOIRE. 3
écrivains du domaine public. La nouvelle collection qu'il
commence , et qu'il appelle demi-compacte , est imprimée
avec beaucoup de soin , dans le format in-8° ordinaire; les
volumes étant assez épais , et le caractère serré , quoique gros,
le prix n'en sera pas très élevé. C'est une heureuse combinai-
son destinée, je crois, à remplacer avantageusement ces lourds
volumes à deux colonnes, qu'on ne sait comment lire ni
comment porter.
ALBERT LOVE ou I Enfer, poème, par M. René Clément. Paris, chez OUi-
vier, 1837; in-8°, 6 fi\
Un nouveau poëme de l'Enfer , après celui du Dante , c'est
bien de la hardiesse, et l'auteur eût mieux fait, je crois, de ne
pas donner lieu par son titre à une comparaison semblable.
Mais, du reste , ce n'est pas le séjour des peines éternelles qui
est le sujet de ses chants , c'est plutôt l'enfer sur la terre, cette
existence de misères et de douleurs qui n'est que trop souvent
le lot du génie ici-bas, cette lutte continuelle qu'il est appelé
à soutenir contre les séductions d'un monde trompeur semé
d'écueils , ou contre les obstacles innombrables qui gênent sa
liberté et le froissent de toute part. L'égoisme et la vénalité ,
qui régnent aujourd'hui avec plus d'effronterie peut-être qu'à
nulle autre époque, ont rempli le poète d'une sainte indigna-
tion, et, allumant sa verve aux flambeaux des Euménides , lui
ont inspiré une boutade violente plutôt qu'un poëme. Albert-
Lové est un type dans lequel il a cherché à rassembler tous les
traits les plus caractéristiques de notre temps ; c'est une ima-
gination poétique et fougueuse qui succombe, victime de ses
élans passionnés ; c'est un cœur chaud et généreux qui vient se
glacer au souffle impur du inonde; c'est un esprit avide de
savoir, qui ne sait trouver dans la science que l'incrédulité et
le néant.
«Cependant, tourmenté par de durs souvenirs,
Ébranlant, chaque jour, dans ses ardents désirs,
L'arbre de la science aux racines amères,
Albert ne rencontrait partout que des chimères,
Fantômes creux et vaius enfantés de la unit,
Que l 'enfer pétrissait de misère et de bruit:
Dans les livres, beaucoup d amour et de sagesse;
Chez les hommes, beaucoup de haine et de bassesse
Au dehors la veitu, mais le vice au dedans:
L'égoisme partout. — Ce fut dans ces instants,
Où Love, dégoûté des choses de la vie,
Se tournait vers la tombe avec un œil d'envie )
4 LITTÉRATURE
Que l'esprit ténébreux, se révélant à lui,
Tendit au jeune Albert son bras eomme un appui,
Albert, sans soupçonner quel était cet archange
Dont le rare savoir lui paraissait étrange,
Ouvrit avidement l'oreille à ses discours,
Se détournant parfois , mais l'écoutant toujours ;
Car, dans son œil ardent , la lumière infernale
Comme un pâle reflet, passait par intervalle. »
Voilà une action bien engagée et qui nous promet pour la
suite un drame sans doute très noir, avec les flammes de l'en-
fer, et un brasier bien ardent pour conclusion.
Mais non :
- Satan , comme l'a peint la moderne croyance ,
A pris, en vieillissant, plus grande expérience ;
Il fait que son teint noir ferait rire aujourd'hui;
Aussi nul , en ces jours, n'est aussi blanc que lui;
Et , pour complaire à tous, tentateur sociable,
ïl a depuis long-temps dépouillé le vieux diable.»
D'ailleurs, l'auteur ne paraît pas pouvoir suivre long-temps
la même idée ni savoir s'astreindre à un plan régulier. Il perd
facilement de vue son but, et saute volontiers d'un sujet à un
autre, sans même songer à une transition qui serait cependant
fort nécessaire pour l'intelligence de son livre. La langue elle-
même n'est pas toujours respectée dans ces brusques passages;
et un peu plus de travail, un peu moins de hâte de se faire im-
primer n'auraient certainement pas nui à la réputation du
poète. En fait de vers, surtout dans un long poème, la médio-
crité n'est pas supportable ; le public exige la perfection , et
quelques morceaux écrits avec chaleur ne suffisent pas pour
en assurer le succès. C'est à tort qu'on s'imagine souvent qu'il
suffit de divaguer et d'extravaguer en rimant pour être poêle.
iJne semblable erreur est malheureusement trop communes de
nos jours.
SATHANIEL, par Frédéric Soulié. 2 vol. iu-8°. i5 fr. — CHRISTOPHE
SAUVAL, ou les Deux familles, histoire contemporaine, par M. Emile
de Bonnechose. 2 vol in-8°. i5 fr. — MONSIEUR ET MADAME, par le
baron de Lamothe-Langon. 2 vol. in-8°. i5 fr. — LE CHATEAU DE
SAINT-GERMAIN, par H. A ni an d (M°>e Charles Reybaud). 2 vol. in- 8°.
Xj fr, — m. LE MIDSH1PMAN AISÉ, par le capitaine Matryat, trad.
de l'anglais par Defauconpret. Paris, 1837. 1 vol. in S". i5 fr.
S'athariiel forme la seconde livraison des romans historiques
du Languedoc. Tous les éloges donnés par les journaux à cette
nouvelle production de M. Soulié ne nous empêcheront pas de
HISTOIRE. î
la déclarer fort médiocre. L'auteur n'a pas mieux réussi à pein-
dre les mœurs des Visigoths et des Maures que celles des Celtes
et des Romains. Ce sont toujours des tableaux exagérés, où l'i-
magination ne laisse guère de place à l'histoire. La nature et la
vérité n'ont certainement pas servi de modèles; et si Salhaniel
est ce qu'on appelle en style de feuilleton , une création il faut
avouer que c'est une bien triste créature.
Avec cela le style de M. Soulié seinbledevenir toujours plus
prétentieux , toujours moins français ; il est chargé de mots
insolites , de phrases baroques , et paraît viser à l'imitation du
bavardage de M. Janin. Or, si , à force d'esprit, de vivacité et
souvent même d'extravagance , M. Janin éblouit ses lecteurs
et leur fait prendre son clinquant pour de l'or pur , il n'en
est pas de même de ses imitateurs ; on ne pardonne pas à ceux-
ci l'ennui de ce stvle fatigant, qui, sautillant sans cesse, ne se
repose jamais : vrai caquetage de pie plutôt que langage
d'homme. Aussi lira-ton avec un bien plus grand plaisir
Christophe Sauvai, roman sagement conçu , sagement écrit,
et dans'un but excellent. Cependant M. de Bonnechose aurait
pu y jeter un intérêt mieux soutenu; l'action languit parfois
un peu. L'auteur, après avoir entrepris de démontrer com-
bien la raison est impuissante à diriger l'homme sans le se-
cours de la religion , semble perdre de vue cette intention.
Son héros ne doit sa position qu'à des circonstances tout-à-fait
indépendantes des idées religieuses, et l'on ne comprend pas
tout d'abord quelle influence aurait pu avoir la religion sur
sa vie. Au reste les opinions de M. de Bonnechose paraissent
en général vagues et peu arrêtées. Il parle de liberté et de
loyauté , de Charles X et de la révolution de juillet , avec les
mêmes éloges , le même enthousiasme. Il met dans la bouche
de l'un de ses personnages une prédiction en forme de satire
contre les partisans des capacités intellectuelles qui est fort peu
raisonnée , et ne se comprend pas de la part d'un écrivain
aussi distingué. Mais, malgré ces défauts, Christophe Sauvai
est remarquable sous plusieurs rapports : le style en est sim-
ple et naturel , et les détails y sont en général vrais, sans pré-
tention ni recherche.
— Monsieur et Madame est une de ces productions que
M. le baron de Lamothe-Langon fabrique à la vapeur ou par
quelque autre procédé expéditif de son invention ; car il est
impossible qu'une^seule main suffise à écrire tous les volumes
qu'on publie sous son nom. Pour ce qui est de l'esprit, il est
possible qu'il en possède un assez vaste pour conduire de front
l'histoire , le roman , les mémoires , etc. , d'autant plus qu'en
général il le ménage beaucoup, et n'en met qu'une fort petite
dose dans chacun de ses livres.
6 LITTERATURE,
-—Le Château de Saint-Germain nous dévoile un pseudo-
nyme. C'est à une femme que nous devons les Aventures d'un
renégat , cette peinture si touchante et si naïve qui faisait es-
pérer mieux que le roman de Pierre, qui l'a suivi de près. L
Château de Saint-Germain est fort supérieur à ce dernier.
C'est une intrigue amoureuse du cardinal Mazarin qui en
forme la trame, et les incidents dont l'auteur l'a brodée sont
d'un grand intérêt. On n'y trouve point de ces exagérations
prétentieuses si communes aujourd'hui dans les ouvrages
de nos femmes auteurs.
M. le Midshipman Aise' est le digne compagnon de Peter
Simple et de Jacob Fidèle. On y reconnaît bien la même tou-
che originale , mais un peu monotone. Ces plaisanteries con-
tinuelles , ces jeux de mots répétés sous toutes les formes , ces
calembourgs sur le nom du héros, fatiguent le lecteur, et ne
sont rachetés ni par le charme des détails, ni par l'intérêt de
l'action. D'ailleurs ce genre d'esprit perd beaucoup à la traduc-
tion, qui brise ou émousse presque toutes les pointes de l'o-
riginal.
VOYAGES. RELATIONS ET MEMOIRES ORIGINAUX, pour «ervir à
l'histoire de la découverte de l'AtiERIQUE; publiés pour la première fois
en français, par Henri Ternaux. Paris, chez Arthns Bertrand, 1S37. 3 vol.
in-S°. 19 fr. 5o c.
L'époque de la découverte de l'Amérique est sans contredit
l'une des plus importantes de l'histoire moderne. Lorsque le
génie de Christophe Colomb eut trouvé le Nouveau-Monde,
tous les regards de l'Europe se tournèrent vers cette terre de
promission , vers cet Eldorado où il semblait qu'on n'eût qu'à
se baisser pour ramasser l'or à pleines mains. Etrange aberra-
tion de l'esprit humain ! on ne vit d'abord , dans ce pays si
riche en végétation et en productions de toute sorte, qu'un
brillant joyau d'or et d'argent , qu'une mine à exploiter pour
remplir les bourses européennes ; il semblait que l'or fût la
source première de l'abondance et de la prospérité des Etats.
En ces temps où la science de l'économie politique n'était pas
même née, on ne voyait pas que h; métal le plus précieux
n'est qu'un représentant qui facilite les échanges, mais que
dans sa valeur intrinsèque, il est moins utile à l'homme que le
fer on le plomb. On ne comprenait pas que, sous ce rapport,
le seul résultat de la découverte des mines du Pérou serait de
faire baisser la valeur de l'or en le rendant plus commun.
Hélas! aujourd'hui même, après trois siècles de travaux, de
révolutions et d'études , combien de préjugés tiennent encore
HISTOIRE. 7
tète à la science , combien d'erreurs s'érigent encore en prin-
cipes sans avoir pour excuse l'ignorance naïve des temps passés !
Le seizième siècle offrait un singulier mélange de barbarie
et d'idées religieuses qui donnait aux hommes de cette épo-
que un caractère tout-à-fait particulier. Aux motifs d'intérêt
ou d'ambition qui poussaient une foule d'aventuriers vers le
Nouveau-Monde venait se joindre la pensée, alors puissante,
de convertir à la foi catholique les nombreuses peuplades sau-
vages qui l'habitaient La découverte de l'Amérique était con-
sidérée comme une conquête sur l'idolâtrie, comme un triom-
phe pour le christianisme, qui, dépouillant ce caractère de
douceur et de support dont, son fondateur l'avait empreint ,
revêtait la dure cuirasse et saisissait l'arme de la persécution.
Au nom d'un Dieu de paix et de charité, on portait le désordre,
le pillage et la mort chez des populations paisibles, dont le
culte grossier et accompagné de superstitieuses pratiques était
certainement plus agréable à l'Eternel que le ctuel fanatisme
de leurs persécuteurs. L'avidité la plus insatiable ne reculait,
pour se satisfaire , devant aucun tourment, et la religion était
toujours là pour servir de prétexte ou d'excuse aux actes les
plus atroces. Chose étrange! les hommes qui abusaient ainsi
de ce qu'il y a de plus grand , de plus sacré , n'étaient pas des
hypocrites; ils avaient une foi bien peu éclairée, bien barbare
sans doute, mais ferme, et capable aussi de grands dévoue-
mens, de mâles actions. C'était elle qui leur donnait le cou-
rage d'affronter tant de périls, la persévérance nécessaire pour
surmonter les obstacles innombrables qui s'offraient à eux , la
résignation avec laquelle ils supportaient les privations et les
misères de tout genre auxquelles ils s'exposaient.
Les ouvrages publiés à cette époque même, les relations des
premiers voyageurs qui traversèrent la grande mer océane ,
peuvent seuls nous offrir un tableau vrai de ces curieuses ex-
péditions, tout à la fois religieuses , guerrières et mercantiles.
La collection de 31. Henri Ternaux promet donc d'être fort in-
téressante , si l'on en juge surtout d'après les trois premiers
volumes déjà publiés. Ce sont :
1°. Histoire de la province de Santa-Cruz, que nous nommons
ordinairement le Brésil, par Pero de Magalhancs de Gandavo ;
dédiée au très illustre seigneur D. Lionis Pereira, ancien gouver-
neur de Malacca et de plusieurs parties de l'Inde méridionale.
Cette description du Brésil est écrite avec une grande sim-
plicité. L'auteur débute par s'indigner de ce qu'on a ôté à
cette province son nom primitif pour lui donner celui d'un
bois de teinture qui s'y trouve. « On nomme, dit-il , ce bois
Brasil parce qu'il est rouge et ressemble à de la braise; et de
là ce pays a reçu le nom de Brésil. 31ais afin de narguer en
* LITIERATURK,
cela le démon, qui a tant travaillé et travaille tant pour effa-
cer de la mémoire des hommes et éloigner de leur cœur la
sainte croix par laquelle nous avons été rachetés et délivrés de
sa tyrannie , il est bon de rendre son nom à cette province ,
et que nous la nommions , comme dans le principe, province
de Santa-Cruz. Joande Barros, cet illustre et fameux écrivain,
le prouve aussi dans sa première décade, en parlant de la même
découverte. En vérité, les nations chrétiennes doivent plus es-
timer un bois sur lequel s'est opéré le mystère de notre
sainte Rédemption, qu'un boisqui ne sert cpi'à teindre du drap
et d'autres choses semblables. »
Du reste , cet ouvrage , publié pour la première fois à Lis-
bonne en 1576, est remarquable par les notions exactes qu'il
renferme , ainsi que par le petit nombre d'erreurs qui s'y
trouvent mêlées.
2° Belle et agréable narration du premier voyage de Nicolas
Federmann le jeune , d'Ulin aux Indes de la mer océane , et de
tout ce qui lui est arrivé dans ce pays jusqu'à son retour en Espa-
gne, écrite brièvement, et divertissante h lire.
L'empereur avait accordé aux frères Welser , riches négo-
ciants d'Augsbourg , la souveraineté de la province de Vene-
zuela, qu'ils devaient aller conquérir à leurs frais et dépens.
JNicolas Federmann , un de leurs agents, fut chargé de diriger
une des expéditions entreprises dans ce but. Les négociants
d'alors étaient obligés d'avoir des commis aussi expérimentés
dans l'art militaire que dans les affaires de négoce, car ils pos-
sédaient des vaisseaux de guerre comme des vaisseaux mar-
chands. Nicolas Federmann était un brave soldat, un peu
rude , mais habile, qui , avec une poignée d'hommes bien ar-
més , prit au nom de ses patrons possession de contrées vas-
tes, riches et peuplées. Il raconte en détail tous les combats
qu'il eut à livrer , tous les obstacles qu'il eut à vaincre. Son
premier soin , chaque fois qu'il rencontrait quelques nouveaux
caciques, était de les baptiser, puis de leur faire prêter ser-
ment de fidélité à l'empereur. Il ne perdait pas son temps à
les sermonner, cal-, dit- il, il était bien inutile de leur expli-
quer et de vouloir leur faire comprendre la doctrine catholi-
que , puisqu'on les forçait d'abjurer. Dans la conviction que
tous ces malheureux Indiens idolâtres étaient des suppôts de
Satan , il ne craignait pas non plus de les exterminer par cen-
taines, et pensait accomplir la volonté de Dieu en massacrant
ces innocentes peuplades. Sa relation présente le tableau le
plus naïf et le plus complet de la manière dont les Européens
prétendaient porter en Amérique la civilisation et le christia-
nisme.
3° Véritable histoire description d'un pays habité par tù
HISTOIRE. 0
hommes sauvages, nus, féroces et anthropophages, situe dans le
Nouveau- Monde nommé Amérique, inconnu dans le pays de Hesse
avant et depuis la naissance de Jésus Christ, jusqu'à l'année
dernière. Hans Staden de Homberg, en Hesse, l'a connu par sa
propre expérience , et le fait connaître actuellement par le
moyen de l'impression.
Ce titre seul dénote déjà la bonhomie allemande , et c'est
en effet le caractère qui distingue essentiellement cette narra-
tion. Hans Staden , digne arquebusier, plein de courage, de
probité et de piété , s'élant embarqué sur un vaisseau espa-
gnol qui faisait voile pour l'Amérique, fit naufrage et fut pris
par les sauvages tupinambas , qui le gardèrent pendant six
mois avec eux. Ce fut une rude épreuve pour lui , car il s'at-
tendait toujours à être mangé , et il regarda comme un miracle
d'avoir pu sortir sain et sauf des mains de ces anthropophages.
Il lui fallait une bien forte dose de résignation religieuse pour
ne pas s'abandonner au désespoir. Mais au lieu de se laisser
abattre , il tournait sans cesse ses regards vers le ciel avec une
foi vive , et savait profiter de toutes les chances qui s'offraient
à lui pour adoucir ses ennemis, les regardant toujours comme
des inspirations divines. Son long séjour chez les Tupinambas
lui a permis d'observer leurs moeurs, et il en rapporte une
foule de détails intéressants sur la fidélité desquels on peut ci-
ter le témoignage d'un auteur contemporain , qui en parle en
ces termes :
« Ainsi ce livre de Jean Staden , qui de naguères a esté ini-
» primé en latin, et désire bien qu'il le soit en françois, of-
» fiant, si on le veut faire, de bailler ce que j'en ai jà de traduit
» et de l'embellir de choses notables , mérite semblablement
» d'être leu de tous ceux qui désirent savoir au vrai les cous-
» tûmes et façons de faire vraiment sauvages des Brésiliens.
» Joint qu'il témoignera avec moi que Thevet a été superlati-
» vement effronté menteur, tant en ce qu'il a mis en général
» en sa Cosmographie et ailleurs en ses œuvres touchant ce
» qui se fait et se voit en Amérique, que particulièrement de
» Quoniambègne , avec lequel Staden , ayant esté à la guerre
» et long-temps prisonnier sous lui , combien qu'il le desci ive
» très cruel et inhumain envers tous ceux qu'il pouvait attra-
» perde ses ennemis, tant il y a toutefois qu'il ne dit pas que
» cefust un géant, ains seulement impuissant homme, moins
» qu'il portast des pièces d'artillerie pour les tirer de dessus
» ses épaules toutes nues après ses ennemis, comme Thevet l'a
» barbouillé et fait pourtraire en sa fabuleuse Cosmographie.»-
i<> LITTERATURE,
LES APRES-DINERS DE S. A. S. CAMBACÉRES , second consul, etc.,
ou Révélations de plusieurs grands personnages sur l'ancien régime, le di-
rectoire, l'empire et la restauration; recueillies et publiées par le baron
E.-L. de Lamothe-Langon.— Paris, 1837. 4 vol. in-8", 3o fi. — COR-
RESPONDANCE ET RELATIONS DE J. FIEVÉE avec Bonaparte,
premier consul et empereur, pendant onze'années(i8o2-i8 t3j, publiées par
l'auteur. Paris, i83;. 3 vol. in-8°. 22 fr. 5o c. — L'EMPIRE, ou Dix ans
sous Napoléon; par un ancien chambellan. Paris, iS3(i. 4 \ol. in-8°. 3ofr.
Ordinairement les idoles renversées n'ont plus d'adorateurs,
ou si elles en conservent quelques uns , c'e->t dans l'on dire et
le silence qu'ils pratiquent leur culte muet. Mais il parait que
Napoléon fait exception à la règle , car les courtisans ne man-
quent pas plus à sa mémoire , qu'Us ne manquaient à l'éclat
de son trône. Le despote est encensé dans sa tombe ,
autant et plus peut-être qu'il le fut jadis sous la pourpre im-
périale. Cette main de fer a si Lien courbé les hommes sous
son joug pesant, qu'ils ne peuvent se redresser encore, quoi-
qu'elle ait disparu déjà depuis quelque temps. La gloire mili-
taire éblouit si bien les yeux , qu'on ne veut pas voir que le
grand guerrier fut un maître absolu , qui, sacrifiant l'avenir
de son pays à ses vues ambitieuses, refoula, avec une brutale
violence , l'essor que l'esprit humain venait de prendre.
Guerre et civilisation sont dem contraires diamétralement
opposés l'un à l'autre, quoi qu'on ait pu dire, dans notre siècle
de phiaséologie, sur la mission des conquérans , sur la fatale
destinée des peuples , etc., etc. Les baïonnettes, même les
plus intelligentes, n'ont jamais rien civilisé, et ce n'est certai-
nement pas à coup de canon qu'on édifie quoi que ce soit.
Mais un longtemps s'écoulera encore avant que ces idées aussi
simples que vraies se fassent jour à travers tous les préjugés
qui encombrent et cernent de toutes parts les avenues du bon
sens. En attendant, il nous faudra sans doute subir bien des plates
apologies de l'empereur, bien deséloges de la générosité etdela
grandeur d'âme de l'homme qui a jonché l'Europe de cadavres,
qui a porté le fer et le feu dans toutes les contrées , qui a semé
partout sur ses pas le deuil et la misère.
Dans les Après-dîners de Cambaeérès , et dans l'Empire, ou
Dix ans sous Napoléon, on trouvera beaucoup de ce commérage
de cour qui a encore tant d'amateurs. Des anecdotes déjà con-
nues s'y rencontrent ça et là, mais il y en a aussi de nouvelles,
assez piquantes, qui dévoilent les petits ressorts et les secrètes
intrigues du gouvernement impérial.
La Correspondance de Fiéoée offre un tout autre genre
d'intérêt. C'est un cours de despotisme et d'obscurantisme que
l'auteur rédigeait pour l'empereur seul. Les maximes les plus
HISTOIRE. i r
absolues en fait de gouvernement y sont naïvement exposées .
et développées avec une impitovable logique dans toutes leurs
rigoureuses conséquences. M. Fiévée appelle en particulier
l'attention de l'empereur sur les principes philosophiques, qui,
se glissant dans les collèges, y exercent, dit il, l'nfluence la
plus déplorable , et il prédit que la jeune génération , si l'on
n'y apporte un prompte remède, deviendra bientôt tout-à-fait
impossible à gouverner; il fortifie toutes les préventions de
l'empereur contre les idéologistes , et en toutes choses, émet
des opinions directement opposées à celles qui ont générale-
ment cours en France depuis cinquante ans. Cependant il affi-
che une complète indépendance, et, en effet, c'est avec une
assez grande liberté qu'il adresse des conseils à Napoléon qui
ne les souffrait guère. Il vante aussi beaucoup son désintéres-
sement, et répète souvent qu'il n'eut jamais d'ambition ni pour
l'argent ni pour les honneurs. Il est fâcheux qu'avec de pareilles
dispositions et l'ascendant qu'il avait su prendre sur l'esprit de
l'empereur , il n'ait pas puisé ses inspirations dans une sphère
plus haute. Mieux eût valu l'ambition d'éclairer sa patrie,
d'assurer à ses compatriotes une liberté large, féconde et pros-
père. C'était assurément là un but plus noble et plus digne que
celui d'asseoir un soldat sur un trôneabsolu, et d'étouffer sous
des nuages de poudre à canon tout élan du cœur , tout mou-
vement de l'âme , tout essor de l'esprit.
DEP.MERE EPOQÏ E DE L'HISTOIRE DE CITMUES X . ses derniers
voyages, sa maladie, s^ mort, ses funérailles,' son caractère el ses habi-
tudes daus l'exil; par M. de Montbel. Paris, i836, Jn-8°. 3 fr. 5o c.
Ce petit écrit est un panégyrique du roi chassé par la révo-
lution de i83o, fait par un courtisan fidèle, dont l'affection n'a
été ébranlée , il faut lui rendre cette justice , ni par l'exil de
son maître , ni par sa mort. Il renferme du reste des détails
assez niais , et n'est guère curieux que par la hardies«e des
opinions, qui témoigne de la liberté dont, à certains égards
surtout, la presse jouit maintenant en France.
RELIGION, PHILOSOPHIE,
RELIGION, PHILOSOPHIE, MORALE, ÉDUCATION.
ESPRIT DE L/V LÉGISLATION MOSAÏQUE, par J. E. Cellerier fils.
Genève et Paris, chez Ab. Cherbuliez et Ce. 1837. 1 vol. iu 8°. 1 1 fr.
Admettant en principe et comme article de foi la divinité de
l' Ancien-Testament, M. Cellerier a tracé un tableau de la lé-
gislation établie par Moïse au milieu du peuple hébreu , dans
lequel il cherche à faire ressortir la portée de chaque disposi-
tion particulière, et son rapport avec le but général que Dieu
s'était, dit-il, proposé d'accomplir en choisissant le peuple hé-
breu pour objet de sa protection spéciale. Cet exposé est rempli
d'un vif intérêt, et sera lu avec plaisir et avec fruit, non seu-
lement par les théologiens, mais encore par les gens du monde,
qui y trouveront une foule de détails curieux et un commen-
taire explicatif de maints chapitres obscurs de la Bible.
L'auteur commence par examiner les antécédents du peuple
juif, son état d'asservissement et d'abjection au milieu des
Egyptiens, son ignorance, son caractère obstiné et stupide, ses
préjugés, ses habitudes , en un mot toutes les considérations
que devait d'abord mûrement peser Moïse avant d'entrepren-
dre de le régénérer. Il décrit également la contrée qu'il de-
vait aller habiter, et nous raconte dans un style animé et
plein de charmes les merveilles naturelles de ce beau pays de
Chanaan , promis aux Israélites. «Mettons-nous, dit-il , à la
place du voyageur qui le parcourait au temps de Moïse ou un
siècle plus tard; quel aspect lui présentait alors cette terre cé-
lèbre, et quelquefois, de nos jours, si mal dépeinte.
» De nombreux troupeaux couvrent les montagnes ou par-
quent dans les plaines ; pendant ce temps, le bœuf trace le sil-
lon ou foule le grain ; les chameaux du désert partent pour
exporter les fruits secs, les blés et le baume de Galaad, ou ar-
rivent par la route de transit du Jourdain à Tyr. Taudis que
ces laborieux animaux sont charges des travaux fatigans et des
pénibles transports, l'âne, en général plus heureux , aux por-
tes des villes et sur les chemins fréquentés, sert de monture
aux femmes, aux vieillards, aux grands personnages et aux
rois. Ce précieux animal reçoit du climat, ou tient peut- être
d'une race particulière , une taille, un degré de force , un poil
fauve et brillant, inconnus dans nos contrées. Ces trois qua-
drupèdes sont d'un usage distinct, mais continuel et indispen-
sable , tandis que le cheval, plus coûteux, est bien moins utile.
Il peut sembler, en effet, déplacé dans la Palestine, où les cou-
MORALE, KDUCATION. i3
trées fertiles sont montueuses et coupées. Il y serait, pour les
simples propriétaires , un luxe accablant et superflu; mais,
pour les chefs et les grands , il serait , comme pour les Arabes
de nos jours , un instrument d'oppression et de brigandage ;
pour les rois , un signe de faste et un emblème guerrier , d'un
mauvais augure aux yeux des sujets.
» Les bètes sauvages , chassées de proche en proche par les
défrichemens successifs , trouvent encore un asile dans un pe-
tit nombre de forets respectées parla main des laboureurs. De
là sortent la nuit le loup et le chakal pour boire dans les eaux
des torrens , le renard pour chercher sa proie. Là séjournent
des milliers de vautours prêts à fondre sur la contrée pour la
délivrer des cadavres d'animaux. D'autre part, les chiens fé-
roces de l'Orient accomplissent la même tâche dans les villes,
d'où ils ne s'éloignent guère ; au milieu de leurs courses et de
Leurs hurlemens nocturnes, ils les nettoient de mille ordures
infectes. Le lion , l'ours, le tigre, habitent de préférence le Li-
ban et ses abîmes. On les aperçoit cependant au bord du Jour-
dain , le long duquel ils viennent se désaltérer ou chercher
leur proie. Ils s'y établissent même çà et là dans les taillis épais
et peuplés qui le bordent sur quelques points.
» En dehors des forêts primitives, on trouve encore quel-
ques bouquets d'arbi es aussi vieux que le monde, qui, sur
des hauteurs , protègent un culte idolâtre, ou bien ombragent
des camps rustiques dans les vallées, au bord des eaux ; à cela
près, la culture n'est guère interrompue que par des villes ;
c'est-à-dire par de petites enceintes murées , placées sur des
hauteurs de difficile accès, à l'abri des incursions ennemies.
Les coteaux se couvrent de vignes soutenues par des murs en
étages successifs , culture industrieuse , signe certain d'un ciel
propice, d'une terre féconde et d'un peuple laborieux. De
rustiques habitations se distinguent aux bouquets de figuiers
entrelacés de vignes, cpii les abritent. Le figuier arrive, en Pa-
lestine, à une taille dont nos climats ne nous donnent aucune
idée. Le palmier, maintenant inconnu dans cette terre esclave, y
était assez fréquent et assez beau pour avoir servi de symbole
à l'antique Judée. Les bords du Jourdain nourrissaient en
abondance les arbres d'où découlait la résine précieuse, tour à
tour nommée, de l'une ou de l'autre des deux rives, baume
de Galaad ou baume de Jéricho.
» A côté de ces objets rians , la nature, amie des contrastes,
déploie quelques unes de ses plus effrayantes scènes , et cette
oasis presque enchantée est entourée de spectacles de souffrance
et de mort. On se rappelle les déserts de sables qui, au sud et
à l'est de la Palestine, se prolongent jusqu'à l'Egypte, la mer
Rouge et l'Euphrate. On connaît le simoun , ce feu qui les ba-
u RELIGION, PHILOSOPHIE.
laie de temps à autre, tantôt pendant quelques heures, tantôt
pendant quelques minutes. Mais un seul instant lui suffit pour
tuer tous les êtres organisés qui l'ont senti. Son approehe est
annoncée par des nuées rougeâtres , par l'obstination des cha-
meaux (dont l'instinct le pressent) à enfoncer leur museau dans
le sable. A leur exemple, le voyageur expérimenté se hâte d'y
appliquer son visage pour ne point respirer ce vent empoi-
sonné qui, en général , souffle à un ou deux pieds au-dessus
du sol. Quand cet invisible incendie a passé , les plantes sont
brûlées, et les animaux eux-mêmes refusent de se nourrir des
moissons qu'il vient de consumer. Les corps des victimes pa-
raissent plongés dans un paisible sommeil, mais les chairs sont
comme décomposées , et restent pour ainsi dire aux mains de
ceux qui veulent déplacer les cadavres. Dans une seule nuit,
au témoignage de Thévenot, en 1660, quatre mille personnes
furent atteintes de ce fléau, et deux mille en 1658. »
Après le tableau du sol et du climat, viennent quelques do-
cumens sur les divers peuples qui devaient se trouver limitro-
phes des Hébreux ou entretenir quelques relations avec eux.
Ces données étant établies, l'auteur passe à l'examen des lois
du Pentateuque. Il les prend une à une, et montre comment
tout, jusqu'aux moindres dispositions de cette législation di-
vine, était admirablement bien combiné pour faire des Juifs
un peuple agricole , pour les fixer au sol , leur interdire la vie
nomade, les isoler des nations idolâtres, dont ils n'avùent que
trop de penchant à adopter les funestes erreurs. Maints règle*
mens de détails, traités avec dédain et ironie par des observa-
teurs superficiels, sont interprétés d'une manière nouvelle par
M. Cellerier, qui y reconnaît également l'intention du légis-
lateur d'attacher fortement les Hébreux à la contrée dont il
leur avait montré le chemin. Si Moïse interdit aux Juifs l'u-
sage de la graisse d'animaux et du beurre, et leur prescrit d'em-
ployer l'huile pour 'apprêter leurs alimens , c'est afin de les
forcer à cultiver l'olivier , et de tourner ainsi leur attention
vers l'agriculture. S'il leurdéfendde manger certainsanimaux,
c'est pour leur rendre impossible la vie nomade et les éloi-
gner des habitudes de ces peuples errans dont ces animaux for-
ment justement la principale nourriture. La circoncision, pra-
tiquée parmi les prêtres des Egyptiens, au milieu desquels les
Israélites avaient vécu , est adoptée par Moïse comme un
moyen de rehausser les Juifs à leurs propres yeux , en leur
donnant ainsi une marque particulière , destinée à les distin-
guer comme une nation supérieure aux autres , comme un
peuple de sacrificateurs et de serviteurs de Dieu. Tout est ha-
bilement calculé par le législateur, qui sait profiter des défauts
comme des vertus de son peuple , qui se sert des préjugés déjà
MORALE, ÉDUCATION, l5
existants pour assurer son empire , atin de pouvoir, plus tard
les combattre avec plus de facilité ; qui fait concourir tous les
moyens à son but, et parvient à créer avec des esclaves mie
nation indépendante et libre ; avec des brutes ingnorantes, un
peuple adorateur du vrai Dieu, ennemi de l'idolâtrie, et bien-
tôt vainqueur de toutes les nations voisines, jusqu'alors plus
avancées que lui dans la civilisation.
Moïse préparait ainsi , dit M. Cellerier, la route au christia-
nisme , qui devait trouver chez les Juifs ie dépôt sacré du
théisme pur, et féconder , en les développant quand le temps
serait venu , les germes de la vraie religion, conservés dans
cette nation choisie entre toutes pour 1 accomplissement des
hautes destinées de l'humanité.
Le véritable esprit de la législation mosaïque est donc l'ac-
tion providentielle qui se manifeste à nos faibles regards dans
tous les événements de l'histoire des Juifs dune manière plus
marquée, plus suivie, plus évidente, que nulle part ailleurs.
La vérité devait arriver au monde par une voie lente et péni-
ble, par une marche graduelle qui semble être la loi univer-
selle de formation en toutes choses , et qui est en effet la plus
conforme à la haute sagesse de Dieu. Le peuple de Moïse est le
seul de l'antiquité à nous connu chez lequel brille un rayon
de ce flambeau divin. Il est l'unique chaînon qui nous ratta-
che à ce vieux monde d'Orient dont les destinées sont encore
un mystère pour nous Cette seule raison suffirait pour don-
ner une haute importance à toutes les recherches qui onfpour
but son histoire, ses lois , ses mœurs. Sous ce rapport donc , le
livre que nous annonçons mérite déjà d'être bien accueilli du
publir ; mais l'esprit de piété haute et éclairée qui le distin-
gue , la sage mesure dans laquelle l'auteur a su concilier la foi
avec la raison , la religion avec la critiqne historique, lui as-
surent un succès non moins grand que celui qu'ont déjà ob-
tenu tous les autres ouvrages de M. le professeur Cellerier. Ce
judicieux écrivain possède à un haut degré le talent bien rare
de présenter la théologie sous une forme attrayante, de la
faire sortir de l'école pour s'introduire dans les salons et les
familles, et de lui donner une allure douce et conciliante qui
obtient les suffrages des hommes éclairés de toutes les commu-
nions religieuses.
t6 RELIGION. PHILOSOPHIE,
LA VRAIE PII OENOLOGIE, ou l'Unité d'un principe intellectuel et moral
dans l'homme, fondée sur l'accord de l'expression rationnelle du verbe et
de la conscience du moi, avec la notion de l'être universel ; par /.-/?.-
M. tercet. Paris , chez Leleux, 1 83 7. In 8°. 1 fr. 2 5 c.
Laphrénologie, en devenant à la mode en Fiance, ne pouvait
manquer de tomber tout-à-fait dans le matérialisme, doctrine
funeste qui ne trouva toujours que trop de disciples chez une
nation vive et légère, ennemie de tout raisonnement abstrait
et trop occupée de vivre pour avoir le tempsde beaucouppen-
ser. C'est en effet ce qui est arrivé. On a fait du génie une
fibre du cerveau et chacune des qualités bonnes ou mauvaises
de notre esprit n'a plus eu d'autre cause que la forme de telle
ou telle partie de la matière renfermée dans notre crâne. On
va même jusqu'à vouloir diriger l'éducation d'après les bosses
que présente la tète d'un enfant, et il ne faut pas désespérer
que de conséquence en conséquence on arrivera à inventer des
moules pour modeler le crâne encore tendre des nouveau-nés.
Chacun alors choisira le moule qu'il préférera pour ses enfants,
et l'on fabriquera , en quelque sorte , les hommes de génie à
volonté.
C'est contre ce matérialisme phrénologique que s'élève
M. Gence , et sa biochure est destinée à repousser avec force de
semblables doctrines. Mais, malheureusement, le spiritualisme
de M. Gence est tellement mystique, qu'il est bien difficile de
comprendre son langage. Peut-être paraîtra t-il plus clair aux
personnes habituées à se livrer à de profondes études philoso-
phiques , mais nous avouons notre complète incapacité à cet
égard. iNous nous bornerons donc à donner la table des ma-
tières de cet opuscule , en souhaitant vivement que l'auteur
réussisse par ses efforts à réhabiliter l'âme contre laquelle le
corps semble aujourd'hui vouloir se révolter, en la rabaissant
au rang de l'un de ses organes :
Section lie. Des modernes sjsTènies qui ont Dieu et l'homme
pour objet : — spiritualisme physico-moral. Rationalisme, —
Eléments de la philosophie rationnelle.
Section 2e. Le verbe ou son équivalent dans les langues. —
De l'action d'affirmer propre au verbe. — Rétablissement du. verbe
confondu avec le modïficatif.
Section 3e. Le moi dans l'homme. ■ — Le moi humain indé-
pendantdes sens. — Sur la craniologie, science destructive de l'unité
du moi. — De l'unité du moi détruite également par la science
dite phrénologie, dont la substitution- à, la craniologie est pure-
ment nominale. — De l'unité du. moi sous le rapport logique. — -
Sur le somnambulisme magnétique et le svedenborgisme. —De
MORALE, ÉDUCATION. 17
limité du moi intellectuel et moral. — Sur la psychologie (esptrtt
et âme ).
Section 4e. Le verbe et le moi absolu eu Dieu. — L'ontologie.
— Profession de joi de l'auteur.
ESSAIS SUR LA PHILOSOPHIE DES INDOUS,parM. H.- T. Colebrooke,
trad. de l'anglais et augmentés de textes sanscrits et de notes nombreuses
par G. Pauthier. Paris, chez V. Masson, rue de l'Ecole-de-Médecine, n° 4.
1 vol. in-8°. 8 fr.
La philosophie des Iudous est , pour les savants européens ,
l'objet d'études profondes et du plus haut intérêt , car elle
peut offrir quelques notions sur l'état de la science chez les
peuples d'Asie dans l'antiquité; aussi quelles que soient les dif-
ficultés qui entourent le sanctuaire de Brahina quelque aride
que puisse être une telle étude , surtout dans ses premiers pas,
de hardis travailleurs sont parvenus, à force de zèle et de veilles ,
à dérouler à nos yeux tout le tableau des diverses doctrines des
plus anciens philosophes indous. Il y avait non seulement à
vaincre les obstacles que présente une langue qui ne se parle
plus, et dont il fallait reconstruire en l'étudiant la grammaire
et la syntaxe , mais encore l'obscurité très grande de la plu-
part des idées, les subtilités souvent puériles de ces systèmes,
semblaient bien faites pour décourager les efforts les plus
constants. Cependant , au milieu des superstitions grossières et
du mysticisme inintelligible qui remplissent une grande partie
de ces anciens traités , on y rencontre des traits de lumière
qui jettent un jour brillant sur lespremiersàgesde l'humanité.
Ainsi que le dit le traducteur dans sa préface : « Au milieu de
ce monde presque tout nouveau pour nous , l'Inde , avec sa
langue sanskrite sisavanteet si métaphysique, avec sa pensée
religieuse si profonde et si sublime , sa pensée philosophique
si abstraite et si hardie , son imagination si poétique et si gi-
gantesque, et sa nature si merveilleuse et si féconde, nous
apparaît comme le grand et antique foyer de la pensée hu-
maine , comme le point central et rayonnant de ce vaste cercle
d'idées philosophiques et religieuses , d'idiomes frappants de
consanguinité , qui a enveloppé la Haute- Asie et qui a fini par
embrasser presque tout l'ancien inonde. C'est en effet sur les
hauts plateaux de l'Asie qu'a été jetée primitivement l'énigme
du genre humain ; c'est de là que le grand fleuve de la civi-
lisation est parti avant de couvrir l'Europe et avant de laisser
derrière lui de vastes déserts de sables. »
Les essais de M Colebrooke sont au nombre de cinq, savoir:
i* Philosophie sa'nhhya ; 20 Systèmes nya'ya et oais'éthihaj
i» RELIGION, PHILOSOPHIE,
Traduction de la sa'nkhya-ka'rika' , ou vers remémoratifs de
la philosophie sa'nkliya , par Is'vara-Krichn'a; 3° Première
mimansa, philosophie qui a pour ohjet de déterminer le sens
de la révélation ou l'interprétation des Vêdàs ; 4° Philosophie
véda'nta i 5° Sectes hétérodoxes.
Le traducteur a ajouté à ces essais des développements fort
importants; entre autres un essai sur les Bouddhistes qui ren-
ferme plusieurs rapprochements tirés des livres chinois , et un
spécimen extrait d'une traduction complète du Tao-te-Ring
(livre du tao ou de la raison primordiale suprême et de la vertu),
ouvrage philosophique de Lao-Tseu, dont l'âge remonte après
de 6oo ans avant notre ère. Il a de plus donné en notes les
textes sanscrits les plus intéressants, sur lesquels est hase le
travail de M. Colebrooke, et une table explicative des termes
philosophiques et des mots sanskrits employés dans le cours
de L'ouvrage, De cette manière, ce livre a le double avantage
d'offrir aux savants un sujet d'études, et aux gens du monde
une exposition assez claire de la philosophie des Indous. Quel-
qu'abstrait que soit un pareil sujet, après avoir vaincu les
premières difficultés, on s'y attache vivement, et c'est avec
un véritable intérêt qu'on lit le résumé de ces antiques opi-
nions sur l'essence de l'âme , sur la destinée humaine , sur les
attributs et la puissance du Dieu éternel qui est le créateur de
tout ce qui existe.
LES VOLEURS, physiologie de leurs mœurs et de leur tangage, par
E.-F. Vidocq. Paris, 1837. 2 vol. in-S", ornés du portrait de fauteur.
i5 fr.
Dictionnaire argotique , aveedes développements assez éten-
dus sur les ruses et l'adresse des voleurs , et semé d'anecdotes
assez curieuses. Vidocq publie ce livre dans le but d'être utile
aux honnêtes gens, et de faire servir ses connaissances, très
profondes en pareille matière, à les prémunir contre le vol et
la fraude. Il est placé de manière à pouvoir donner de précieux
renseignements à ce sujet, et, quelqu'étrange qu'il paraisse de
voir Vidocq faire le moraliste , son opinion n'est point sans
quelque poids. Il a vu d'assez près les gens qui peuplent or-
dinairement les prisons, pour les connaître et pour apprécier
quels sont les meilleurs moyens de les réformer. Ce n'est donc
pas indifférent de l'entendre se prononcer contre la surveil-
lance et repousser la peine de mort.
MORALE, ÉDUCATION, i9
EMILIE, ou la Jeune fille auteur, par mademoiselle S. Ullinc Trémadeure,
i vol. in-i2°, fig. 3 fr. 5o c. Paris, 1837, chez Didier, quai des Augustins.
Parmi les écrivains assez nombreux aujourd'hui qui s'oc-
cupent de la jeunesse et travaillent à lui procurer plaisir et
instruction , à former son cœur et à orner son esprit , made-
moiselle Ulliac Trémadeure occupe certainementl'unedes pre-
mières places. Une morale pure , une raison éclairée, brillent
dans tous ses ouvrages ; mais ce qui surtout la distingue d'une
manière toute particulière , c'est la modestie et la simplicité
3ui s'unissent chez elle à un talent très remarquable. Jamais
e prétentieuses préfaces , de pédantesques programmes ,
jamais de ces phrases 10 fiantes si communes de nos jours
parmi nos femmes de lettres, qui ne savent écrire une
page sans parler de mission, de régénération sociale, etc.
« La femme , providence terrestre du foyer domestique, en
devient le fléau du moment qu'elle livre son âme à l'amour
de la renommée , » telle est la pensée qui domine chez made-
moiselle Ulliac, et il y a quelque courage à l'exprimer. En notre
époque de mensonge , il faut du crenr et de l'âme pour se dé-
clarer fidèle disciple delà vérité; et, au milieu du ridicule
fracas avec lequel on encense d'impudiques idoles , en présence
des innombrables sophismes sur lesquels on édifie les plus
absurdes et les plus monstrueuses théories d'émancipation de
la femme , de nouveau système social, etc., honneur au noble
et ferme caractère qui méprise les clameurs de la foule et se
renferme dans le sanctuaire sacré de la famille, cette ancre de
salut de la société, qui peut seule lui offrir repos et consolation
après les révolutions politiques ou religieuses dont le monde
est depuis si long- temps tourmenté.
Dans Emilie, mademoiselle Ulliac a voulu combattre la fu-
neste influence des folles idées du jour , enfantées par les
Saint-Simoniens , et recueillies après le décès de ceux-ci par
une foule toujours prête à exploiter les systèmes les plus faux
et les plus insoutenables , influence plus générale qu'on ne le
pense, qui se glisse dans la plupart des pensionnats et donne à
l'éducation des jeunes filles la direction la plus dangereuse.
Si les théories saint-simoniennes n'ont pas trouvé d'écho en
ce qui concerne la participation de la femme au pouvoir civil
et politique , il n'en est pas de même pour ce qui touche le
développement des facultés intellectuelles On a généralement
accueilli avec un engouement peu raisonné la pensée de l'é-
mancipation de la femme sous ce rapport, et former des femmes
de lettres est devenu le but de maints efforts jusque là trop
mal dirigés pour pouvoir en faire de bonnes mères de fa-
mille.
ao RELIGION, FHiLOSOPHIE,
Emilie est engagée à embrasser cette périlleuse carrière par
une dame qui s'intéresse à elle, et qui pense y voirie moyen le
plus certain d'assurer à cette jeune fille un avenir heureux , et
de lui fournir les ressources nécessaires pour soutenir son
grand-père et sa vieille cousine, les seuls parents qui lui restent
avec son frère qui est à l'armée. Le grand-père ire consent pas
sans peine à livrer sa petite-fille à tous les écueils de la carrière
des lettres ; mais aucun autre état ne pouvait promettre des
chances aussi belles de réussite , et l'amour-propre paternel,
flatté de l'espoir de voir Emilie se faire un nom célèbre, acheva
bientôt de combattre toutes les objections.
La jeune fille débuta donc en essayant ses forces comme
traductrice. Animée de l'ardeur la plus vive , heureuse de
songer qu'elle allaitpouvoirenfinprocurerquelque aisance aux
siens , elle eut bientôt terminé une traduction. Son grand
père on revit le style , et il ne manqua plus qu'un éditeur
pour la publier. Alors commencèrent les tribulations du mé-
tier, les désappointements d'auteur. La plupart des libraires .
peu capables d'apprécier le mérite d'un ouvrage , spéculent
plutôt sur les chances qu'offre un nom déjà connu du public,
et ne se soucient guère d'encourager les débutans. Emilie
essuie donc plusieurs refus cruels à la fois pour son amour-
propre et pour son creur , car les lettres lui semblaient une
ressource certaine contre la misère. Cependant, grâce à la re-
commandation de sa protectrice , elle finit par trouver un
éditeur qui lui donne 3oo francs de son manuscrit; et, dans sa
joie d'avoir obtenu une pareille somme du premier produit
de son travail , elle oublie toutes les peines qu'il a fallu pour
cela, et sent revivre toutes ses brillantes espérances. Le livre
s'imprime sans qu'elle songe seulement à en revoir les épreu-
ves ; il paraît enfin, et c'est un grand jour de fête pour Emilie,
pour son grand-père et sa vieille cousine, lorsqu'on leur ap-
porte les exemplaires qui leur appartiennent. Mais le plaisir est
quelque peu empoisonné par la découverte d'une fouie de
fautes d'impression qui défigurent le style. Vient ensuite la
critique qui est toujours une rude épreuve pour l'écrivain;
puis le livre, à peine annoncé par les journaux , qui n'ouvrent
leurs colonnes qu'aux sollicitations de la camaraderie ou à
l'éclat de beaux deniers comptants , se vend fort peu, et lors-
qu'une nouvelle traduction est prête , la pauvre Emilie ne
peut trouver à la placer qu'aux plus dures conditions. Elle se
voit obligée de. consentir à faire passer son travail pour celui
d'un autre, ou du moins à se cacher sous des initiales qui puis-
sent faire supposer un nom plus connu que le sien. Devant
ses tristes réalités, les illusions passent vite. Aussi Emilie
éprouva- t-elle un complet découragement; elle renonça même
MORALE, EDUCATION. 21
tout-à-fait à écrire pendant quelque temps. Mais le travail
avait développé chez elle des facultés qui demandaient à
s'exercer, et, malgré sa résolution de déposer la plume, elle
la reprit bientôt pour se livrer entièrement à ses propres in-
spirations. Cette nouvelle tentative fut plus heureuse. Quel-
ques amis s'intéressèrent à elle; on la produisit dans le monde,
et bientôt sa réputation s'établit , son nom devint célèbre.
Alors la scène changea; les trompettes de la renommée n'eurent
plus pour elle que des paroles flatteuses ; elle devint l'auteur
à la mode, et se vit comme telle recherchée de tous , entourée
d'hommages et d'adulations.
C'est bien là l'histoire de la plupart de ces brillantes renom-
mées de salon que le monde élève et rabaisse tour à tour suivant
sescapi-ices. Si mademoiselle, Ulliac a oublié quelques traits dans
ce tableau, c'est qu'il ne convenait peut-être pas de les mettre
sons les yeux de la jeunesse. Mais il est facile d'y suppléer.
A côté des peines sans nombre , des humiliations , des désap-
pointements, dont les abords de la carrière des lettres sont tou-
jours semés, la femme surtout y rencontre encore maints
écueils plus dangereux. A combien d'intrigues l'exposent sa
jeunesse , sa pauvreté , ses talens , ses succès eux-mêmes ! Dans
ces salons où brille sa gloire , elle trouvera des périls sans
nombre. 11 faut acheter à tout prix les bonnes grâces des jour-
nalistes; il faut hanter la société des gens de lettres , société
souvent assez immorale, composée de femmes pl'usque légères,
d'hommes sans principes. Si nous voulions descendre dans les
déta.ils de cette existence dont l'éclat est si séduisant, nous
aurions bien d'autres misères à dévoiler, mais nous préférons
continuer l'analyse du charmant ouvrage qui nous occupe.
Emilie, au milieu de ses triomphes, éprouve parfois des dé-
goûts profonds quand elle voit l'intrigue rivaliser avec le talent,
s'élever même au-dessus de lui avec le secours de l'envie et
de la jalousie, ses dignes auxiliaires. C'est dans un de ces 1110-
mens d'abattement qu'elle consent à donner sa main à un
homme riche et probe qui la lui demande T et met pour con-
dition à son mariage l'abandon de ses travaux de plume ; car
il est persuadé que la vie agitée de l'écrivain ne peut con-
venablement s'allier avec les devoirs de la mère de famille.
Emilie , tout entière à sa nouvelle position . tient d'abord
parole , se renferme dans son intérieur, et, si elleécrit encore,
n'écrit que pour elle. La lutte qu'elle soutient entre ses pen-
chants et son devoir est parfaitement bien décrite. Rien déplus
vrai et de plus naturel que ces rechutes fréquentes de la pauvre
Emilie, qui cherche vainement à étouffer l'inspiration , à re-
fouler ses pensées , à enchaîner son imagination. Les souvenirs
de ces succès enivrants , de ces applaudissements dont le passé
sa LEGISLATION,
ornait sa vie, viennent encore résonner à ses oreilles, et, faible
femme , elle succombe et sacrifie le bonheur domestique à la
gloire. Dès lors plus de tranquillité, plus de paix intérieure
pour elle ; son mari, son enfant lui deviennent presque étran-
gers ; c'est dans le tourbillon du monde qu'elle va cueillir les
palmes qu'il faut à sa vaniteuse ambition. Voilà donc une vie
gâtée par les succès littéraires ! Et, si la carrière des lettres
embrassée par nécessité ne produit trop souvent que de tels
résultats , combien est fausse la direction imprimée aujour-
d'hui à l'éducation des filles, combien est dangereuse la pensée
de classer l'état d'écrivain parmi ceux qui offrent les meilleures
chances à l'avenir des jeunes personnes pauvres et intelli-
gentes !
Mais faut-il donc renoncer à cultiver les facultés intellec-
tuelles dont tant de femmes sont douées ? Non sans doute ;
tout ce que la nature place en nous est bon à cultiver ; mais ,
à côté de ces facultés , elle a placé aussi chez la femme des
devoirs plus précieux et plus importants encore qui doivent
marcher avant tout. Les lettres sont un noble délassement qui
élève l'âme et qui dans l'occasion peut devenir une ressource
fort utile , mais elles ne doivent jamais être l'objet d'une vaine
gloire. Concluons donc avec mademoiselle Ulliac Trémadeure
que la gloire mondaino est incompatible avec les devoirs d'une
mère de famille ; que la vie agitée de l'écrivain à la mode tue
le bonheur domestique , et que, si le génie se rencontre dans
une tète de jeune fille , c'est une raison de plus d'appliquer
tous ses efforts, dans l'éducation , à lui faire estimer et chérir
par-dessus tout les inaltérables jouissances de la vie de fa-
mille.
Il serait à souhaiter que la femme ne songeât à écrire pour
le public, qu'à l'époque où ses enfants, élevés par ses soins, ne
réclament plus tout son temps. Son talent y gagnerait plus de
maturité, et le public trouverait certainement dans ses ou-
vrages une connaissance plus profonde du cœur humain , une
expérience du monde qu'elle n'aurait du moins ^pas acquise
aux dépens de sa modestie ou de son bonheur.
LEGISLATION, ECONOMIE POLITIQUE, COMMERCE, ETC.
ETUDES SUR L ECONOMIE POLITIQUE, par J.-C.-L. Simonde de
Sistnondi. Paris, i837,t. icT, in-8°. 7 i'r. 5o c.
Ce volume , qui fait suite aux Etudes sçciçles du même au-
teur , publiées en avril dernier, renferme divers fragments de
ÉCONOMIE POLITIQUE, ETC. 2 3
M. de Sismondi qui ont déjà paru dans des recueils pério-
diques, et qu'il rassemble aujourd'hui en corps d'ouvrage ,
soit pour les sauver de l'oubli, soit pour en former un tout
qui offre l'exposé de ses doctrines et serve d'appui à son sys-
tème. On demandera sans doute quelles sont ces doctrines ,
quel est ce système ; mais il n'est pas très facile de répondre
à une pareille question. En économie politique , comme en
science sociale, M. de Sismondi paraît ne pas très bien savoir
ce qu'il veut , ou du moins il ne l'expose point d'une manière
claire et logique. Ce qui ressort le mieux de son Introduction",
c'est qu'il s'est déclara l'ennemi des machines, et que, voyant
le paupérisme devenu l'objet de l'attention et des investiga-
tions d'un grand nombre d'économistes, il proclame le triom-
phe de ses idées à cet égard, puisque, dit-il, les machines
n'ont fait qu'augmenter partout le nombre des pauvres. Mais
il faudrait d'abord savoir si réellement, en proportion de l'ac-
croissement des populations , le paupérisme a fait de grands
progrès , ou bien si cette prétendue augmentation ne résulte
pas seulement de ce que la science a , depuis peu , porté ses
recherches vers cet objet, qui autrefois était tout-à-fait dédai-
gné. Ensuite, si ce mal est réel, est-ce bien l'introduction des
machines qui l'a produit ?
Or, sur le premier de ces deux points, M. de Sismondi nous
apprend lui-même que . dans les siècles passés, l'homme du
peuple , le prolétaire , Le serf, en un mot la gent corvéable,
taillable , etc. , était considérée comme si peu importante dans
un Etat, que personne ne songeait à s'en occuper , et que pas
un seul écrivain ne nous a laissé sur elle des documents de quel-
que étendue. On ignore donc tout-à-fait quelle était sa condi-
tion , et les rares détails qu'on peut rencontrer à ce sujet dans
de vieux chroniqueurs nous peignent tous des misères plus af-
freuses encore que celles qui tourmentent aujourd'hui nos clas-
ses pauvres. L'imprévoyance et le désordre , suites assez 01 di-
naires d'une éducation mauvaise et d'une instruction négligée,
sont, d'ailleurs, bien plus souvent que toute autre chose , les
causes qui font la ruine et le malheur des ouvriers. Ces causes
ont pu devenir plus intenses depuis l'introduction des machi-
nes, parce que, maintes jouissances étant mises ainsi à la por-
tée d'un plus grand nombre , les tentations ont augmenté de
même, et que, tandis qu'on discutait sur l'utilité ou le danger
de ces machines, débat oiseux puisque leur établissement était
un fait que nul ne pouvait empêcher de s'accomplir, personne
n'a songé à préparer la classe ouvrière à la nouvelle carrière
quis'ouvrait pour elle. Les machines, affranchissant l'homme de
ces travaux purement manuels qui le réduisaient en quelque
sorte à l'état delà brute, lui laissent tout ce qui ressort du do-
24 LEGISLATION, '
maine de l'intelligence, et l'obligent ainsi à cultiver ses facultés
intellectuelles. De cette manière, elles opèrent sur toutes les
classes de la société ce que M. de Sismondi regarde mal à pro-
pos comme étant l'apanage d'une seule , en disant qu'il est
bon qu'il y ait dans un Etat des gens riches qui n'aient rien à
faire , afin que, dans leurs loisirs , ils puissent cultiver leur es-
prit, faire avancer les lettres et les arts, qui sans eux retombe-
raient bientôt dans la barbarie. Or, nous le demandons, fut-ce
jamais la richesse oisive qui enfanta le génie ? N'est-elle pas
propre plutôt à le corrompre et à le perdre ? Ces riches oisifs,
qui n'ont rien à faire qu'à rechercher les moyens de dépenser
des revenus qu'ils n'ont pas acquis , ne sont le plus souvent
que de véritables fléaux pour les artistes et les écrivains, qu'ils
forcent de comparaître à leur tribunal et de se soumettre aux
capricieux jugements delà mode. M. de Sismondi s'extasie de-
vant les palais des villes d'Italie , bâtis la plupart par des fa-*
bricants et des négociants à une époque où il n'existait pas en-
core de ces puissantes machines qu'il maudit , et habités au-
jourd'hui par d'autres industriels qui n'ont pas de quoi les
meubler et les entretenir. Mais comment n'a-t-il pas juste-
ment vu dans ce contraste la condamnation du passé? Per-
sonne , sans doute, ne lui contestera que les corporations et
les privilèges, en monopolisant les industries, ne favorisassent
les gros bénéfices, et n'assurassent, par conséquent, la fortune
de ceux assez heureux pour pouvoir s'y livrer ; mais à côté des
palais s'élevaient des chaumières en plus grand nombre encore
sans doute. Et qui nous apprendra ce qu'elles étaient? Les
murs des palais se taisent à cet égard, ou plutôt leur silence
est un enseignement pour qui sait le comprendre. Le mono-
pole de l'industrie amena celui de la richesse, qui ne tarda pas
a engendrer celui du pouvoir, et la liberté fut bientôt étouf-
fée; car au jour du danger il ne se trouva plus, d'un côté
que des riches égoïstes , et de l'autre que des pauvres esclaves.
D'ailleurs que signifie cette guerre contre les machines, de
la part d'un ami sincère de la liberté et de la civilisation ?
N'est-ce pas une étrange erreur que de persister ainsi à ac-
cuser les premiers et les plus féconds éléments de ces deux bien-
faits? Sans machines, l'homme serait incapable de sortir de
l'état de barbarie le plus complet ; bien plus même , il ne
pourrait soutenir long - temps sa misérable existence. Cha-
que pas qu'il fait dans la civilisation est marqué justement
par l'invention d'une nouvelle machine ; et qui pourrait tra-
cer la limite où il 'doit s'arrêter, qui oserait prétendre inter-
dire à l'homme tout nouveau progrès par le motif d'un ma-
laise momentané, dont fut accompagnée toujours chaque con-
quête de son intelligence.
ECONOMIE POLITIQUE, ETC. ij
Ne nous laissons donc pas aller au découragement en pré-
sence d'obstacles qui existèrent jadis comme-aujourd'hui ; pre-
nons garde surtout de faire chorus avec ces partisans du passéf
prêts à rappeler les ténèbres de l'ignorance pour exploiter
paisiblement les peuples à leur profit. C'est à peine si la science
de l'économie politique commence à se dégager des langes qui
enchaînaient son enfance, et déjà vous voulez prononcer la
condamnation de ses principes, qui n'ont pu encore obtenir
nulle part une application complète , un entier développe-
ment. De tous côtés, la liberté du commerce, la liberté de
l'industrie, sont entravées par mille dispositions malveillantes,
par mille institutions ennemies , et vous les accusez d'impuis-
sance pour le bonheur des hommes.
Ah ! ne désertez pas ainsi la sainte cause de l'humanité ! Ces
accusations, qui vous sont arrachées par le spectacle des souf-
frances de la classe ouvrière , adressez-les plutôt à ces vieilles
institutions d'un autre âge qui sont toutes empreintes de l'es-
prit de monopole et de privilège qui dominait le passé ; adres-
sez-les plutôt à cet égoïsme corrupteur qui isole l'homme de
la société et lui fait sacrifier sans cesse le bien du plus grand
nombre à son intérêt particulier, à son ambition personnelle,
à toutes les passions les plus mesquines, les moins nobles. Ne
voyez-vous pas poindre à l'horizon l'aurore d'un meilleur ave-
nir ? La propriété industrielle ne tend-elle pas, comme la pro-
priété rurale , à se diviser? La grandeur toujours plus gigan-
tesque de ses opérations ne force-t-elle pas les hommes à se
rapprocher, à s'unir pour être plus forts? Si une fois l'esprit
d'association s'empare des classes ouvrières , si , au lieu de le
rendre dangereux à l'ordre public en le forçant à se cacher
comme un crime, on lui laisse son libre développement, en
cherchant seulement à le diriger sur la bonne voie , ne sera-t-
il pas le régénérateur de la société , le souffle de vie qui doit
ranimer ce corps languissant, le gage d'une prospérité future
plus grande et plus générale qu'il n'en exista jamais dans le
passé? Sans doute l'égalité des biens est une folle utopie, mais
ce n'en est pas une de demander une répartition plus ration-
nelle de la richesse , et par conséquent du bonheur, par une
division plus juste et mieux proportionnée des charges ,
de cette part de sacrifices que 'chacun doit faire à l'état social.
Ce n'en est pas une d'exiger l'égalité absolue devant la loi , et
l'abolition complète de tout privilège tendant à favoriser une
classe ou un individu delà société aux dépens des autres. Tant
qu'on n'aura pas obtenu ces deux conditions essentielles de la
vie sociale , on cherchera vaineinent des remèdes aux maux
qui tourmentent la plupart des Etats.
Les bornes de cet article nous empêchent d'examiner en dé-
26 LEGISLATION,
tail chacun des neuf essais qui composent ce volume. Nous
nous contenterons d'en indiquer les titres :
1. Balance des consommations avec les productions.
2. Du revenu social.
3. Quelle est la distribution de la richesse territoriale qui pro-
cure le plus de bonheur à la société?
4. De la condition des cultivateurs de race gaélique en Ecosse,
et de leur expulsion.
5. De la condition de cultivateurs irlandais , et des causes de
leur détresse.
6. De la condition des cultivateurs en Toscane.
Ces deux essais contiennent une foule de détails du plus
haut intérêt , auxquels le talent de l'écrivain a su donner un
vif attrait
7. Des devoirs du souverain envers les cultivateurs irlandais, et
des moyens de les tirer de leur détresse.
8. Des effets de l'esclavage sur la race humaine.
Nous n'avons pas besoin de dire que M. de Sismondi se pro-
nonce contre l'esclavage avec toute la chaleur de son cœur gé-
néreux. Il expose avec beaucoup de force tous les résultats fu-
nestes qu'entraîne cette détestable institution ; il en montre
tous les dangers, non seulement pour les malheureux qui en
sont victimes, mais pour les intérêts mêmes des maîtres qui
emploient les esclaves, et pour la liberté du pays qui les tolère.
« L'esclavage, dit-il , entraîne un pays libre vers le despo-
tisme politique , et met dans un danger perpétuel l'indépen- '
dance des nations. »
9. De la marche à suivre pour retirer les cultivateurs nègres de
l'esclavage.
Ce dernier essai renferme des vues pleines d'une vraie phi-
lanthropie, qui méritent de fixer l'attention des législateurs ,
et qui rencontreront sans doute de vives sympathies pai mi
tous les amis des lumières. Nous terminerons en nous associant
aux vœux que forme l'auteur « pour que le plus grand crime
que sanctionnent encore les lois des nations chrétiennes, et la
plus grande erreur où les entraîne encore leur cupidité, soient
repoussés d'un commun accord par elles ; pour que la race
d'hommes qu'elles ont le plus fait souffrir obtienne d'elle les
dédommagements auxquels elle a droit, et soit ramenée par elles
à l'intelligence, à la moralité et à la liberté ; pour que la so-
ciété humaine tout entière enfui s'occupe partout efficacement
du bonheur de la classe d'hommes sur laquelle repose toute
la société humaine , et pour que le cultivateur, quelle que soit
la couleur de sa peau , trouve dans les mœurs , dans les lois ,
dans la sympathie de tous , une garantie de son aisance, de
ÉCONOMIE POLITIQUE, ETC. i-
son indépendance , de son avenir , dont il a été trop long-
temps privé. »
DE LA POPULATION dans ses rapports avec la nature des gouvernements.
Paris, 1837. x gros vol. in-8°. 5 i'r.
Je ne saurais mieux qualifier cet ouvrage. qu'en disant que
c'est de l'économie politique à l'envers. L'auteur émet les plus
étranges idées qu'il soit possible d'imaginer. Après avoir établi
que tous les maux dont se plaignent les peuples viennent
de l'accroissement continuel de la population , il prétend que
cet accroissement lui-même est dû surtout à l'abandon des
principes du pouvoir absolu , à l'établissement des gouverne-
ments constitutionnels. Il prévoit que dans l'avenir la popu-
lation croîtra toujours en Europe , et s'écrie avec une naïveté
vraiment curieuse : Quel gouvernement pourra subsister au
milieu de ces misérables ? Déjà la Suisse lui sert d'exemple ;
selon lui, la patrie de Guillaume Tell n'est plus aujourd hui
qu'une caverne de brigands , et sous peu les puissances de l'Eu-
rope devront s'entendre pour anéantir ce repaire, dont l'exis-
tence ne saurait plus être tolérée. Quand on a l'audace d'é-
crire de telles paroles , il faudrait avoir aussi le courage de les
signer et dévouer son nom au mépris de tous les hommes, de
quelque parti qu'ils soient, qui ont dans le cœur quelque sen-
timent généreux , dans l'esprit quelque parcelle de justice et
de raison.
Du reste, les étranges aberrations de l'auteur indiquent
plutôt une tête un peu troublée- qu'un caractère méchant. Il
ne voit de salut pour l'humanité que dans le despotisme d'un
seul , et regarde l'établissement du tutoiement entre le père
et ses enfants dans les familles comme une des plus mons-
trueuses innovations de cette abom i nable philosophie moderne
qui travaille à la ruine de la société. La division de la pro-
priété lui paraît aussi la première cause de la misère des peuples.
Enfin la Chine est son point favori de comparaison ; il dit que
l'Europe marche à grands pas vers l'état du céleste empire , et
nous annonce que le pouvoir absolu viendra bientôt , il faut
l'espérer, nous réunir tous en une vaste famille, dans laquelle
les enfants seront les esclaves du père, et, sans doute, les pères
ceux du roi , pour le plus grand bien de tous. O félicité par-
faite ! ! ! !
28 LÉGISLATION, ÉCONOMIE POLITIQUE, ETC.
EST-IL PERMIS, en certaines circonstances, d'attenter à la vie du chef de
l'Etat? Dialogue entre Jules-César et Cicéron, par Émer de Vattel. Paris,
i837.In-8°.
Ce dialogue , extrait des papiers d'Emer de Vattel , fait partie
d'une nouvelle édition du Droit des gens de cet auteur , qui
doit paraître sous peu. Les éditeurs ont jugé à propos de le
publier d'abord séparément, car il leur a paru être en quel-
que sorte devenu un ouvrage de circonstance. C'est un mor-
ceau remarquable , dans lequel César demande à Ciceron quel
bénéfice la république a retiré de sa mort , et celui-ci avoue
qu'il s'était à tort réjoui, dans le premier moment, de l'acte de
Brutus. Après quelques explications réciproques , tous deux
s'accordent à reconnaître que l'assassinat ne saurait jamais être
excusable ; que dans aucun cas il ne cesse d'être un crime
digne de la haine et de, l'exécration du genre humain. Ad-
mettre que le chef d'un Etat, fut-il même un tyran, peut être
en butte aux attaques de tous les mécontents . c'est remettre le
sort de l'empire entre les mains du premier fanatique , et ex-
poser la société à de continuels bouleversements. « Qu'un ci-
toyen courageux prenne des mesures pour s'opposer aux fu-
reurs d'un tyran , qu'il lève l'étendard contre lui : toute la
nation pourra le seconder, si elle approuve l'entreprise ; ou le
réprimer, si elle est contente du gouvernement, ou si elle aime
mieux supporter ses maux que de s'exposer aux dangers d'une
révolution ; elle décidera de son propre sort, ce qui est très
juste. » Mais nul n'a le droit de se mettre au-dessus des lois,
de se faire juge à la place de la nation , et il faut être insensé
pour oser manifester une telle prétention.
Ces principes sont si simples et si évidents, qu'il a bien fallu
toutes les passions de l'esprit de parti pour aveugler les hom-
mes au point de les leur faire oublier.
CONSIDERATIONS SUR LA. VIE DES PEUPLES, sur les institutions de
leurs différents âges, et en particulier sur celles du peuple français à son
entrée dans la carrière de la liberté, par C.-H. Fèvre. Paris, 1837. 1 vol.
in-8°. 7 fr.
M. Fèvre a tracé un tableau rapide des diverses vicissitudes
politiques des peuples , et particulièrement du peuple fran-
çais. 11 montre à toutes les époques les rois luttant contre les
intérêts populaires, qui, une fois lancés dans la carrière , ne
s'arrêtent plus, et marchent d'exigence en exigence. En vain
la répression la plus violente est-elle opposée à cette démo-
SCIENCES ET ARTS. 20
cratie toujours croissante en nombre, en lumières, en in-
fluence, le torrent n'en suit pas moins son cours, entraînant
avec lui les digues qu'on prétend opposer à ses débordements ,
qui n'en sont que plus terribles.
Chaque fois que les gouvernements , aveuglés par l'instinct
de leur propre conservation et par la crainte assez juste de vois
ébranler les antiques bases de la société, ont essayé de refou-
ler l'élan des peuples, d'arrêter leur marche, ou même de les
faire rétrograder , cette tentative a bientôt été suivie d'une
réaction impétueuse qui a compromis beaucoup plus grave-
ment l'existence de l'ordre social ; car les passions se sont dé-
chaînées avec une fureur qui menaçait de tout détruire , et ne
s'apaisait qu'après avoir assouvi sa soif de vengeance.
Les sympathies de l'auteur sont toutes pour la liberté con-
ciliée avec ces conditions d'ordre qui ne sauraient s'en sé-
parer puisqu'elles en sont elles-mêmes un despremiers éléments,
mais développée aussi largement que possible dans toutes ses
sonséquences. La manière dont il juge Napoléon, son règne ,
ca gloire , est remarquable par la hardiesse et l'indépendance
avec lesquelles il stigmatise les funestes actes de ce soldat am-
bitieux, qui, placé au premier rang pour assurer le triomphe
de la liberté et le bonheur des peuples , ne comprit rien
à ce rôle sublime , dédaigna cette noble tâche , et ne sut
qu'ajouter un nom de plus à la liste de ces fléaux du monde
qu'on appelle des conquérants.
SCIENCES ET ARTS.
COURS ÉLÉMENTAIRE D'ASTRONOMIE , à la portée de tous les lec-
teurs, par Emmanuel de Veley , professeur de mathématiques à Lau-
sanne, etc. 3e édition. Lausanne , chez B. Corhaz ; Paris et Genève , chez
Ah. Cherbuliez et Ce. i836. In-8°. Fig. 7 fr. 5o c.
Le succès soutenu de cet excellent ouvrage est la meilleure
recommandation auprès du public. On manquaitM'un^livre
élémentaire sur cette science si importante et si pleine d'at-
traits. Les abrégés qu'on avait étaient tous plus ou moins an-
ciens, et en arrière des progrès que l'astronomie a faits depuis
une trentaine d'années. M. de Yeley a fort heureusement
comblé cette lacune en publiant son cours, dont la clarté
précieuse et la méthode remarquable font la meilleure intro-
3o SCIENCES
duetion à l'étude de la science des astres. S'écavtant de la route
suivie par ses devanciers , il fait accompagner chaque exposi-
tion de phénomène de son explication , autant du moins qu'on
peut y arriver par des notions de mathématiques élémentaires.
Cette méthode a l'avantage de ne jeter aucune obscurité dans
l'esprit des élèves, de les accoutumer à se rendre compte des
choses avant de les adopter, à soumettre les faits au critérium
de la raison, et à se défier des apparences, souvent trompeuses.
Elle doit aussi contribuer fortement à graver les leçons dans
la mémoire, car rien n'apprend mieux une chose que sa dé-
monstration mathématique.
Après les notions de géométrie, de trigonométrie et de dy-
namique indispensables pour l'intelligence de ce cours, l'au-
teur commence par examiner les premiers phénomènes célestes
qui frappent nos regards et attirent notre attention. Ses pre-
miers chapitres ont pour objets le mouvement diurne et la
figure de la terre , le mouvement de la lune , ses phases , ses
éclipses, ses taches, les mouvements réels ou apparents du so-
leil et des planètes. Puis il passe à la description des instru-
ments nécessaires pour observer les phénomènes astronomiques,
et entre dans de grands détails, soit sur leur fabrication, soit
sur leur origine, soit sur leur usage et la manière la plus avan-
tageuse de s'en servir. Tiennent ensuite les latitudes etles lon-
gitudes pour la mesure du globe, les ascensions droites et les
déclinaisons des astres, le calcul du temps vrai et du
temps moyen, l'equatorial , le parallélisme et l'inclinaison
de l'axe de la terre et les conséquences qui en résultent
pour l'observation , la parallaxe annuelle et les lois de Klep-
per ; parallaxes horizontales et de hauteur , passages de
Vénus sur le soleil, distances des planètes, distances des étoiles
fixes , dépression et étendue de l'horizon sensible ; le système
du monde, la gravitation universelle, la précession des équi-
noxes et Limitation, l'aberration, enfin les réfractions at-
mosphériques.
Ainsi se trouvent passés en revue tous les phénomènes cpii
constituent les éléments de l'astronomie ; et , après avoir étudié
ce cours on en sait assez, soit pour suivre avec intérêt la
marche de la science, soit pour aller plus loin et pouvoir com-
prendre des livres plus savants si l'on veut se vouer à cette
sublime étude.
Des additions de l'auteur et des notes diverses contiennent
encore plusieurs morceaux intéressants, soitsurles étoiles fixes,
le soleil . les planètes et leurs satellites , soit sur les comètes ,
sur les effets de la gravitation, le calendrier , les étoiles mul-
tiples, les nébuleuses, la formation des étoiles etc., etc.
Cet ouvrage rendra un grand service en contribuant à po-
ET ARTS. 3t
pulariser l'étude du ciel, dont l'influence morale est certaine-
ment puissante et ne peut produire que les meilleurs résultats.
« L'étude de l'astronomie, -dit M. de Veley , agrandit les idées ;
sans elle nous croyons que tous les corps célestes sont subor-
donnés à la terre : le soleil est fait pour nous éclairer, nous
réchauffer , faire mûrir nos récoltes ; la lune et les étoiles sont
destinées à embellir nos nuits età nous récréer les yeux; tout,
dans l'univers, est fait pour l'homme. Mais quand noussavons
que le globe terrestre a neuf mille lieues de tour , et que sa
surface contient cinquante mille neuf cent vingt-sept millions
d'hectares , nous commençons à trouver que l'homme occupe
bien peu de place sur la terre. Et que devenons-nous à nos
propres yeux quand nous apprenons que Jupiter , une de
ces étoiles faites , disions-nous , pour nous réjouir la vue , est
une espèce de terre douze à treize cents fois plus grosse que
la nôtre ; que le soleil, placé à trente-quatre millions de lieues
de nous, égale en volume plus d'un million de fois notre globe ;
que toutes les étoiles sont des soleils , autour desquels cir-
culent des corps opaques; et que le soleiln'est lui-même qu'une
étoile ! — Queile surprise n éprouvons-nous pas quand nous
sommes forcés de reconnaître que cette étoile que nous appe-
lons le soleil estpresque perdue dans le nombre infini des corps
lumineux qui peuplent l'espace !.. . Car où sont les bornes de
l'univers? Quelles sont les limites qui lui ont été assignées?...
Voilà donc l'homme, qui naguère prenait follement son horizon
pour les bornes du monde, le voilà déchu de la haute place qu'il
croyait occuper dans la création. Yoilà le globe même sur le-
quel il rampe réduit en quelque sorte au rang des infiniment
petits.
« Mais ce qui doit relever l'homme à ses propres yeux, c'est
cette intelligence qui constitue son essence proprement dite.
C'est elle qui lui fait percer les profondeurs de l'espace , suivre
les mouvements des corps célestes, apprécier leurs distances,
leurs grosseurs, la quantité de matière qu'ils contiennent , le
plus ou moins de poids des corps placés à leur surface. Cette
intelligence , aidée du calcul, qui est aussi son œuvre, rétro-
grade dans les siècles écoulés pour y suivre les mouvements
des corps célestes , et plonge dans les siècles à venir , pour
mettre d'avance sous nos yeux et réaliser en quelque sorte les
phénomènes que le ciel présentera un jour aux habitants de la
terre. Nous avons ainsi une vue distincte des états passés et
futurs de cet univers, ouvrage de la sagesse éternelle ; et la
vue de ce sublime spectacle nous fait éprouver le plus noble
des plaisirs réservés à la nature humaine. >'
3a SCIENCES ET ARTS.
SANTÉ DES FEMMES, parle docteur H. Chomet. Paris, i836. In-S > 5 fr.
Beaucoup de belles phrases , peu de bonne science ; beau-
coup de paroles , peu de faits ; beaucoup de papier blanc , peu
de texte ; voilà le contenu de ce petit volume qui pourrait
facilement se resserrer en une mince brochure de trois ou
quatre feuilles au plus. C'est de la médecine littéraire ou bien
de la littérature médicale , je ne sais laquelle des deux ; mais
le style de l'auteur se rapproche plus souvent de celui d'un
Paul de Kock que de celui des maîtres de la science. Cela n'a
pas empêché qu'on ne fit dan« certaines feuilles l'éloge le plus
pompeux de cet ouvrage , et bien des gens sans doute . se
laissant encoie séduire par ces annonces adroites , auront
acbeté ce livre , comptant y trouver un manuel d'hygiène
rédigé de la manière la plus complète et d'après les meilleurs
auteurs, ainsi que des conseils basés sur une expérience longue
et éclairée. Au lieu de cela, M. Chomet laisse courir sa plume
facile, mais très superficielle; il cède à la tentation de faire du
style, et après avoir tracé quelques tableaux, dont les couleurs
ne sont que trop vives, il se contente de donner quelques
directions générales qui ne contiennent rien de nouveau , et
n'offrent qu'une fort médiocre utilité. A la vérité,les personnes
qui désirent en savoir davantage peuvent aller le trouver , car
sa demeure se trouve indiquée sur le titre au-dessous de celle
du libraire. Il arrive souvent que de semblables publications
ne sont que des espèces de cartes d'adresse-prospectus , par
lesquelles l'auteur cherche à attirer des clients ; mais alors il
nous semble qu'elles devraient se distribuer gratuitement. Du
reste, comme nul n'est obligé d'acheter un livre, chaque au-
teur est bien le maître d'y mettre le prix qu'il veut; et l'on
doit plutôt s'élever contre les journaux qui trompent souvent
le public par des annonces pompeuses, qu'ils lui donnent pour
des analyses raisonnées et impartiales. En agissant ainsi , non
seulement ces feuilles manquent au véritable devoir de la cri-
tique , mais encore elles font le plus grand tort à l'auteur ,
qu'elles risquent de faire passer pour un charlatan, en donnant
à ses ouvrages beaucoup plus d'importance qu'ils n'en ont réel-
lement , et qu'il n'a prétendu y mettre lui-même.
PARIS— Imprimerie de BOURGOGNE ei MAP.TINKT. ru» Jaeob, So
BulUtut ftittévaire
ET SCIENTIFIQUE
5' ÊLiuée. — gA^ 2. — &»ueo 1837,
LITTERATURE, HISTOIRE.
CENT fables nouvelles, en quatrains, par C.-L. Mollevaut, mem-
bre de l'Institut, etc. — Paris, 1836, chez l'auteur, rue St. -Dominique-
St.-Germain, 99. I vol. in- 18.
M. Mollevaut a en quelque sorte ressuscité l'apologue des
anciens, dont le mérite gît surtout dans le laconisme de l'ex-
pression, joint à l'énergie et au tour ingénieux de la pensée
morale. Dépouillé des ornemens qui donnent tant de char-
mes aux fables, et permettent au talent du poète de se dé-
ployer à son aise, l'apologue, véritable essence du genre,
doit concentrer en fort peu de mots l'action et la morale. Un
quatrain est la limite étroite que M. Mollevaut s'était assignée
comme la plus propre à se graver dans la mémoire. Il a fallu
resserrer en quatre vers le fait qui sert de démonstration et
l'idée morale qui ressort de ce fait. C'est un véritable tour de
force littéraire, dans lequel notre auteur a souvent obtenu
le plus lieureux succès. Après les vaines tentatives de tant
d'écrivains pour se traîner sur les traces de Lafontaine, il était
sage de chercher ainsi une autre voie, et le public accueillera
sans doute le petit recueil de M. Mollevaut avec toute la fa-
veur qu'il mérite. Cependant ses Apologues ne sont pas tous
également remarquables. Quelques critiques peuvent être
adressées à l'auteur ; par exemple dans celui-ci :
.Un visir fait abattre un chêne respecté.
«Tremble, dit le mourant. — Moi, trembler de ta haine!
Non, non.» Mais l'orgueilleux, bieutôt décapité,
S'écrie : « O Mahomet ! le billot est de chêne. »
La haine d'un arbre n'est pas une expression bien juste ni
bien appliquée.
Dans cet autre :
Un faux jeton criait, en faisant du tapage :
« Tu n'as pas, or maudit, notre bruit enchanteur. »
34 LITTÉRATURE,
L'or s' irrite, cl répond : « Laisse ton bavardage :
Le bruit ne fait pas la valeur. «
L'idée est très-bonne sans doute, mais je crois l'exemple mal
choisi, car l'or sonne mieux que le faux jeton. Mais laissons
ces critiques de détail, et citons plutôt quelques-unes de ces
petites fables qui resteront certainement comme des modèles
du genre. Ces quatrains nous offrent des maximes morales
de toute sorte, de sages leçons qui ont le double mérite d'être
courtes et frappantes. Chacun y trouvera quelque vérité con-
solante, quelque salutaire avertissement, quelque piquante
épigramme. Aux malheureux s'adresse celui-ci :
Le teint frais, le front liant , dame Prospérité
Insultait les pâleurs de l'humble Adversité;
« Oui, l'on souffre avec moi, lui dit la vierge pure,
Mais je suis le creuset où la vertu s'épure. »
Voici pour les courtisans :
ci Viens, criait la Faveur, ah! viens donc admirer!
Mou palais est de marbre, et l'or brille à la rampe.
— Mais la porte est bien basse, eh! comment donc entrer ?
— Rampe. «
Et voici pour les rois :
Une brebis s'égare et fuit loin du hameau.
Le berger, la frappant, jure, crie et tempête;
« Que ne me gardais-tu ! lui dit la pauvre bêle.
Princes, ne frappez point, gardez votre troupeau. «
Je ne sais si je me trompe, mais il me semble que ce laco-
nisme, avare de phrases et riche de pensées, doit nécessaire-
ment produire un heureux contraste au milieu de la litté-
rature du jour, qui, dans la poésie surtout, se distingue par
l'abondance des mots et la rareté des idées. Par exemple, le
quatrain suivant n'exprime-t-il pas la noble ambition du gé-
nie en regard du calme de la vie paisible et retirée, mieux que
ne le pourraient faire de longues et pompeuses périphrases ?
Un fier ruisseau disait : w Point, d'ancre ni de cable!
J'ignore la tempête, et porte des bateaux! »
La Mer répond au pauvre diable :
« Te connais la tempête, et porte des vaisseaux.»
HISTOIRE. 35
Et cette même ambition ne trouve-t-elle pas ici une leçon
aussi juste que bien dite?
Un vaisseau, chargé d'or, naviguait plein d'ardeur,
Et des flots et des vents affrontait la menace;
Un écueil, à fleur d'eau, le heurte et le fracasse :
Il se nommait, dit-on, l'écucil de la Faveur.
u'écho nu panorama des LANGUES, dans le système d'unité lin-
guistique; par A. Latouche. Tome Ier, lre livraison. — Paris, 1830,
chez l'auteur, rue Clément, 4. — Le Panorama paraîtra le l01 de
chaque mois. Prix : 14 fr. pour l'année.
Ce journal est destiné à faire connaître et à propager un
nouveau système sur l'origine des langues, leur rapport et
leur enseignement. L'auteur admet comme langue primi-
tive, ou du moins comme la plus ancienne qu'on connaisse,
l'hébreu, dont il fait ressortir les analogies avec le grec, le
latin, le français, l'allemand, l'anglais, etc. En étudiant ces
diverses formes du langage, M. Latouche croit avoir décou-
vert la chaîne qui les unit tous, la clé des sons par lesquels
l'homme a dû, dès les premiers temps, exprimer ses sensa-
sions d'abord, ensuite ses pensées.
« Le langage est un, partout : la vue de l'objet sous telle ou
telle face, le choix et le changement des lettres homopho-
niques, le renversement ou la transposition des sons qui con-
stituent un mot, font seuls la différence des langues. »
Tel est le principe sur lequel repose la méthode de l'auteur,
et d'ingénieux exemples viennent à l'appui de sa théorie. Il
nous montre les consonnes q, r, n, servant à exprimer le mot
corne dans sept langues différentes ; il cite vingt mots de di-
vers langages dans lesquels les consonnes bl, pi, fl, vl, expri-
ment une idée de faiblesse, de langueur, de lâcheté; et passe
ainsi en revue les principales combinaisons de lettres qui peu-
vent lui servir à asseoir sa méthode. En présence de ces sin-
guliers résultats, il a conçu la pensée d'une classification de ;
langues par leurs racines, divisée en ordres, familles, genres
et espèces, comme celles dont on se sert en histoire naturelle.
Cette classification des racines est un essai fort curieux, qui
mérite'certainement de fixer l'attention de tous les amateurs
de linguistique, car pour peu qu'il fût possible de lui donner
une base sûre, de bien marquer ses divisions et de perfec-
tionner son ensemble, on ne saurait nier les immenses bien-
faits qu'en retirerait l'étude des langues.
M. Latouche range toutes les racines du langage sous
quatre ordres Le premier est celui des liquides r, l, qui ren-
36 LITTÉRATURE ,
ferme neuf familles; le second, celui des dentales s, r, d, z,
en compte sept; le troisième, des labiales m, b, p, pu, en con-
tient cinq; le quatrième, des gutturales g,q, c, k, en a sept.
Cette classification est, dans ce premier numéro de Y Echo,
appliquée à l'hébreu, dont l'enseignement doit, suivant l'au-
teur, précéder celui de toute autre langue. Mais on comprend
facilement que le système une fois établi, les autres langues
viendraient se groùpper d'elles-mêmes autour de cette pre-
mière, et que le chemin serait tout tracé pour descendre de
l'une à l'autre. Cette idée est grande et féconde ; on sent
qu'elle doit se rapprocher de la vérité, et que les organes de
la voix étant partout les mêmes chez l'homme, il doit néces-
sairement exister en effet des rapports généraux entre les
sons divers que leur ont fait produire sous différens climats
des passions qui sont aussi partout à peu près les mêmes.
Mais on arriverait à un résultat plus facile et plus complet
peut-être, en faisant porter de pareilles recherches sur plu-
sieurs langues antiques qui sont regardées comme primitives,
et qui, du moins plus rapprochées de la première origine du
langage, peuvent fournir sur sa formation des données beau-
coup plus certaines que nos langues modernes compliquées,
polies et toujours plus éloignées de la nature. Le sanskrit, le
chinois, l'arabe, l'hébreu, demandent à être étudiés et com-
parés avec soin pour confirmer les théories de M. Latouche;
mais en attendant on ne peut que lui savoir gré des efforts
qu'il fait pour perfectionner l'étude des langues, si riche en
résultats utiles pour l'avancement de la civililation.
HISTOIRE DE LA CONFÉDÉRATION SUISSE, par Jean de Muller,
/{. Gloutz-Blotzheim et /.-./. Hottinser; trad. de L'allemand avec des
notes nouvelles, et continuée jusqu'à nos jours par MM. Ck.'Monnard
et L. Vulliemin.— Paris, 1 837, chez Th. Ballimore, rue Hautefeuille, 20;
Genève, chez Ab. Gherbuliez et compe. Tom. 1"". I vol. in- 8, 7 fr.
L'ouvrage complet formera 10 volumes.
Ce premier volume renferme les origines de la nation
suisse et les commencemens de son histoire jusqu'à l'an 1218.
C'est un tableau rapide du pays, de sa configuration géogra-
phique, des premiers habitans qui en défrichèrent le sol et
s'y établirent à demeure fixe, des immigrations successives
qui peuplèrent toutes les vallées des Alpes, des guerres qui
les désolèrent à diverses reprises, et des institutions qui y pri-
rent naissance sous les différentes dominations par lesquelles
la Suisse passa avant d'arriver à une existence indépendante.
La forme fédérative paraît être en quelque sorte inhérente au
HISTOIRE. 37
sol do L'Helvétie, car dans les temps les plus reculés dont on
ait conserve quelque souvenir, on trouve ses citoyens unis
par ce lien bienfaisant. « Les Helvétiens étaient un peuple
paisible, endurci par son climat et son genre de vie, coura-
geux néanmoins, et qu'on appelait riche, parce que les tor-
rens alpestres charient quelques paillettes d'or. Ils apprirent
à écrire l'alphabet grec. Divisés en quatre cantons, ils for-
maient une confédération, Ils jouirent en paix de la liberté,
jusqu'à ce qu'une nation étrangère divisa les confédérés en
excitant chez quelques-uns le désir de plus grandes ri-
chesses. »
La guerre contre les Romains entraîna les Helvétiens dans
une longue série de maux et de calamités. Ils subirent le joug
de Rome et furent en butte à toutes les exactions qui pesaient
sur les provinces du grand empire. Cependant, sous le règne
de Flavius Vespasien, l'Helvétie put respirer et voir de meil-
leurs jours: une longue paix répandit ses bienfaits sur le
pays.
« L'industrie humaine pénétra dans les Alpes, et observa les
» arbres, les plantes, lesoiseaux indigènes, les poissons de leurs
.» lacs, la froide demeure des lièvres blancs, les cavernes des
» marmottes, les diverses espèces de marbre, les forteresses
» naturelles des chamois et des bouquetins, les grottes des
» cristaux, où l'on admirait un morceau de cinquante livres
» autant qu'aujourd'hui une masse de sept quintaux. Les
» vaches alpestres devinrent l'objetd'un commerce productif:
» quoique petites et maigres, elles étaient excellentes pour le
» travail, et abondantes en lait. Les fromages des Alpes ac-
» quirent de la célébrité. On fit des essais d'agriculture; on
» perfectionna la charrue ; le vignoble de la Rhétie rivalisa
» avec les coteaux de Falerne : en général, les Helvétiens
» honoraient singulièrement le dieu du vin, et conservaient
» ses dons, sinon dans des caves, du moins dans des tonnes.
» Ils rendaient un culte au soleil, qu'ils nommaient Bélin, le
» dieu invincible, et à sa sœur, la déesse de la lune, Isis ; ils
» honoraient les sylphes protecteurs et les dieux mânes. Les
» règles de leur sagesse pratique semblent tracées dans ces
» pensées d'une épitaphe : Ils ont vécu comme nous, nous mour-
» rons comme eux ; ainsi s'écoule la vie : Passant, songe à toi. »
» On les couchait dans leurs tombeaux avec leurs épées et
» quelque argent, tournés vers le lever du soleil, principe de
» la résurrection de la nature. »
Les invasions des barbares replongèrent l'Helvétie dans une
nouvelle série de désastres. Elle ne fut pas plus que les autres
contrées de l'Europe exempte de toutes les misères qui sui-
virent le passage des Huns et de tant d'autres peuplades de
38 LITTEPvATURE,
l'Orient. Plus tard elle se trouva sous la domination des
Bourguignons et des Ostrogoths, puis sous celle des rois francs
jusqu'à l'époque du démembrement de la monarchie Carlo-
vingiemie. Elle fit encore partie du nouveau royaume de
Bourgogne qui se forma alors, et passa avec lui sous la domi-
nation des Empereurs, puis sous la juridiction des ducs de
Zaeringen , qui gouvernaient la Bourgogne et les évèchés de
Lausanne, Genève et Sion pour l'Empire. Cela dura ainsi jus-
qu'en 1218. Alors seulement pour là première fois on enten-
dit parler des hommes libres des Waldstetten, qui, depuis la
victoire de César, avaient pendant 1300 ans vécu ignorés,
oubliés et heureux au milieu de leurs montagnes. Une que-
relle avec un couvent voisin, au sujet de pâturages que les
moines prétendaient s'approprier, mit pour la première fois
en évidence ces paysans simples, mais probes et courageux,
qui se sont toujours distingués par leur amour pour l'indé-
pendance et pour leurs antiques institutions. L'abbé d'Ein-
silden voulut forcer les pâtres de Schwitz à céder à ses injustes
prétentions; il les cita devant la diète de l'Empereur et les fit
condamner à renoncer aux pâturages en litige, sous peine
d'être mis au ban de l'Empire.
Alors les paysans dirent : « Si l'Empereur veut , à notre
préjudice et au mépris du souvenir de nos pères, donner nos
Alpes à d'injustes moines, la protection de l'Empire nous est
inutile; à l'avenir nous nous protégerons nous-mêmes de nos
bras. » Par là, ils tombèrent dans la disgrâce de l'Empereur,
et furent mis au ban; Hermann, évêque de Constance, les
excommunia. Mais eux renoncèrent à la protection de l'Em-
pire; Uri et Unterwalden les imitèrent. Ils ne craignaient ni
l'Empereur ni l'excommunication ; ils ne pouvaient se figurer
que la défense d'une cause juste fût un péché devant Dieu.
Us firent le commerce avec Lucerne et Zurich, où, confor-
mément aux libertés municipales, le marché était aussi ou-
vert à des excommuniés; ils obligèrent leurs prêtres à célé-
brer le service religieux, et firent paître leurs troupeaux sans
aide et sans crainte. »
Ainsi débute cette histoire, si riche en nobles actes et en
grandes leçons. On attendra avec impatience les autres vo-
lumes, car l'intérêt ira toujours croissant, et aujourd'hui plus
que jamais peut-être l'histoire des républiques a besoin d'être
étudiée pour vaincre bien des résistances, détruire bien des
préjugés. Les extraits que. j'ai donnés offrent un échantillon
delà manière dont la traduction est écrite. Elle a le rare mérite
d'une grande fidélité unie à une allure franche et nullement
.gênée. M. Monnard a voulu conserver autant que possible
le tour de phrase concis et vigoureux de Muller. Autant que
HISTOIRE. 39
5e génie différent dos deux langues le permettait, il a cherché
à rendre les beautés originales du style allemand. Quelques
Personnes lui reprocheront peut-être d'avoir parfois sacrifié
élégance à cette ambition ; mais , d'un autre côté , l'his-
toire toute républicaine des pâtres suisses ne comporte guère
le langage policé des salons; à des caractères énergiques il
faut des traits énergiqueinent tracés et c'eût été défigurer
Muller que de noyer son beau style dans la périphrase fran-
çaise. - -
HISTOlRR DES FLAMANDS du Haut-Pont et de Lyzcl.— Iles flottantes.
Portus Itius. — Histoire des abayes de Watten et de Clairmarais etc. ;
par H. Piers, bibliothécaire à Saint -Orner. — Saint - Orner, 183G.
ln-8, 3 fr.
Ce volume renferme de consciencieuses recherches histori-
ques qui ne manquent pas d'intérêt, quoique les sujets sur
lesquels elles roulent soient bien restreints. La ville de
Saint-Omer, ses faubourgs et ses environs sont explorés par
M. Piers avec une persévérante patience. Il paraît en possé-
der d'une manière complète les antiques annales et tous les
souvenirs qui se rattachent à leurs vieux monumens. On
retrouve avec plaisir ces vestiges de mœurs et d'usages an-
ciens que la centralisation toujours croissante efface insensi-
blement dans toutes les provinces du royaume de France. Ils
offrent une teinte d'originalité et de naïveté qui tranche
d'une manière fort piquante avec l'uniformité monotone et
souvent prétentieuse des mœurs actuelles. Sous ce rapport,
V Histoire des Flamands du Haut-Pont et de Lyzcl renferme des
détails très-curieux. Les habitans de ces deux faubourgs ont
conservé une physionomie tout-à-fait particulière, et quoique
les progrès de la civilisation aient sans doute exercé sur eux
une salutaire influence en faisant disparaître tout ce qui te-
nait à la barbarie des âges précédens, ils les ont cependant
laissés dans bien des choses tels qu'ils étaient il y a 60 ou 80
ans. M. Piers rend hommage à la pureté et à la simplicité de
leurs mœurs, à leur courageux dévouement, et à leur par-
faite probité. Maintes anecdotes pleines d'intérêt nous font
connaître des traits de leur caractère dignes d'être enregistrés
dans les fastes de l'humanité, et nous racontent des coutumes
et des jeux dont on ne trouve des traces nulle autre part.
A la suite de cette histoire vient une notice sur Saint-Mo-
melin et sur la destruction des mémoires de Jacques II, perte
due aux frayeurs exagérées d'une femme, sous le règne de la
Terreur; puis une histoire de Watten, lieu mémorable où s'é-
40 LITTERATURE ,
leva jadis une forteresse romaine, et qui fut le théâtre d'évé-
nemens militaires assez importans à diverses époques; une
petite histoire de Ruminghem, autre village qui joua aussi
un rôle dans les faits des siècles passés ; une description des
îles flottantes, ces phénomènes naturels dont on ne trouvera
bientôt plus de vestiges que dans les livres; une histoire de
l'abbaye de Clairmarais, et enfin une notice sur le séjour de
saint Thomas de Gantorbéry dans la Morinie.
Ces fiagmens historiques non-seulement peuvent contri-
buer à éclaircir quelques points douteux, à rétablir quelques
faits obscurs, oubliés, ou mal connus ; mais encore ils sont un
excellent moyen de ranimer et d'entretenir les sentimens pa-
triotiques si nécessaires à la conservation des Etats. En cul-
tivant ainsi chez l'homme l'amour et le respect pour les lieux
qui l'ont vu naître on l'attache à la forme politique qui lui
en garantit la paisible jouissance.
HISTOIRE DE LA GUERRE DE MEHEMET-AL1 CONTRE LA PORTE
ottomane, en Syrie et en Asie-Mineure; 1831-1833; ouvrage en-
richi de cartes, de plans et de documens officiels; par MM. de Cadal-
vène et E. Barrault. — Paris, chez Arthus Bertraad. 1837. 1 gros vol.
in-8, cartes, 10 fr.
LA Turquie, ses ressources, son organisation municipale, son com-
merce, suivis de considérations sur l'état du commerce anglais dans
le Levant, par D. Urquhart, secrétaire d'amhassade à Constantinopîe,
trad. de l'Anglais par X. Raymond; ouvrage précédé d'une intro-
duction par M. G.-D. E., ex-membre du bureau d'économie politique
à Athènes. — Paris, chez Arthus- Bertrand. 1836. 2 vol. in-8 ornés
d'une carte, 1G fr.
La question turque a passé des journaux dans les livres,
et depuis quelque temps les publications abondent sur ce
sujet important. L'Orient est plus que jamais visité par les
voyageurs européens; la Turquie et l'Egypte sont surtout
le but de leurs excursions, et ces contrées, toujours mieux
connues, sont décrites avec les plus grands détails. Le mou-
vement de réforme qui s'opère au milieu d'elles et qui tend
à les rapprocher de la civilisation européenne, est sut tout l'ob-
jet des investigations les plus nombreuses. On suit avec un
vif intérêt ses moindres pas ; et avec cette ardeur impatiente
qui emporte toujours l'homme vers les âges futurs, chacun
veut devancer l'avenir, deviner ses mystères et prédire les
conséquences d'événemens encore à peine accomplis.
Les deux ouvrages que nous annonçons nous paraissent foi t
remarquables par les nombreux détails qu'ils renferment soit
sur l'administration de l'Egypte et de la Turquie, soit sur les
HISTOIRE 41
mœurs des deux peuples et l'influence exercée par les innova-
tions de Mahmoud et de Méhémet-Ali. La guerre de ces deux
rivaux, entre eux, a déjà montré la supériorité incontestable
de la nouvelle discipline et de la nouvelle organisation sur
les vieilles routines de l'empire turc. La marche triomphale
d'Ibrahim jusqu'aux portes de Constantinople a prouvé que
le nombre n'était plus la meilleure garantie de la victoire.
Les Arabes éloignés de leur patrie, déjà fatigués par des mar-
ches longues et pénibles, mais soumis à la discipline euro-
péenne, commandés par des chefs habiles, ont mis deux fois
en complète déroute l'armée ottomane beaucoup plus nom-
breuse et défendant ses foyers contre l'invasion ; car on était
alors généralement persuadé que le pacha d'Egypte ne s'ar-
rêterait pas en si beau chemin, et n'hésiterait pas à quitter
Alexandrie pour Constantinople. Le récit de MM. Cadalvène et
Barrault est fort animé et rempli de l'intérêt le plus piquant.
Quoiqu'ils n'aient point fait partie de l'expédition égyptienne,
ils ont parcouru tous les mêmes lieux et on recueilli une
foule de faits de la bouche même de gens qui prirent une
part plus ou moins active à cette campagne. A l'aide des do-
. eu mens qu'ils sont parvenus ainsi à rassembler, ils ont tracé
une relation assez suivie et détaillée, dans laquelle ils ont
semé une foule de traits qui peignent fort bien les mœurs
encore barbares des populations de l'Orient, et forment un
singulier contraste avec les institutions que leurs souverains
empruntent à notre vieille civilisation.
De son côté, M. Urquhart, dans son livre intitulé : La
Turquie, nous offre un tableau fort curieux de l'état actuel
de l'empire ottoman. Il raconte brièvement l'histoire des
réformes opérées par Mahmoud, les résistances qu'elles ont
éprouvées, et les succès que le sultan est parvenu à obtenir
par sa persévérante' fermeté. Tout ce qu'il rapporte de la
législation turque et de ses institutions municipales, est d'au-
tant plus intéressant qu'en général on en sait fort peu de
chose, et qu'on y trouve une raison d'espérer que les tenta-
tives de civilisation porteront fruit dans cette belle contrée et
ne tarderont pas à en faire un pays heureux et florissant.
Après avoir d'abord repoussé comme des sacrilèges les inno-
vations du sultan, les Turcs ont fini par céder à la fortune de
celui-ci, et par y voir un arrêt de cette fatalité à laquelle ils
se soumettent toujours avec la plus complète résignation. Il
est vrai que si la volonté puissante qui les a ainsi domptés
vient à s'éteindre, on peut redouter de les voir retomber dans
tous les excès de leur vieille barbarie ; car les innombrables
abus de la tyrannique oppression, qui a si long- temps pesé
sur la Turquie, sont encore debout. Pour vaincre les résis-*
V). LITTÉRATURE ,
tances religieuses et populaires, Mahmoud a été forcé de mé-
nager les pachas et les grands, dont l'appui lui était néces-
saire. Il faut maintenant qu'il ait le temps et la force de
détruire toutes ces petites puissances absolues qui rayonnent
autour du maître, le circonviennent et perpétuent dans tout
i'empire ce monstreux arbitraire avec lequel tout progrès est
frappé de mort. Il faut qu'il ait le temps et la force de porter
hardiment la réforme dans tous les détails d'une administra-
tion essentiellement vicieuse. C'est la partie la plus difficile
de sa tâche, et celle dont dépend la durée de son œuvre, qui
sans cela mourra probablement avec lui. M. Urquhart et
l'auteur de l'introduction qui précède son ouvrage, sem-
blent ne pas douter du succès et prédisent à l'empire otto-
man une ère de gloire et de prospérité sans exemple. Mais
c'est une hypothèse encore très-hasardée, et qui se fonde en
partie sur la prédilection assez marquée que ces messieurs
semblent avoir pour les Turcs. Au reste, sans partager toutes
leurs espérances, on ne peut qu'en souhaiter vivement l'ac-
complissement. Ce serait bien la meilleure solution de la
question turque.
récits de L'histoire des peuples axciens, faits aux jeunes
enfans, par G. Hesse. 1 vol. in-18, 75 c.
manuel de chronologie universelle, publié par L.-A. Sédillot,
professeur d'histoire au collège royal de Saint-Louis, nouvelle édition
revue et augmentée. 1 vol. in-,18, 2 fr. 50 c — Paris, 1836, chez
E. Ducrocq; Genève, chez Ab. Cherbuliez et cornp".
Les peuples anciens, dont l'histoire fait le sujet des récits
contenus dans le premier de ces deux petits volumes, sont :
les Egyptiens, les Assyriens, les Lydiens, les Phéniciens, les
Syriens, les Perses, les Macédoniens, les Carthaginois, les
Chinois, les Indiens et les Scythes. L'auteur, par la clarté
de sa narration et la simplicité de son style, sait très-bien in-
téresser les jeunes enfans auxquels sa collection est destinée.
Pas une expression nouvelle ne se rencontre sans être aussi-
tôt expliquée, en sorte que les enfans y puiseront non-seule-
ment la connaissance des principaux faits historiques, mais
encore celle d'une foule de mots qui leur rendront facile
plus tard l'intelligence de tout livre d'histoire. Sans sortir des
limites étroites qu'il s'est assignées, M. Hesse a su éviter la
sécheresse ; il parle aux enfans le langage qui leur convient, et
ses explications pleines de clarté sont rédigées en général de
manière à instruire sans fatiguer, et à se graver promptement
dans la mémoire, à l'aide surtout des exercices qui se trou-
HISTOIRE. 43
vent à la fin de chaque article. Nous relèverons seulement la
singulière acception qu'il donne an mot anarchie, en disant
qu'on appelle ainsi la situation d'un pays sans maure légitime.
Cette phrase renferme deux idées fausses, du moins pour la
France. La première, c'est qu'un roi est le maître du pays
sur lequel il règne; la seconde, c'est que ce roi doit absolu-
ment être légitime. Ce ne sont pas là les principes du gouver-
nement constitutionnel, et même dans la monarchie abso-
lue, si l'on voulait s'y tenir à la lettre, on tomberait dans
l'absurde; car il faudrait appeler aussi une cruelle anarchie
tout le règne de Napoléon, ce qui serait exactement le con-
traire de la vérité, puisque jamais le pouvoir ne fut plus con-
centré et plus un qu'à cette époque. L'Académie, dans son
dernier dictionnaire, définit l'anarchie comme « l'état d'un
» peuple qui n'a plus ni chef, ni autorité à laquelle on
» obéisse, ni lois auxquelles on soit soumis. »
— Le Manuel chronologique de M. Sédillot est un petit
livre bien fait et destiné à rendre de grands services aux éco-
liers en leur épargnant des recherches longues et difficiles.
Outre les tables de tous les chefs des Etats, depuis les temps
. les plus reculés jusqu'à nos jours, avec l'indication des faits
les plus saillans et des principales époques de l'histoire, il
renferme un petit dictionnaire des noms de tous les hommes
célèbres, avant et après Jésus-Christ, avec l'indication de leur
patrie, du genre dans lequel ils se sont fait remarquer, la date
de leur naissance et celle de leur mort. Mais pourquoi, dans
un manuel de chronologie universelle, la Suisse est-elle tout-
à-fait oubliée? C'est une omission à réparer dans une nou-
velle édition ; car si la république helvétique n'a pas une liste
de princes à présenter, son histoire fournit une série d'évé-
nemens remarquables, qui n'occupent certainement pas la
dernière place dans les fastes de l'Europe ; elle offre de grands
exemples, de nobles vertus, de beaux caractères, et peut pré-
tendre à occuper un rang distingué dans le tableau des pro-
grès de la civilisation.
MÉMOIRES DE LA SOCIETE ACADEMIQUE DES SCIENCES , ARTS ET
belles-lettres de falaise, année 1835.— Falaise, 183G, chez
Brée l'aîné, et Paris, chez Lance, rue du Bouloy, 7. 1 vol. in-8, 5 fr.
Une description des Algues des environs deJFalaise, par
MM. de Brébisson et Godey; unemote sur les truffes, par
M. de Brébisson ; quelques observations ornithologiques de
M. de La Fresnaye; un tableau des hauteurs barométriques
des principaux points du' Calvados, par M. Bunel, et un rap-
44 LITTERATURE,
port sur l'établissement romain de Jort, par M. Galeron ;
voilà ce qui compose la partie scientifique de ces mémoires.
Le reste est consacré à la littérature, et l'on y trouve une
anecdote sur Nicolas Poussin, par M. de Lottin Laval ; le cliâ-
leau de Falaise, par M. Julien Travers, et une épisode du
siège du Mont-Saint-Michel, par M. Ephrem Honel ; ces trois
fragmens sont d'un intérêt assez vif et d'un style agréable.
Vient ensuite Sélim III, tragédie en cinq actes, par M. Pierre
David. La tentative de réforme dont Sélim succomba vic-
time, et qui est aujourd'hui si heureusement continuée par
Mahmoud, fait le sujet de cette pièce écrite froidement, en
vers quelquefois assez rudes ou du moins peu poétiques. L'au-
teur a cherché à peindre les mœurs turques , mais son style
manque d'originalité et d'énergie. Les am'ateurs de poésie
trouveront plus de plaisir à parcourir les divers morceaux
qui terminent le volume, parmi lesquels ceux de M. Wains-
JJesfontaines, J. Travers, V. E. Pillet se distinguent d'une
manière fort remarquable. Je citerai entre autres la pièce
suivante du premier de ces trois auteurs :
Où vas-tu , nacelle rapide ?
Où vas-tu, sans voile et sans guide ?
Réponds I.... mais tu ne le sais pas;
L'onde t'entraîne.... et toi, tu suis le cours de l'onde.
Ainsi l'homme, entraîné sur l'Océan du monde ,
Ignore le but de ses pas.
Où va-t-il? — Où vas-tu? — Demandez au rivage
Où va le flot qui, chaque jour,
Vient se briser contre la plage
Et s'en éloigne saus retour?
Demandez au bosquet.... Demandez a la plaine
Où va la fleur que l'ouragan entraîne,
Où va la feuille, alors que l'aquilon
Courbant le front des bois sous sa bruyanle haleine.
L'abat, et puis l'emporte à travers le vallon.
Pour toi, nacelle fugitive,
L'ancre pourrait encore, en dépit des autans,
Soudain t'enchaîner a la rive
Et te fixer sur ces flots inconstans ;
Mais nous, pauvres nochers, quand la vague en furie
Nous emporte,... c'est pour toujours!
De notre esquif, sur la mer de la vie,
' 0llcl'e ancre tutélairc arrêterait le cours ?
Rien n'arrête l'homme qui passe ;
Une voix lui dit : Marche... et lui, va son chemin
HISTOIRE. 45
Et sa fuite ici-bas laisse encor moins de trace
Que la barque qui fuit n'en laisse à la surface
Du flot qui l'emporle en son sein !
Où va-t-il?.... Où vas-tu?.... Réponds, pauvre nacelle!
Réponds! Mais déjà sur les eaux
Tu fuis sans écouter ma voix qui te rappelle
A demain!.... Sur ces bords, au rendez-vous fidèle.
Je reviendrai te demander aux flots.
Je reviendrai,.... mais de ma voix plaintive
Demain, la mort peut-être aura glacé les cris!....
Demain,, nacelle fugitive,
Peut-être l'algue de la rive
Couvrira-t-elle mes débris!
RELIGION, PHILOSOPHIE, MORALE, EDUCATION.
LA bible, traduction nouvelle avec l'hébreu en regard, avec les
points-voyelles et les accens toniques, et des notes philologiques,
géographiques et littéraires, par S. Cahen. Tome VIII, contenant les
livres des Rois ; prix : G fr., chez l'auteur, à Paris, Vieille-rue-du
Temple, 78; et chez Cherbuliez, libraire, rue St.-André-des-Arts, 68.
Nous avons déjà eu occasion de faire connaître le travail
de M. Cahen ; et le jugement que nous en avons porté a été
confirmé. Des préjugés défavorables avaient accueilli cet ou-
vrage ; mais les continuels efforts du nouveau traducteur, à
améliorer son travail, à rendre les notes de plus en plus in-
structives et curieuses et surtout sa persévérance à avancer
toujours, toutes ces causes réunies ont affaibli bien des pré-
jugés, et il n'y a qu'une voix maintenant sur l'utilté et l'op-
portunité de cette remarquable production.
Dorénavant si l'on veut connaître où en sont les travaux
bibliques en Allemagne, quelle est sur tel passage difficile
l'opinion des rabbins du moyen-âge et celle des hébraïsans,
parmi les Israélites modernes, on n'a qu'à lire la Bible de
M. Cahen qui résume tous ces travaux ; et, certes, c'est un
un service important rendu aux étudians français et aux
hommes qui ont plus de désir de s'instruire que de loisir
pour le satisfaire; c'est un service important, disons-nous,
que leur rend M. Cahen, que de leur épargner, ce qui est en-
core plus précieux que l'argent, le temps.
46 RELIGION, PHILOSOPHIE,
ANTONIO GIOVIAN1 , par Mm* Manine Souvestre. — Brest, 1836. 2 vol.
in-12, fig., 6 fr.
« L'habitude de céder à ses désirs, prise dès l'enfance, est
» la source de presque toutes nos fautes. Le premier et le plus
» important emploi que l'enfant doive faire de sa volonté est
» donc contre lui-même. » Telle est la vérité morale déve-
loppée dans ce charmant conte qui, écrit avec un talent fort
remarquable, sera lu, je crois, par les païens avec autant de
plaisir que par les enfans. La scène est Naples ; l'époque, le
règne de Murât. Antonio est un petit paysan, gardeur de
chèvres, rempli d'intelligence et de gentillesse. Malheureu-
sement deux vilains défauts gâtent son caractère. C'est une
faiblesse très-grande qui le porte à céder à tous ses désirs, à
satisfaire toutes ses fantaisies, et une habitude du mensonge
dont il use sans ménagement pour pallier ses sottises. Un
écureuil appartenant à un voisin, avait séduit Antonio par la
vivacité et l'amabilité de ses petites manières. Chaque fois
qu'en allant conduire ses chèvres au pâturage, il passait devant
la boutique du propriétaire de ce joli petit animal, il éprou-
vait une forte tentation de se l'approprier. Enfin la violence
de ce désir devint telle, qu'Antonio succomba, et, profitant de
l'absence du maître, il grimpa un jour jusqu'à la fenêtre sur
laquelle était la cage et s'empara de l'écureuil. C'était un vol,
mais l'enfant , tout entier à la joie de posséder enfin ce qu'il
avait convoité si longtemps, ne songea à l'énormitédesa faute
que pour en détourner de lui les fâcheuses conséquences par
le mensonge. Une fable fut bientôt imaginée pour expliquer
comment cet écureuil se trouvait entre ses mains. Il l'avait
pris dans la forêt voisine, et ce n'était même qu'après être
resté à l'affût pendant plusieurs heures qu'il avait réussi à
s'en emparer. Mais il se trouve que le jour où il disait avoir
fait cette belle chasse, un assassinat se commettait à l'endroit
même où il prétendait s'être caché pour guetter l'écureuil.
Le cadavre d'un officier français avait été trouvé dans une
clairière de la forêt voisine. Antonio fut donc appelé comme
témoin ; car il devait nécessairement avoir vu ce qui s'était
passé, si réellement il avait bien été ce jour-là, dans la forêt,
à l'affût pendant plusieurs heures. Notre petit menteur est
d'abord effrayé à l'idée des suites qu'entraîne après lui son
premier mensonge ; mais son amour propre recule devant un
désaveu, et le désir de voir Naples, où on le conduira sans
doute pour déposer devant le tribunal, le pousse à broder
une nouvelle fable encore plus coupable que l'autre, puis-
qu'elle com])romet'l'e\istenced'un homme. En effet, les dé-
MORALE, ÉDUCATION. 47
lails circonstanciés inventés par Antonio, donnent une grande
force à son témoignage, et lorsqu'on lui demande le signale-
ment de l'assassin, il désigne celui d'un homme qu'il a ren-
contré dans la forêt, et qui s'est adressé à lui pour demander
son chemin. Or, cet homme qu'il fait ainsi condamner à
mort par ses mensonges se trouve être le bienfaiteur de sa
mère, et quand le malheureux Antonio le découvre, il se
sent frappé d'un coup terrible, saisi d'un affreux désespoir.
Voilà donc où l'a conduit la déplorable faiblesse avec laquelle
il avait cédé d'abord à ses désirs en s'emparant d'un écureuil
qui ne lui appartenait point ! Quelle suite de mensonges ac-
cumulés pour cacher une première faute! Quel terrible
exemple des écueils contre lesquels on va se heurter, dès
qu'on s'écarte du droit chemin, dès qu'on abandonne un in-
stant la franchise et la probité !
Antonio est anéanti par la pensée que sa fausse déposition
va coûter la vie à son bienfaiteur. Une fièvre violente s'em-
pare du pauvre enfant. Heureusement, à cet âge, la nature
forte et vigoureuse, reprend bientôt le dessus. Le remords
.développe subitement en lui une énergie et une résolution di-
gnes d'un homme fait. Il a commis une grande faute, un
crime même : car c'en est un que le faux témoignage ; eh bien,
pendant qu'il en est temps encore, il réparera cette faute, il
sauvera l'existence qu'il a compromise, et donnera sa propre
vie plutôt que de laisser mettre à mort un innocent, qui n'a
contre lui d'autre charge que son accusation menteuse.
Ce changement produit dans le caractère d'Antonio, est
plein de vérité et de naturel , quelque prompt qu'il puisse
paraître, car il est de ces positions qui, par l'impression puis-
sante qu'elles produisent, font passer presqu'instantanément
l'enfance à l'âge viril. Il est d'ailleurs peint avec une simpli-
cité qui frappe d'autant plus, que l'auteur se borne à racon-
ter sans déclamations ni phrases, et sait jeter sur tout son
récit une teinte de profonde sensibilité qui émeut vivement
parce qu'elle vient du cœur. Avec quel intérêt ne s'attache-
t-on pas alors à toutes les démarches de ce méchant enfant,
qu'on ne regardait n«aguères qu'avec un sentiment de peine
et de répugnance ! Avec quelle anxiété ne le suit-on pas chez
chacun des juges auxquels il court faire l'aveu de sa four-
berie ? Et combien ne sent-on pas son cceur serré lorsqu'on le
voit repoussé par le plus grand nombre sans avoir pu se faire
entendre, honteusement chassé par le président du tribunal,
qui refuse d'ajouter foi à sa nouvelle version.
Mais un recours en grâce auprès du roi lui reste encore.
C'est le dernier moyen qui puisse sauver le bienfaiteur de sa
mère. Il part aussitôt pour aller implorer la clémence d'.
48 RELIGION, PHILOSOPHIE,
Murât; il parvient à pénétrer jusque chez la reine ; il lui fait
en sanglottant le récit de ses détestables mensonges ; il l'inté-
resse par son désespoir. Mais le roi refuse de faire grâce ; la
seule concession qu'on obtienne de lui, c'est que l'on pourra
essayer de faire évader le condamné. Cette idée remplit An-
tonio de joie, et la reine charge un agent dévoué et sûr de
cette mission dangereuse. Celui-ci se sert d'Antonio pour exé-
cuter son projet, et l'enfant rachète son crime par le zèle
chaleureux et l'admirable dévouement avec lesquels il par-
vient à remplir sa tâche, à soustraire à l'échafaud cette tête
innocente qu'il avait risqué d'y faire rouler, pour n'avoir pas
su se passer d'un écureuil qui excitait sa convoitise.
Une sèche analyse ne peut pas dire tous les détails gra-
cieux de -cette jolie composition ; elle ne saurait donner
qu'une idée assez imparfaite de la manière dont l'auteur a
envisagé son sujet, et nous conseillons à nos lecteurs de ne
pas s'en tenir là. Ils trouveront dans Antonio Giovanni, non-
seulement un bon livre d'éducation, mais un excellent ou-
vrage de littérature. Une seule chose m'a paru mériter peut-
être quelque critique. C'est l'intérêt trop vif qu'inspire Antonio
repentant, l'héroisme trop séduisant qu'il déploie.
J'ai toujours trouvé quelque danger à ces peintures si at-
trayantes de pécheurs repentans. Elles enthousiasment la jeu-
nesse, et n'est-il pas à craindre que, pour avoir l'occasion d'un
semblable héroïsme, elle ne soit parfois tentée d'imiter d'a-
bord les fautes afin de pouvoir ensuite les réparer?
LE SPECTACLE DE LA NATURE ET DE L'INDUSTRIE HUMAINE , OU
les chefs-d'œuvre de Dieu et des hommes, répandus sur la surface
de la terre; par Ch. Delattre. — Paris, 1837. 2 vol. in-12 avec 10 gra-
vures, prix : 7 fr. ; par la poste, 9 fr. : chez Mllc Désirée Eymery, édi-
teur de la Bibliothèque d'éducation, quai Voltaire, 15, à l'entresol.
Ce livre est de ceux qu'on place le plus volontiers entre
les mains des cnfans, car il est destiné à éveiller en eux les
sentimens les plus nobles et les plus purs, à élever leur âme
par la contemplation des œuvres de la nature, et à leur faire
admirer la puissance du Créateur dans le génie de l'homme
et dans les prodiges de l'industrie humaine.
,Le premier volume, qui traite des OEuvrcs de Dieu, ren-
ferme un cours de sciences naturelles et d'explication des
phénomènes les plus curieux, mis à la portée des enfans. La
clarté brille dans ce petit exposé, écrit d'un style animé et
coloré. Mais cependant il ne s'adresse qu'aux jeunes gens
MORALE, ÉDUCATION. 49
de 12 à 15 ans, car des enfans moins avancés ne seraient
guère en état de le comprendre.
Apres avoir retracé rapidement l'histoire de la création et des
révolutions du globe, d'après les livres saints et les découvertes
modernes de. la science, M. Delattre passe en revue les di-
verses parties de la terre, et décrit toutes les particularités
remarquables que présente chaque contrée. Les merveilles
naturelles de tous les climats , les principales beautés des
trois règnes de la nature, sont offertes à l'admiration de la
jeunesse; on lui fait ainsi parcourir les montagnes, et leurs
glaciers et leurs volcans, les vallées et leur riche végétation ;
on la transporte tour-à-tour au milieu des glaces éternelles du
pôle, et sous les rayons brûlans du soleil de l'équateur ; on lui
montre partout les productions de la nature, parfaitement
adaptées au climat qu'elles sont destinées à habiter, et on
lui inspire par là une profonde vénération pour la sagesse et la
puissance du Créateur. Des considérations morales, fort bien
déduites du sujet, font ressortir les divers rapports qui lient
entre eux les différens phénomènes naturels, et conduisent à
former d'ingénieuses hypothèses sur le but de la création.
Le second volume contient une esquisse de l'histoire de l'art
et de l'industrie, depuis les temps les plus anciens jusqu'à nos
jouis. C'est un tableau du développement successif de l'es-
prit humain aux diverses époques de l'histoire. Les grands
monumens de l'architecture de tous les peuples y trouvent
leur, place, et leur description est accompagnée de données
historiques et de détails de mœurs du plus grand intérêt. Les
prodiges du commerce antique, qui avait fondé au milieu des
déserts de l'Asie des villes, des palais, et ceux de l'industrie
moderne, qui semble promettre un si brillant avenir à la
civilisation, sont également présentés de la manière la plus
propre à exciter la curiosité et à fixer l'attention des jeunes
gens. L'industrie humaine et ses bienfaisans travaux méri-
tent bien mieux que la guerre et ses désastreuses conquêtes
d'être offerte à l'admiration de nos enfans. Rien n'est plus
contraire à l'esprit de notre époque que cette brillante au-
réole de gloire dont on entoure le front des grands guerriers,
dans la plupart des livres destinés à la jeunesse. La défense
de la patrie peut seule légitimer la guerre qui, sans cela,
n'est que le meurtre et le pillage exécutés sur une grande
échelle. Les plus fameux conquérans furent des fléaux pour
l'humanité, tandis que chaque découverte de la science, cha-
que progrès de l'industrie, ont augmenté la somme des jouis-
sances, ont amélioré d'une manière réelle et durable la con-
dition de toutes les classes de la société.
50 RELIGION, PHILOSOPHIE,
BIBLIOTHÈQUE UNIVERSELLE D'ÉDUCÀTIONj
CONTES AIX JEUNES NATURALISTES, par Mllc UUiuc-Trèmadeuie .
1 vol. in-12, fig. 3 fr. 50 c— récréations morales, par M.meGuizot.
1 vol. in-12. fig. 3 fr. 50 c— théâtre des Marionnettes , par
Mmc Laure Bernard. 1 vol. in-12, fig. 3 fr. 50 c. — Paris, 1837, tenez
Didier; Genève, chez Ah. Cherbuliez et comp".
Dans les Contes aux jeunes Naturalistes, mademoiselle Ulliac
a fort bien réussi à mêler d'intéressantes notions d'histoire
naturelle à des récits amusons, de manière à présenter la
science sous la forme la moins sévère, et à, offrir en même
temps l'application en maintes circonstances de la vie, d'une
foule de connaissances qui, ainsi apprises, s'oublientbeaucoup
moins. Les animaux domestiques, leurs mœurs, leur usage,
forment le sujet de ce volume, qui sera suivi, il faut L'espérer,
de plusieurs autres; car l'histoire naturelle est un champ fé-
cond où l'on peut faire d'abondantes récoltes sans craindre de
l'épuiser. Les trois premiers contes de cette jolie série, sont :
Manette ou la fâche noire, Pyramide ou le Cheval du lancier, et
Jacquot ou la Basse-cour de ma grand' tante. L'auteur se plaît
à faire ressortir l'instinct admirable qui sert de guide aux
animaux, et qui, développé par l'éducation et les soins affec-
tueux de l'homme, produit souvent des résultats' fort curieux.
Pyramide surtout est un petit récit du plus grand intérêt,
très-bien fait sous tous les rapports. Mademoiselle Ulliac a
rendu avec beaucoup de vérité cette intimité qui s'établit
entre le soldat et son cheval lorsqu'ils ont long-temps vécu
ensemble dans les camps, courant les mêmes dangers, suppor-
tant les mêmes privations, éprouvant en quelque sorte l'un et
l'autre les mêmes peines et les mêmes misères. L'esquisse du
vieux militaire est tracée avec un naturel parfait; ons'attache
volontiers à lui, on suit avec intérêt tous les épisodes de sa
narration lorsqu'il raconte ses campagnes, et plus d'une foison
verse une larme sur ses infortunes si peu méritées, on éprouve
une vive svmpathie pour les élans de son cœur généreux,
comme pour les sages raisonnemens de son excellent bon
sens. Et ce vieux cheval arabe qui a suivi son maître depuis les
Pyramides et a partagé' pendant vingt ans toutes les vicissi-
tudes de son existence errante ; avec quel intérêt ne lit-on pas
tous lrsdétails qui nous peignent si bien son caractère intelli-
gent, ce mélange de licite naturelle et de docilité acquise, son
attachement pour le lancier qui le traite eu enfant chéri, et ne
saurait avoir un plaisir sans le partager avec Pyramide. En
vérité, ce conte trouvera une foule de lecteurs, jeunes ou
vieux, et je suis bien persuadé surtout qu'il séduira tous les
MORALE, ÉDliCATloN ,i
petits garçons. Pyramide et son lancier ne tarderont pas à ob-
tenir un succès tout populaire dans les pensions et les collèges.
— Les Récréations morales de madame Guizot offrent un
choix de contes cliarmans pour la jeunesse, qui ne pourra y
puiser que les meilleurs principes et y rencontrer des exem-
ples excellens à suivre. Madame Guizot sait admirablement
bien faire des applications claires et faciles à saisir, de manière
à présenter aux cnfans des leçons morales qui les intéressent
vivement et dont ils peuvent cependant fort bien comprendre
la portée. C'est donc avec un vif plaisir qu'on verra multiplier
les éditions des livres qu'a laissés cette femme si remarquable,
et l'on saura gré à l'éditeur de les mettre ainsi à la portée de
toutes les bourses, car jusqu'à présent leur prix élevé avait
restreint leur succès et leur heureuse influence dans des
limites assez étroites. M. Didier a fort bien compris que de
semblables ouvrages sont destinés à devenir tout-à-fait popu-
laires, et à remplacer ceux qui depuis long-temps composaient
la bibliothèque des enfans et qui ne sont plus du tout enhar-
monie avec les principes de l'éducation actuelle. Aussi, non-
seulement il en a considérablement diminué les prix en adop-
tant un format plus compacte, quoique très-élégant, mais
encore il publie tous ces contes en volumes in-18, qui se ven-
dent séparément à très-bon marché. Il fait de même pour ceux
de mademoiselle Ulliac Trémadeure, en sorte que ces char-
mantes et utiles productions ne tarderont pas à se répandre
dans toutes les classes de la société, où elles ne peuvent que
produire le plus grand bien. L'éducation prise ainsi au sérieux
et dirigée vers le but du perfectionnement moral est certaine-
ment la véritable route qui conduit un peuple à la liberté et
au bonheur.
— Le Thédlrc des marionnettes fait, il faut le dire, une assez
triste figure à côté des deux volumes précédens. Nous aurions
mieux aimé ne pas le voir paraître dans la Bibliothèque d'édu-
cation; nou pas que nous voulions rejeter ce genre d'amuse-
ment qui est sans doute fort innocent, et peut encore servir
à fixer l'attention des enfans et à leur offrir d'utiles lerons;
mais madame Laure Bernard nous a paru n'avoir pas su em-
ployer ce moyen d'une manière très-convenable. Ses petites
scènes renferment plus de prétention dramatique qu'il n'en
faut pour un tel objet. Elle semble chercher plus à frapper
par du patbos ou de la charge, qu'à instruire en se fusant
comprendre. Elle suit l'ornière tracée par Séraphin, et c'est
justement ce qu'il faudrait éviter. Aussi conseillerons-nous
aux personnes qui désireraient procurer à leurs enfans le plai-
sir des marionnettes, de prendre plutôt pour répertoire de
leur théâtre, les œuvres de madame Guizot, de mademoiselle
Ulliac, et de dialoguer quelques-uns de ces jolis contes qui
52 LEGISLATION ,
font toujours éprouver aux enfans un plaisir nouveau, parce
que tout y est vrai, naturel, parce qu'ils s'y reconnaissent eux
et leurs compagnons de jeux ou d'études, parce qu'enfin la
morale y est si bien alliée au sujet, à l'action, qu'il est impos-
sible qu'elle échappe à leur jeune intelligence.
LEGISLATION, ECONOMIE POLITIQUE, COMMERCE,
LES classes OUVRIÈRES; moyens d'améliorer leur sort sous le rap-
port du bien-être matériel et du perfectionnement moral ; par Emile
Beres; ouvrage couronné par l'Académie française, par la Société de
la morale chrétienne et par celle d'agriculture, sciences et arts de
Maçon. — Paris, chez Charpentier. 1836. 1 vol. in-8. 7 fr.
Venir en aide aux classes ouvrières, soulager leurs souf-
frances, assurer leur avenir sans avoir recours aux institu-
tions de bienfaisance, voilà le noble but auquel M. Emile
Bères a consacré son talent et sa plume. Dès les premières
pages de son livre, il se déclare franchement l'adversaire des
sociétés de charité et des hôpitaux. Les unes humilient le
pauvre, détruisent en lui le sentiment de l'honneur et lui of-
frent trop souvent un oreiller de paresse sur lequel il s'endort
dans l'oisiveté et la misère ; les autres peuvent de plus con-
tribuer à affaiblir les liens de famille ou d'amitié en leur ôtant
les occasions de se développer, de faire acte de dévoûment et
de puiser une nouvelle vie dans ces épreuves salutaires. De
semblables principes étonneront par leur hardiesse, mais leur
vérité se fera jour petit à petit, et finira par luire aux yeux
de tous.
Le malaise des classes ouvrières est un fait incontestable ; il
est tellement évident chez toutes les nations européennes ; il
s'est manifesté avec tant d'énergie à chaque occasion de ré-
volte ou de désordre, que personne ne saurait songer à le
nier. C'est donc plutùt sur la cause du mal que la discussion
a roulé entre les divers écrivains qui ont abordé cette grande
question. L'introduction des machines dans l'industrie et
leur emploi toujours plus étendu, a été surtout accusée par
la plupart; d'autres ont prétendu qu'une longue paix favori-
sait trop l'accroissement de la population ; d'autres enfin ont
crié haro sur les progrès de la civilisation elle-même qui, di-
sent-ils, ont semé l'ambition et le goût du luxe dans toutes les
classes. Tandis qu'on débattait ainsi, s'attaquant à des faits
sur l'accomplissement desquels nous ne pouvons exercer près-
caauVOMIE POLITIQUE, ETC. â3
qu'aucune influence, le mal n'a fait qu'empirer sans qu'on
y ait porté le moindre soulagement.
M. Emile Bères n'a point suivi la même route; ces causes
qu'on allait chercher si loin, il a cru les trouver tout près de
lui, il les a découvertes dans l'examen attentif de ce qui se
passe chaque jour dans les petits détails de la vie ordinaire.
Est-il surprenant que l'ouvrier soit misérable, lorsque de son
modique salaire, qui constitue tout son avoir, les impôts lui
ravissent la meilleure part; lorsqu'il ne peut boire un verre
devin, consommer une livre de viande ou une once de sel,
sans payer au fisc le quart, le tiers ou la moitié de la valeur
de l'objet? Doit-on s'étonner si des maladies viennent l'épui-
ser et lui ôter tout moyen d'existence, lorsqu'on le voit ainsi
forcé de se priver souvent d'une nourriture que rendent né-
cessaire à sa santé les travaux pénibles auxquels il se livre,
ou bien exposé à toutes les fraudes dangereuses que l'avidité
inspire aux débitans de produits grèves par l'octroi? Enfin
est-il surprenant qu'il soit malheureux, quand, après avoir
fait si peu pour lui procurer une bonne éducation, une ins-
truction convenable, on l'exploite comme un esclave qu'on
n'a pas acheté et qu'on remplacera facilement, on l'accable
de travail et l'on marchande son salaire sans lui permettre
même d'en discuter les conditions ! Paria de la société qui
n'a pour lui que peines, fatigues, puis mépris ou pitié humi-
liante, parce qu'il travaille de ses mains à la nourrir ou à la
vêtir, l'ouvrier ne peut qu'être souvent porté à se révolter
contre elle, à enfreindre ses lois, ou à chercher dans un stu-
pide abrutissement l'oubli de maux qu'il ne peut éviter. La
société peut être juste suivant ses loi3, quand elle le punit
ou l'abandonne, mais elle n'est certainement pas équitable,
car elle a entre les mains les moyens de détruire le mal dans
sa racine, et il ne lui manque que la volonté de le faire. Sui-
vons M. Bères dans l'exposé de ces moyens, qui nous offriront
le plan le plus judicieux d'une régénération complète et effi-
cace de la classe ouvrière, l'espoir le mieux fondé d'une
prospérité future, où les biens et les charges de la société,
plus également répartis, effaceront petit à petit ces contrastes
si révoltants qu'offrent de nos jours les chaumières misérables
de nos pauvres laborieux et honnêtes, à côté des palais somp-
tueux de tant de riches oisifs et corrompus.
L'autorité aura d'abord maintes mesures à prendre pour
contribuer à cette œuvre utile. C'est à elle à donner l'exem-
ple. Elle est une, et par conséquent peut agir avec bien plus
de facilité et de promptitude; son influence d'ailleurs déter-
minera bientôt le mouvement. Qu'elle avise donc sans retard
aux ressources à créer pour remplacer les impôts qui frap^
54 LEGISLATION ,
pent sur les besoins de première nécessité. Elle les trouvera
bien vite, si elle veut les chercher dans des modifications
économiques à apporter aux diverses branches de l'Admi-
nistration.
Outre cela, il faudrait une surveillance rigoureuse sur la
vente et la préparation des substances alimentaires, car c'est
une condition nécessaire de la santé publique. Il faudrait
surtout une activité plus grande dans l'exécution des mesu-
res destinées à assainir les quartiers insalubres des villes ma-
nufacturières. L'entassement des ouvriers et de leurs familles
dans des rues sales et étroites, où L'air circule à peine , est
une des principales causes des maladies qui les assaillent. Il
serait bon également, de surveiller plus qu'on ne le fait
l'exercice de certaines professions dangereuses pour la santé
des ouvriers. Des établissemens d'alimentation économique,
par le moyen de la gélatine par exemple, et des institutions
financières dans l'intérêt des classes ouvrières, devraient
aussi être fortement encouragées par le gouvernement, car
ce serait le plus sûr moyen de soulager et de préserver en
même temps.
M. Bères voudrait de plus, qu'on excitât le zèle des ou-
vriers par des récompenses convenablement distribuées , par
des distinctions honorables , par une protection toute pater-
nelle et par l'assurance de trouver dans sa vieillesse un asile
contre les infirmités, des invalides gagnés par lui à aussi
juste titre certainement que par les soldats, et d'une manière
plus utile au pays.
Les chefs d'industrie, propriétaires et maîtres exercent sur
les ouvriers une influence directe, qui a les conséquences les
plus importantes pour leur sort. Ils peuvent contribuer puis-
samment à leur amélioration et à leur bonheur, soit en ap-
portant plus de justice dans la fixation des salaires, et dans
celle des heures de travail , soit en surveillant avec sollici-
tude la conduite des ouvriers et en introduisant de bons ré-
glëmeris dans les fabriques. Il faut que les relations de chefs
à ouvriers prennent un caractère de bienveillance et d'égalité,
plus prononcé et perdent toujours davantage ce qu'elles peu-
vent avoir conservé de commun avec celles qui existent de
maîtres à esclaves.
Enfin les ouvriers eux-mêmes doivent faciliter l'œuvre en
remplissant leurs devoirs avec assiduité, et en observant cer-
taines règles d'ordre et d'hygiène, auxquels ils ne sont cpie
trop enclins à se soustraire. Le choix des vètemens , les soins
du corps, l'attention d'assortir autant que possible le choix
d'Un métier aux dispositions du corps, sont autant de pré-
cautions propres à conserver la santé. En réfléchissant un
ECONOMIE POLITIQUE, ETC. 65
peu, ils comprendront aussi combien il leur est nuisible de
fêter le lundi , de fréquenter les foires et les marchés , de
chômer les jours de fêtes supprimées.
A coté de ces considérations intéressantes sur les améliora-
tions dont est susceptible l'état matériel des classes ouvrières,
la troisième partie de ce volume en contient d'autres d'un
ordre plus relevé , sur les moyens de travailler à leur perfec-
tionnement moral. Depuis quelques années, on a générale-
ment compris les bienfaits de l'instruction pour toutes les
classes de la société; mais on n'a fait encore que bien peu de
chose, car il ne suffit pas d'enseigner à lire, à écrire, à comp-
ter ; il faudrait encore chercher à inculquer dans le cœur
des principes solides, des règles de conduite pour toute la
vie»; il faudrait procurer aux ouvriers des lectures utiles,
morales et capables en même temps de les intéresser. C'est
une littérature populaire à créer, car il n'existe que bien peu
de livres encore qui remplissent ce but, la plupart de ceux
qu'on a faits jusqu'ici ont le grand défaut d'être écrits par
des auteurs qui connaissaient fort peu le public auquel ils
s'adressaient; d'être rédigés pour des lecteurs déjà instruits,
tandis qu'il faudrait les mettre à la portée de gens qui ont
tout à apprendre, et ne possèdent même pas cette foule de
notions que la conversation habituelle de leurs parens rend
familières aux enfans des classes aisées. Des bibliothèques à
l'usage des ouvriers seraient un excellent moyen de leur of-
. frir des distractions honorables , de les détourner des excès
qu'entraîne trop souvent le défaut de jouissances intellectuel-
les. Dans ce même but, des fêtes populaires organisées sur
un plan sage et libéral pourraient produire un vrai bien.
Le grand jour de la place publique est plus favorable aux
bonnes mœurs et aux bonnes pensées, que l'atmosphère
chaude et épaisse du cabaret La Suisse offre à cet égard
d'heureux exemples à imiter.
Les salles d'asile , les écoles industrielles offriront égale-
ment des ressources efficaces pour contribuer à l'œuvre de
régénération morale. M. Emile Bères termine en donnant
un excellent modèle de leçons de morale populaire. Ce mor-
ceau intitulé : Entretiens ditn maître d'école sur las vices et les
vertus des classes ouvrières, demanderait à être imprimé à part
et répandu en grand nombre dans le public, car il contient
d'excellens conseils présentés avec la plus grande simplicité.
A la fin du volume se trouvent divers documens, modèles de
règleniens, de livrets, décrets et lois les plus nécessaires aux
ouvriers.
La distinction accordée à ce livre par l'Académie Française
et par deux sociétés particulières sera vivement approuvée, car
56 SCIENCES ET ARTS.
on ne peut qu'applaudir à la philanthropie éclairée qui pré-
side à tous 1rs détails de ces utiles recherches. Mais il ne suf-
fit pas non plus de décerner des prix à de semhlahles travaux ;
c'est ne faire que la moitié de ce qu'on doit. Il faut appli-
quer à la pratique ces excellentes théories, et ne pas attendre
pour la réparer que la maison tombe, car on pourrait bien
périr enseveli sous ses ruines. Les académies instituées pour
apprécier les travaux des savans et des moralistes, n'ont-elles
pas le droit d'exiger que l'Administration écoute leurs juge-
mens et en profite ?
SCIENCES ET ARTS.
NOUVEAU SYSTÈME DE PHYSIOLOGIE VEGETALE et de botanique,
fondé sur les méthodes d'observation qui ont été dévelopées dans le
nouveau système de chimie organique, accompagné d'un atlas de
60 planches d'analyses dessinées d'après nature et gravées en taille
douce; par F.-V. Raspail. — Paris, 1837. 2 vol. in-8 et atlas, 30 fr
L'observation , trop souvent négligée par les faiseurs de
systèmes et de nomenclatures, l'observation est la base sur'
laquelle reposent tous les travaux de M. Raspail. C'est avec
le microscope qu'il interroge la nature et cherche à. sonder
ses mystères , en découvrant son action dans les plus petites
parcelles de matière organisée. Cette sage direction donne
une grande importance à ses paroles et ne permet pas qu'on
rejette sans examen les idées neuves qu'il émet , quoiqu'el-
les puissent paraître bien hardies , et soient sans doute en-
tre-mêlées de plus d'une erreur. Dans une série de théorè-
mes qui s'enchaînent les uns aux autres , il suit pas à pas tous
les phénomènes de la végétation en essayant d'expliquer
leurs causes et leurs effets. Il trace ainsi l'histoire de tous les
organes et les ramène tous à une même origine, à un type
primitif et commun qui- est une vésicule organique à parois
ligneuses , imperforées visiblement et incolores , que tapisse
une vésicule colorée, glutineuse, et qui engendre, dans son
sein, un système de deux spires de nom contraire, ou de
plusieurs spires en nombre pair, mais s'accouplant par paires.
« Cette vésicule , au contact de l'air , s'aimante pour
ainsi dire, acquiert deux pôles opposés, deux directions op-
posées; l'une vers le zénith, et l'autre vers le nadir; l'une
vers la lumière, et l'autre vers l'obscurité; l'une vers l'at-
mosphère, et l'autre vers les entrailles <le la terre. C'est une
SCIENCES ET ARTS. 57
cellule allongée dans le sens vertical; le bout supérieur de-
vant fournir la plumule, le bout inférieur la radicule.
» La vésicule aspire l'air et l'élabore en liquide, puis le li-
quide en organes ; mais cette dernière élaboration est déter-
minée par le concours, par la rencontre, par l'accouplement
de deux agens de noms contraires , de deux spires de direc-
tion contraire.
» De cet accouplement naissent ou des organes internes ,
c'est-à-dire des organes qui se développent dans l'intérieur
de la vésicule génératrice , ou des organes externes , c'est-à-
dire des organes qui se développent bors de la paroi de la
vésicule génératrice.
» Les vésicules internes , en continuant ce double dévelop-
Î)ement, donnent lieu à la formation du tissu cellulaire, par
eurs générations internes, et à celle du système vasculaire ,
par leurs générations externes. De cette série toujours crois-
sante de développemens résulte l'accroissement en longueur
et en diamètre de la cellule génératrice , qui passe ainsi peu
à peu à la dénomination de tige et de tronc.
» Les organes externes , engendrés par l'accouplement des
spires, sur la paroi de la vésicule génératrice, prennent la
direction du milieu dans lequel ils se trouvent plongés. Sur
la portion souterraine de la vésicule génératrice, ils deviennent
racines ; sur la portion aérienne, ils deviennent rameaux.
» La racine et le rameau s'organisent également dans le
-sein d'une gemmation qui , en restant close , eût été dans les
airs un ovaire, et sous la terre une bulbe. Le développement
ultérieur de l'embryon que recèle la gemmation aérienne,
ainsi que la gemmation souterraine , est le produit de tout
autant de fécondations que l'on y voit succéder d'organes ; le
développement de cbacun de ces organes équivaut à la ger-
mination. Ce qui distingue la germination de l'épanouisse-
ment de la gemmation, c'est que l'une a lieu sur le bourgeon
détacbé de la plante , et l'autre sur le bourgeon qui est resté
adbérant à la tige.
» Tout organe clos fait l'office d'ovaire, il subit la fécon-
dation ; une fois ouvert , s'il ne s'atrophie pas , il fait l'office
d'étamine ; il féconde l'organe qu'il recèle , et qui va , par le
même mécanisme, former le deuxième chaînon des généra-
tions futures.
» Dans le principe de leur apparition , il n'est pas un seul
organe qui ne soit réduit à la simplicité du globule; d'un au-
tre côté , il n'est pas un globule qui ne soit apte à devenir
toute espèce d'organes. Pour apparaître sur une paroi , il
faut qu'il ait été conçu; pour se développer, il faut qu'il ait
été fécondé.
58 SCIBMCES ET ARTS
» Avant la fécondation , il était organisé ; après la fécon-
dation , il devient un organe , et dès-lors son accroissement
peut être indéfini, sans qu'il soit apporté la moindre modi-
fication à son type.
» Un individu n'est qu'un organe isolé de l'organe mater-
nel; il est tout entier dans chacune de ses parties; car cha-
cune d'elles est apte à devenir individu à son tour.
» La disposition des organes, soit rudimentaires, soit déve-
loppés, soit souterrains, soit aériens, soit externes, soit inter-
nes, résulte du nombre et de la vitesse des spires de nom
contraire, qui les engendrent en s'accouplant. Avec deux
spires d'inégale vitesse, on obtient la disposition en spirale,
par trois, quatre, cinq, etc. rangs, selon que, tandis que l'une
des spires décrit un tour, l'autre en décrit trois, quatre,
cinq, etc. Avec deux paires de spires, on obtient la disposi-
tion opposée croisée; avec un plus grand nombre on obtient
des verticilies alternes d'autant de pièces qu'on admet de
paires de spires. »
Tel est le résumé du nouveau système que l'auteur pré-
sente sous le titre de Théorie spiro-vésicidairc, et qu'il pense
applicable aussi bien aux animaux qu'aux plantes.
Il appuie ses raisonnemens sur une masse imposante de
faits et d'expériences qui ne demandent qu'à être vérifiés.
Quelle que soit l'opinion qu'on professe sur les principales
questions soulevées par l'auteur, on ne peut qu'admirer un
travail aussi consciencieux ; c'est de la vraie science profonde,
utile, sans préjugés d'aucune espèce, qui cherche la vérité
avec ardeur, et ne recule devant aucune peine pour en ap-
procher, ne fût-ce que d'un seul pas.
Cette histoire des organes des plantes est rendue plus inté-
ressante encore et plus intelligible parles nombreuses plan-
ches de l'atlas, qui renferment des analyses faites dans le plus
grand détail et avec une perfection, soit de dessin soit de gra-
vure, qui ne laisse rien à désirer. Une seule plante fournit
quelquefois jusqu'à 16 sujets de figures. L'analyse est pous-
sée aussi loin que possible, et, persuadé que la grandeur et
la puissance de la nature se manifestant surtout dans les ob-
jets les plus petits et les plus simples, c'est là que l'auteur
veut la prendre sur le fait et prétend soulever un coin du
voile mystérieux derrière lequel s'accomplit son oeuvre. Avec
une rare patience et une persévérance admirable, il est ainsi
parvenu à rectifier mainte idée fuisse et à enrichir la science
d'une foule de découvertes précieuses.
\piès la description des organes et des phénomènes qui s'y
.Accomplissent, M. Raspai! passe à X Organophrsic ou physi-
que de /'organisation végétale. Cette partie est divisée en deux
SCIENCES ET ARTS. 59
sections : l'une traite des influences actuelles sur la végétation,
l'autre des influences antédiluviennes. Dans la première,
l'auteur cite les nombreuses expériences sur l'influence de la
lumière et des ténèbres, de l'eau, de l'air, du terrain, des en-
grais, sur les influences météorologiques et perturbatrices, et
l'effet qu'elles exercent, soit sur la végétation en- général,
soit sur ebaque organe en particulier. Il discute les erreurs
qu'ont pu commettre les Senebier, de Saussure, Spallanzani
et autres expérimentateurs dont il apprécie les utiles tra-
vaux , mais qui se laissèrent trop souvent dominer par
l'état de la science à leur époque, et ne surent pas secouer ses
ebaînes en présence des faits nouveaux que la nature leur
révélait.
La seconde section nous offre un tableau largement tracé,
de l'origine des êtres organisés, des créations spontanées, filles
de l'air et de l'eau, des pbénomènes géologiques dont la terre
conserve tant de traces pour l'observateur attentif.
Ici M. Raspail se montre également hardi novateur. Sans
s'inquiéter des théories reçues et adoptées par d'autres , il
examine les faits et raisonne d'après eux seulement. Il ar-
rive ainsi à des conclusions tout-à-fait différentes, et ren-
verse entièrement le système géologique de Cuvier. Pour lui,
il n'y a pas eu divers bouleversemens, suivis chacun d'une
nouvelle création instantanée. Un seul déluge a aussi bien
pu amener les résultats que nous voyons. La nature, procé-
dant toujours de la manière la plus simple, lui paraît avoir
dû établir des lois d'une action plus lente et plus régulière,
dont il trouve d'ailleurs la preuve dans tous les phénomènes
qui se passent aujourd'hui sous nos yeux. Enfin si dans le
bassin de Paris, et sur quelques autres points qui ont été
fouillés, bien superficiellement encore, il est vrai, on n'a pas
rencontré d'hommes fossiles ; il ne saurait y voir une raison
de prononcer que l'homme n'existe que depuis ce bouleverse-
ment, car la terre est vaste et nous ne sommes pas au bout des
découvertes que recèle son sein.
La nouvelle classification que propose notre auteur, divise
les végétaux en deux grandes classes : les plantes nocturnes,
qui ne croissent que la nuit, et n'élaborent pas la matière
verte ; et les plantes diurnes, qui ne croissent que le jour, et
se distinguent, à tous les âges, parleurs tissus herbacés.
Cette première division, un peu hasardée peut-être, lui
paraît préférable à celle de la méthode dite naturelle, fondée
sur la présence et le nombre de cotylédons difficiles à recon-
naître et à constater. Mais nous laisserons à de plus habiles
la tâche de discuter le mérite de cette nouvelle classification,
dont nous avouons ne pas avoir bien compris toute l'utilité
60 SCIENCES ET ARTS.
et qui devra être l'objet d'une critique sérieuse et pro-
fonde.
M. Raspail termine son travail par la technologie, ou ap-
plication pratique des principes physiologiques à la culture
des végétaux, à l'industrie, à l'économie animale, etc. On y
trouvera plusieurs procédés nouveaux, signalés à l'attention
des industriels et maintes données précieuses pour la pra-
tique, qui pourra en retirer des résultats avantageux et
utiles.
De pareils ouvrages sont utiles à la science , en provoquant
la discussion, et quand on lit dans la préface de l'auteur tous
les obstacles qu'il a eu à vaincre, tous les déboires qu'il a
dû subir de la part des établissemens qui semblent surtout
destinés à encourager et aider les jeunes sa vans, on est
presque tenté d'excuser les jugemens un peu acerbes qu'il
porte sur les académies et les académiciens. Mais il ne faut
pas oublier qu'en tout temps, avec ou sans académies, tout
homme qui apporta quelque idée nouvelle à ses semblables,
fut en butte à l'envie, au soupçon et à la haine.
Il ne faut pas oublier surtout que les meilleures institu-
tions seront toujours accompagnées d'abus, et qu'il est inutile,
et souvent même dangereux, de se livrer à l'amertume de re-
proches violens, d'accusations passionnées qui nuisent aux
sa vans, sans faire nul bien à la science.
MÉMOIRES DE LA SOCIÉTÉ DES SCIENCES NATURELLES DE NEU-
CHATEL. Tome Ier. — Neuchâtel, 1836; Paris, chez Ab. Cherbuliez
et compe. 1 vol. in-4 orné de planches dont plusieurs coloriées. Prix :
20 fr. pour la Suisse.
La Suisse fut toujours la patrie des sciences naturelles. Ses
montagnes offrent des trésors aux botanistes, aux géologues,
aux minéralogistes ; on y peut faire d'abondantes récoltes
d'objets qui ne se trouvent pas ailleurs. La nature y déploie
un luxe de productions diverses qu'on ne pourrait recueillir
qu'en des climats différens ; des vallées fertiles et chaudes
servent souvent de base à des montagnes dont la cime, per-
due dans les cieux, est couverte de neiges éternelles. Cette
richesse, qui frappe tous les observateurs, excite aussi leur
zèle et augmente leur nombre, en répandant le goût de l'his-
toire naturelle dans toutes les classes. Aussi presque tous les
Cantons suisses ont-ils leurs sociétés savantes qui se livrent
à des travaux importons, et dont plusieurs publient des re-
cueils d'un haut intérêt.
SCIENCES ET ARTS. G!
La Société des sciences naturelles de Neuthâtel, qui est
fondée depuis 4 ans seulement, fait paraître le premier vo-
lume de ses mémoires, et se place déjà au premier rang. Elle
rivalise, pour l'importance des mémoires et l'exécution des
planches epui les accompagnent, avec la Société de physique
et d'histoire naturelle de Genève, dont la collection attire l'at-
tention des savans et devient de plus en plus remarquable.
Cette noble émulation entre les sociétés savantes des divers
Cantons suisses, est un signe du mouvement scientifique
qui anime cette contrée, et une preuve que la confédération
est beaucoup plus favorable que la centralisation, aux pro-
grès de la science comme à beaucoup d'autres choses.
Comparez ces recueils à ceux qui se publient en France
hors de Paris, et vous serez effrayés de la distance à laquelle
la capitale laisse la province en arrière d'elle, et vous com-
prendrez tout le danger de cette espèce de pompe aspirante
qui dessèche tout le pays au profit d'une seule ville.
Le premier volume des Mémoires de la Société des sciences
naturelles de Neuchdtel renferme :
i° Le Réglemeot de la Société.
2° Pxésumc des travaux de la section de phvsique, chimie et ma
thématiques, et de celle d'économie rurale, de technologie et
de statistique; par M. de Joannis.
3° Résumé des travaux de la section d'histoire naturelle et de
celle des sciences médicales, pendant l'année i833-j834; par
M. Agassiz.
4° Description de quelques espèces de Cyprins du lac de Neuchâ-
tel, qui sont encore inconnues aux naturalistes; par M. Agassiz.
Dans ce mémoire, après quelques considérations générales
sur les difficultés que présente l'étude de la famille des cy-
prins, dont les espèces très-nombreuses ne diffèrent souvent
les unes des autres que par des caractères fort peu saillans,
l'auteur donne le tableau de toutes les espèces européennes,
et passe à la description de celles du lac de Neuchàtel qui
sont nouvelles. Celles-ci sont au nombre de trois, savoir : le
Leuciscus rodens, connu en Suisse sous le nom de Ronzon.
« C'est un petit poisson de forme élégante qui passe la belle
saison, en troupes, sur les bords de nos lacs et dans nos ri-
vières, et qui, à l'approche de l'hiver, regagne les grandes
profondeurs. » Il a été confondu par plusieurs naturalistes
avec divers autres cyprins dont on doit le séparer, à cause
des différences qu'il présente soit dans sa forme extérieure,
soit dans sa structure interne; le Leuciscus maialis, appelé
vulgairement Poissonnet, et auquel l'auteur applique la dé-
nomination de maialis, parce qu'il fraie en mai et n? ▼» — **
û-2 SCIENCES ET ARTS.
pas sur les côtes de nos lacs avant le commencement «.le ce
mois ; enfin le Leuciscus prasinus, connu sous le nom de ven-
geron, et qui, dans presque tous les ouvrages qui traitent des
poissons de la Suisse, a été confondu avec le Leuciscus rut/lus
dont il se distingue par sa forme plus allongée et ses écailles
plus grandes.
5° Mémoire sur le terrein crétacé du Jura, par M. Auguste de
Mo ni molli a.
L'auteur traite d'une manière assez approfondie la ques-
tion du calcaire jaune qui excite depuis long-temps l'atten-
tion des géologues. Il donne un tableau des principaux, fos-
siles qui s'y trouvent et émet quelques hypothèses sur les
révolutions qui ont contribué à la formation de ce calcaire tel
qu'on le trouve adossé aux montagnes de la ebaîne jurassique.
(S0 Essai sur le calcaire lithographique des environs de la Chaux-
de-Fonds, par A.-C. Nicolet.
M. Nicolet exprime la pensée que, malgré l'imperfection
du calcaire lithographique trouve jusqu'à présent dans le
Jura, il ne faut pas désespérer d'en découvrir, par de nou-
velles recherches, une carrière qui pourra fournir aux be-
soins de la Suisse, et y faire prospérer Fart delà lithographie,
qui jusqu'à présent y est resté fort en arrière des progrès
qu'il a faits en d'autres contrées.
n° Note relative aux variations du niveau du lac de Neuchâtel,
pendant les années 1817 a i834>
Cette note est accompagnée d'un tableau dressé par les soins
de l'auteur et de plusieurs autres, contenant les observations
de M. L. Coulon sur le même sujet.
S0 Observations sur quelques-unes des mœurs des animaux do-
mestiques, par M. Allamand fils, de Fleurier.
Sujet curieux qui demande à être plus développé que ne
l'a fait l'auteur; mais il ne s'arrêtera sans doute pas à ce court
mémoire et donnera suite à ses observations, car une fois
qu'on aborde cette partie de l'histoire naturelle, on ne peut
qu'être captivé et entraîné par les résultats intéressans qu'on
obtient. La vache est l'animal sur lequel M. Allamand nous
donne le plus de détails peu connus ou nouveaux.
90 Observation sur un anévrisme faux consécutif, guéri par la
ligature de l'artère crurale, par le docteur de Caslellane, mé-
decin et chirurgien de l'hôpital Pourtalès.
io° Observation d'hydrophobie, parle docteur Borel.
On verra avec plaisir figurer ces mémoires ici, car il est à
SCIENCES ET ARTS. 03
désirer qu'un recueil soit ouvert à cette foule d'observations
importantes, que la pratique des hôpitaux fournit à nos mé-
decins et chirurgiens. Peut-être vaudrait-il encore mieux que
des recueils spéciaux se créassent dans ce but; mais en atten-
dant, on doit savoir gré aux sociétés qui accordent dans leurs
mémoires une place aux plus remarquables de ces observa-
tions, qui du moins ainsi ne seront pas perdues pour la science,
comme il arrive trop souvent.
ii° Mouvement de la population du pays de Xeucliâtel , par
M. Aug. de Montinollin père.
Ces notions de statistique, quoique sur une bien petite
échelle, offrent de l'intérêt, car ce sont toujours quelques'ma-
tériaux de plus pour servir de base à cette science si impor-
tante et encore si peu avancée.
12° Description de quelques animaux nouveaux ou peu connus,
qui se trouvent au musée de Neuchâtel, par M. L. Coulon fils.
Les animaux décrits dans ce mémoire sont : quatre espèce^
d'écureuils, dont une seulement parait être nouvelle ; c'est le
Sciuriis httmcralis, ou écureuil à épaules noires, origiuaire de
l'île de Java ; les trois autres, déjà décrites, n'avaient pas en-
core été figurées, et M. Coulon en donne des planches colo-
riées, exécutées avec un grand soin; enfin une perruche à
longs brins, que l'auteur pense être le Palaeonnis Bcngalcnsis
et qui est remarquable par la beauté de son plumage.
1 3° Notice sur ies fossiles du tercein crétacé du Jura neuchâtelois ,
par L. Agassiz.
Ce travail, dont la première partie seulement est publiée,
renferme la description des Eclùnidcs, au nombre de douze
espèces, dont huit entièrement nouvelles.
i4° Notice sur l'élévation du lac de Neuchâtel au-dessus de la
mer, par M. Osterwald.
i5° Mémoire sur la formation de la surface actuelle du globe,
par H. Ladame.
Savante dissertation qui tend à ramener aux principes
mathématiques la théorie du refroidissement de la terre et
des soulèvemens, de manière à pouvoir donner les lois de la
distribution des montagnes et des continens, et fixer la durée
des époques géologiques.
i6° Prodrome d'une monographie des radiaires ou échinodermes.
par L. Agassiz.
Le Bulletin bibliographique, qui vient à la suite, contient,
un mémoire de Ch. Lyell sur les preuves d'une élévation
04 SCIENCES LT ARTS.
graduelle du soi dans certaines parties de la Suède, extrait
des transactions philosophiques de la Société royale de Lon-
dres, et traduit par M. P. L. A. Coulon. Ce morceau, du plus
haut intérêt par les documens curieux qu'il renferme et l'ex-
cellente description qu'il offre du sol de la Suède, des terrains
qui le composent, et des fossiles qu'on y trouve, est aussi
suivi d'une analyse rapide de Monographia generis Mcloes au-
rtoribus Doct. J. F. Bratult et ÎV. E. ÈricAson, et de Gênera
dyticeorum auctore doct. G. F. Erichson, par M. Ch. Godet.
TRAITÉ HISTORIQUE ET PRATIQUE DES MALADIES EP1ZOOTIQUES
des Bêtes à corne et à laine , ou sur la Picote et la Clavelée ; par
M. Dupùy. — Paris, 1837, In-8, 7 fr. 50 c.
Ouvrage complet et bien rédigé, qui pourra rendre de
grands services aux agriculteurs qui se livrent à l'élève du bé-
tail. Il serait à désirer de voir de semblables livres se multi-
plier et se répandre dans toutes nos campagnes, où trop sou-
vent encore l'ignorance et la superstition s'opposent à l'emploi
des meilleurs moyens pour combattre les épidémies de ce
genre.
ESSAI SUR LA théorie DES AFFUTS et des voitures d'artillerie , par
J.-C. Migout et C.-L. Bergery. — Paris, 1837. 1 vol. in-8. 5fr.
EXPERIENCES SUR LES ROUES HYDRAULIQUES à aubes planes, et
sur Jes roues hydrauliques à augets, par A. Morin. — Paris, 1837.
In-4, fig., 9 fr.
HISTOIRE DE L'ART MODERNE EN ALLEMAGNE, par le comte Atha-
nase Raczynski. — Paris, 1837. 3 vol. grand in-4 et atlas.
Le premier volume de ce magnifique ouvrage est en vente,
prix : 100 fr. Il est orné de 77 gravures sur bois d'une exé-
cution bien supérieure à tout ce qu'on a fait en ce genre
jusqu'ici, d'un frontispice gravé, de 2 lithographies, et ac-
compagné d'un atlas de 11 grandes planches gravées sur
Dt l'imvMMBRIB de BEAU, ». SAmT-GERMi.IN-BN-i.AYI.
JhiUitm Kittévaire
ET SCIENTIFIQUE
5" &U*U. — aA^ 3. — cAbaw 1837.
LITTERATURE, HISTOIRE.
LA camaraderie ou la Courte-Échelle, comédie en cinq actes et en
prose, par M. Eugène Scribe. — Paris, 1837, in-8, à fr.
Suffit-il défaire représenter une pièce sur le Théâtre Fran-
çais et d'inscrire pompeusement sur le titre : Comédie en cinq
actes , pour que cette pièce soit une véritable comédie? Je
ne le pense pas ; et je crois ne pas me tromper en disant qu'il
faut de plus qu'on y trouve des caractères vrais et fortement
dessinés; une action bien conçue, bien conduite; des inten-
tions comiques puisées dans la nature et dirigées vers un but
moral; enfin, un ensemble qui prouve que l'auteur a observé
et bien observé l'époque qu'il a voulu peindre. Or, je ne
vois rien de tout cela dans la pièce de M. Scribe , qui res-
semble à un long vaudeville dans lequel l'auteur a oublié les
couplets , bien plus qu'à une comédie en cinq actes.
La camaraderie est sans doute l'un des travers les plus saillans
du présent siècle. De quelque coté qu'on se tourne , on la
trouve sousuneformeousous une autre. Elle a envahi presque-
toute la presse périodique , elle encombre les avenues du
pouvoir , elle fait loi dans la plupart des salons. Courbez la
tête sous son joug , et, fussiez-vous un sot , elle fera de vous
un homme de génie; restez en dehors , gardez votre indé-
pendance, et, eussiez-vous les talens les plus remarquables,
toutes les routes vous sont fermées, vous ne rencontrez par-
tout qu'obstacles, nul ne s'informe qui vous êtes, nul ne
prend garde à vous. Mais cette assurance mutuelle de gloiiv
et de succès s'exerce-t- elle comme M. Scribe nous la peint,
s'affiche-t-elleavec une impudente franchise, s'organise- t-ellr
réellement en société , et trace-t-elle ainsi d'avance ses plans?
Non, pas précisément; car le public ne se laisserait pas long-
temps mener par le nez dune pareille manière, et M. Scribe a
fait une caricature plutôt qu'un portrait ressemblant. Tous
ses personnages sont exagérés. Son héros est un jeune avo-
5
66 LITTERATURE,
rat, qui, api es avoir Ion g- temps hésité, et convaincu enfin
que son talent et son indépendance ne le mèneront jamais ;i
rien , se décide à entrer dans la camaraderie. Aussitôt il est
accueilli, fêté, prôné comme le plus grand esprit du siècle.
Il s-'agit de l'élection d'un député, et c'est sur lui que se
portent les suffrages des camarades. Mais diverses intrigues
surviennent à la traverse , et font changer à plusieurs repri-
ses leurs batteries. Des influences prépondérantes agissent tour-
à-tour, et à chaque nouveau candidat, la camaraderie exé-
cute aussitôt un changement de front brusque et rapide qui
peut faire rire sur la ccène, mais qui tient plus de la farce
que de la haute comédie. Les caractères sont sans dignité
et sans force. Un seul , celui du docteur , se soutient assez
bien ; il est le membre le plus actif de la coterie , et sou dé-
vouement absolu aux ordres d'une protectrice qui change
de résolution au gré de ses caprices , donne lieu à des qui-
proquos assez plaisans. Mais tous les autres camarades sont
de sots personnages dont le dialogue est semé de lieux com-
muns qui courent les rues. La comédie doit avoir des pa-
roles plus graves , des attaques plus vives pour cette lèpre de
notre époque , pour ce mensonge officieux qui prend à tâche
de corrompre les mœurs et le goût, d'avilir les lettres, d'a-
planir le chemin devant l'intrigue et de décourager la pro-
bité unie au talent. L'auteur, surtout, ayant à peindre l'in-
fluence de la camaraderie sur les élections , devait frapper
d'autant plus fort que l'abus est plus révoltant et entraîne
des conséquences désastreuses pour l'avenir du pays. Mais
M. Scribe est trop habitué aux allures badines du vaude-
ville, pour pouvoir s'élever beaucoup plus haut ; et il y a
certainement moins de vraie comédie dans les cinq actes de
sa pièce que dans les petites scènes électorales des proverbes
de Leclercq.
Les traits que Molière décochait contre les tartufes de
son temps, contre les pédantes et les beaux esprits, contre
les marquis et les précieuses qui se mêlaient alors de vouloir
régenter la cour et la ville , étaient mieux acérés et plus vi-
goureusement lancés. Non-seulement ils excitaient les rires
«les spectateurs , mais ils portaient coup et clouaient sur la
sellette les adversaires contre lesquels ils étaient dirigés; tan-
dis que la camaraderie de M. Scribe ne clouera personne et
demeurera sans influence ni résultat. Je me trompe, elleaura
pour résultat de procurer d'excellentes recettes à son auteur,
dont le nom est déjà depuis long-temps en possession de la
laveur publique. Tout autre qui l'eût faite n'aurait obtenu
■ans doute aucun succès, mais pour lui les rires etles applau-
dissemens des spectateurs sont toujours prêts avant même
HISTOIRE. 67
que la toile soit levée. H y a de l'engouement dans cette ad-
miration peu raisonnée ; il faut avouer cependant que les
charmans et nombreux vaudevilles de M. Scribe expliquent
et justifient quelque peu ce privilège. Le public français ne
compte jamais avec ceux qui savent l'amuser. Or, il suffit de
peu de chose pour le faire rire, et cette facile indulgence de-
vient un écueil contre lequel avortent bien des talens, qu'une
critique plus sévère et plus éclairée aurait pu développer et
faire grandir.
OEUVRES de MOLIÈRE, avec les notes de tous les commentateurs;
2me édition publiée par M. L. Aimé-Martin. — Paris, Lefèvre. 1837.
Tomes III et IV. 2 vol. in-8.
Le Numéro de janvier du Bulletin littéraire a déjà parlé de
cette belle édition de Molière, mais j'y reviens avec un nou-
veau plaisir; car on ne saurait trop vivement apprécier le
mérite d'un travail qui a pour but de nous rendre Molière
tout entier avec les intentions comiques de chaque scène , de
chaque parole , et avec les allusions de l'époque qui ajoutaient
encore à l'effet, et qui donnent seules la clé d'une foule de
traits incompréhensibles aujourd'hui sans commentaire. Il
est d'autant plus utile d'appuyer là-dessus, que beaucoup de
gens rejettent les commentaires avec dédain ou indifférence,
et n'attachent aucun prix à des recherches intéressantes ce-
pendant par elles-mêmes aussi bien que par les résultats
qu'elles produisent. Il est vrai qu'on a souvent abusé du titre
de commentateur. Bien des écrivains ont prétendu se faire une
renommée de littérateurs érudits en glosant à tort et à tra-
vers sur les moindres phrases d'un auteur du grand siècle, en
épiloguant à tout propos , et en dissertant à perte de vue sur
quelques misérables subtilités grammaticales. Mais ce défaut ,
trop commun en effet, est justement la raison qui doit faire
accueillir avec empressement le Molière de M . Aimé-Martin
qui, dans les notes de tous les commentateurs, a choisi avec
tact et avec goût celles qui méritaient d'être conservées, et les
a complétées par un travail rédigé dans le véritable esprit qui
doit présider à de semblables recherches. M. Aimé-Martin a
fort bien compris que le meilleur commentaire d'un livre est
l'histoire de son auteur et le tableau de l'époque qui l'a vu
paraître. C'est donc à ces deux sources qu'il a été puiser, cher
chant dans la vie privée de Molière ainsi que dans les mœurs
du xvnme siècle la solution de tout ce que ses comédies pou-
vaient offrir de problématique, l'explication de tous les
68 LIT! KR Ail* F. ,
passades difficiles à comprendre , et plus d'une lois la clé de
maints traits de génie que Molière avait l'art d'emprunter à la
nature pour les transporter sur la scène.
C'est ainsi que dans le Mysanthrope , le commentateur
retrouve les caractères des principaux sujets de la troupe de
Molière, celui de l'auteur lui-même , et maints incidehs de
leurs relations réciproques dont le souvenir s'est conservé.
(Test ainsi que dans lesFàcheux, il nous montre les seigneurs
de la cour venant eux-mêmes fournir des modèles à Molière,
et tenant, en quelque sorte, à honneur d'être joués par lui,
sans doute pour plaire au maître ; il cite, à ce sujet, des faits
curieux qui ajoutent un chapitre de plus à l'histoire des cour-
tisans du grand Roi. Dans le Tartufe, c'est l'époque tout en-
tière qui est mise en scène, c'est le vice le plus généralement
répandu alors qui fournit le sujet; c'est l'hypocrisie, la fausse
dévotion, l'abominable morale des Jésuites que l'auteur at-
taque hardiment, démasque devant le public, et livre à la ri-
sée et au mépris delà foule. Quand on se reporte au temps où
Molière vivait, on est vivement frappé de sa courageuse au-'
dace ; car, aujourd'hui même que l'on ose tant de choses, quel
écrivain serait assez hardi, quel directeur de théâtre assez in-
dépendant, pour arracher le masque aux tartufes du jour?
Et quand, au milieu de notre siècle corrompu, deux hommes
se rencontreraient dans une pareille intention, leurs géné-
reux efforts ne viendraient-ils pas se briser devant les impi-
toyables ciseaux de la censure? Molière prenait ses modèles
autour de lui, dans la haute société, à la cour même. Si quel-
que vice ou quelque ridicule le frappait, aussitôt il s'emparait
du personnage, quel qu'il fût, qui lui offrait ce type, et le tra-
duisait sur la scène sans crainte ni hésitation. Dans Tartufe,
on reconnaît une foule de traits puisés dans la vie de hauts
et puissans seigneurs.
L'hypocrisie était alors de mode, et, dans les grandes fa-
milles surtout, elle consommait la ruine de ses victimes au
point de les réduire, commeOrgon, à tout attendre de la bonté
du roi. En attaquant avec tant de vigueur les faux dévots,
Molière s'exposait donc à de violentes persécutions. Mais,
avec une adresse et un art parfait, il s'assurait en même temps
une haute protection par les éloges justes et vrais qu'il sait
faire du roi; par l'habileté avec laquelle il enchâsse dans
le dialogue plusieurs mots spirituels attribués à Louis XIV;
enfin par l'admirahle rôle qu'il lui réserve dans son dé-
nouement, en proclamant qu'à lui seul appartient le droit
de condamner et de punir les hypocrites qu'il, sait mieux
que personne deviner et démasquer. Molière sentait qu'il
avait absolument besoin de l'appui du roi , et c'est par
histoire. f»i>
!a flatterie la plus délicate et en même temps la plus con-
forme à la vérité qu'il s'assure cette protection, indispensable
au succès de sa pièce. M. Aimé-Martin signale dans ses no-
ies tous les traits de cette haute satire contre les mœurs de
l'époque, et il exprime la plus vive admiration pour les in-
nombrables beautés qu'elle renferme. « Oui, une noble pen-
» sée , s'écrie-t-il en terminant, une pensée sublime in-
» spira le dessein du Tartufe. Mais comment Molière va-t-il
» tenter une aussi vaste entreprise? comment fera-t-il res-
» sortir d'une peinture enjouée et comique, une leçon si im-
» portante et si grave? C'est ici surtout qu'il faut admirer les
» ressources du génie. Chacun de ses principaux personnages
» représentera une classe de la société. C'est le monde qu'il
•> met en scène ; il le partage en hypocrites , en crédules et
» en honnêtes gens. La douce piété de Cléante est le flambeau
» qui doit nous guider dans la route de la vertu. La faiblesse
» d'Orgon a sou tvpedans la multitude; mais cette multitude
» se laisse toujours dominer par les charlatans et les fripons,
» et c'est au milieu de ces derniers que l'auteur ira chercher
» le Tartufe. Autour de ces trois personnages se groupent les
» ligures secondaires; elles sont la. pour animer les passions,
» et pour en faire jaillir le comique : ainsi l'insolence de Do-
» rine déconcerte l'hypocrite, et met en scène la timidité de
» Marianne et la faiblesse d'Orgon; ainsi le caractère inconsi-
» xléré de Damis contraste avec la prévovante douceur d'El-
» mire, et la coquetterie de celle-ci avec la parfaite innocence
»> de Marianne : enfin les chastes amours de Valère font mieux
» ressortir les désirs effrontés de Tartufe. Au milieu du choc
» de tant de passions, un homme seul se montre animé de l'a-
» mour pur de la vertu. L'auteur place habilement Cléante
» entre l'impiété d'un fourbe qu'il ne peut confondre, et la
» crédulité d'un homme faible qu'il ne peut éclairer; mais
» il ne l'oppose à personne dans l'action : son but n'était pas
» d'en tirer des contrastes , mais de nous présenter un modèle.
» Il est remarquable que l'éloge du roi prononcé par
» l'exempt est comme le résumé de la sagesse de Cléante :
» ainsi Molière prête quelque chose de divin à cette sagesse,
» qui paraîtrait impuissante, si, en la rendant propre au cœur
» du prince, il ne la faisait éclater dans sa justice et sa clé-
» mence.
» Il est remarquable aussi que Molière loue la sagesse du
» roi pour se couvrir de sa protection; car son but n'était pas
» seulement de rendre hommage à cette sagesse, mais de
» montrer aux hypocrites un ennemi qu'ils fussent obligés de
» respecter.
» Si donc le but de la comédie est d'instruite en divertis-
70 LITTÉRATURE,
» sant, si elle doit corriger les vices par le ridicule, peindre
»les mœurs, développer les caractères, toucher les cœurs,
» éclairer les esprits, rien ne manque à ta gloire, ô Molière !
» non -seulement tu as rempli toutes les conditions de ton
» ait, mais tu as agrandi son empire, en faisant de Tartufe
» la leçon des peuples et des rois. »
A côté de ce sublime chef-d'œuvre, on retrouve des traces
du génie de Molière jusque dans les farces de Pourceaugnac et
du Bourgeois-Gentilhomme. Après avoir frappé sur les tra-
vers de la Cour, c'est aux ridicules de la bourgeoisie et de la
finance qu'il s'adresse puis il attaque le corps médical et son
pédantesque charlatanisme ; il poursuit les précieuses et les
savantes, et finit par exercer ainsi une véritable influence sur
les mœurs de son siècle dont il devient le réformateur. Le
premier, et le seul peut-être, il a su donner à la comédie ce
haut et noble caractère qu'il est si difficile de ne pas laisser
dégénérer en licence ou en personnalités dangereuses. Aussi
sa gloire, loin de diminuer, va-t-elle toujours croissant. Plus
on l'étudié, mieux on le comprend, et plus on l'admire. Un
travail tel que celui de M. Aimé -Martin jette un nouvel
éclat sur cette grande renommée; et, séduit par l'attrait de
ces notes si judicieuses et si intéressantes, on se sent en-
traîné à relire, avec un plaisir plus vif que jamais, ces admi-
rables pièces de théâtre qu'on a déjà lues et relues vingt fois.
liE chaxsox de rolaxd ou de Roncevaux , du XU° siècle, publiée
pour la première fois d'après le manuscrit de la bibliothèque Bod-
léienne à Oxford, par Francisque Michel. — Paris, 1837. 1 vol. in-8,
papier vélin, 30 fr.
Ce volume, imprimé avec un* très-grand luxe et tiré seule-
ment à 200 exemplaires, renferme le roman de Roncevaux,
ouvrage qui était très- répandu au moyen âge et y jouissait
d'une grande renommée. Le sujet du poème est la défaite de
l'arrière-garde de Charlemagne, dans les Pyrénées, en 778,
alors qu'il revenait de l'Espagne qu'il avait conquise. Depuis
long-temps, on attendait cette publication , déjà annoncée
plusieurs fois. M. de Musset en avait promis une édition, qui
n'a jamais paru. M. Bourdillon s'en occupait, disait-on, égale-
ment; maïs M. Francisque Michel a eu le bonheur de pou-
voir, le premier, reproduire en son entier ce vieux monument
de notre antique littérature. Il a' enrichi son édition d'une
description des manuscrits où se trouve la Chanson de Ro-
land, d'observations sur le texte, d'un glossaire el d'un in-
dex; enfin, d'appendices nombreux offrant «les extraits et des
IUST01R-E.
analyses fie tous les poèmes des diverses littératures étran-
gères qui ont rapport à la bataille de Roncevaux.
AKT POÉTIQUE d' Horace , traduit vers pour vers par 3Joltei.au/, de
1'Iustitut, etc. I vol. in-18.
Le mérite d'une traduction gît surtout dans sa fidélité, à
condition toutefois que celle-ci se trouve autant que possible
unie à l'élégance du style et surtout ne violente jamais le
génie de la langue; car l'exemple de M . de Chateaubriand nous
montre dans quelles tristes aberrations peut entraîner le sys-
«ème de la traduction littérale ou mot- à- mot. Mais la fidé-
lité ne consiste pas à se traîner, en esclave, à la suite de chaque
mot d'un auteur; ce sont ses pensées surtout qu'il faut ren-
dre, sans les fausser ni les tordre, et sans les noyer dans de
misérables périphrases. Pour bien traduire un poème vers
pour vers, il faut, ainsi que le dit très-justement M. Molle-
vaut, « embrasser, en maître, son ensemble et ses parties,
connaître à fond la langue et le mérite de l'original, et tout
ce que peut lui offrir, en compensation, le génie de la muse
française qui s'attache aux grandes pensées, aux formes har-
dies, aux coupes heureuses, aux brillantes images, à l'har-
monie imitative , aux expressions enflammées, omet sans
crainte un détail oiseux, et le remplace, s'il est possible, par
un trait de génie sans compter servilement jusqu'au dernier
mot, ouvrage d'une critique fausse ou ignorante. »
La tache du traducteur ainsi tracée n'est pas facile à ac-
complir. Il faut avoir assez d'inspiration pour comprendre
entièrement celle de l'original, et cependant demeurer tou-
jours maître de ses émotions, de ses élans; car on a un sentier
à suivre et non à chercher, on doit rendre des pensées déjà
exprimées, et non eu exprimer de nouvelles. L'imagination
du poète, alliée pour ainsi dire à l'exactitude du copiste, con-
stitue un talent assez rare cpie M. Mollevaut paraît posséder à
un haut degré. Le succès avec lequel il est parvenu à tra-
duire de cette manière l'art poétique d'Horace, le place cer-
tainement au premier rang ; car la concision de la langue la
tine, sa syntaxe complaisante qui lui permet de se jouer des
mots et de les ranger en quelque sorte à son gré dans l'ordre
qui convient le mieux au poète , enfin sa prosodie large et
harmonieuse qui n'est pas entravée par les liens de la rime,
étaient autant d'obstacles qui rendaient la tâche encore plus
difficile. M. Mollevaut a vaincu tous ces obstacles avec plus
ou moins de bonheur, il a forcé la langue française» à se plier
à ces formes si différentes des siennes, et si quelquefois il n'a
72 / LITTERATURE,
pu éviter des phrases un peu étranges, en général l'harmonie
et l'élégance régnent dans sa traduction qui demande seule-
ment à être lue avec intelligence, de manière à éclaircir, par
les inflexions de la voix, ce que peut présenter d'insolite ou
d'obscur le laconisme que le poète a été obligé d'admettre.
Quelques citations viendront à l'appui de cet éloge.
Maxima pars vatum, patcr, et juvenes pâtre digni,
Decipimur specie recti. Brevis esse laboro,
Obscurus fio : seclantem levia, nervi
Deficiunt animique : professus grandia turget :
Serpil huini, tutus niniium timidusque procellae.
Qui variare cupit rem prodigaliter unain,
Delphinum sylvis appingit, fluclibus aprum :
In vitium ducit culpae fuga, si caret arte.
Souvent l'amour du beau nous entraîne au naufrage :
Pour être court je sue, et mon vers n'est qu'obscur :
Je perds les nerfs et l'âme à force d'être pur;
Mon style, pour grandir, et s'enfle et se répète;
Je rampe sur le sol, si je crains la tempête,
Et mets, pour varier mon poème aux abois,
Un sanglier dans l'onde, un dauphin dans les bois:
Sans l'art, lu fuis la faute, et tombes dans le vice.
Ce fragment offre dans ces huit vers un spécimen assez
complet de l'art avec lequel le traducteur a su lutter avec
l'original, soit en laissant de côté les détails inutiles, et en pro-
fitant de la place que cela lui donnait pour exprimer la pen-
sée de l'auteur avec les développemens indispensables, soit
en le suivant pas à pas toutes les fois que cela se pouvait sans
nuire à l'harmonie. On y trouve également, dans le dernier
vers, un exemple des difficultés que présente un pareil tra-
vail. Pour bien rendre le latin, il eût fallu dire : Sans l'art,
tu fuis la faute pour tomber dans un vice , ou plutôt, faute
d'art, la fuite de la faute conduit dans le vice.
Mais de semblables minuties méritent à peine d'être rele-
vées par la critique la plus sévère, et on les oublie volontiers
en lisant des morceaux tels que les suivans :
L'enfant. qui déjà parle, et court d'un pied certain,
Joue, avec ses égaux, pour un rien rit et pleure,
Enfle, abaisse son ire, et change comme l'heure.
Le jeune homme, enfin libre, aime, en ses vifs ébats, '
La meute, les coursiers et le bruit des combats; .
Prodigue, Apre aux conseils, de cire pour le vice,
Lent appréciateur de l'utile service.
HISTOIRE. 73
Il désire, et soudain rejette son désir.
L'âge et le cœur virils, songeant moins au plaisir.
Cherchent l'or, les amis, aux honneurs sacrifient ;
Dans la peur du remords, des fautes se méfient.
Le vieillard, en ses maux ne peut se réjouir;
11 désire, il possède, et tremble de jouir;
Glacé, lent et timide en tout ce qu'il opère,
Il craint pour l'avenir, et toujours il espère;
Difficile et grondeur, il vante 1 âge ancien,
Blâme l'âge nouveau, car il n'est plus le sien.
Ce tableau des divers âges de l'homme est plein de charme,
et, quoique traduit exactement vers pour vers, on n'y sent
point la gêne, il est certainement plus fiançais que maintes
poésies modernes qui ne sont cependant pas traduites du la-
tin. J'en dirai autant de celui-ci :
Du style et de l'esprit le Grec a la puissance :
Avide de la gloire, avant tout il l'encense.
Dans Rome la jeunesse apprend de toutes parts.— -
Quoi donc ? — à diviser un as jusqu'en cent parts. —
« Qui de cinq enlève un, que restera-t-il ? — Quatre. —
» Très-bien! Tes intérêts tu les sauras débattre. —
» Un et cinq combien? — Six. — Quel ûlrc intelligent ! »
O rouille de leur âme! ô soin de leur argent !
L'huile de cèdre unie au cyprès qui conserve
Ne gardera jamais l'ouvrage de leur verve.
Voilà des vers où la pensée n'est pas enfouie sous une
foule d'images pompeuses, de mots inutiles, de phrases tour-
mentées. Nos jeunes poètes ne feraient pas mal, je crois,
d'étudier un peu plus leur Horace. Ils y trouveraient, si ce
n'est le secret d'en faire de pareils, du moins des conseils ex-
cellens à suivre.
Au courtisan qu'il veut ne pas juger en vain ,
Un roi donne, avec art, la torture du vin :
Toi, si tu fais des vers, si tu les veux sans tache,
Grains la peau du renard qui sur l'ami s'attache.
Si de Quintilius on consultait le goût :
« Ce vers, cet autre vers, corrigez les, surtout.
— Trois fois je lai tenté, j'ai rayé sous ma plume.
— Pas assez! remettez ces lourds vers sur renclume. »
Voulait-on se défendre, et ne point corriger,
Lui, sans, par de vains mots, en maître s'ériger,
Vous laissait, se coulant le long du péristyle,
Admirer, sans rival, et vous et votre style.
74 LlTTÉttATUHJi,
l,A PIEKKE l>E TOUCHE, par M11' S. Ulliac-Trémadeure. 1 vol.
in-12, 6 fr.
LA PIERRE DE touche, par l'auteur de Valida. 1 vol. in-8, 15 fr.
Le Bulletin littéraire a déjà dit quelques mots au sujet du
conflit qui s'est élevé entre ces deux pierres de touche, mais
un procès devant décider la question de contrefaçon, il n'a pas
jugé devoir anticiper sur le jugement. Aujourd'hui le tribu-
nal a prononcé et a déclaré qu'il n'y avait pas contrefaçon,
puisqu'il n'existait pas le moindre rapport entre ces deux li-
vres qu'on ne pourrait jamais confondre l'un avec l'autre.
Sans nous arrêter à considérer si c'était bien là en effet la
question qu'il y avait à résoudre, nous nous inclinons devant
l'arrêt et nous l'appuyons de toute notre force. En effet, il
n'existe pas le plus léger point de ressemblance entre les deux
Pierres de Touche. La première, celle de mademoiselle Ulliac-
Trémadeure, est un excellent livre de morale ; l'autre, celle de
l'auteur de Valida, est un détestable roman profondément
immoral. Dans la première, la pierre de touche est la con-
science, et ce guide précieux conduit au bonheur un jeune
homme plein de persévérance et de courage, qu'il soutient et
protège au milieu des écueils de la vie; c'est un modèle à of-
frir à la jeunesse, qui ne pourra y puiser que les plus beaux et
les plus nobles principes, et en même temps, c'est une compo-
sition pleine d'intérêt qui se distingue par une simplicité et
une pureté de style rares aujourd'hui.
Dans la seconde, la pierre de touche c'est l'argent ; et l'é-
trange société dans laquelle nous introduit l'auteur, offre un
hideux mélange des vices les plus bas, des passions les plus
honteuses. Dès le premier chapitre, nous trouvons le héros
couché au bord d'un fossé , sur une grande route. C'est un
misérable jeune homme obligé de se cacher, parce qu'après
avoir déshonoré de la manière la plus infâme une jeune fille,
il a tué son père qui lui en demandait raison. Ce vagabond
inconnu est accueilli à bras ouverts par une jeune dame no-
ble, qui s'est éprise de lui en le voyant couché sur le bord de
la route, dans sa blouse de charretier. Elle l'héberge dans
son château, lui donne des vêtemens, et dès la première en-
, trevue avec lui laisse voir qu'elle l'adore déjà. Comme il parle
de s'en aller, et fait sonner bien haut ses sentimens d'honneur
et de délicatesse, la duchesse lui demande une preuve de dé-
vouement, et comme il s'écrie : « Mettez-moi à l'épreuve, vous
» verrez si je sais comprendre, si je sais agir? »
« Louisiane, épouvantée du feu qui animait les regards et
HISTOIRE. 7$
les paroies de son hôte, et, croyant à son tour pouvoir sur-
prendre son secret par une question étourdissante, lui dit du
plus grand naturel :
« Avez-vous déjà assassiné quelqu'un ?
» L'inconnu se troubla et rougit.
» Non...., pas — précisément, » répondit-il, en hésitant
un peu. » Mais il n'est pas à cela près, et, plus tard, lorsqu'il
apprend que la duchesse est mariée, il lui propose tout sim-
plement de tuer ce mari pour ùter tout obstacle à leur union.
La duchesse n'accepte pas, mais elle ne refuse pas non plus pré-
cisément, et elle abandonne bientôt la maison conjugale pour
suivre son amant, auquel il faut qu'elle prodigue l'or pour
contenter son avidité. Alors arrivent des idées de repentir; la
duchesse s'enferme dans un couvent, se livre à la dévotion,
sans cependant renoncer pour cela aux joies de ce monde ;
car elle sait très-bien arranger des rendez-vous avec son Amé-
dée et allier l'amour avec le cloître. Cependant des circon-
stances d'argent la rapprochent de son mari, elle renonce enfin
à l'amant qui depuis long-temps ne songeait plus à elle, et ou-
blie dans le tourbillon du grand monde l'homme à la blouse
du fossé de la grande route.
Mais un jour elle se rend avec une amie à Bicètre pour as-
sister au départ de la chaîne, digne récréation de grande
daine, en vérité! et, au milieu des forçats qu'on'ferre et qu'on
enchaîne, elle reconnaît Amédée. Scène pathétique, touchante
reconnaissance ! émotion sublime ! Son amour renaît aussitôt
dans toute sa force, elle dit adieu à Paris, à ses salons, à son
luxe. Elle part pour. Brest, elle réussit à faire évader son
amant, et s'embarque avec lui pour l'Amérique, où elle pos-
sède une terre que son oncle lui a laissée en mourant. Amé-
dée convoite déjà la possession de cette terre, il presse la du-
chesse de l'épouser comme elle le lui a promis. Mais un autre
obstacle survient, l'oncle a laissé un fruit de ses amours avec
une négresse; c'est une jeune mulâtresse qui remet à la du-
chesse une lettre de l'oncle par laquelle il demande à sa nièce
d'assurer à sa fille, après en avoir joui sa vie durant, la pro-
priété de sa terre. Amédée furieux de ce contre-temps trouve
bientôt le moyen de tout arranger, il séduit la mulâtresse et
empoisonne la duchesse.
Ainsi finit cette monstrueuse production, ce dévergondage
d'immoralité où sont entassés à plaisir tous les crimes les plus
atroces et dont le style sautillant et léger contraste avec la
noirceur des actes, avec la perversité des personnages. Ce livre
est écrit comme un feuilleton, et plusieurs passages nous ont
rappelé ce fameux Chemin de Traverse dont l'apparition fut si-
gnalée, l'an dernier, par le journal des Débats, comme un
76 LITTÉRATURE,
événement littéraire de la plus haute importance, et dont nul
ne parle aujourd'hui, tant sont passagères les gloires mondai-
nes, les célébrités de la camaraderie, les splendeurs du char-
latanisme !
Il est donc bien certain que, sous aucun rapport quelcon-
que, on ne saurait confondre ensemble les deux Pierre-de-
Touche. Ainsi qu'on le voit, tout diffère entre elles : but,
moyens , principes , style, tout est diamétralement opposé.
L'une est faite pour épurer l'âme , anoblir l'esprit , réchauffer
le cœur. L'autre ne nous fait voir que les impuretés de la
corruption, les turpitudes de la débauche, les extravagances
d'une imagination sans frein. C'est donc avec raison que le
tribunal a déclaré qu'on ne pouvait absolument pas prendre
la Pierre de Touche de l'auteur de Valida, pour une contre-
façon de la Pierre de Touche de mademoiselle Uiliac-Tréma-
deure. Quant à la question de l'identité du titre, elle a été
d'autres fois jugée différemment ; ainsi un tribunal défendit à
M. de Montémont de prendre pour sa traduction de Walter-
Scott les titres que M.Defauconpret avait donnés à plusieurs
des romans de cet auteur. On comprend alors que, indépen-
damment de l'intérêt qu'elle avait à n'être pas confondue avec
l'auteur de Valida, mademoiselle Ulliac-Trémadeure a pu se
croire fondée à poursuivre. Malheureusement, pour elle, il
paraît cpi'il existait déjà d'anciens ouvrages portant ce même
titre ; ouvrages d'un genre fort différent sans doute du sien,
mais qui ne sauraient, je crois, en différer davantage que cette
histoire d'un quasi -assassin et d'une femme impudique qui
forme le sujet du roman nouveau.
Épisodes VEXDÉENS, par A.-C. O (de la Loire-Inférieure). —
Paris, chez Schwartz et Gagnot. 1837. 1 vol. Ln-8, 6 fr.
Ce volume, inspiré par les souvenirs de la guerre civile,
renferme diverses scènes de l'intérêt le plus vif. La lutte que
soutint la Vendée contre les armées républicaines fut ri-
che en incidens héroïques, en aventures romanesques, en
dévouemens sublimes. Dans les deux camps, les circonstan-
ces iirent surgir de grands caractères, et les romanciers peu-
vent y trouver une mine féconde à exploiter. Malheureu-
sement la plupart de ceux qui jusqu'à présent ont été y
chercher les sujets de leurs compositions, étaient trop pré-
occupés par des préjugés et des passions politiques pour eu
tirer tout le parti possible. Rien n'est plus Contraire à fin-
HISTOIRE. 77
spiration , à toute œuvre d'imagination ou de poésie. L'au-
teur des Episodes Vendéens a complètement échappé à un
semblable reproche. Son ouvrage est tout littéraire; l'histoire
et la politique n'y jouent qu'un rôle secondaire, ou du moins,
si elles y forment le nœud de l'intrigue, elles n'en absorbent
pas tous les développemens, et nulle part l'on ne rencontre
cette injuste partialité qui , oubliant que tous les hommes
sont également sujets à se laisser dominer par les passions,
prétend mettre toutes les vertus d'un côté et tous les vices
de l'autre. Ces épisodes se refusent à l'analyse, car ils sont
détachés les uns des autres; et leur principal mérite réside
soit dans la vérité des tableaux, soit dans maintes situations
dramatiques qui ne peuvent être séparées de la narration.
Le style est simple, sans emphase ni affectation. L'auteur
a très-bien senti qu'avec des élémens tels que ceux qu'il
employait, toute déclamation ne servirait qu'à atténuer l'ef-
fet et diminuer l'intérêt. On ne saurait que l'encourager dans
cette voie où il débute avec bonheur. Au milieu de la foule
de romans insipides , qui se succèdent sans relâche et ali-
mentent à la fois les cabinets de lecture et les boutiques
d'épiciers , on est heureux de rencontrer quelqu'un de ces
rares volumes qui surnagent et méritent d'être distingués.
On se sent alors porté à les juger avec indulgence, parce
qu'ils ont le mérite de demeurer vrais et naturels; et c'est
avec plaisir que la critique, sans les soumettre trop sévère-
ment à son creuset , les signale au bon goût des lecteurs dé-
goûtés de tant d'inepties et d'extravagances, quon leur vante
effrontément en criant au chef-d'œuvre.
le poxtificat DE GRÉGOIRE vu (XIe siècle), roman épique, par
V. Philippon de la Madelaine. 2 vol. in-8, 15 fr. — PITIÉ POl'R
ELLE, par Couailhac. 2 vol. in-8, 15 fr. — PCBLIC.VTIOXS BIT
FIGARO : Un Homme à marier, par Paul de Kock. In-8, 2 fr. 50 c.
Un Ménage à bord, histoire conjugale du capitaine Lenoir, par
M. Pitre-Chevalier. — Paris, 1837. In-8, 2 fr. 50 c.
Le Pontificat de Grégoire VII est un roman tout-à-fait
chevaleresque, où les moines, les chevaliers, les ménestrels
remplissent la scène et jouent les principaux rôles. Les intri-
gues et les agitations qui précédèrent et suivirent l'élection du
Souverain Pontife, forment le sujet de l'action qui est fort
animée, je dirai même embrouillée; car les incidens y abon-
dent, s'y croisent en tous sens, de telle façon qu'on perd
souvent de vue la marche des événemens et le but de l'au-
78 LITTERATURE,
teur. Il a voulu peindre l'époque ; et le désordre de ces temps
d'anarchie féodale, de querelles intestines, de guerres san-
glantes et impies se reflète peut-être assez bien dans cps pages
où l'empereur Henry d'Allemagne et le moine Hildebrand ,
plus tard Grégoire VII , luttent ensemble avec acharnement,
se disputant la domination de la vieille Rome , qui finit par
échapper à l'Empire pour devenir le siège temporel de la
puissance des Papes. Mais j'avoue que ie style pompeux
adopté par l'auteur, me paraît fort peu propre à exciter et
soutenir l'intérêt. J'aimerais beaucoup mieux que ce roman
fût moins épique. Cette forme poétique, adaptée à la prose,
ressemble trop à de la prétention , et M. Philipon de la
Madelaine , qui paraît apprécier dignement le talent de Wal-
ter-Scott , quoiqu'il ait la singulière fantaisie de placer
Mme Cottin à côté du grand romancier 'écossais , M. Phi-
lipon, dis-je, aurait dû étudier le style toujours simple,
toujours yrai , toujours naturel du maître. Il aurait dû sur-
tout renoncer à ces allégories , que l'auteur se voit obligé
d'expliquer dans sa préface et d'expliquer encore dans ses
notes , parce que sans cela personne n'y comprendrait rien.
Ainsi l'on trouve dans son livre , un certain grand vilain
serpent qui y occupe beaucoup trop de place et représente,
dit-il, la religion d'Odin. Ce sont là de ces emblèmes sym-
boliques qui sont tout-à-fait déplacés dans un roman. L'his-
toire du serpent monstrueux peut exister dans les vieilles
chroniques, mais c'est comme fable superstitieuse et non
comme allégorie.
— M. Couailhac paraît avoir du goût pour les titres bi-
zarres. Il sait sans doute que l'enseigne attire les chalands,
et il cherche à frapper par l'originalité de celles qu'il inscrit
sur sa boutique littéraire. Son premier roman était intitulé :
Avant l'Orgie, celui-ci c'est : Pitié pour Elle. Quelque malin cri-
tique pourrait bien s'écrier : Pitié pour lui ! car si l'héroïne
du roman, pauvre femme victime de l'inconstance d'un mari
léger qui l'abandonne et la livre en quelque sorte à un séduc-
teur, mérite la pitié, il faut avouer que le roman lui-même
n'est pas moins pitoyable sous plus d'un rapport. Ce sont de
ces petites intrigues, de ces commérages, de ces roueries de
grand monde qu'on a déjà rencontrées dans maints autres vo-
lumes de cette espèce. Le style vaut mieux que l'action, il est
coulant et facile. J'ajouterai qu'à la fin de ce roman l'auteur
a fait, en quelques pages, une assez bonne satire contre la
corruption des mœurs en France. Son séducteur voyage dans
diverses contrées de l'Europe, comptant triompher partout
comme à Paris ; mais, 6 désappointement cruel ! il ne trouve
partout que refus, que mépris, que tristes mésaventures.
HISTOIRE. 7!)
A la suite de Pitié pour Elle, sont deux autres courtes nou-
velles, dont l'une roule sur la conspiration qui éclata et fut
aussitôt réprimée en Russie après la mort d'Alexandre.
— Figaro s'est établi fabricant de romans. Les pointes, les
lazzis, les calemhourgs, qui faisaient jadis sa fortune, ont
déserté totalement de chez lui ; et , peur se consoler de cette
perte, il s'est mis à débiter des romans en détail et en gros.
Pauvre Figaro ! qu'est devenu ton esprit ? Chaque jour ses
colonnes offrent au lecteur une scène, un chapitre de roman;
et quand un ouvrage est complet on le réunit en un volume
qui se vend à un prix fort modique. Mais quels romans que
ceux ainsi fabriqués au jour le jour! On dit, il est vrai, que
la célèbre Clarisse Harlow parut de cette manière et tint en
haleine toute l'Angleterre pendant une année. Mais il n'est
pas certain d'abord que Richardson n'eût pas fait d'avance
sou roman tout entier, puis une correspondance souffre bien
mieux ce mode de publication, et enfin les Richardson ne
sont pas communs. Aussi les premiers volumes que Figaro
nous donne sont-ils, sous tous les rapports, de médiocres
compositions, bonnes tout au plus pour figurer dans les
feuilletons d'un petit journal. L' Homme à marier, de Paul
de Rock, est un épisode qui, renfermé dans les étroites limi-
tes d'une scène de 5 ou 6 pages, aurait pu être fort plaisant,
parce que l'auteur excelle à peindre les ridicules et les tra-
vers de la bourgeoisie parisienne ; mais délayé dans un vo-
lume, il perd tout son prix et n'est plus que trivial sans
gaîté. Un Ménage à bord vaut encore moins peut-être, quoi-
que l'auteur semble croire qu'il marche sur les traces de
Fénimore Cooper, dans la route du roman maritime. C'est
une plaisanterie dont les traits ne sont pas toujours d'un
goût bien pur ni d'un esprit bien fin. Le mérite le plus
réel de ces deux volumes est de se vendre à bon marché , en
comparaison au moins des autres romans du jour; car du
reste une semblable littérature est toujours trop chère.
les HÉBERARD, légende des Baronies, par A. liarginet. 2 vol. in-8.
15 fr. — LES PARASITES , roman de mœurs, par Jules Lacroix.
2 vol. in-8, 15 fr. — LES MÉANDRES , romans et nouvelles, par Léon
Gozlan. 2 vol in-8, 15 fr. — LE FILS DU BANQUEROUTIER , esquisse
de mœurs, par L. Àrthaud. 2 vol. in-8, 15 fr. — LA RUE AUX OURS,
par M,ne Mêlante Valdor. — Paris, 1837. In-8, 7 fr, 50 c.
Les romans, dont la publication s'était un peu ralentie
depuis quelque temps, ont tout-à-coup redoublé d'activité,
80 LITTÉRATURE ,
et nos écrivains paraissent vouloir être aussi féconds cette
année que la précédente. Quand on veut les passer tous en
revue , il ne faut pas s'amuser en route, car on n'en vien-
drait jamais à bout. Mais heureusement la plupart ne valent
pas la peine d'être analysés , et les auteurs ne se mettant
guère en frais d'imagination , soit pour trouver quelque
sujet nouveau, soit pour varier les moyens d'intrigue, qui en
a lu deux ou trois, les connaît tous; un coup-d'ceil suffit
pour reconnaître à quelle espèce ils appartiennent.
— Les Héberard sont du genre historique ainsi que le titre
l'indique. C'est dans le xvue siècle que l'auteur a été pui-
ser ses personnages et son sujet. Il montre une imagination
féconde en moyens d'intrigues, en incidens de toute sorte ,
capables d'exciter la curiosité du lecteur. Mais la marche de
l'action est souvent entravée , et l'intérêt languit parfois au
milieu d'un luxe de détails fatigans. Les descriptions et les
dialogues abondent; c'est le faible de tous les écrivains qui
essayent de suivre la route tracée par Walter-Scott. Mal-
heureusement cette richesse, si belle dans les œuvres du
romancier écossais , devient souvent un défaut chez ses imi-
tateurs, qui ne savent pas garder une juste mesure, et tom-
bent trop facilement clans les longueurs et les minuties. Ils
dressent en quelque sorte l'inventaire de chaque lieu où ils
placent une scène de. leur 'roman , tandis que Walter-Scott
décrit à grands traits l'ensemble des tableaux. Us font dis- •
courir leurs personnages, tandis que Walter-Scott laisse par-
ler les siens.
— Les Parasites de M. Jules Lacroix appartiennent au
genre forcé et faux que cet écrivain cultive de préférence;
mais ils sont encore bien inférieurs à tous ses autres ouvrages.
C'est une dégoûtante histoire de tous les raftinemens de l'é-
goïsme porté au plus haut degré. Les parasites que l'auteur
met en scène sont des sangsues qui sucent jusqu'à la der-
nière goutte de sang de la victime qu'elles exploitent, et cela
avec une effronterie sans pareille. Il me semble que les tra-
vers et les vices de la société sont déjà assez révoltans, sans
qu'il soit nécessaire de les regarder avec des verres grossis-
sans, et c'est une triste manière d'amuser le public, que de
lui peindre de telles monstruosités.
— Quant aux Méandres, quelle que soit la renommée que
les journaux ont faite à M. Léon Gozlan, je n'hésite pas à dire
que c'est un vrai salmigondis, où l'on chercherait vainement
une pauvre petite étincelle de bon sens ou de talent. L'au-
teur paraît prendre le bavardage pour de l'esprit. Il est vrai
qu'il n'est pas le seul, et qu'on a vu plus d'une fois le public
s'y tromper de même. Mais M. Gozlan est moins pardonnable
HISTOIRE 81
qu'un autre, car il a montré qu'il pouvait faire mieux. La
plupart des iragmens qui remplissent ces deux volumes pa-
raissent avoir été écrits pour des feuilletons de journaux ;
ils roulent sur maints sujets divers, et la marine, entre autres,
v joue un rôle assez long, mais fort peu intéressant.
— Le Fils du Banqueroutier est une esquisse de mœurs dont
je ne me souviens pas d'avoir rien à dire. J'en demande par-
don à l'auteur, mais je ne sais comment cela se fait, j'ai iu
son livre, et rien ne m'a frappé, car il ne m'en est rien resté
du tout.
— Madame Mélanie Valdor, qui a fait un ou deux petits
ouvrages d'éducation assez remarquables, me parait se four-
vover complètement sur la route du roman. La Rue aux Ours
n'offre ni vraisemblance, ni intérêt, ni talent d'imagination.
C'est un sujet rebattu, qui n'est rajeuni ni par des incidrns
heureux, ni par de gracieux détails. Le style est simple, sans
prétention, mais c'est en vérité le seul mérite du livre. L'hé-
roïne est la fille d'un marchand de perles de la rue aux Ours,
riche négociant, mais qui vit avec la plus grande simplicité,
et élève sa Clotilde à l'ombre de son obscure boutique. Un cou-
sin, François, qui aide M. Duparc dans son commerce, est
destiné à devenir l'époux de Clotilde qu'il aime tendrement.
Mais un beau cavalier, qui vient à passer le long de la rue aux
Ours, dérange tous ces beaux projets. L'innocente et timide
Clotilde ne peut l'apercevoir sans en être éprise, et bientôtelle
se laisse enlever par lui, séduire et emmener dans les îles,
où il l'abandonne. Cependant le bon François devient furieux
de se voir ravir ainsi sa fiancée, et il jure une haine éternelle
à tous les aristocrates. Or il faut savoir que tout ceci se passait
à l'époque de la première révolution, et durant la période de
la Terreur François trouve à satisfaire largement son désir de
vengeance. Cependant, attendri par les supplications de Clo-
tilde qui est revenue en France, il sauve la vie de son rival,
à condition que celui-ci réparera ses torts en épousant Clotilde.
Et ils ne vécurent pas tous bien Leureux, vu que François
regretta toujours Clotilde, et que Clotilde finit par regretter
François.
Un autre conte, intitulé la Tour sans Venin, se trouve à la
suite de la Rue aux Ours; c'est l'histoire assez peu intéressante
d'un marquis émigré qui revient prendre possession de ses
terres, et qui se fait de mauvaises affaires avec ses pavsans.
Sa LITTÉRATURE,
i,A chine, par J.-F. Drwis, ancien président do ta "Compagnie des
Indes en Chine; trad. de l'anglais par A. Piciiard; revu et augmenté
d'un appendice par Bazin aine. — Paris, 1837. 2 vol. in-8, fig., 15 fr.
M. J.-F. Davis a tracé un tableau complet du céleste em-
pire, qu'un long séjour dans les établissemens de la Compa-
gnie des Indes lui a permis d'étudier d'une manière ap-
profondie. Il donne les détails les plus curieux et le* plus
circonstanciés sur les mœurs, les usages, le caractère du peu-
ple chinois. Son livre est plein d'intérêt; l'esprit observateur
s'y allie au savoir, et l'on y trouve la description la plus com-
plète de cette singulière nation, qui nous apparaît en quelque
sorte comme un reste fossile d'une civilisation antédiluvienne.
Il combat et détruit bien des fausses idées répandues sur la
Chine, et paraît faire avec assez de justice la part du bien et
du mal dans l'organisation civile de cette contrée.
L'appendice de M. Bazin contient plusieurs fragmens de
littérature chinoise de différens genres qui ne manquent pas
de mérite malgré leur étrange caractère.
CIXQ MOIS AUX ÉTATS-l'XIS DE L'AMÉRIQUE DU SOUD , depuis le
29 avril jusqu'au 23 septembre 183j; journal de voyage de M. Ra-
mon de la Sâgra ; trad. de l'espagnol par M. René Baissas. — Paris,
1837. In-8, fig., 7 fr. 50 e.
Ce volume renferme une foule de détails fort intéressans
sur la civilisation des Etats-Unis, sur les mœurs, l'industrie,
le caractère des habitans, sur les institutions de tout genre
qui y existent. M. Ramon de la Sagra mérite d'autant plus
de confiance, qu'il n'est pas allé en Amérique avec un système
arrêté d'avance , pour ou contre l'état de choses qui régit
Flnion. Il rapporte tout simplement les impressions diverses
qu'il a éprouvées en étudiant le pays, et, si on le voit se. dé-
clarer paitisan de la démocratie américaine, cela n'inspire ni
surprise ni défiance, car on le suit pas à pas à mesure qu'il
avance dans srs observations, et l'on comprend comment ii
r»st amené à admirer les beaux résultats qui se déroulent sous
ses veux, liien plus, on est entraîné, bon gré malgré, à parta-
ger son admiration, car on reconnaît que, tandis qu'on perdait
ers Europe un temps précieux à discuter sans connaissance de
cause ni d'effet, la valeur de la foi nie gouvernementale adop-
tée par les Américains, ceux-ci en ont développé librement
tous les heureux résultats, et y ont trouvé la solution d'une
HISTOIRE 83
foule de questions qui touchent aux plus chers intérêts des
nations, au bonheur du peuple et à son perfectionnement.
M. Ramon de la Sagra donne des renseigneinens nombreux
sur les prisons des Etats-Unis, sur le système pénitentiaire
qui y est en vigueur, sur les établissemens qui ont pour ob-
jet d'offrir un asile et du travail aux condamnés libérés. Il
parle avec beaucoup de détails des écoles destinées à répandre
l'instruction et ses bienfaits dans toutes les classes de la so •
ciété, il nous montre les citoyens américains travaillant sans
relâche à augmenter la prospérité du pays et à perfectionner
les institutions qui le régissent. Son livre offre un tableau
animé de la marche rapide de ce jeune peuple sur la route de
la civilisation. Il est fâcheux que la forme du journal ait été
adoptée par l'auteur, car c'est celle qui offre le moins d'in-
térêt à une lecture suivie. Le style de la traduction aurait
aussi demandé à être plus soigné. Il est souvent incorrect et
négligé.
HISTOIRE DE FRANCE, depuis la fin du règne de Louis XVI Jusqu'à
Tannée 182.">, précédée d'un discours préliminaire et (l'une intro-
duction historique sur la monarchie française et les causes <|ui ont
amené la dévolution ; par l'abbé de Montgaillard ; ouvrage faisant
suite aux histoires de France puhliées jusqu'à ce jour. 3"1U édition,
! j vol. grand in-18, 15 fr. — Paris, chezSchwartz etGagnot, libraires,
place Saint-Germain -l'Auxerrois, 20.
ANNALES françaises, ou complément de Pfiîstoir'é de Frajacc pu-
hliée, en 1827, sous le nom de l'abbé de Montgaillard; histoire en-
tièrement refondue, etc. par le comte Maurice Montgaillard. —
Paris, Delaunay. 1836. In-8.
Il est peu d'histoires de la révolution française qui offrent
un intérêt aussi piquant que celle-ci. M. Montgaillard ra-
conte les événemens et peint les hommes avec une verve spi-
rituelle et entraînante qui attache le lecteur, le captive et lui
fait en quelque sorte oublier ce que ses jugemens peuvent
avoir de trop passionné. Il y a certainement beaucoup de
causticité dans son esprit, et il ne faut pas lui demander la
froide impartialité de l'historien. C'est un témoin de la tour-
mente révolutionnaire qui raconte ce qu'il a vu, et semble
écrire sous l'influence de chacun des faits qu'il rapporte. L'é-
motion du moment guide sa plume; c'est jour par jour qu'il
inscrit les souvenirs de cette terrible époque, en sorte qu'on le
voit toujours sous l'impression des circonstances, et s> n livre
en reçoit une teinte dramatique très-prononcée. Comment,
pu effet, demeurer calme et impassible en présence des san-
gl ans trophées de la Terreur? Comment juger de sang-froid la
M LiTTfcttATlJRE,
lièvre chaude qui agitait et transportait tout un parti nom-
breux et redoutable? Plus on considère la Révolution, plus
on s'aperçoit combien il est encore difficile, et même impos-
sible, que nous en ayons une histoire tout-à-fait impartiale.
Les hommes qui en ont traversé toutes les phases ne peuvent
que nous offrir le reflet de ses agitations, de ses contrastes, de
ses grandeurs et de ses excès. Ils n'ont pu y jouer un rôle sans
en partager plus ou moins les passions; et le tableau qu'ils
nous en donneront sera toujours vivement coloré. Mais je ne
saurais dire que cela soit un mal ; en faisant la part de l'esprit
de parti, il restera toujours dans leur œuvre cependant quel-
que chose de vrai, et l'on v puisera sans doute une connais-
sance plus approfondie de ces temps si curieux à étudier.
M. de Mon tga illaid se pose en quelque sorte comme le
critique des hommes et des choses pendant la période révo-
lutionnaire. Appartenant par sa famille à la noblesse, émigré
d'abord avec celle-ci , puis rentré en France lorsqu'il vit
qu'elle trahissait sa pairie en appelant l'étranger pour l'enva-
hir, il s'est trouvé fort bien placé pour juger les partis. Son es-
prit caustique n'en épargne aucun. Il lance contre tous de
violentes accusations. Mais en vérité, au milieu du délire qui
semblait s'être alors emparé de toutes les têtes, il n'était
guère possible à l'homme indépendant et chaleureux déjouer
un autre rôle. On peut lui reprocher trop de vivacité dans ses
attaques, trop de précipitation dans quelques-uns de ses juge-
mens, mais on conviendra aussi que dans tout le cours de la
révolution il ne se présenta peut-être pas un homme dont la
conduite fût entièrement irréprochabble et méritât une com-
plète apologie. Le bon sens était étouffé sous les passions,
foulé aux pieds par les partis. Cette raison, dont on proclamait
le règne, semblait avoir abandonné la terre pour aller sans
doute recevoir du haut des cieux les hommages de la répu-
blique, le culte de son dictateur. Dans l'épouvantable mêlée
qui suivit le bond impétueux par lequel le peuplé français
voulut arriver tout d'un coup à ia liberté, on cherche vaine-
ment quelque arbre sain et. solide, dont les branches offrent
une voie de salut pour échapper au torrent dont les flots
bourbeux entraînaient tout sur leur passage. Les idées les
plus giandes, les plus généreuses se trouvaient alliées dans le
même esprit aux théories les plus monstrueuses. La probité
d'un Robespierre, la philanthropie d'un Saint-Just, n'étaient
pas des phénomènes isolés. De tels contrastes se retrouvaient
sous mille formes diverses dans les individus de toutes les
classes, et jusque dans les niasses populaires. Les idées répu-
blicaines, jetées au milieu de l'ignorance populaire et de la
barbarie des mœurs, avaient produit cette fermentation uni-
MISTOiKl'. 8i
verselle. C'était le feu du volcan inonda ut ses alentours de
cendres et de débris.
La verve de notre auteur semble inépuisable et s'exerce
sans retenue. Peu de personnages éminens échappent à ses
traits acérés. Il n'a, je crois, des paroles louangeuses que
pour deux ou trois hommes : Washington, Lafayette, Napo-
léon. Ce dernier nom fait une singulière figure à côté des
autres. C'est le despote en présence des deux plus grands
citoyens de cette époque. Mais M. de Montgaillard a partagé
l'admiration aveugle qu'inspirait l'éclat militaire de Bona-
parte, et, fatigué du désjordre révolutionnaire, il saluait avec
acclamation l'établissement de l'Empire, qui venait cepen-
dant détruire une à une toutes les conquêtes de la liberté, si
chèrement achetées.
Dans les Annales françaises qu'il se propose de publier en
12 ou 13 volumes in-8°, et dont il vient défaire paraître le
discours préliminaire, il refondra toute cette histoire, et la
complétera , dit-il, par l'addition de notes et de fragmens
nombreux. En attendant, le public saura gré aux éditeurs de
l'ancienne édition d'en avoir baissé le prix de manière à la
mettre à la portée de toutes les bourses. MM. Schwarz et
Gagnot se trouveront bien sans doute de cette opération, et
cette piquante galerie historique obtiendra un succès tout
populaire.
Un tel ouvrage, tenant du pamphlet presque autant que de
l'histoire, devait donner lieu à de nombreuses récriminations.
Aussi son auteur débute- t-il dans ses annales par répondre à
maintes attaques dont il a été l'objet. Du reste, la plupart,
étant anonymes, ne méritaient guère d'être relevées, et puis-
que M. dé Mon tgaillard prépare une nouvelle édition de cette
histoire, il fera bien peut-être d'adoucir ce qu'il v a de trop
acerbe dans ses jugemens, de modérer la causticité de son es-
Î>rit, de donner enfin à son livre une forme et une allure plus
ùstoriques.
GÉOGRAPHIE ANCIENNE comparée avec la géographie moderne; par
MM. Meissas et Michelot. — Paris, chez Hachette. 1837 In -12,
2 fr. 50 c.
Ce petit ouvrage, destiné à l'enseignement des collèges'',
est rédigé avec une grande clarté, et ses auteurs ont heu-
reusement évité cette s'eheresse , qui ne se rencontre que
trop souvent dans la plupart des abrégés de géographie. Pro-
fitant de tous les travaux des géographes anciens , et des
Lumières nouvelles que les investigations des voyageurs mo-
SG UTTKKATURL,
dernes ont répandues sur rMvets points obscurs, ils re-
construisent l'ancien inonde tel que le connaissaient les
Grecs et les Romains, en ayant soin de donner toujours,
autant du moins que cela se peut, le nom moderne à côté
du nom antique pour toutes les villes dont on connaît
bien exactement la position et l'bistoire; le nom latin s'y
trouve aussi" de manière à faciliter toutes les recherches et
à aider les écoliers dans l'intelligence des auteurs classi-
ques. Des notions historiques courtes, mais bien rédigées,
jettent un intérêt véritable sur tous ces détails ordinaire-
ment si vides, et si peu attrayans. Ce qu'on sait de la fon-
dation des vdles, de leur destinée et des causes de leur
chute, est raconté rapidement. MM. Meissas et Micbelot
ont eu le rare talent de vaincre les difficultés que présente
la tâche de resserrer un grand tableau dans un petit cadre.
Les innombrables peuplades diverses qui couvraient autre-
fois l'Europe, et sur la plupart desquelles nous n'avons
d'autres renseignemens que quelques passages plus ou moins
obscurs des historiens romains, offraient un dédale dont
ils se sont tirés avec bonheur. L'Asie n'est pas moins bien
traitée; ils nous en offrent un tableau complet, en mention-
nant les principaux faits de l'Histoire-Sainte qui s'y ratta-
chent. Enfin ils ont rassemblé toutes les notions que les
anciens possédaient, et que leurs écrits fournissent sur l'A-
frique, cette troisième partie du monde dont ils connaissaient
diverses contrées mieux peut-être que nos géographes moder-
nes, mais sur les régions centrales de laquelle ils n'avaient
que des informations vagues et mêlées de fables. Le volume
est terminé par une table alphabétique des noms antiques
des lieux et des peuples, qui peut servir en quelque sorte
de petit dictionnaire géographique. Aujourd'hui que l'on
dirige de si bonne heure l'attention des jeunes gens vers
l'étude de l'histoire, une telle géographie manquait, et l'on
en sentait vivement le besoin. Aussi celle de MM. Meissas
et Micbelot peut-elle à bon droit compter sur un grand
succès qu'elle mérite d'ailleurs sous tous les rapports.
mvmei. DE 1.1 liMili: anglaise, ou moyen d'apprendre cette
• langue sans maître, par Je seul secours de la prononciation écrite en
regard de plusieurs milliers de phrases; par M. l'ryrot. — Paris, 1 837.
1 vol. in- 10, 3 fr:
Comme recueil de phrases graduées pour l'étude de la
langue anglaise, ce petit volume est certainement très-
MORALE, EDUCATION. 87
i ecoinmandable. Mais la prononciation dune langue quel-
conque s'écrit toujours d'une manière fort incomplète, et
polir l'anglais surtout, qui n'a presque pas de sons bien dé-
cidés , bien francs , il est de toute impossibilité de l'ap-
prendre sur des livres. La langue parlée ne s'apprend
qu'en parlant, et on peut bien défier qui que ce soit do
parvenir jamais à exprimer en français la double lettre th.
et les mille et une intonations diverses des voyelles a, c, i
anglaises. Ce sont de vaines tentatives qui ne servent qu'à
donner à l'élève de fausses idées sur la prononciation, et le
préparent, s'il veut étudier tout seul d'après ce système,
à ne pouvoir ni comprendre les Anglais ni être compris
d'eux.
RELIGION, PHILOSOPHIE, MORALE, EDUCATION.
RIOGRAPHIE SACRÉE, par Athnnase Coquerel, pasteur de l'Église
réformée de Paris. 2"" édition augmentée d'un Essai historique et
critique sur les dates de la Bible. — Valence, chez Marc-Aurel frères;
Paris, chez Ah. Cherbuliez et comp*". 1837. 1 gros vol. in-8, 10 fr.
Cette nouvelle édition, qui n'a qu'un seul volume au lieu
de quatre , et ne coûte que le tiers de ce que coûtait l'an-
cienne, popularisera cet excellent ouvrage, dans lequel on
remarque le talent de style et la raison éclairée qui distin-
guent l'auteur et lui ont depuis long-temps assuré une juste
renommée dans le public protestant. La Biographie sacrée
renferme des notices plus ou moins étendues , mais toujours
rédigées de la manière la plus intéressante sur tous les per-
sonnages dont il est question dans la Bible. Chaque nom
est accompagné de l'indication des textes qui eu font men-
tion. Ub pareil livre est non-seulement indispensable pour
tous les théologiens auxquels il facilitera bien des recher-
ches , évitera de longs travaux; mais il offre encore une
lecture pleine d'attrait aux personnes pieuses qui désirent
posséder une connaissance approfondie des livres saints
L'Essai sur les dates de la Bible est conçu dans un esprit
de critique haute et sage. M. Coquerel, considérant la Bi-
ble comme une inspiration et non comme une histoiie,
ne pense point qu'il soit utile de chercher à laite concor-
der ses dates avec celle de l'histoire profane, ni d'entrer en
discussion à ce sujet avec les adversaires du christianisme.
88 R£LIG10N, PHILOSOPHIE,
Après avoir examiné avec une érudite exactitude tous les
documens chronologiques que présentent les diverses par-
ties de la Bible , il n'hésite pas à déclarer que toute tenta-
tive de ce genre serait vaine, et pour le prouver il dresse un
tableau comparatif des dates les plus anciennes de l'histoire
profane telles que les derniers travaux des savans les ont
admises, et de l'indication du nombre d'années écoulées
entre ces époques et celle du déluge, selon les Septante et
selon la chronologie vulgaire. Il admet que les bornes de la
science historique reculeront encore, que les érudits pour-
ront un jour découvrir sur les ruines éparses, dans les di-
verses parties du monde, l'histoire de ces antiques civili-
sations qui ont disparu sans laisser presque aucun souvenir:
« Des découvertes inespérées vont faire revivre sous nos
» yeux des civilisations perdues de vue dans la nuit des
» siècles, cachées sous la racine des forêts, le sable des dé-
» serts ou la poussière de quelque immense nécropole ; de
» nouveaux hiéroglyphes seront lus un jour comme ceux
» des Pharaons; l'Inde ou la Chine, Persépolis et ses ca-
» ractères cunéiformes, l'Etrurie et sa langue si étrangement
» oubliée par les Romains, qui avaient tant de raisons de
» s'en souvenir, entroir, liront à nos regards les ténèbres
» de leur passé ; supposez même que le Nouveau-Monde
» doive un jour avoir son archéologie , les mines à peine
» explorées de Palenqué et de Mithla fourniront des dy-
» nasties mexicaines ou aztèques aussi longues que celle de
» Manéthon ; les dynasties des Pharaons vont se trouver
» vraies jusqu'à la première, jusqu'à celle de Menés, le
» successeur des dieux; bien plus, quelque nouveau Callis-
» thène rendra au jour des observations astronomiques
» antérieures à toute histoire, des éclipses antédiluviennes,
» des conjonctions antéadamiques; et un zodiaque incontes-
» table, remplissant les espérances que l'on avait hnpru-
» demment conçues lors de l'apparition de celui de Dende-
» rah , représentera l'état du ciel à une époque antérieure
» à toutes les chronologies alors, selon notre système,
» l'incrédulité, à l'aide de ces armes nouvelles, n'élèvera
» que des plaintes sans fondement contre la Bible; nous
•> lui répondrons avec tranquillité qu'il n'y a point de chro-
» nologie sacrée, et que la révélation est aussi désintéressée
» dans ces découvertes historiques, que dans les progrès de
» la géologie , quoique Moïse ait compté six époques de
» l'organisation de notre planète ; ou dans les calculs de l'as-
tronomie, quoique Josué ait poussé un cri sublime qui
» lui a valu une victoire. »
MORALE, ÉDUCATION. 89
CHARLES, ou l'Ouvrier vertueux, suivi de trois Nouvelles, morales et
instructives, par Mme Césarie Furrenc. — Paris, chez Dcnn, rue
Pavée-St.-André-des-Arts, 5. 1 vol. in-12, flg., 3 fr. 50 c.
« Sans le travail et la vertu il n'est point de bonheur. »
Cette vérité banale doit être l'inévitable refrain de toute
éducation ; car dans l'enfance, si l'on est vertueux par in-
stinct ou par imitation , travailler semble toujours une peine
dont on désire être dispensé.
Mme Césarie Farrenc a donc pris à tàcbe de prouver à
ses jeunes lecteurs que ie travail est le plus sur garant du
bonheur; que lui seul peut permettre à l'homme d'exer-
cer les plus belles facultés de son esprit, de développer les
plus nobles ressources de son génie, et lui fournir les occa-
sions et les moyens de se livrer aux sentimens généreux
de son cœur, de se dévouer d'une manière utile à ses sem-
blables. Ses contes offrent tous des jeunes gens, chez les-
quels l'amour du travail a produit d'excellens résultats
en, les plaçant dans une heureuse position et les mettant
à même de rendre de grands services à leurs païens , de
devenir de bonne heure les soutiens de leur famille. Le
meilleur esprit anime ces petits récits, dont la trame est
simple et sans aucune teinte romanesque. Mais on regret-
tera que l'auteur n'ait pas su les animer de couleurs un
peu plus vives, leur donner un intérêt plus piquant, et fon-
dre d'une manière plus intime l'intention avec le sujet. Ces
lieux communs de morale qu'on retrouve nécessairement
partout, ont besoin d'être déguisés autant que possible,
Îuésentés d'une manière neuve, et l'on doit surtout éviter
e ton déclamatoire qui n'a nulle prise sur les enfans , car
ils ne l'écoutent ni ne l'entendent; les plus étourdis sautent
à pieds-joints par-dessus tous les passages de ce genre, les
autres les lisent sans y rien comprendre, ce qui est encore
pis. Les faits parlent bien mieux au cœur de l'enfance, et
l'action qui remplit leurs yeux de larmes les persuade et
les frappe cent fois plus que la plus touchante déclamation.
LE ROBUVSON SUISSE; histoire d'une famille suisse jetée par un nau-
frage dans une île déserte, par M. Hyss, avec la suite donnée par
lui-même; nouvelle traduction de l'allemand par Mme Elise Voiart. —
Paris, chez Didier, 1837. 2 vol. in-12, fig., 8 fr.
De toutes les nombreuses imitations auxquelles l'immens.'
succès du R obi tison Criisoé a donné* naissance , aucune nci
90 RELIGION, PHILOSOPHIE,
s'est approchée du modèle autant que celle-ci. C'est que
son auteur ne s'est pas servilement traîné sur les traces de
Foé; il a simplement cherché à faire une application diffé-
rente du principe moral qui avait servi de base à cette admi-
rable production. L'auteur anglais nous montre quelles res-
sources l'homme isolé au milieu de la nature peut trouver
dans une résignation courageuse, quelle force et quelle con-
solation il puise dans les sentimens religieux, et comment se
réalise cette parole que le Créateur semble avoir gravée dans
tout ce qui nous entoure ici-bas : Aide-toi, je t'aiderai. M.Wyss
substitue à l'homme seul une famille, et les relations d'affec-
tion, de soumission respectueuse et de tendresse maternelle
viennent aussitôt animer la scène et féconder le principe, en
lui fournissant des développemens plus larges, des applica-
tions plus en rapport avec la vie commune, et en suscitant
une foule d'incidens d'où ressortent des leçons mieux à la
portée des jeunes lecteurs auxquels le livre est destiné. Les
"détails de cette vie de travail et de lutte amusent la jeunesse,
qui s'intéresse vivement à ces petits Robinsons de son âge, don t
elle partage , en imagination , toutes les fatigues et tous les
plaisirs; elle écoute avec une sorte de respect les sages pré-
ceptes que leur inculquent ces païens, dont la plus chère
occupation est de faire concourir toutes les circonstances au
progrès de leur éducation morale; elle puise ainsi à la fois
dans cette lecture les principes les plus purs et une foule de no-
tions de toutes sortes, dont l'acquisition est toujours précieuse.
Le seul reproche qu'on ait pu adresser avec raison à
M. Wyss, c'est de n'avoir pas respecté les zones géographi-
ques que la nature semble avoir assignées à ses diverses pro-
ductions. Entraîné par le désir de compléter autant que
possible les leçons d'histoire naturelle qu'il semait dans son
récit, il a accumulé dans l'île inconnue les animaux, les plan-
tes, les minéraux de presque toutes les régions du globe. Mais
c'est un défaut contre lequel il est facile de mettre en garde
les enfans en les en prévenant une fois pour toutes; et d'un
autre côté, il a su en tirer un admirable parti pour leur offrir
un tableau magnifique des œuvres si variées du Créateur. Les
jouissances nombreuses et souvent faciles que se procurent ses
naufragés, contrastent aussi avec les dures privations et les
pénibles travaux de Robinson-Crusoé. Mais il ne s'est pas pro-
posé un but philosophique aussi élevé que celui qui a con-
duit la plume du penseur anglais. Wvss n'a voulu faire qu'un
ouvrage d'éducation, capable d'instruire et de former la jeu-
nesse tout en l'amusant, et ce but est certainement atteint,
car peu de livres de ce genre ont obtenu un succès aussi popu-
laire.
MORALE, EDUCATION. 91
Ce fut madame de Montolieu qui, la première, fit connaître
en France le Robinson Suisse; l'auteur n'en avait encore pu-
blié que la première partie. La traductrice essaya d'v ajouter
une suite, tentative malheureuse, car elle métamorphosa ce
récit simple et instructif en un roman assez plat. M. Wiss re-
prit alors la plume et termina lui-même son œuvre. Depuis
deux ans, plusieurs nouvelles traductions complètes ont paru,
mais aucune, jusqu'ici, ne s'était distinguer par le mérite du
style, et c'est avec plaisir qu'on accueillera celle de madame
Voïart, connue d'une manière si avantageuse dans le monde
littéraire. Sa plume élégante et facile redonnera en quelque
sorte au Robinson-Suisse le mérite de la nouveauté, et pro-
bablement sa traduction ne tardera pas à être adoptée de pré-
férence à toute autre.
«=>« ife-s
LEGISLATION, ECONOMIE POLITIQUE, COMMERCE.
DE L'ÉTAT ACTUEL DES PRISONS E.\ FRANCE, considéré dans jes
rapports avec la théorie pénale du Code; par L.-M. Morrau- Chris-
tophe, sous-préfet, ancien inspecteur-général des prisons de la Seine.
Paris, 1837. In-8. 7 fr. 50 c— DU système cellulaire DÉ mit
pour la rét'oime de nos prisons, par L. -.!.-,!. Narquet-l "as.selot ,
directeur de la maison centrale de Loos. Paris, 1837. ln-8.
Voici, je crois, 15 à 20 ans qu'on s'occupe en France de la
réforme des prisons. Brochures journaux , livres, concours,
rien n'a été négligé pour éclaircir la question. On a eu un
journal des prisons ; des Sociétés pour l'amélioration des pri-
sons ; des philanthropes amateurs voyageant de prisons en
prisons, criant contre les abus, recueillant les plaintes, publiant
des tableaux déchirans de l'état abject dans lequel on laissait
croupir les malheureux prisonniers. Ensuite sont venu.-,
des rapports sur les maisons pénitentiaires établies en pays
étrangers ; on a aussitôt envoyé des commissaires visiter ce>
prisons-modèles en Angleterre, puis en Amérique, puis en
Suisse. Enfin, les architectes se sont présentés à leur tour
munis de plans et de devis, et en attendant que l'on puisse
réformer le système des réglemens intérieurs, on leur a per-
mis de changer celui des murailles. Mais de tout ce mouve-
ment qu'est-il résulté pour les prisonniers? pas grand'chose
jusqu'àprésent. Livres, journaux et brochures sont entassés
dans les bibliothèques; les concours se sont lassas; les philan-
02 LÉGISLATION ,
thropeô ont fait leur chemin ; les commissaires voyageurs ont
trouvé à leur retour île belles places toutes prêtes à les rece-
voir; dévastes édifices fort coûteux se sont élevés ; mais de
prisons pénitentiaires, la Fiance n'en possède pas encore une
seule qui mérite complètement ce nom. C'est là l'histoire de
bien des questions soit de législation, soit d'économie politi-
que, soit d'autre chose. On parle beaucoup, on discute, on
écrit, ou s'agite; chacun cherche à s'en faire un marchepied
pour grimper; puis l'intérêt particulier une fois satisfait, l'in-
térêt général s'en tire comme il peut, personne ne lui vient
en aide dès qu'il s'agit d'application et par conséquent de
dévouement, d'abnégation, d'efforts et de désintéressement.
Paris a vu bâtir une grandeprison dans ces dernières années.
Ce devait être un pénitencier-modèle, et, pour essai, l'on y a
transféré les jeunes détenus. Jusque là c'est fort bien sans
doute, et l'on ne saurait qu'applaudir à l'idée de commencer
une telle expérience par ces pauvres enfans qui plus que les au-
tres prisonniers sont susceptibles d'être réformés par le travail
et ont besoin de substituer des habitudes d'ordre et d'activité
à la paresse et au vagabondage. Mais, comme pour détuire
aussitôt tout espoir de succès, l'esprit avide de spéculation
s'est glissé dans l'établissement, et^a frappé de mort tout le
système nouveau. Au lieu d'inspecteurs éclairés et philan-
thropes, capables d'influer heureusement sur le moral de
ces jeunes êtres, dégradés par une mauvaise éducation ou de
déplorables exemples , ce sont , dit-on , des entrepreneurs qui
sont les maîtres du travail, moyennant une somme qu'ils
pavent pour chaque enfant à 1 administration. Intéressés
grandement à les faire travailler le plus possible, et se sou-
ciant fort peu, soit de leur instruction, soit de leur régénéra-
tion morale , ilsexigentde ces pauvres malheureux 12 heures
de travail par jour, et ne les envoient à l'école qu'une fois
tous les deux jours, pendant deux heures, après le travail ,
c'est-à-dire , exténués de fatigue et plus disposés au sommeil ,
qu'ils peuvent à peine vaincre, qu'à l'étude, dont on ne sait
ainsi leur faire sentir ni le mérite ni l'utilité î
11 y a cependant des inspecteurs de prisons , fort large-
ment rétribues, qui ont publié d'excellens ouvrages remplis
des documens les pbis intéressans sur tous les avantages des
pénitenciers d'Amérique. Serait-ce donc qu'ils ne voient rien
qu'avec un télescope, et que la philanthropie n'a de prix pour
eux qu'autant qu'il faut traverser les mers pour la cultiver?
En présence de tels résultats , on comprend l'opposition
que rencontre le svstème de la réforme dès prisons chez de
consciencieux directeurs qui font leur devoir avec zèle, et. em-
ploient tous leurs efforts à coi j -iger âun* leur administration
ÉCONOMIE PO Li'liQUE, ETC. 93
particulière les vices de l'ancien système. M. Marquet-Vas-
selot est ainsi très-fondé à rejeter l'autorité de ces inspecteurs
géneraiïx dont il a pu sans doute plus d'une fois apprécier
soit la portée, soit les connaissances pratiques en pareille ma-
tière. Mais il se laisse entraîner trop loin par sa défiance et ses
préventions contre le système cellulaire; elles ne paraissent
ni justes ni soutenables. Pourquoi rejeter les faits énoncés
dans l'excellent ouvrage de M. Lucas ? que signifie cette excla-
mation? Soyons donc français! 31. Marquet-Yasselot rejette-
rait-il un progrès , une amélioration , par l'unique motif que
son origine est anglaise, américaine, ou suisse? Ce ne serait
pas raisonner alors, ce serait simplement montrer le bout de
l'oreille de la vanité française.
— M. Moreau-Gliristophe laisse bien percer aussi quelque
peu ce sentiment de vanité nationale, mais c'est d'une ma-
nière moins exclusive. Il revendique seulement pour la
France la première idée des maisons pénitentiaires, qu'il a
trouvée dans les écrits d'un auteur français qui vivait bien
long-temps avant qu'on y songeât en Angleterre ou en Amé-
rique. Les Français ont tout inventé et n'ont jamais su rien
utiliser. C'est une cbose convenue; ainsi soit-il ! Mais, au
moins, M. Moreau- Christophe ne rejette point l'application
que les étrangers ont su faire de cette idée, et, comme il a été
aussi inspecteur-général, son opinion à cet égard mérite d'être
prise en considération. Son livre offre une statistique curieuse
des prisons de France; on y trouve une foule de faits peu
connus et du plus haut intérêt.
Les détails nombreux qu'il donne sur le régime actuel des
prisons et sur les tristes résultats qu'il enfante, sont les meil-
leurs argumens en faveur de la réforme, surtout lorsqu'on
les rapproche de l'effrayant calcul de M. Lucas , qui nous
apprend que chaque année, en France, c'est un total de
56,000 individus que la société envoie à l'enseignement des
prisons, et que l'enseignement des prisons lui renvoie. Le ta-
bleau tracé par M. Moreau expose à nu tous les vices de la
vieille organisation de ces établissemens, qui semblent en
vérité avoir été destinés à corrompre plutôt qu'à régénérer.
Il passe en revue les trois ordres de prisons, civiles, crimi-
nelles et militaires, et toutes les diverses catégories qui les
subdivisent. Or, parmi ces nombreuses maisons de détention,
c'est une chose triste à dire, il n'y en a pas une seule digne du
peuple qui se vante de marcher à la tète de la civilisation.
94 LEGISLATION ,
ItECHEP.C.KKS HISTOKiQEES ET STATISTIQUES SUH LA POPULATION
de tiEXÈVE , son mouvement annuel et sa longévité, depuis le x vie
siècle jusqu'à nos jours, 1549-1833; par Ed. Mollet, docteur en
droit, etc. — Paris, 1837. In-8, 4 fr. Se trouve à Paris et à Genève,
chez Ab. Cherbuliez et compc., libraires.
Cette monographie statistique, si je puis m'exprimer ainsi ,
bien qu'elle ne concerne qu'une petite population de 27 à
30 mille âmes, est néanmoins du plus vif intérêt par les faits
et les nombreux tableaux comparatifs qu'elle renferme, ainsi
que par les résultats curieux qu'elle fournit. M. Mallet est par-
venu, au moyen des documens qu'il a pu rassembler, à retra-
cer, d'une manière assez complète, la marche de la popula-
tion et ses vicissitudes diverses dans la petite ville de Genève,
pendant un espace d'environ trois siècles. Mais il s'est plus
particulièrement étendu sur les vingt dernières années, c'est-
à-dire, de 1814 à 1833, époque qui a été surtout l'objet de
ses études et qui est certainement la plus intéressante, puis-
qu'elle se lie au présent , nous offre l'état actuel de la popula-
tion genevoise , et peut fournir de curieuses données sur ses
rapports avec l'état de liberté et d'indépendance dans lequel
cette ville a justement passé ces vingt ans.
Le mouvement de la population peut en quelque sorte
servir de mesure à la prospérité et aux progrès d'un pays.
Tant qu'un peuple s'avance sur la route de la civilisation , on
voit la vie s'allonger chez lui , et le nombre proportionnel des
décès diminuer ; sauf toutefois les perturbations qu'amènent
les épidémies. Dès qu'il rétrograde, au contraire, les décès
augmentent, la vie s'accourcit, la population tend à décroî-
tre; et cela est si vrai cpie, dans les tables de mortalité, les
années marquées par des guerres et des discordes civiles sont
faciles à reconnaître. Du xvie siècle jusqu'à la lin du xvnie,
Genève éprouva la vérité de ce fait. Sauf les obstacles suscités
soit par la peste, qui à plusieurs reprises régna dans la ville,
soit par la guerre contre la Savoie qui dura bien des années et
s'opposa long-temps au rétablissement de l'ordre, de la sécu-
rité, et à la prospérité de la petite république, elle viteonstam-
ment sa population s'accroître dans une progression plus ra-
pide que celle du nombre des décès. En sorte que, « tandis
qu'au xvie siècle il mourait annuellement un individu sur
vingt-cinq, il n'en meurt plus au xvuie qu'un sur trente-
quatre. »
En 1814, Genève, rendue à sa nationalité indépendante,
offre bientôt des résultats plus frappa ns dans la marche de sa
population. Pour les bien apprécier , suivons M. Mallet dans
les divisions de son ingénieux travail.
ECONOMIE POLITIQUE, ETC. 95
11 dresse d'abord le tableau «les naissances, et en examiné les
diverses parties. La diminution progressive du nombre des
enfans naturels est un fait reniai quable qui prouve l'amélio-
ration des mœurs; car, sous l'empire français, il y avait à Ge-
nève un sixième d'en fans naturels, et aujourd'hui il n'y en a
plus que 7 à 8 p. 0J0. Une diminution assez sensible se fait sen-
tir également sur les morts-nés et indique probablement les
progrès dans l'art des accoucbemens. Un tableau des couches
doubles présente les résultats de recherches assez curieuses.
Les mariages et divoices fournissent à l'auteur l'occasion
d'examiner quel est l'âge moyen matrimonial le plus avanta-
geux pour une population. Cette question ne peut être résolue
que d'une manière relative, en ayant égard au climat du pavs.
à son état de civilisation et de prospérité. Genève parait pen-
cher vers les mariages tardifs ou du moins d'âge mùr, car le
plus grand nombre des époux se trouve dans la période de .30
à 40 ans pour les deux sexes.
De ces diverses données, M. ÎMallet fait ressortir le chemin
que la population de Genève a parcouru depuis trois siècles .
« Douée, dit-il, dans l'enfance de sa civilisation d'une fé-
condité prodigieuse, qu'accompagnait une excessive morta-
lité, elle a, petit à petit, vu diminuer l'une et l'autre, et
corrélativement sa population accroître, sa prospérité aug-
menter d'une manière surprenante. Dans les dix dernières
années du xvnf siècle, un mariage produisait encore cinq en-
fans et plus; la vie probable n'arrivait pas à 20 ans, et Ge-
nève comptait à peine 17,000 habitans. Vers la lin du xvnie,
il n'y avait guère plus de trois enfans par mariage, la vie pro-
bable dépassait 32 ans, et Genève avait atteint le chilbe de
26,000 habitans. Aujourd'hui, un mariage ne produit plus
que 2 3/4 enfans, la vie probable est de 45 ans, et Genève,
qui dépasse 27,000 âmes , est arrivé à un haut degré de civili-
sation et de prospérité matérielle. Maintenant, le terme de
la diminution des naissances parait atteint, et il est difficile
d'admettre comme probable un abaissement ultérieur un peu
fort dans le chiffre déjà si faible des naissances. La population
semble avoir fait son effort, et s'est accrue dans son étroite en-
ceinte, de telle sorte que la reproduction ne tend plus aujour-
d'hui qu'à réparer les pertes occasionées par la mortalité. »
Qui expliquera ce singulier phénomène , dans lequel on re-
connaît encore la sage prévoyance de la nature qui semble
avoir ainsi, par une loi d'équilibre, mis des bornés à l'accrois-
sement indéfini de la population? C'est encore un de ces mys-
tères dont l'homme est entouré ici-bas et contre lesquels il ne
peut manquer de se heurter dès qu'il veut approfondir une
science quelconque.
96 LEGISLATION ,
Genève est la viUe qui élève le plus grand nombre d'enfans,
parmi celles qui ont été l'objet de recherches statistiques.
Mais, par une bizarre compensation, c'est aussi celle où l'on
voit le moins d'hommes qui passent 90 ans. A mesure que la
vitalité des enfans augmentait, le nombre des centenaires a
diminué jusqu'à être réduit à 0; les 20 années explorées par
M. Mallet n'en offrent pas un seul.
Les tables de décès et leur comparaison ont conduit l'auteur
à d'intéressantes digressions sur la détermination de la vie
probable et de la vie moyenne, sur les calculs par lesquels on
peut les établir et sur la différence qui existe entr'elles. Ayant
travaillé sur une période de vingt années, pour lesquelles il
avait les documens les plus exacts et les plus complets, il a pu
hasarder quelques essais de théorie statistique, et cela avec
d'autant plus de raison, que Genève peut être considérée
comme un modèle en petit du vaste mouvement social. « Ge-
nève étant très-avancée en civilisation , l'état actuel de sa
population peut faire conjecturer l'état futur des grandes
masses; elle peut, transparente ruche d'abeilles, servir au
philosophe pour étudier avec un verre grossissant la marche
graduelle de l'ensemble. »
A la suite de ce mémoire se trouve une notice sur les an-
ciennes pestes de Genève, dans laquelle M. Mallet compare
les détails statistiques qu'il a pu rassembler à ce sujet avec
ceux publiés sur l'épidémie du choléra de Paris , en 1832.
Il résulte de cette curieuse comparaison que la peste est,
jusqu'à trente ans, plus pernicieuse que le choléra, tandis que,
passé cet âge, la mortalité pestilentielle devient toujours plus
inférieure à la mortalité cholérique. « Le règne du premier
» de ces fléaux finit quand celui de l'autre commence. »
Il est fâcheux que l'absence totale de documens sur la na-
ture des maladies souvent diverses que nos ancêtres compre-
naient toutes sous la dénomination de peste, ait empêché que
ce travail comparatif fut poussé plus loin , car il aurait sans
doute amené des résultats du plus haut intérêt.
LA propagande russe A paris : examen des fragmens et considé-
rations de M. le Baron d' Eckstcin sur le passé, le présert et l'avenir
- de l'Espagne; par Augustin Chaho. — Paris, chez Mmc Goullct; Ge-
nève, chez Ah. Cherbuliez et comp-c. 1837. In-8, 1 fr. 50 c.
Le gros et lourd volume de M. d'Eckstein a excité la verve
de M. Cbaho , et lui a inspiré une vigoureuse satire contre les
nuages mystiques sous lesquels le noble baron cache ses pen-
ÉCONOMIE POLITIQUE, ETC. 97
sées anti-sociales. M. Chaho, dans sa brochure, donne car-
rière à son esprit qui nous a paru vif et mordant. Il repousse
les accusations absurdes lancées contre la civilisation, et dé-
fend l'Espagne contre les attaques de M. d'Eckstein. Le sui-
vant pas à pas dans toutes ses divagations, il l'accable des sar-
casmes les plus sanglans ; il le fustige sans pitié et le dénonce
en quelque sorte au mépris et à l'indignation du public.
C'est attacher, il nous semble, une bien grande importance
à un livre obscur qui n'a pas eu le moindre retentissement, et
qui, s'il était capable de faire quelque mal, porte avec lui son
contre-poison le plus sûr dans l'ennui profond que sa lecture
occasionne. Qu'importent les aberrations volontaires ou non
d'un esprit nébuleux, qui parle le plus souvent un langage
incompréhensible, et se renferme habituellement dans un
cercle de pensées étranges qui ne sauraient trouver dans le
public aucun écho sympathique? M. Chaho pouvait mieux
employer son temps et son talent d'écrivain. Mais il a cédé
à un mouvement d'indignation. Il a cru découvrir, au milieu
de ce fatras, des intentions de propagande russe. Il a vu, dans
l'auteur des Fragmcns et Considérations sur l'Espagne, un
agent de cette haute police qui, du fond de l'Europe septen-
trionale étend, dit-on , ses réseaux et son action sur presque
toutes les contrées du monde; un successeur de Kotzebue qui,
lui aussi, calomniait la société française, et semblait avoir
voué sa plume à l'œuvre du despotisme et de la barbarie.
M. d'Eckstein lui est apparu comme un enfant du nord ap-
pelant les Cosaques et les Tartares à la conquête de ces belles
contrées du midi, dont il prend plaisir à leur décrire tous les
charmes, toutes les jouissances, afin d'exciter leurs désirs et
de hâter leur marche. C'est, selon M. Chaho, une nouvelle
invasion de barbares qui menace l'Europe méridionale d'un
sort pareil à celui qu'éprouva jadis l'empire romain.
On conçoit qu'avec une pareille conviction, notre jeune écri-
vain n'ait pu retenir sa colère qui devient alors juste et com-
préhensible. Mais on ne peut s'empêcher de reconnaître aussi
qu'il y a chez lui une forte prévention contre tout ce qui est du
nord. Pour repousser les accusations d'ignorance etde barbarie
adressées à la nation espagnole, il récrimine par de sembla-
bles accusations contre les peuples de races Scandinave, mos-
covite ou germaine. On dirait, à l'entendre, qu'au-delà de la
France il n'y a plus au nord que barbares , et la docte Alle-
magne et les lumières de la Suède, de la Norvège et du Da-
nemarcksont assimilées par lui aux Cosaques et aux Pandours.
C'est avec peine qu'on voit ces préjugés nationaux maîtriser
hii bomme d'un esprit aussi éclairé, aussi supérieur, qui ne
devrait pas oublier que dans toute discussion, si l'on veut ob-
ft8 LEGISLATION,
tenir quelque avantage sur son adversaire, il ne faut jamais
laisser la passion étouffer la voix de son propre bon sens.
Si réellement il existe une propagande russe qui ait pour
but l'envahissement de l'Europe et la destruction de notre
civilisation moderne, les peuples intermédiaires entre la Rus-
sie et la France ont le même intérêt à la repousser; et les
appeler barbares, les blesser dans leur orgueil national,
c'est indisposer d'avance des alliés dont on ne pourra se pas-
ser dans le moment du danger. Heureusement toutes ces
hypothèses sont bien éloignées de la réalité. Les guerres de
conquête deviennent de plus en plus difficiles en Europe.
Ce fut à des espérances de liberté que la République, et en-
suite Napoléon durent la plus grande partie de leurs succès,
et ces mêmes peuples, qui avaient accueilli le drapeau trico-
lore comme un signe libérateur, déçus dans leur espoir, irri-
tés par les vexations les plus despotiques, furent de nouveau
séduits par l'appât de l'indépendance , et se levèrent en
masse contre la France à la voix de leurs princes, qui leur
promettaient des chartes et des libertés. Voilà les mobiles
qui pourront encore une fois peut-être agiter l'Europe d'un
bout à l'autre, mais les vociférations des barbares et leur rage
aveugle seraient impuissantes aujourd'hui pour conquérir et
surtout pour fonder un empire durable. Notre civilisation
actuelle ne ressemble guère à cette civilisation antique, dans
laquelle la classe la plus nombreuse était celle des esclaves,
qui, loin de courir à la défense de la patrie, avaient tout in-
térêt à y appeler la guerre, le désordre et le pillage. D'ail-
leurs l'empire romain , successivement agrandi par la con-
quête, composé d'innombrables provinces qui ne connais-
saient de Rome que ses proconsuls avides et leurs exactions
de toute sorte, manquait de l'esprit national qui fait la puis-
sance des états, et se trouva sans force morale pour résister
à ces peuplades guerrières dont le nombre toujours croissant
finit par accabler ses légions.
DE LA RÉEOBME ANGLAISE et de ses suites probables, par M. de Pradt.
Paris, 1837. In-8, 5 fr.
La réforme anglaise n'a pas le don de plaire à Monseigneur
l'ancien archevêque de Malines. C'est très-fàcheux, en vérité,
mais pour lui, plus que pour elle, je pense, car >dle ne s'en
soucie guère. Ces prophètes politiques qui s'en vont disser-
tant à l'infini sur les résultats probables d'événemens non
encore accomplis, et dont nul ne peut prévoir les incidens et
SCIENCES ET ARTS. 99
les circonstances dont ils pourront être accompagnés, sont
souvent curieux par l'aplomb avec lequel ils prononcent leurs
sentences pour ou contre tel ou tel système. En vain, les
laits viennent-ils contredire leurs prévisions, ils ne se décon-
certent pas pour si peu, et, confians dans l'amour du public
pour tout ce qui a quelque apparence de merveilleux, ils re-
commencent à nouveaux frais dès que l'occasion s'en pré-
sente. M. de Pradt a, plus que nul autre écrivain du même
genre, profité de cette faiblesse humaine ; on se rappelle ses
nombreux écrits à propos de tous les événemens politiques de
quelque importance, et le brillant succès qu'ils ont presque
tous obtenu. Il est juste d'ajouter que M. de Pradt a fait
preuve d'un talent remarquable, soit par son style, soit par la
sagacité qu'il a souvent montrée dans son appréciation des
faits et de leurs conséquences. Mais il a aussi souvent erré, et
aujourd'hui, je crois, plus que jamais. Il prétend que la ré-
forme est tout-à-fait intempestive en Angleterre; qu'elle n'y
était ni urgente ni nécessaire , et qu'elle ne tardera pas à je-
ter, cette contrée dans les bouleversemens révolutionnaires.
Il prononce maintes accusations d'impuissance et d'incapa-
cité contre les assemblées parlementaires. Selon lui, celles-ci
n'ont jamais rien fait de bon, tandis qu'une main ferme et
puissante, un despote, grand roi ou grand empereur, crée tou-
jours les choses les plus grandes et les plus nobles. De sembla-
bles assertions, qui conduisent directement à l'adoration du
pouvoir absolu, n'ont pas besoin d'être réfutées; tout homme
qui raisonne en comprendra facilement la portée, et par con-
séquent le cas qu'il doit en faire.
Mais du reste , M. de Pradt dit n'avoir pris la plume que
dans l'intérêt même de l'Angleterre. Il ne partage point la
sotte jalousie qui inspire à tant de gens une haine absurde con-
tre ce pays de civilisation et d'industrie, dont les habitans ont
porté par toute la terre, avec eux, les germes du progrès, du
travail, de la prospérité et de la liberté.
-"^"sra^gjjtQv^a*
100 SCIENCES ET ARTS.
SCIENCES ET ARTS
ESSAI ET EXPÉRIENCES SUR LE TIRAGE DES VOITURES , et sur IjC
frottement de seconde espèce, suivis de considérations sur les di-
verses espèces de roues, la police du roulage et la construction des
routes; par M. /. Dupuis. ln-8, fig.
Recherches savantes et consciencieuses, dont l'administra-
tion devrait profiter pour travailler à améliorer les routes et à
réprimer les abus dangereux qu'entraîne trop souvent l'in-
fraction des réglemens de police au sujet du chargement des
voitures, de la largeur des roues, etc. etc.
TRAITÉ l>E L'ART DE LA CHARPEXTERIE , par A.-R. £/»r. Tom. 1er-
— Paris, 1837. In-4 et atlas de 50 pi., 3G fr.
Bel ouvrage exécuté avec soin, et qui, lorsqu'il sera terminé,
offrira le traité le plus complet sur cette matière.
RIRLIOGRAPH1E ENTOMOLOGIQUE , par A. Percheron. — Paris, 1837.
2 vol. in-8, 14 fr.
Cet ouvrage, fruit de recherches nombreuses, contient l'in-
dication, par ordre alphabétique de noms d'auteurs : l°des
ouvrages entomologiques publiés en France et à l'étranger,
depuis les temps les plus reculés jusques et y compris l'an-
née 1834; 2° des monographies et mémoires contenus dans
les recueils, journaux et collections académiques françaises et
étrangères. L'auteur y a joint d'intéressantes notices sur les
ouvrages périodiques, les dictionnaires et les mémoires de so-
ciétés savantes qui concernent l'entomologie. Enfin, une ta-
ble méthodique et chronologique des matières facilite toutes
les recherches dans cette bibliographie, dont la publication
semble fort opportune en ce moment, où les travaux d'un
grand nombre de savans sont dirigés vers cette partie de l'his-
toire naturelle.
UMtRlE DE BEAU, A BAINT-GERmW— ï
Bulktin iTtttirair*
ET SCIENTIFIQUE.
5e ÊLuuée. — oA^ 4. — (SUtf 1837.
LITTERATURE, HISTOIRE.
LETTRES D'UN VOYAGEUR, par Georges Sand. —Paris, 1837; 2 vol.
in-8, 16 fr.
Georges Sand, cet homme-femme, ou si vous aimez mieux
cette femme-homme, dont tous les écrits ont le privilège
d'être regardés comme autant de chefs-d'œuvre que la
critique ose à peine effleurer , quitte aujourd'hui le roman
pour se lancer dans la métaphysique, la religion, la philo-
sophie. Il est vrai qu'au dire de ses admirateurs, Indiana,
Valentine, Lélia, etc. n'étaient déjà que d'ingénieuses fictions
sous lesquelles se cachait l'audacieux novateur pour ébranler
sourdement les colonnes de l'ordre social, en attendant qu'il
se sentît de force à les étreindre et à les briser dans ses bras.
Que de fois n'a-t-on pas répété que ces romans préparaient
une révolution complète dans les mœurs, ouvraient un nou-
vel avenir aux femmes , et anéantissaient à tout jamais la
famille, vieille ruine, disait-on, que le premier pas de l'hu-
manité sur la route du progrès ferait crouler !
Les Lettres d'un Voyageur ne sont donc que la suite de ce
grand œuvre, auquel Georges Sand a consacré sa plume et son
talent, comme ces dignes alchimistes du temps passé qui
vouaient leur fortune et leur existence à la recherche de la
pierre philosophale. Après avoir soufflé leur feu et rougi leur
creuset pendant trente ou quarante ans, de tous leurs efforts
il ne restait le plus souvent que quelques scories brillantes ,
mais informes et inutiles. Et que d'explosions dangereuses
ils avaient causées, combien de fois ils avaient aspiré des ex-
halaisons perfides, que de poisons mortels devaient leur nais-
sance à leurs continuels et hardis essais de mixtions !
Les voyages ne sont, pour Georges Sand, qu'un prétexte
pour divaguer à son aise à propos de tous les incidens de la
route, et pour faire de l'art, comme on dit, à propos de bottes.
Ne lui demandez donc pas des descriptions de pavs , des ob-
Wi LITTÉRATURE,
servations de mœurs. Ce qui l'occupe exclusivement, pariout
et en toute circonstance, c'est sa propre personne, c'est ce cjni
la concerne ou se rapporte directement à elle, et ce qui la met
en scène de la manière la plus capable d'intéresser ce public
parisien dont elle ne veut pas être oubliée un seul instant.
Ne cherchez donc pas dans ses Lettres l'Italie ni la Suisse.
De Venise elle n'a vu que la gondole dans laquelle elle
pose nonchalamment étendue en face des rameurs, dont les
formes athlétiques et les mâles figures font d'autant mieux
ressortir la grâce de ses attraits féminins. En Suisse, l'amphi-
théâtre des montagnes n'est pour elle qu'une espèce d'enca-
drement qu'elle relègue au fond du tableau, afin que rien ne
nuise à l'effet qu'elle veut seule produire. Au milieu des Al-
pes, au pied du Mont-Blanc, devant la mec de glace, à Cha-
mouni en un mot, elle n'a vu que la chevelure de Litz, la
figure d'Hermann et sa blouse crottée. Et voilà l'écrivain
qu'on proclame un grand poète , qu'on ose placer à côté , je
crois même au-dessus de Jean-Jacques Rousseau !
Mais, dira-t-on , Georges Sand n'a-t-il pas un admirable
style , une imagination forte , une grande profondeur de
pensée?
Pour le style et l'imagination , d'accord ; si toutefois vous
n'entendez par le style que l'harmonie des mots et la sou-,
plesse des phrases, par l'imagination que la puissance d'in-
venter des scènes hors de nature, des idées qui sont hostiles
à tout ce qui existe. Sans doute il se trouve dans ses œuvres
telle page plus harmonieuse à l'oreille que maintes poésies .
et l'auteur paraît tenir si fortement à être original qu'il n'i-
mite pas même la nature. Mais qu'est-ce qu'un livre bien écrit
s'il est mal pensé, et que signifie une imagination forte qui
n'enfante que des monstruosités ou des niaiseries? Ce peut
être de l'art ou du savoir-faire littéraire, mais à coup sûr ce
n'est pas du génie. Le sophisme a certainement quelquefois
beaucoup d'attrait, surtout lorsqu'il est manié par une main
habile. Ainsi Rousseau, exerçant son esprit à plaider en fa-
veur de l'état sauvage contre la civilisation, séduit par son
éloquence et gagne sa cause en entraînant ses juges. Mais
c'est qu'une fois entré dans la carrière , il marche d'un pas
ferme vers son but et suit logiquement les conséquences du
premier principe posé. Si je puis m'exprimer de la sorte, il
raisonne même en déraisonnant, et ne se contente pas de je-
ter en l'air des traits qui frappent au hasard. On n'endosse
pas l'habit du sophiste par caprice comme une robe de bal
ou une parure à la mode. Il faut quelque cbose de plus que
il- l'esprit pour se poser en adversaire de ce qui est généra-
lement regardé connue h- vrai et le bon. Ce ne sont pas quel-
HISTOIRE. 10."?
ques formes antiques adaptées à notre langage du jour qui
suffisent pour lui donner une allure inspirée. Cette origina-
lité recherchée et acquise n'est qu'un charlatanisme sans va-
leur.
Il règne dans toutes ces lettres une forte teinte de mysan-
thropie et de sarcasme, qui contraste d'une bizarre manière à
côté des futilités dont s'occupe souvent l'esprit de l'auteur,
faisant de la poésie avec le moindre petit brin d'herbe , et
affectant parfois un ton de viveur qui sent l'estaminet.
Et cependant, pour peu que l'on creuse l'œuvre de Georges
Sand, au-dessous de cet extérieur brillant, moqueur, auda-
cieux, on trouvera l'expression triste et tourmentée d'une
âme en peine, qui, après s'être en quelque sorte placée au ban
de la société en foulant aux pieds ses lois, n'a rien trouvé de
mieux à faire que de se révolter contre elle et de l'accuser de
tous ses malheurs. Lutte insensée, où, malgré tout son esprit,
l'écrivain brisera vainement sa plume contre la cuirasse du
corps social.
Notre critique est vive et peu courtoise sans doute, mais
les attaques de Georges Sand contre la société sont rudes
aussi, et je ne vois pas pourquoi la défense ménagerait da-
vantage ses coups. D'ailleurs, je ne crains pas que ma fran-
chise soit suspectée d'esprit départi ou de cotterie ; en dehors
de ce qu'on appelle le monde littéraire , penseur obscur ren-
fermé dans mon intérieur , et n'écrivant que d'après mes pro-
pres convictions, je suis le premier à reconnaître que nous ne
vivons pas ici-bas dans le meilleur des mondes possibles, et
que dans notre état social on rencontre à chaque pas mille
abus repoussans, qui froissent et qui heurtent. Mais la ré-
volte et le sarcasme me semblent de bien pitoyables moyens
de réforme , et, l'homme paraissant un être essentiellement
destiné à vivre en société, je ne puis concevoir qu'on prétende
commencer cette réforme en détruisant la famille, qui est la
condition première de toute civilisation et de tout bonheur.
Il est vrai qu'à la lin dés Lettres d'un Voyageur, Georges Sand,
s'adressant à M. Nisard, et répondant aux diverses critiques
dont ses ouvrages ont été l'objet, déclare qu'il n'a jamais eu
l'intention d'attaquer le mariage même et de refaire une
nouvelle charte constitutionnelle. On acceptera avec plaisir
sans doute cet aveu qui prouve en faveur du bon sens de l'é-
crivain; mais alors que signifient tant de belles pages décla-
matoires, tant d'amères dérisions, tant d'accusations passion-
nées que sa plume a semées dans tous ses écrits? Ce n'est donc
plus que du papier bon à jeter au feu. Georges Sand avoue
que le mariage, tel que l'enseignent l'Evangile et le Code, est
une excellente institution , et convient avec M. Nisard qu'on
104 LITTÉRATURE,
ne doit pas faire d'un cas exceptionnel la base d'une con-
damnation sans appel contre l'état social tout entier. Puis,
s'apercevant peut-être que par cette concession il donne des
armes à ses adversaires, il fait aussitôt ses réserves, en ajou-
tant que l'indulgence excessive accordée aux vices et aux dé-
sordres chez l'homme justifie l'inconduite chez la femme. Il y
a certainement quelque chose de vrai dans cette thèse; mais
je pense seulement qu'on ne doit pas la poser ainsi. Il faut
demander à la société plus de sévérité pour l'homme, récla-
mer l'égalité des deux sexes devant le tribunal de la morale ;
mais frapper aussi de la réprobation la plus complète là
femme qui se croit autorisée par les vices de son mari à se
livrer au désordre , à rompre les liens de la famille , à se cons-
tituer femme libre dans le sens Saint-Simonien.
Il y a du reste ample provision d'esprit chez Georges Sand,
et la plupart de ses défauts viennent de l'adulation désor-
donnée dont ses amis l'entourent. Plus d'une fois sans doute
il lui est arrivé de se faire l'aveu de sa propre faiblesse , de
reconnaître le vide de tout ce semblant de philosophie qui
veut en vain cacher le malaise d'une âme en proie au doute le
plus pénible.
« Mais, » nous avoue-t-il lui même dans une de ses lettres,
« mon orgueil , d'abord souffrant et abattu , se releva , et dé"
» cida que , pour être éreinté , je n'en étais pas moins un bon
» marcheur et un rude casseur de pierres
» Et je repris ma route, en boitant et tombant , disant tou-
» jours que je marchais bien, que les chutes n'étaient pas des
» chutes, que les pierres n'étaient pas des pierres ; et quoique
» plusieurs se moquassent de moi avec raison, plusieurs au-
» très me crurent sur parole, parce que j'avais ce que les
» artistes appellent de la poésie , ce que les soldats appellent
» de la blague. »
On ne saurait donner une appréciation plus juste du ta-
lent et des succès de Georges Sand. Ce petit fragment prouve
que l'écrivain se connaît encore mieux que personne.
DE PRÈS ET DE LOIN, roman conjugal, par P. L. Jacob. — Paris,
chez Magen ; 1837, 2 vol. in-8. 15 fr.
Roman anti-conjugal plutôt; car il est fait pour donner une
triste idée du mariage. Il est vrai heureusement que tous les
époux ne ressemblent pas à ceux que l'auteur met en scène,
et que l'amour ne se montre pas toujours aussi aveugle dans
les unions qu'il forme. Mais on reconnaîtra dans l'exemple
HISTOIRE. 10j
qu'il a choisi un type dont l'espèce n'est pas raie non plus,
et pour cette fois du moins M. P. L. Jacob a copié
la nature avec une grande vérité : j'ajouterai qu'en adop-
tant pour ce roman la forme épistolaire il a donné à son style
un charme tout nouveau, une allure plus rapide et plus
agréable.
Félicie est une femme romanesque, à imagination exal-
tée, sentimens mystiques , poésie vaporeuse. Un amour vio-
lent et partagé l'unit à Georges, homme de bourse, qui n'a
d'enthousiasme que pour le cours de la rente, et ne s'abstrait
que dans le calcul des marchés à terme. On devine déjà quels
désappointemens éclairera le flambeau de l'hymen, dès que
l'amour soulèvera un coin du bandeau qui les aveugle tous les
deux. La passion de la jeune femme quoique partagée n'est
point comprise, et elle ne tarde pas à s'en apercevoir. A ses
élans romantiques son positif mari demeure sourd, et ne ré-
pond bientôt plus que par des signes d'ennui ou des sourires
moqueurs. Après quelque temps consacré à savourer le bon-
heur de s'appartenir, de vivre seuls dans toutes les délices de
l'amour, Georges regrette le monde et veut y rentrer en en-
traînant sa femme avec lui. Il retrouve avec une joie non
déguisée, ces salons brillans où il rencontre d'anciennes liai-
sons, des femmes qui lurent ses amies, des camarades avec les-
quels ilamené joyeuse vieautrefois. Félicie comprend aussitôt
que ce cœur déjà usé n'est pas fait pour partager ses sentimens
poétiques, et une seule soirée suffit pour dissiper toutes les
brillantes illusions de son âme pure et naïve. Eu rentrant au
logis, Georges lui fait une scène violente sur la froideur dédai-
gneuse avec laquelle elle a repoussé les avances qui lui étaient
faites par l'une des anciennes amies de son mari. Dès ce mo-
ment tout bonheur est détruit entre les deux époux; la ja-
lousie se glisse dans le cœur de Félicie, et après avoir essayé
en vain de ramener Georges, en faisant un appel à son amour,
elle reconnaît avec désespoir combien était trompeuse la pré-
tendue sympathie qui les avait unis l'un à l'autre. Une sépa-
ration lui paraît l'unique moyen d'éviter de plus grands mal-
heurs. Alors commence la correspondance entre Félicie et
Georges; ils ne se voient plus; ils s'écrivent et vivent chacun
chez soi, évitant toutes les occasions de se rencontrer. Les let-
tres de la jeune femme sont empreintes d'un douloureux sen-
timent; cette séparation qu'elle a voulue lui pèse, et cepen-
dant, malgré les conseils d'une cousine qui vient s'interposer
comme médiatrice, elle ne sacrifie aucune de "ses idées, aucun
de ses scrupules exagérés à la paix du ménage. Quant au mari,
il reprend dabord avec joie sa liberté et sa vie de garçon, il
confie ses mésaventures conjugales à un vieil ami, qui fut
10(5 LITTÉRATURE,
toujours ennemi déclaré du mariage, puis, après avoir joui
pendant quelque temps de cette existence agitée, la lassitude
le gagne, il se prend à regretter sa femme, et une circonstance
fortuite lui fait faire les premiers pas vers un rapprochement
que Félicie accepte avec transport comme le retour du bon-
heur. Hélas! si, de loin, l'amour semblait effacer toutes les
incompatibilités de ces deux caractères, de près, l'amour est
bientôt de nouveau chassé par elles. Cette fois c'est Georges
qui devient jaloux d'un jeune homme, que les malheurs et les
charmes de Félicie ont vivement touché. Une nouvelle sépa-
ration ne tarde pas à avoir lieu, mais plus complète et plus
sérieuse que la précédente. Georges quitte Paris et va s'enfer-
mer dans la solitude, loin du monde, dans un village de Tou-
raine. Félicie abandonnée à son chagrin se trouve en butte aux
attentions de ce rival, auquel son mari semble en quelque sorte
laisser le champ libre. Fidèle à son devoir et à la vertu, elle
résiste aux dangers d'un fatal entraînement; mais elle ne peut
demeurer tout-à-fait insensible à un amour si noble, si dés-
intéressé, si pur , tel en un mot que son imagination l'avait
rêvé. Cependant le monde , toujours prêt à juger et à con-
damner sur de simples apparences , accuse bientôt la jeune
femme de légèreté; de méchans propos sont semés de toute
part; on les entend même répéter tout haut dans un lieu pu-
blic. Alors le sentiment de l'honneur réveille Georges, chez le-
quel d'ailleurs semblait aussi depuis quelque temps renaître
son ancienne passion pour Félicie. Il reprend la route de Pa-
ris, et vient encore une fois essayer si cet amour qui de loin le
maîtrise pourra enfin lui faire, de près, trouver le bonheur.
Un triste dénouement empêche la solution de ce problème
difficile. Félicie succombe au milieu de ces luttes pénibles;
son corps était trop frêle pour supporter les émotions de son
âme exaltée. Elle meurt victime d'une union mal assortie
qu'un amour aveugle lui avait fait contracter. Il y a de l'in-
térêt et beaucoup de vérité dans ce roman. De près et de loin,
offre un tableau fort bien tracé de ces mariages assez com-
muns dans le monde, dont les époux s'adorent tant qu'ils sont
éloignés l'un de l'autre, et ne peuvent pas vivre heureux huit
jours ensemble. C'est le résultat d'observations justes et sages;
l'auteur a su se tenir dans les limites du réel, sans rien exa-
gérer, et je rends ici hommage à son incontestable talent avec
d'autant plus déplaisir qu'il ne m'est arrivé que trop souvent
d'avoir à lui adresser, en d'autres occasions, des critiques qui
ont pu paraître sévères au milieu des fastidieuses et hanales
louanges de presque toute la pressé.
HISTOIRE. 107
k.m a.xï, roman, Souvenir» de la restauration, par Antony Rénal. I vol.
in-8, 7 fr. 50 c. — LA vertu porte malheur! roman, par P.
Duperrier, t vol. in-8, 7 fr. 50 c.-EMMA de lisaxa , par A. Du-
bois. 1 VOl. in-8, 7 fr. 50 C — UNE SOIRÉE CHEZ Mlnfc GEOFFRIX,
par la duchesse d'Abranlès. 1 vol. in-8, 7 fr. 50 c. — LES tem-
pliers, par M. /. Brisset. 2 vol. in-8, 9 fr. — LES reistres ,
chroniques des guerres de religion, par Victor Boireau. 2 vol.
in-8, 15 fr. — «XQ ET PAS UXE ! par Alexandre Corby. 1 vol. in-8,
6 fr. — MENSOXGE, par Raymond Bûcher. — Paris, 1837 ; 2 vol.
in-8, 15 fr.
— Dans Ema/iy, je ne saurais dire quel est le plus mau-
vais de la forme ou du fond, du style ou des pensées. C'est
une macédoine de misérables intrigues, d'ignobles amours,
d'exagérations ridicules, écrite dans un langage tellement
embrouillé qu'à chaque page on rencontre des phrases qu'on
lit inutilement trois ou quatre fois sans pouvoir parvenir à
les comprendre. Il est vrai que pour beaucoup de gens c'est
en cela justement que consiste le sublime. M. Antony Rénal
peut donc espérer de trouver des lecteurs, et, en attendant, la
camaraderie lui vient en aide; car je lis, dans un journal,
c[u£ma/ij est une production fort remarquable, un roman
qui sort de ligne, et place son auteur parmi nos meilleurs
écrivains.
— La Vertu porte malheur et Emma de Lisana sont, ou du
moins paraissent être deux compositions d'écoliers à peine
sortis du collège , et fort inhabiles à manier la plume , à
nouer les intrigues , à observer et à peindre la société.
— Madame la duchesse d'Abrantès exploite un nom et
une position qui suffisent souvent, il est vrai, pour assurer
à l'écrivain qui les possède une réputation , comme on dit
aujourd'hui , pyramidale. Elle n'est sans doute pas dépour-
vue de tout talent , et possède certainement plusieurs des
qualités qui constituent le bon écrivain; son esprit est vif et
piquant, son style animé, facile, son imagination féconde;
mais elle fait trop le métier, elle travaille trop vite, se re-
pose sur la faveur accordée par le public à ses premiers vo-
lumes, et nous donne le plus souvent du bavardage, des ca-
quets de salons sans nulle valeur littéraire. On a déjà plus
d'une fois écrit sur Madame Geoffrin ; si tous les bons mots
qu'on lui attribue lui appartenaient, en vérité, sa vie en-
tière se serait passée à jouer à la répartie. Madame d'A-
brantès ne nous apprend pas grand' chose de nouveau sur
elle, et la peinture qu'elle fait de la société qui se rassem-
blait autour de cette femme célèbre, n'est ni séduisante, ni
bien vraisemblable. En lisant ce roman on pourrait croire
que l'esprit consiste à dire, sans retenue, tout ce qui vous
108 LITTÉRATURE,
passe par la tète, et que l'art de la conversation n'est qu'un
feu roulant de quiproquos et de bêtises sans rime ni raison.
— Les Templiers de M. Brisset , et les Reistres de M. Boi-
reau, sont deux essais de romans historiques qui ne me pa-
raissent pas fort heureux. M. Brisset aurait dû s'inspirer de
l'admirable talent de Walter Scott dans son Ivanhoé, où il
trace avec tant d'énergie les portraits de quelques-uns de ces
hommes qui ne cachaient que trop souvent sous leur man-
teau religieux des âmes hautaines et orgueilleuses , des cœurs
durs et haineux , des passions violentes. Il aurait pu puiser
dans un pareil modèle tout ce qu'il fallait pour intéresser
ses lecteurs, tandis qu'au contraire la marche qu'il a suivie
me paraît peu propre à atteindre ce but. Quant à M. Victor
Boireau , on reconnaîtra en lui un studieux écrivain , qui
étudie avec patience et amour les vieilles chroniques, et cher-
che à en extraire un portrait fidèle des mœurs qu'il veut
f teindre , des époques qu'il veut décrire. Les guerres de re-
igion, qui ont si long-temps agité la France, paraissent être
le but favori de ses études. Elles offrent une mine riche à
exploiter pour le romancier comme pour l'historien ; mais
l'auteur des Reistres ferait mieux peut-être de nous donner
ses recherches historiques sous une autre forme que celle du
roman. Il est mal habile à nouer des intrigues, à conduire
une action, à faire parler et agir ses personnages. Son livre,
plus riche qu'il ne le faudrait peut-être en érudition et en
documens , pèche par la forme, qui, dans des ouvrages de
ce genre, est cependant la première et indispensable con-
dition de succès. Du reste , il défend les troupes allemandes
de ces temps de discorde civile contre les attaques trop gé-
nérales et trop violentes auxquelles elles ont été en butte , et
son opinion, à cet égard, semble se rapprocher plus que
toute autre de la vérité. Mais un roman n'est pas et ne peut
pas être une thèse d'histoire ; c'est le sortir tout à fait de sa
sphère et d'une manière fort peu avantageuse.
— Cinq et pas Une! c'est vraiment jouer de malheur, monsieur
Corby ; mais aussi pourquoi votre héros adresse-t-il si mal ses
passions? pourquoi arrive-t-il toujours sur les brisées d'autrui,
et prétend-il enlever aux autres leurs femmes ou leurs maî-
tresses , quand il y a tant de cœurs libres dans le monde
qui eussent sans doute accueilli son amour avec joie? Pour-
quoi surtout ne varie-t-il pas davantage ses moyens d'atta-
que ? cette monotonie n'est point amusante, je vous assure.
Il s'enflamme pour la première femme qu'il voit, il l'adore,
il veut être payé de retour; puis, au moment où il se croit
au comble du bonheur, arrive le mari qui fait tapage, le pro-
voque et succombe dans la lutte. Il s'enflamme pour une
HISTOIRE. 10:)
seconde, il l'adore, il veut être payé de retour ; puis, au mo-
ment où il se croit au comble du bonheur, arrive le mari
(jui fait tapage, et il faut déloger bien vite. Il s'enflamme
pour une troisième, il veut ; mais le lecteur me dispense
sans doute de pousser plus loin cette analyse, qui finirait par
ressembler à certaine histoire d'un chevrier et de ses chè-
vres que Sancho Pança raconte à Don Quichotte. Tant y a en-
fin que Cinq et pas Une ! Puis le désespoir s'empare de lui,
et il descend dans la tombe pour se reposer de ses exploits.
— Le Mensonge, de M. Raymond Bucker, l'un des écri-
vains qui se cachèrent jadis sous le pseudonyme de Michel
Raymond, aurait pu être une fort bonne vérité s'il avait su
se tenir en garde contre l'exagération , prendre dans la na-
ture les modèles de ses personnages et ne pas leur donner à
tous des caractères d'exception dont le nombre est heureu-
sement loin d'être considérable dans le monde. On regret-
tera d'autant plus ce défaut, que le sujet choisi par l'auteur
était digne du talent dont il a fait preuve d'autres fois. Il
n'est que trop vrai que le mensonge est un trait caractéris-
tique de notre époque. Une civilisation faussée par l'ab-
sence de tout principe moral l'a glissé partout, et tous les
rapports sociaux en sont plus ou moins entachés ! Un ta-
bleau bien tracé de tous les maux enfantés par cette triste
corruption offrirait le plus haut intérêt, et en même temps
la plus belle leçon ; mais en présence de celui de M. Rav-
mond Bucker on n'éprouve qu'un sentiment de répulsion
et de dégoût. C'est une peinture dont l'ensemble peut être
bien conçu, mais dont les couleurs sont fausses et le dessin
monstrueux.
LES ASSASSINS, par Amédée Pommier. — Paris, chez Delaunay, 1837;
in-8, 1 fr. 50 c.
Satire violente , mais en général énergique et bien versi-
fiée; les travers politiques et moraux de notre époque ont
allumé chez l'auteur une verve digne quelquefois de Juvénal.
En vérité, on ne se douterait guère que c'est le même écri-
vain auquel on doit la République ou le Livre de Sang, et pour
moi, qui ne lui ai pas ménagé la critique lorsqu'il publia ce
premier ouvrage, je reconnais avec d'autant plus de plaisir les
progrès immenses qu'il a faits et je l'en félicite vivement. Si
l'on trouve encore dans ses vers quelques chutes malheu-
reuses comme celle-ci :
Dussé-je partager le sort de Kotzebue,
Je serai trop content si ma voix contribue
MO LinÉRATUKE,
A couvrir de mépris ces obscurs garnemens
Qui menacent de mort tous les gouvernemens.
ou quelques termes trop crus et peu poétiques tels que
ceux-là :
Des butors, sans motifs à leur entêtement,
Sur sa tête sacrée acharnés bêtement.
Ces défauts sont fort rares, et le ton général de sa poésie'est
bien celui qui convient au sujet. Elle respire une indignation
vive, une exaspération d'bonnète homme contre les turpitu-
des du siècle, et l'on pardonnera volontiers quelques passages
un peu trop exagérés, en songeant qu'une satire va toujours
plus loin que la vérité. Les tentatives répétées de régicides,
qui depuis quelques années sont venues semer le trouble et
la terreur en France , apparaissent sur le premier plan et
comme le sujet principal qu'a voulu traiter M. Amedée
Pommier.
Et qui pourrait souffrir que la société,
Toujours au bord du gouffre et dans l'anxiété,
Périclitât sans cesse au gré du premier drôle
Qui se croit un Brulus et veut jouer un rôle !
Ce n'est donc point assez qu'en juin et qu'en avril,
L'émeute audacieuse ait tout mis en péril,
Et que , contre les lois dressant des barricades ,
Elle ait fait feu sur nous de ses mille embuscades;
Il faut qu'incessamment des complots effrénés
Noircissent de brouillards nos cieux rassérénés;
II faut que, coup sur coup, notre histoire enregistre
Quelque jour de malheur, quelque date sinistre,
Et que la nation, par d'obscurs ennemis,
Voie à chaque moment son salut compromis !
Mais il ne se borne pas à stigmatiser les obscurs conspira-
teurs dont les espérances déçues, les désappointemens cruels ,
et quelquefois la soif de la vengeance, ont fait des assassins.
Sa juste colère s'adresse avec raison à cette immoralité pro-
fonde, suite naturelle de l'absence totale de principes chez la
plupart des hommes qui prétendent réformer , diriger , gou-
verner même la société.
La jeunesse surtout, donnant contre l'écueil ,
S'est livrée avec rage au démon de l'orgueil.
Mlle croit tout savoir; avant d'être pubère,
Sur les plus hauts sujets hardiment délibère -,
HISTOIRE. III
Pour sa présomption ne voit rien de sacré ,
Et prétend repétrir l'univers à son gré.
Des écoliers d'hier , réformateurs imberbes ,
Nous embrassant en bloc dans feurs mépris superbes,
Et prenant en pitié l'âge et les cheveux blancs,
Veulent de l'Eternel rectifier les plans.
Vous voyez des morveux qui sortent de la coque
Vous parler de leurs droits, des besoins de l'époque;
Le monde social est sans secret pour eux ;
Ils savent les moyens de rendre l'homme heureux,
Et, précoces penseurs, dès leur adolescence,
De Dieu , des lois , de tout , ont pénétré l'essence.
Le dirai-je? trouvant que les excès sont beaux,
Partout des Byrons nains , de petits Mirabeaux ,
Plagiaires du vice à défaut du génie,
Comme on cherche l'honneur cherchent l'ignominie ,
Affichent la débauche et l'immoralité ,
Et , flétrissant la vie avant maturité ,
Pareils à l'arbrisseau qu'en serre ou fait éclore ,
Usent les passions qu'ils n'ont pas même encore.
Il nous montre ces jeunes gens entraînés ainsi trop souvent
au crime ; car , n'ayant trouvé nul autre moyen de faire par-
ler d'eux , de passer à la postérité , de se créer un nom ,
de leur obscurité
Ils s'élancent d'un coup à la célébrité ,
Trouvent sous le couteau la mort plus poétique ,
Et font sur l'échafaud une fin dramatique.
L'exemple de Lacenaire vient se placer de lui-même sous
la plume du poète, qui trouve des paroles pleine d'énergie et
de vérité pour maudire l'engouement dont le public parut
saisi , et dont la presse encouragea et augmenta encore le
scandale en publiant jusqu'aux moindres paroles de ce misé-
rable.
Oui, j'en rougis pour nous, dans cette même France,
Qui pour la poésie a tant d'indifférence,
Où souvent l'écrivain de talent et d'honneur.
Malgré tous ses efforts, n'obtient pas un prôneur ,
Un scélérat infâme a vu ses rapsodies
Reproduites partout et partout applaudies ,
Et ces graves journaux, dont l'intraitable orgueil
Daigne à peine a notre art accorder un coup-d'œil ,
Qui pour parler de vers ont trop d'autres matières,
Ont pourtant consacré des colonnes entières
Aux bribes sans couleur d'un méchant coupleliei
Qui du sicairc seul savait bien le métier.
112 LITTÉRATURE,
Ainsi pour faire lire ou fragment ou volume
Contre le lire-point il faut troquer sa plume,
Et chez nous désormais , de l'esprit, du talent,
Le meurtre et léchafaud sont un équivalent.
Fiesehi et la stupide admiration qu'excita chez maintes
personnes son insolente audace , trouvent également leur
place dans cette satyre, que l'auteur termine par le vœu fort
raisonnable de ne plus voir de vils assassins transformés en
criminels d'état, trôner en quelque sorte sur la sellette de la
Chambre des Pairs, y être traités avec une considération et une
importance qui flattent leur vanité , et offrir en quelque sorte
un appât de renommée à certaines ambitions déçues , que le
crime épouvante moins que l'obscurité.
LES athexéenses, choix de poésies , par Paillet , (de Plombières),
président de l'Athénée des arts, sciences et belles lettres de Paris, etc.
— Paris, chez Krabbe, 1837; 1 vol. grand in-8.
Les poésies que renferme ce volume ont été lues par l'auteur
dans diverses séances pupliques de l'Athénée , et il dit avoir
été encouragé à les publier par l'accueil flatteur que leur ont
fait les nombreux auditeurs qui remplissaient la salle Saint-
Jean. Je ne doute pas qu'à la lecture elles n'obtiennent éga-
lement un succès durable , car elles se font remarquer pour
la plupart par un style pur et harmonieux , ainsi que par une
verve spirituelle et un talent qui s'élève parfois assez haut.
Pour premier mérite , et ce n'en est pas un petit selon moi ,
voici un poète qui chante sans pleurer, qui inédite sans sou-
pirer, qui s'indigne sans blasphémer, et ne prêche pas le dés-
espoir et le suicide en sablant le Champagne avec de joyeux
compagnons. Au milieu des lamentations de nos Jérémies
actuels à la lyre mélancolique, à la voix monotone, les Atlté-
néennes se distingueront déjà d'une manière fort avantageuse
par le seul effet du contraste qu' elles produisent. On y re-
trouvera avec plaisir une muse qui n'a pas toujours les yeux
rouges et gros de larmes , qui sait encore sourire gaîment, et
s'armer dans l'occasion du fouet de la satire pour en fusti-
ger avec énergie les barbes de bouc, les cyniques excès et la
cadavéreuse pâleur de notre jeunesse, ainsi que les folles ex-
travagances de la littérature moderne. M. Paillet de Plom-
bières est un vétéran dans la carrière poétique ; et à lui per-
mis, plus encore qu'à tout autre, de juger et de condamner les
travers de notre époque. D'ailleurs il n'est pas exclusif dans
sesjugemens, et on ne saurait l'accuser de partialité ; car ses
HISTOIRE 113
traits piquans atteignent les ridicules partout où il en voit. S'il
porte des coups vigoureux aux exagérations romantiques, il
n'épargne pas non plus l'esprit étroit etsecdel'ultra-classique.
La première pièce du recueil , et celle qui lui sert en quel-
que sorte d'introduction , est un discours entre le poète et
l'éditeur. Faire un poème estime œuvre difficile, sans doute;
mais lorsqu'il est achevé , l'auteur n'est pas au bout de ses
peines, car il ne l'a pas fait pour le garder dans son porte-
feuille ; et s'il veut qu'il soit imprimé , il faut trouver un édi-
teur qui s'en charge. Or, nous ne sommes plus à cet âge d'or
des lettres, où des libraires ricbes et instruits venaient en aide
aux jeunes auteurs, favorisaient leur début et protégaient le
développement des talens dont ils avaient reconnu le germe
dans leur œuvre d'essai. Aujourd'hui il y a encore des éditeurs
riches , sans doute ; mais ils ont en général plus d'or que
de savoir , et sont plus instruits dans l'art de calculer les
piles d'écus que dans la connaissance des livres. La littéra-
ture n'est pour eux qu'un commerce dans les intérêts du-
quel ils spéculeront volontiers sur le mauvais goût du public,
s'ils y trouvent quelque chose à gagner. Avez- vous un nom
connu? pouvez-vous compter sur quelques journalistes pour
faire le succès de votre livre? Voilà les questions qu'ils adres-
sent à l'auteur qui leur offre un manuscrit, que du reste ils
ne se donneront pas la peine de lire. Que si l'auteur insiste
et demande qu'on examine son œuvre , dont le mérite doit
seul faire la destinée , voici ce qu'on lui répondra :
Au reflet de l'argent chez nous tout se colore ,
Moi , j'ai de la fortune ; aussi chacun m'honore ,
Me parle chapeau bas, d'un ton respectueux;
Je nie vois entouré de courtisans nombreux;
J'ai salon , j'ai voiture : au gré de mon envie ,
Dans des plaisirs sans fin je dépense ma vie ;
Et ce rare bonheur dont je suis enivré ,
Savez -vous le talent qui me l'a procuré?
Celui du gain , celui d un marchand qui calcule
L'influence des noms sur un public crédule,
Et met un livre au jour, sans s'informer jamais
Si tel ouvrage est bon , médiocre ou mauvais.
Il se vendra, c'est tout, là finit ma science.
Moi, juger un écrit! ce serait conscience;
Q'uai-je appris ? Mais du moins au génie indigent
Je puis avec orgueil dire : J'ai de l'argent.
L'esprit et le savoir méritent qu'on les loue,
J'en conviens; mais, s'il faut ici que je l'avoue,
Je plains les écrivains qui se sout figuré
Qu'au bonheur le talent avait un droit sacré.
114 LITTERATURE,
La gloire pourrait seule embellir votre vie ,
Dites-vous; je veux bien seconder votre envie ,
Je vais, en peu de mots , sans me croire indiscret ,
Des réputations vous dire le secret :
Que fait-on, quand on veut un succès littéraire ?
On s'assure d'abord du zèle d'un libraire,
Puis, dans chaque journal, un ami fié voué
Tient tout prêt un article où vous êtes loué ;
Venant même au secours de sa paresse extrême ,
Cet article obligeant , vous l'écrivez vous-même.
— Qui ? Moi! j'aurais le front.... — De grâce calmez-vous,
Tous les jours, nous voyons ces choses parmi nous ;
Ainsi des noms nouveaux la France est informée ,
Et de nos immortels grandit la renommée.
— Ah! monsieur l'éditeur, ce discours me confond.
— Faites tout bonnement ce que les autres font,
Payez tout, y compris les journaux, les affiches,
L'annonce d'apparat , réservée aux plus riches,
Les dîners , les cadeaux en vermeil , en bon vin ,
Enfin tout ; vos écrits alors seront divins,
Votre nom tout-à-coup sortira des ténèbres,
Et viendra resplendir parmi les noms célèbres....
C'est bien cela ; rien de plus vrai que cette scène , et la ti-
rade du libraire offre le tableau le plus frappant de la réalité,
de ce qui se dit et se fait tous les jours dans Paris. On en est
venu à ce point de dévergondage , que la renommée se prête,
se vend et s'achète comme une marchandise. Et le public ,
averti pourtant, se laisse ainsi bénévolement duper tous les
jours sans accabler de son mépris ces misérables et honteuses
intrigues de la camaraderie ! En présence de cette ridicule et
triste comédie, on est tenté de partager la mauvaise humeur
de ce vieillard de la petite Procence qui regrette le bon vieux
temps , et de s'écrier avec lui :
Quel trésor qu'un bon livre ! on le lit, on en cause;
J'aimais a savourer tour a tour vers et prose.
Les écrits, selon moi, sont tous creux aujourd'hui;
Lire un pareil fatras! c'est à mourir d'ennui !
Autrefois, la Gazette et le fameux Mercure
Traitaient la politique et la littérature.
On admirait surtout le style de Fréron,
Homme d'un grand mérite et qui donnait du bon.
Deux journaux suffisaient a toute une semaine.
Chaque matin, chez nous, il en pleut par douzaine.
Mais imprimés si fin , mais si longs , si mauvais!
Qui les lit perd son temps et ses \ eux et ses frais.
HISTOIRE. 115
Comme on le voit , notre auteur ne réussit pas mal dans la
satire. Ce volume renferme diverses poésies de ce genre qui
n'en sont pas les moins remarquables. Le Dialogue entre un
journaliste et un auteur, les Paroles d'une huître, les Charlatans
sont remplis d'une critique franche et forte qui brille égale-
ment par l'esprit et la raison. Le dernier de ces morceaux
ainsi que le Perruquier politique et la Tabatière et la pipe, nous
montrent que 31. Paillet sait, quand il le veut, plier avec
beaucoup de grâce le vers alexandrin aux formes légères du
genre badin. IJn seul reproche peut lui être adressé; c'est
d'alonger parfois un peu trop ses pièces, et d'affaiblir ainsi
leur sel en le délayant.
Plusieurs fragmens de poème d'un ordre plus sérieux et
plus élevé, prouvent que l'auteur aspire au génie épique;
et cette ambition , quelque téméraire qu'elle puisse paraître,
n'est peut-être pas tout-à-fait dénuée de fondement. Mil-
tiade , Milton mourant, le Passage du Bagauda , contiennent
de beaux morceaux , des vers heureux , de l'énergie sans exa-
gérations de style ni de pensée. Ainsi 3Iilton dit avec beau-
coup de vérité et un grand bonheur d'expression :
D'un joug plus écrasant le peuple est menacé ,
Quand il rappelle un maître après l'avoir chassé.
et cette allocution du fils de 3Iiltiade est pleine d'un sen-
timent noble et énergique :
« Mon père, dors en paix au sein de nos aïeux ,*>
A-t-il dit , « c'est ton fils qui te ferme les yeux ;
» Il fera plus; il veut qu'à tes mânes célèbres ,
» On ne refuse point quelques honneurs funèbres;
» Il accepte ta dette. Approchez, magistrats!
« Miltiade n'est plus, et voici mes deux bras ;
» D'un père , d'un héros, je demande les chaînes
» Ah ! pour lui tout le sang qui coule dans mes veines !... *>
3Iais , dans l'épopée plus encore qu'ailleurs , l'auteur doit
se tenir en garde contre sa facilité , éviter les longueurs ,
les détails superflus , car il ne faut jamais oublier que l'at-
tention du lecteur a besoin d'être constamment soutenue et
excitée, soit par des situations fortes et énergiquement tra-
cées , soit par l'intérêt d'une action qui ne languit point et
qui fait oublier la monotonie de nos vers rimes.
31. Paillet parle d'un poème de Regulus qui a été dit-
il, l'œuvre de toute sa vie, mais qui n'est point encore achevé,
et dont il n'a publié que des fragmens. La littérature fran-
çaise a déjà vu échouer bien des tentatives d'épopée, et Fou
I io LITTERATURE,
peut dire qu'il faut un véritable courage pour essayer de
remplir cette lacune que Voltaire, avec tout son génie, n'a
pu combler , et que beaucoup de gens regardent comme in-
bérente au génie de la langue française. Je souhaite vive-
ment que le Régulus de M. Paillet puisse obtenir ce beau
triomphe ; mais je pense que pour le juger il faut attendre
de le connaître dans son entier.
LE ROMAN DES romans, par A. Creuzé de Lesser. — Paris, 1837;
2 vol. in-8, lôfr.
N'allez pas croire à la vue de ce titre que ce soit la perle
des romans, le roman par excellence ; l'auteur a soin de nous
en prévenir dans sa préface , son amour-propre ne l'aveugle
pas à ce point, et il n'avait même pas besoin de nous le dire,
car on le sait trop homme d'esprit pour commettre semblable
méfait. Son roman est le résultat des romans, voilà ce que si-
gnifie son titre. De trois jeunes filles , amies de pension, plus
ou moins impressionnables, deux se nourrissent de ces œuvres
d'imagination qui pullullent dans les cabinets de lecture et
qui, passant de main en main dans toutes les classes de la so-
ciété, y sèment souvent les plus mauvais principes, ou du
moins, en général, n'y répandent que de rares bons grains
perdus au milieu de l'ivraie. La troisième, au contraire, élevée
d'une manière plus sérieuse, fuit la frivolité, et préfère les
livres graves et utiles. Ces trois héroïnes se marient , et leurs
destinées sont en rapport avec l'influence plus ou moins forte
exercée sur elles par leurs lectures. L'une , douée d'un ca-
ractère léger et de passions vives , s'abandonne avec plus de
fougue à toutes les exagérations de la sensiblerie. Le premier
caprice de son cœur se change à ses yeux en un violent amour,
dont rien ne peut arrêter la fougue. En vain ses païens veu-
lent-ils lui faire entendre la voix de la raison; elle n'écoute
rien, et les obstacles qu'on prétend lui opposer ne servent qu'à
la pousser à un acte de désespoir. Elle cherche à s'asphyxier ,
et enfin elle obtient la main de celui qu'elle aime. Mais cet
amour s'évanouit bientôt pour faire place à d'autres. Les mo-
dèles de coquettes et de femmes galantes qui fourmillent dans
nos romans modernes, ont tourné cette jeune tète sans expé-
rience.
La seconde des trois amies , bien moins exagérée dans ses
sentimens , est plutôt victime de la faiblesse d'une mère qui
la pousse à contracter un mariage peu propre à la rendre heu-
reuse. Mais du moins elle reste pure dans son malheur , et si
des lectures romanesques ont pu contribuer à gâter sa desti-
HISTOIRE. 117
née , elles n'ont jamais terni l'éclat de son honneur , elles
n'ont pas corrompu son cœur ni souillé son âme.
Quant à la troisième , qui s'est sagement abstenue de ces
malheureux livres, dont 1 influence a été si funeste à ses deux
compagnes , nous la voyons contracter ce qu'on appelle un
mariage de convenance , et y trouver le bonheur.
L'auteur nous donne ainsi à entendre que les mariages d'in-
clination sontpresque toujours malheureux, tandis que lorsque
la raison unie au calcul, remplace l'amour dans l'union con-
jugale, on y jouit d'un bonheur assuré. Cette conclusion est,
je crois, totalement fausse en principe, quoique souvent il
arrive que les faits semblent la confirmer. Sans doute, si on
prend pour guide, dans le choix de l'être avec lequel on veut
s'unir pour la vie , une passion aveuglé , un délire des sens ,
auxquels on donne mal à propos le nom sacré d'amour, il est
bien certain qu'on risque fort de se préparer de cruels désap-
pointemens, lorsque l'ivresse sera passée. Mais d'un autre côté,
il n'est pas moins faux d'avancer que ce qu'on appelle mariage
de Convenance , soit la source certaine de la félicité conjugale;
car le plus souvent, rien ne convient moins au bonheur que
de semblables unions, où l'on ne calcule que les avantages d'ar-
gent ou de position sociale , sans le moindre égard à la sympa-
thie des caractères. Ne serait-il pas absurde de prétendre que
l'amour est de trop entre deux êtres qui s'unissent pour la vie
entière , qui se doivent support , soutien , affection , qui sont
destinés à former une famille et à élever des enfans dans la
pratiquede touteslesvertus sociales, dont le sanctuaire ne sau-
rait être que dans des cœurs chauds et généreux !
Mais malgré la tendance quelque peu sophistique de cette
conclusion, on lira volontiers le Roman des romans. M. Crcuzé
de Lesser n'a aucun des défauts de nos romanciers du jour.
Son style est assez simple, et l'action de son récit l'est encore
plus. Rien de forcé , rien d'exagéré , tout est possible et vrai-
semblable. Peut-être a-t-il parfois un peu trop de prétention
à l'esprit et s'abandonne-t-il trop facilement à des digressions
qui n'ont pas de rapport avec son sujet. Mais aujourd'hui
chaque homme n'a-t-il pas ses préoccupations politiques, reli-
gieuses ou philosophiques qui le distraisent et le font souvent
dévier de la ligne droite ?
mémoires historiques de S. A. R. Madame, Duchesse de Berry ,
depuis sa naissance jusqu'à ce jour, publiés par Alfred Nettement.
— Paris, 1837; 3 vol. in-8, 22 fr. 50c.
mémoires SUR s.A reine hortexse et la famille Impériale , par
9
liS LITTÉRATURL ,
M'"1 Cochelet ( M""' Farquin), lectrice de la Reine. — Paris, 1837;
2 vol. in-8, 16 fr.
Les circonstances ont établi quelques rapports entre les po-
sitions des deux princesses déchues dont les mémoires font le
sujet de cet article. Mais ce qui en a établi davantage encore
et nous a décidés à les rassembler ici, c'est le sort commun
qu'elles ont de voir leurs noms et leurs malheurs exploités
par la spéculation littéraire. Aujourd'hui qu'on est de tous
côtés en quête de moyens capables d'aiguillonner un public
endormi dans cette apathie qui suit toutes les commotions
politiques , c'est une véritable bonne fortune de pouvoir lui
jeter ainsi des titres qui réveillent chez les uns des souvenirs,
chez les autres des espérances , chez tous un sentiment de cu-
riosité. Peu importe ce qui se trouve dans les volumes ; car
avant que les acheteurs, alléchés par les pompeuses annonces
des journaux, aient eu le temps de les ouvrir , l'éditeur a
vendu son édition et se met déjà en recherche de quelque
nouvelle célébrité à exploiter. Les dupes n'ont même pas le
droit de se plaindre; car chaque fois, elles se laissent re-
prendre au même appât , et il est arrivé que le libraire qui
avait ainsi inondé la France des plus pitoyables productions de
ce genre, s'est vu hautement proclamé le protecteur éclairé des
lettres, le soutien de la littérature, le Mécène de notre siècle I
— lies Mémoires de la duchesse de Berry ne sont qu'un long
panégyrique , rempli de flagorneries assez plates , d'anecdotes
niaises ou déjà connues. C'est l'œuvre d'un courtisan qui ne
voit dans l'histoire d'un pays que les intérêts d'une seule fa-
mille. Il y règne un certain ton d'étiquette qui nuit même
beaucoup à ce que pouvaient présenter d'intéressant les évé-
nemens des dernières années. On a publié sur l'expédition de
la Duchesse en Vendée des ouvrages bien supérieurs sous
tous les rapports ; et pour ce qui est du reste de sa vie , il
n'offre absolument rien de remarquable.
— Mademoiselle Cochelet n'a pas mieux réussi dans ses ef-
forts pour attacher le lecteur au récit de tous les petits riens
qui composaient la vie de la reine Hortense, comme celle d'un
grand nombre d'autres femmes. En vain nous raconte-t-elle
jusqu'aux moindres détails de toilette , jusqu'aux plus légères
indispositions avec les traitemens suivis, jusqu'aux dents ar-
rachées à la princesse , qui montrait , dit-elle , un courage
vraiment héroïque. Elle ne parvient pas mieux que ses pré-
décesseurs, dans cette noble tâche, à faire de la reine Hortense
un grand personnage historique , et avec la meilleure volonté
du monde , il est impossible de trouver le moindre intérêt dans
ces deux volumes.
HISTOIRE. 119
lettres sur i.'islanoe , par X. Màrmïer'— Pari», 1837; 1 vol.
in-8, 7 fr. 50 c.
M. X. Marinier faisait partie de la commission organisée
par M. le ministre delà marine, qui s'embarqua au mois de
mai dernier sur la Recherche, pour aller explorer l'Islande,
étudier ses mœurs, son climat, son histoire. Le mandat par-
ticulier de M. X. Marinier était de recueillir quelques dé-
bris de l'antique littérature islandaise, et des documens sur
l'état actuel des lettres dans cette contrée, dont les habitans,
en lutte continuelle avec la nature qui semble les avoir traités
en marâtre, n'ont ni le temps ni les moyens de communi-
quer avec le reste de l'Europe. Le résultat de cette mission
paraît avoir rempli les vues de l'Académie française, qui a
ainsi donné lieu à la publication d'un excellent livre, tel
que le public n'est plus guère habitué à en voir produire
par nos jeunes écrivains du jour. Les Lettres sur l'Islande of-
frent un tableau plein d'intérêt, dans lequel le talent d'ob-
servation s'unit à la science dans un but grave, sérieux, et
cependant d'un vif attrait pour la plupart des lecteurs. Ce
n'est pas de l'art prétentieux et vide, ce n'est pas du style
pompeux, des phrases à effet, sans pensée ni conviction. En
un mot, ce n'est pas de cette littérature de feuilleton qui en-
vahit tout aujourd'hui, et nous écrase sous son lourd papil-
lonnage. M. Marinier savait d'avance qu'il ne trouverait
pas à faire en Islande une ample moisson de vieux manus-
crits; presque tous ses monumens ont été transportés à Co-
penhague, et en vain le voyageur irait-il de chaumière en
chaumière pour découvrir une malheureuse strophe, une
pauvre saga oubliée. Mais l'aspect d'une contrée, la vie et
les usages de ses habitans sont plus précieux que de sem-
blables fragmens pour l'intelligence de sa littérature. Ils le
sont surtout dans un pays comme celui-là, où l'on rencontre
à chaque pas les traces de quelque bouleversement naturel,
où l'homme a sans cesse à défendre sa vie et ses propriétés
contre les volcans ou les glaces. Pour bien comprendre la
poésie des Scaldes, ses chants graves, son harmonie austère,
il faut voir ce sol labouré par les phénomènes géologiques,
qui l'ont frappé de stérilité, cette terre aride et volcanique
où l'on ne trouve que cendres et lave, où il ne croît pas une
fleur, pas une herbe, et qui a pour limites, à l'horizon, d'un
côté la mer orageuse, de l'autre des montagnes de glace.
Au milieu de cette triste solitude), sont épais çà et là de
rares habitans, honnêtes et industrieux , qui mènent la vie
la plus misérable, s'exposent aux plus grands dangers , se
livrent aux travaux les plus pénibles pour se procurer de
120 LITTÉRATURE,
grossiers alimens, qu'ils sont toujours prêts à partager, clans
une franchise cordiale et bienveillante, avec le voyageur qui
vient réclamer un asile sous leur toit hospitalier. Mais si la
nature a été avare de ses dons pour les Islandais, par un
système de compensation, qui se trouve établi partout où les
hommes ont à combattre un climat rude, un sol ingrat, la
lutte a développé leurs facultés intellectuelles à un haut
degré ! Il est bien remarquable que notre auteur trouve dans
toutes ces misérables chaumières islandaises quelques livres,
une Bible, des sagas que les paysans lisent en famille et qu'ils
échangent le dimanche à l'église avec ceux de leurs voisins
qui ne les ont pas encore lus et qui en ont d'autres à leur
prêter. Le goût de l'instruction est répandu partout , et
comme il ne peut y avoir d'écoles publiques dans un pays
ou les habitations sont disséminées à travers champs et éloi-
gnées les unes des autres, dans chaque famille la mère est
l'institutrice de ses enfans. Pendant les longues soirées d'hi-
ver, ceux-ci apprennent à lire, à écrire ; le prêtre surveille
cette éducation et en fournit les moyens en distribuant aux
pauvres femmes de pêcheurs des livres élémentaires. Nos
heureuses contrées, plus avancées sous bien des rapports sur
la route de la civilisation, auraient encore des leçons et des
modèles à prendre chez ces paysans à demi sauvages, qui
n'ont cependant ni universités ni collèges.
M. Marinier retrace rapidement l'histoire de la républi-
que islandaise qui tomba, en 1264, sous le joug de] la Nor-
vège. Depuis cette époque, l'Islande n'oflre plus aucun inté-
rêt historique , et ses annales ne présentent que le triste
tableau « de tous les fléeaux qui l'ont traversée sans relâche,
» de tous les volcans qui ont déchiré ses entrailles, de toutes
» les maladies qui ont décimé sa population . » Tremblernens de
terre, pestes, glaces, éruptions de volcan, épidémies, famines,
rien n'y manque, et de 100,000 habitans qui formèrent une
fois sa population, elle a été successivement réduite à 50,000.
Dans le temps de sa prospérité, l'Islande a eu ses scaldes,
comme le moyen-àge a eu ses minnesinger en Allemagne,
ses trouvères en Normandie. Ses poètes chantaient aussi
pour conseiller les chefs , pour enflammer le courage des
guerriers. L'origine de leurs chants remonte jusqu'au temps
de la migration des peuples, et nous montre ainsi la poésie
déjà en honneur chez ces nations venues d Orient, que les
Romains appelaient barbares, parce qu'ils ne comprenaient
ni leurs langues, ni leurs mœurs, ni leurs lois.
Les antiques sagas sont de précieux monumèns, non-seu-
lement comme poésie, mais encore comme tradition. Ce sont
en eïïet les seuls documens qui restent sur l'histoire ancienne
HISTOIRE. 121
de ces pays du Nord, dont elles chantent les héros et les
grands faits d'armes, de même que les deux Edda nous
présentent l'ensemble de leur mythologie.
La littérature a continué d'être cultivée dans la solitude
des chaumières islandaises; mais son caractère a changé avec
les destinées du pays. La poésie a quitté l'allure héroïque
qui ne saurait plus lui convenir, pour prendre une teinte
sentimentale et mélancolique plus en rapport avec l'existence
isolée et obscure des poètes. Les travaux de patience et d'é-
tude l'ont emporté sur ceux de l'imagination. Les sciences
ont eu d'ardens et habiles explorateurs, guidés bien plus par
l'amour de la science elle-même que par des motifs de gloire
personnelle; car, dans cette contrée exceptionnelle, le savant.
meurt souvent sans avoir publié son œuvre et ne peut jamais
recueillir ces applaudissement de la foule, qui sont ailleurs
le but et la récompense que tous ambitionnent.
M. Marinier termine ses intéressantes Lettres par la tra-
duction de deux poésies islandaises d'un auteur vivant, qui
sont également remarquables par la forme et la pensée. L'une
est un ebant patriotique qui prouve que la contrée la plus
froide et la plus misérable peut inspirer à ses enfans l'amour
le plus ardent; l'autre est une poésie rêveuse où le senti-
ment s'exprime avec une mélancolie profonde, et un spiri-
tualisme religieux.
MÉMOIRES D'CN CONDAMNE POLITIOtE SOITS LA RESTAURATION,
souvenirs de cinq années de captivité et de cinq années de proscrip-
tion , par Charles Monnier , ancien adjudant du génie , actuellement
inspecteur de la navigation. — Paris , 1836 ; 1 vol. in-8 , 6 fr.
Voici un exemple bien frappant des étianges vicissitudes
qui , dans les époques de révolutions politiques, peuvent tra-
verser la vie de l'homme destiné par son caractère et ses
goûts à l'existence la plus calme , la plus obscure. L'erreur
d'un cœur généreux , mais encore sans expérience du monde ,
a quelquefois des conséquences graves qui influent sur toute
une carrière , et l'homme fait, et le vieillard, se ressentent de
la facilité avec laquelle le jeune homme a cédé à un entraîne-
ment irréfléchi.
M. Charles Monnier, après avoir servi sous l'Empire, fut
du nombre des fidèles qui suivirent Napoléon à l'ile d'Elbe.
Par un sentiment peu raisonné, il lia sa destinée à la for-
tune du soldat détrôné , et cette résolution , prise k la légère ,
fut pour lui l'origine de longs malheurs. En effet , rentré en
Fiance pendant les Cent-.Tours, il se vit, après le retour de
Louis XVIII, rangé au nombre des suspects, qu'une police
ombrageuse surveillait et environnait d'embûches pour les
122 LITTÉRATURE ,
perdre. Compromis bientôt dans une conspiration dont il ne
faisait cependant point partie, mais à l'un des chefs de la-
quelle il avait remis un plan d'attaque de la citadelle de Yin-
cennes, dont malheureusement une copie fut retrouvée chez
lui , il fut arrêté , jugé et condamné à mort. Il avait noble-
ment pris son parti de mourir plutôt que de compromettre
personne par ses aveux, et le jour fixé pour l'exécution, le vit
marcher au supplice sans peur ni lâcheté. Mais après une
journée de pénible attente à la Conciergerie , il fut sursis à
l'exécution , parce que le vrai coupable s'était trahi lui-même
par ses démarches pour sauver un innocent, et M. Monnier
fut reconduit àBicêtre, où il demeura une année entière dans
un cachot obscur et infect, s'attendant chaque jour à ce qu'on
viendrait le chercher pour le traîner à l'échalaud. La seule
pensée d'une telle position fait frémir , et l'on se demande si
c'est bien dans notre siècle qu'a pu se passer un pareil fait de
barbarie et d'inhumanité ! Cette civilisation dont nous sommes
si fiers n'est-elle donc qu'un brillant manteau qui recouvre
les plus horribles plaies?
Après un an , cependant, M. Monnier fut enfin gracié; la.
peine de mort fut commuée en une détention perpétuelle. A
la même époque , le jugement de ses prétendus complices
commença , et on voulut se servir de son témoignage pour les
accabler. Mais fidèle à ses principes de loyauté et de générosité,
il déclina tout rapport avec eux ; protesta qu'il avait été seul
l'auteur du plan coupable , en avait seul conçu l'idée , et par
ses déclarations répétées, contribua puissamment à faire ac-
quitter tous les prévenus. Lui seul rentra dans la prison pour
expier un crime dont il était innocent, mais le sentiment de
sa noble conduite dut relever son courage et adoucir sa peine.
Cinq longues années se passèrent pour lui dans cette dure
captivité, où il pouvait bien se croire tout-à-fait oublié , lors-
qu'une ordonnance du roi vint changer sa détention en exil.
On se figure aisément quelle dut être sa joie de respirer l'air
de la liberté et de quitter les tristes murailles de sa prison ,
quoiqu'il lui fallût en même temps dire adieu à sa patrie. Il
put croire que ses malheurs touchaient à leur fin et qu'il avait
assez chèrement payé une étourderie de jeunesse. Mais cette
illusion fut de bien courte durée. La police française ne bor-
nait pas son action aux limites du royaume. Elle avait des
agens dans toutes les contrées voisines, ets'en tendait à merveille
avec les polices étrangères pour traquer les malheureux exilés
dont l'éloignement ne semblait jamais assez considérable pour
la sûreté du pays et de la légitimité. Aussi M. Monnier se vit-
il obligé de quitter successivement la Suisse, l'Allemagne, la
Belgique , la Hollande , etc. , etc. , et d'errer de ville en ville
sans pouvoir séjourner en paix nulle part. Enfin , l'appel des
HISTOIRE. «23
Cortès d'Espagne à tous les réfugiés politiques le séduisit
ainsi que beaucoup d'autres , et il s'embarqua pour profiter
de cet asile si généreusement offert. Mais la déplorable issue
de la révolution espagnole vint le replacer dans une posi-
tion encore plus critique. Pour échapper aux Français , qui
l'eussent considéré comme un traître, il se jeta sur la côte
d'Afrique , où de nouveaux, désastres l'assaillirent. Ce fut
à grand'peine qu'il se tira des mains des Maures, et réussit à
s'embarquer sur un bâtiment hollandais qui le transporta
à Brème , où il put enfin jouir de quelque tranquillité.
Dans les dernières an nées de la Restauration, M. Monnier ob-
tint la permission de rentrer en France, mais il fut encore sou
mis à une surveillance de haute police, fort désagréable, dont il
n'a dû qu'à la révolution de Juillet d'être entièrement délivré.
Ces innombrables aventures sont racontées avec simplicité
et bonne foi. L'auteur n'est pas écrivain , ne fait pas de phra-
ses , mais il est plein de bon sens et animé d'un esprit philo-
sophique et religieux qui l'a soutenu constamment au milieu
des plus rudes épreuves , et qiu jette sur son ouvrage une
teinte toute particulière. Son style est laconique , car tout
autre eût fait quatre ou cinq volumes avec les faits abondans
que renferme le sien. Mais il a su habilement faire ressortir
les leçons qu'on doit tirer de sa vie malheureuse. C'est une
utile et excellente lecture pour ces jeunes tètes folles, toujours
prêtes à se lancer dans l'arène politique, à sacrifier leur avenir
à des partis qui les oublieront le lendemain du succès, ou à des
chefs ambitieux qui les abandonneront, et sauront se mettre
eux-mêmes à l'abri de tout danger en cas de non-réussite.
« Une circonstance se présenta, » dit M. Monnier en résu-
mant l'histoire de sa vie , « où le sacrifice possible de quel-
ques têtes patriotes me fut montré comme pouvant briser le
joug que l'étranger avait imposé à la France. Mon inexpé-
rience des machinations des partis ne vit que le côté poétique
de cette entreprise , et je m'y jettai corps et âme , sans intelli-
gence du présent, comme sans prévision de l'avenir. La ten-
tative échoua. Les hommes auxquels elle promettait fortune
et renommée , s'éclipsèrent , et moi qui , dans«iucun cas , ne
pouvais en recueillir que la satisfaction de ma conscience , je
restai seul, en face des haines et des vengeances de la Restau-
ration. Il y a encore dans ce résultat une moralité salutaire :
il apprend aux hommes à ne pas s'exagérer leur importance,
et à mesurer sagement la distance qui sépare une folle entre-
prise d'un sacrifice rationnel et basé sur des probabilités de
succès.
» Quinze années d'incomparables misères ont été le fruit
d'un seul moment d'irréflexion. Que devinrent durant ce long
martyre , les illusions généreuses qui m'avaient poussé vers
124 LITTÉRATURE,
l'abîme? Errant, fugitif, repoussé de partout connue le lé-
preux de l'Evangile, je n'obtins pas même les honneurs de la
persécution; car, terne, cruelle, incessante, cette persécu-
tion affectait plutôt de s'acharner contre un malfaiteur obscur
que contre une victime politique. »
MEMOIRES BIOGRAPHIQUES -HISTORIQUES SUR LE PRESIDENT DE
LA GRÈCE , LE COMTE JEAN CAPOOlSTRïAS , avec des notes cri-
tiques, historiques sur plusieurs évènemens politiques, ainsi que
sur plusieurs personnages étrangers et grecs; accompagnés des
pièces justificatives et authentiques pour servir de documens à l'his-
toire contemporaine, et suivis d'un ouvrage posthume de Capodis-
trias sur Ali-Pacha de Janina, par André Papadopoulo-Vrétos, doc-
teur en médecine. — Paris, chez Ab. Cherbuliez et compe., 1837,
tome lerin-8, 5 fr. L'ouvrage complet formera quatre volumes.
Capodistrias, après avoir été appelé à gouverner la Grèce
par tous les vœux des partisans de la liberté de cette belle
contrée, fut assassiné lâchement, et presque personne n'osa
élever la voix pour maudire l'assassin, pour défendre la mé-
moiredu Président contre les violentes attaques qui lui furent
adressées par ceux-là même qui avaient le plus vivement ap-
plaudi son élection. L'histoire contemporaine est bien rare-
ment celle qu'on connaît le mieux. Passions, intérêts, secret
diplomatique, tout s'unit pour en obscurcir le sens, pour en
fausser l'esprit. Chaque parti retrace les évènemens selon sa
couleur, et les documens officiels qui pourraient servir de fil
conducteur au milieu de ce labyrinthe de mensonges, sont
généralement cachés à tous les regards, tant les gouvernemens
craignent l'éclat de la vérité. Le comte Capodistrias a été re-
présenté comme le tyran de la Grèce, on l'a accusé d'avoir
voulu établir le despotisme le plus intolérable dans ce pays,
qu'il prétendait, dit-on, exploiter pour le compte de la Rus-
sie. Il s'est élevé contre lui une foule de voix, et la presse
libérale a été presque unanime à ne voir en lui qu'un lieute-
nant du Czar. C'est à peine si une ou deux feuilles ont eu le
courage de maudire l'acte qui a mis fin d'une manière si
malheureuse aux purs du Président. L'assassin a été vanté,
par un grand jiombre, comme le libérateur de son pays. Les
évènemens sont venus depuis lors ouvrir sans doute bien des
yeux à cet égard. La Grèce Bavaroise a pu regretter plus
d'une fois ce chef qu'elle avait choisi elle-même pour orga-
niser son gouvernement après la victoire, et sous la direction
duquel elle avait repris rang parmi les nations indépendan-
tes. D'un autre coté, à mesure que les passions se calmaient la
raison s'est fait jour, on s'est souvenu que Capodistrias était
un homme d'une haute intelligence, animé des principes les
plus nobles, doué d'un cœur généreux et d'un esprit très-
éclairé, qui, dans les conférences politiques où se réglèrent les
H1ST0IRH. 12 6
destinées de tant d'États, après la fin des longues guerres de
Napoléon, avait plaidé vivement la cause des libertés suisses.
Ses amis ont pu enfin se faire écouter, et si le moment n'est
peut-être pas encore venu de porter un jugement définitif
sur cet homme d'état, l'ouvrage que nous annonçons ici sera
du moins accueilli d'une manière favorable, à cause surtout
des documens qu'il renferme et des détails, jusqu'à présent
tout-à-fait inconnus, qu'il promet de donner sur l'administra-
tion du comte Capodistrias. On accusera sans doute M. Pa-
padopoulo de partialité pour la Russie, mais comme en même
temps il est grec, et qu'il a été témoin de ce qui s'est passé en
Grèce depuis l'arrivée du Président jusqu'à sa mort, son li-
vre, quelle que soit l'opinion particulière de l'auteur, offrira
probablement des faits curieux et contribuera fortement à
éclaircir la question.
Cette première partie ne renferme guère que la carrière di-
plomatique de Capodistrias, jusqu'au moment où il fut ap-
pelé en Grèce. L'auteur fait une peinture très-séduisante de
son caractère, qu'il représente doué de toutes les vertus et
de toutes les qualités qui font l'homme de bien et le grand
citoyen. Ce portrait, quelque flatté qu'il puisse paraître, s'ac-
corde avec ce que disent tous ceux qui ont connu le célèbre
diplomate dans sa retraite en Suisse, et il trouve une nouvelle
confirmation dans les derniers volumes de Mémoires que
vient justement de publier la duchesse d'Abrantès.
La ville de Genève, reconnaissante des services du comte
Capodistrias, lui avait offert les droits de bourgeoisie qu'il avait
acceptés avec joie et dont il se parait volontiers comme de
l'une de ses plus honorables distinctions. C'est dans cette
nouvelle patrie que vint le chercher le décret qui l'appelait
à la présidence de la Grèce. Suivant M. Papadopoulo, loin
d'avoir aucune tendance despotique, le Président voulait l'é-
mancipation du peuple, et devint bientôt populaire sous le
nom du Père-Jean. Mais, dès ses premiers actes administratifs,
il trouva une résistance très-vive dans les phanarioles qui
forment l'aristocratie grecque, et qui eurent recours à mille
intrigues ténébreuses pou1' empêcher la réalisation des plans
de Capodistrias.
Les livraisons suivantes de ces Mémoires nous montreront
sur quels faits l'auteur appuie ses assertions à cet égard, et
nous permettront d'apprécier, d'une manière plus complète,
le mérite de son ouvrage. En attendant nous l'engagerons
seulement à en soigner davantage le style, qui offre d'assez
fréquentes négligences, pardonnables sans doute à un étran-
ger, mais qu'il ne serait pas difficile de faire disparaître.
En tète de cette première livraison se trouve un portrait
très- ressemblant et bien lithographie du comte Capodistrias.
120 RELIGION, PHILOSOPHIE,
Elle est également accompagnée d'un grand nombre de no-
tes et de pièces justificatives. À la suite des Mémoires,
M. Papadopoulo publiera un ouvrage inédit de Capodistrias,
sur ie fameux Ali-Pacha de Jaaïn%
RELIGION, PHILOSOPHIE, MORALE, EDUCATION.
LETTRE A TOITS LES 5IEMBRES DU CLERGE , à tous les fidèles et aux
auditeurs de Notre-Dame ; sur la nécessité de rendre l'éloquence ec-
clésiastique à sa simplicité première etc. etc. par l'auteur du Prêtre
devant le Siècle. — Paris , chez Beaujouan. 1837. In-8.
Voici encore M. Madrolle et son style original, dans le-
quel les phrases et les idées se pressent et se heurtent de la
plus bizarre façon. Mais, laissant de côté l'étrangeté de la
forme, allons droit au fond, ou du moins tâchons d'y aller;
car avec lui ce n'est pas toujours facile. Il paraît que les
fameuses conférences de l'abbé Lacordaire, dont, pendant
huit jours, tout Paris s'occupa, sont le but principal de cette
lettre dans laquelle il insiste fortement sur la nécessité de
travailler à ranimer parmi le clergé catholique l'éloquence
de la chaire dont- l'antique et noble simplicité n'est plus au-
jourd'hui qu'une tradition perdue. Les critiques qu'il adresse
aux conférences si vantées de ces abbés qui cherchaient à
attirer la jeunesse à Notre-Dame, en flattant s :s goûts, en
caressant ses idées, en alléchant son amour-propre, sont cer-
tainement très-justes, car il y avait dans tout cela un vernis
de charlatanisme tout-à-fait incompatible avec la vraie pieté.
licite de singuliers fragmens de ces discours, soi-disant
improvisés, qui faisaient naguère! retentir les échos de la ca-
thédrale au milieu des murmures flatteurs d'un public amené
là comme au spectacle par la curiosité, sans autre but que
celui de chercher des distractions nouvelles. Ce n'est, en effet,
pas ce que faisaient les Massillon, les Bossuet, les Bourdaloue ;
et M. Madrolle a parfaitement raison de dire que maints
curés obscurs, dont le nom est inconnu hors de leur paroisse,
comprennent bien mieux ce que doit être l'éloquence de la
chaire. Cette partie du culte, trop souvent négligée aujour-
d'hui, est sans contredit la plus importante, car elle peut
produire les plus grands résultats. La parole est puissante sur
les masses; mais le piètre qui comprend sa mission doit l'em-
ployer pour instruire, avertir, menacer même et surtout con-
soler, non point pour flatter ou pour quêter des applaudisse-
mens.
MORALE, ÉDUCATION. 127
LES ENFANS DE LA vallée ivandlau , ou Notions sur la religion ,
la morale et les merveilles de la nature; par MMmes E. Voiart et
A. Tastu. — Paris, chez Didier. 1837. 2 vol. in-12, flg., 8 fr.
Cet ouvrage est imité de l'allemand ; il renferme l'histoire
d'une famille chrétienne, et il est empreint d'un esprit reli-
gieux, plein de douceur, de charité, de simplicité. C'est hien
le christianisme tel qu'il doit être offert aux enfans comme
un guide et un sûr conseiller pour la conduite de la vie,
comme un hymne continuel de reconnaissance pour les bien-
faits dont le Créateur nous a comblés, comme une source de
consolation dans les épreuves de l'infortune et de la douleur.
On n'y trouve point cette exagération rigoriste qui donne à
la piété une austérité repoussante, en fait un épouvantail et
prétend dominer l'enfance et l'âge mûr par la crainte des
châtimens dont elle menace les plus légères transgressions.
Dieu y est peint comme un bon père, dont toute la sollici-
tude est constamment occupée à assurer le bonheur de ses
enfans, qui sont tous les hommes. C'est par les sentimens
affectueux, par les liens de l'amour que l'auteur cherche à
s'emparer de ces jeunes cœurs ouverts à toutes les émotions
..îobles et généreuses.
Voyez le nouveau-né sur le sein de sa mère,
Ne contemplez-vous pas son bonheur éphémère
D'un œil presque jaloux?
N'avez-vous pas au cœnr une secrète envie
En comparant , hélas ! les maux de toute vie
A son destin si doux ?
S'il s'éveille , un lait pur est offert à sa bouche ;
S'il s'endort , le silence environne sa couche ;
N'a-t-il pas pour appui
Un genou qui le berce, un bras qui le protège,
Et des soins maternels l'ineffable cortège
Veillant autour de lui ?
Mais la religion, mère tendre et prudente,
Vous ofïre, enfans, ce lait dont la source abondante
Ne se tarit jamais,
Ces bras toujours ouverts , ces yeux infatigables ;
Et , quand vient le sommeil , ces genoux secourables,
Où l'on s'endort en paix.
Cette gracieuse poésie, que madame Tastu a placée en tête
du premier volume, résume parfaitement l'intention de l'au-
teur. Il raconte l'histoire d'une famille et trace une foule de
tableaux tour à tour gracieux, touchans ou instructifs. Les
petits incidens d'une existence douce et paisible, les leçons,
les devoirs, les plaisirs que des parens vertueux partagent en
128 LÉGISLATION ,
quelque sorte avec leurs enfans, constituent toute l'action de
ce petit roman, dans lequel les sentiméns des enfans sont sans
cesse ramenés à Dieu d'une manière simple et ingénieuse.
Les principales fêtes religieuses tiennent leur place dans le
récit et fournissent à l'auteur l'occasion de donner quelques
notions sur l'histoire et le* dogmes du christianisme. On y
trouve également beaucoup d'excellentes directions pour la
jeunesse, et maints détails capables de l'intéresser. Les di-
verses petites passions qui agitent l'enfance et sont la source
de la plupart de ses défauts, mises en scène avec leurs ré-
sultats funestes, et corrigées par l'expérience autant que par
de sages conseils, offrent des leçons morales qui peuvent
impressionner assez vivement les jeunes lecteurs auxquels
elles sont destinées.
En tête de chaque chapitre, madame Tastu a mis en forme
d'épigraphes des vers simples et harmonieux, dont la réu-
nion forme une suite de charmantes poésies propres à meu-
bler la mémoire des enfans, et en même temps à former leur
cœur. Elle a très-bien saisi l'intention de l'auteur allemand,
qui est de travailler à préparer des hommes vertueux et pro-
bes, capables de sentir et de comprendre leur haute destinée
d'êtres immortels, et d'employer tous les instans de cette
courte vie à développer les facultés de leur âme, pour ten-
dre sans cesse à ce perfectionnement moral qui doit être le
but de tous nos efforts. Dans notre époque, où Ton s'occupe
en général avec tant de zèle de l'instruction populaire, il est
bon que l'éducation ne soit pas oubliée; car l'esprit le mieux
cultivé ne produit pas grand' chose de noble ni d'utile s'il se
trouve accompagné d'un cœur vide, d'une ame sèche. On
accueillera donc avec faveur les Enfans de, la vallée d'Andlau.,
et on oubliera volontiers les critiques de détail auxquelles
pourrait être exposée la forme du livre , devant la haute
importance du fond et l'heureuse influence qu'il pourra
exercer si, comme il y a tout lieu de l'espérer, un succès di-
gne de son mérite le fait bientôt entrer dans toutes les fa-
milles en France, comme il l'est déjà en Allemagne.
LEGISLATION, ECONOMIE POLITIQUE, COMMERCE.
du systùmf, PK.\4Tiî>i'ri.\iitF. et de scs conditions fondamentales ,
par M. Aylies , conseillier â la cour royale de Paris. — Paris, 1837.
Iu-8, 5fr.
ÉCONOMIE POLITIQUE, ETC. 129
MJ SYSTÈME PÉNITENTIAIRE AMÉRICAIN EN 1 830 , par le docteur
Julius, de Berlin , suivi de quelques observations par M. V.Foucher,
avocat général du Roi. — Rennes, chez Blin ; Paris et Genève, chez
A. Cherbuliez et Compe. 1837. In-8, 2 fr.
En attendant que la réforme des prisons s'introduise dans
la pratique, la discussion se continue avec zèle, et chacun
s'empresse d'entrer en lice pour éclairer de ses lumières quel-
que point obscur ou douteux de la question. Le système
pénitentiaire est si bien soumis au critère de la raison, qu'on
dirait en vérité que les Français en ont déjà une longue ex-
périence. Quel dommage que toutes ces excellentes mesures
ne se trouvent encore que dans des livres, et qu'on soit tou-
jours obligé d'aller chercher hors de France les exemples sur
iesqueis on s'appuie ! Mais enfin, en présence du mouvement
qui agite les esprits et les pousse à s'occuper avec tant de
persévérance de cette importante réforme, on peut espérer
que des essais d'applications ne tarderont pas à être tentés,
et la discussion aura assez longuement préparé le terrain pour
qu'on puisse aussi croire à un succès assuré.
M. Aylies examine rapidement le système actuel des pri-
sons de France, dont il démontre l'impuissance et les dan-
gers. Il passe ensuite en revue les divers pénitenciers d'A-
mérique, ainsi que les établissemens du même genre fondés
en Suisse. Ces derniers lui semblent organisés dans un sys-
tème trop doux ; il n'y trouve pas les garanties d'intimidatiou
qu'il croit indispensables. Le système cellulaire absolu, de
jour comme de nuit, lui paraît mériter une grande préfé-
rence, et il repousse vivement les accusations de barbarie ou
d'inhumanité adressées aux Etats-Unis à l'égard du régime
de leurs prisons pénitentiaires.
L'argument le plus fort qu'il émette à l'appu; de ce sys-
tème, c'est que les hommes détenus dans la même prison, ne
se voyant jamais et ne se connaissant absolument pas, une
fois rentrés dans la société ils n'auront point à rougir en s'y
rencontrant, et ne seront plus exposés à se laisser entraîner
par d'anciens camarades de captivité. Ces rencontres ne sont
en effet que trop souvent, sous le régime actuel, les causes de
malheureuses récidives.
— M. le docteur Julius se prononce exactement dans le
même sens et fait le plus grand éloge du pénitencier de Phi-
ladelphie, dont le succès est dû suivant lui au système cel-
lulaire et à l'institution des inspecteurs de la prison, dont les
fonctions, purement gratuites et toutes de dévouement, sont
confiées aux personnes les plus charitables et les plus estimées
de la localité. Il présente à ce sujet des considérations pleines
de sagacité et d'intérêt.
130 LÉGISLATION,
ou commerce srissE, et des douanes françaises , par L. Jaque t. -—
Paris , chez Ab. Cherbuliez et compe. 1837. In-8, 1 fr. 50 c.
Chargé, en 1835, par le Directoire fédéral, d'intercéder au-
près du gouvernement français pour obtenir quelques di-
minutions favorables à la Suisse , dans le tarif des douanes ,
M. Jaquet présenta, au ministre des affaires étrangères et au
ministre du commerce , un mémoire dans lequel il exposait
avec clarté et précision le tort que faisaient à la Suisse cer-
taines prohibitions , ou certains droits équivalens , qui ne pro-
fitaient nullement à la France. Il appuyait principalement
sur les bestiaux et les fromages, objets de l'industrie capitale
d'une grande partie de la Suisse , et qui ne peuvent en quel-
que sorte être remplacés d'une manière avantageuse; il di-
sait en passant quelques mots des fers et des bois, ainsi que
des produits manufacturés, et terminait en demandant qu'on
ouvrit du moins à Paris , au centre du commerce et de l'in-
dustrie, une espèce de bazar-entrepôt, dans lequel les mar-
chandises suisses pussent venir s'étaler aux yeux des ache-
teurs , entrer en concurrence avec celles de tous les autres
pays , et n'acquitter les droits qu'après la vente.
Ce mémoire n'a pas été inutile ; plusieurs concessions ont
été faites au système de la liberté du commerce qui en avait
inspiré l'esprit; et l'auteur, en le livrant aujourd'hui à la
presse, a la satisfaction de pouvoir indiquer quelques modifica-
tions assez importantes, provoquées et obtenues par ses efforts.
A la suite de ce rapport se trouve un tableau des exporta-
tions de la Suisse en France, pendant l'année 1835. Ce ta-
bleau , fort curieux sous bien des rapports , peut offrir d'uti-
les renseignemens aux manufacturiers suisses. Il est fâcheux
qu'on ne puisse dresser de même une statistique générale de
tout le commerce suisse. Ce serait un argument bien fort en
faveur du principe si étrangement hué et proscrit en France
de : laissez faire , laissez passer.
SCIENCES ET ARTS.
SÉANCE PUBLIQUE DE LA SOCIETE L1NNEENNE DE NORMANDIE,
tenue à Vire , le 24 niai 1836. ln-8, 1 fr. 50 c.— A Paris, chez Dcrache
successeur de Lance , rue du Rouloy , 7.
Les mémoires qui composent ce volume sont les suivans :
— Analyse des travaux de la société pendant Vannée acadé-
SCIENCES ET ARTS. 131
inique 1835 — Sd^parM. Eudes Deslongchamps. L'auteur passe
en revue toutes les recherches scientifiques auxquelles se sont
livrés les membres de la société, et son rapport offre une
preuve de l'activité avec laquelle la science est explorée par
eux. Plusieurs observations intéressantes de géologie et de
botanique forment la principale partie de ces travaux.
— Hcmaïques sur un des genres les plus nombreux de la fa-
mille des Lie/iens, le genre, cenomyre, par M. Delise ; M. Delise
fut chargé par M. Duby de travailler le genre Cenomyre pour
le Botanicon Gallïcum. Ce travail , que des circonstances par-
ticulières l'empêchèrent de soigner autant qu'il l'aurait voulu,
a été depuis complété par lui. Sa monographie des Cénomrres,
genre le plus nombreux, le plus élégant et le plus intéressant
de la famille des Lichens , compte aujourd'hui environ 350
espèces ou variétés décrites , dont près de la moitié sont nou-
velles. Il a cherché, autant que possible , cependant , à se tenir
en garde contre le défaut, trop commun chez le naturaliste,
démultiplier les espèces. sans caractères bien déterminés. Les
apothèces et les podétions ont servi de bases à sa classifica-
tion ; et il a établi les variétés d'après certaines formes par-
ticulières plus ou moins éloignées du type, ainsi que d'après
la couleur des apothèces , des podétions et des folioles ou
écailles thalloïdes.
— Aperçus généraux sur la Géologie et la Flore de ^l'arrondis-
sement de Vire; par M. Dubourg d'Isigny. Ce mémoire contient
quelques considérations assez curieuses sur les rapports qui
peuvent exister entre la géologie et la botanique, et l'influence
de la structure géologique d'un terrain sur la végétation qui
s'y développe. Il est terminé par un catalogue des plantes
spontanées de l'arrondissement de Vire. Ce sont des documens
utiles pour la géographie botanique :
— Coup-d'œil sur la répartition géographique des groupes d'oi-
seaux, et sur l'analogie qui se remarque entre plusieurs d'entre
eux sous les latitudes ; par M. de la Fresnajc. Ces recherches ,
qui ne sont encore qu'ébauchées , promettent d'amener de
beaux résultats sur les relations réciproques qui peuvent exis-
ter entre le climat et les mœurs, les habitudes, les formes
des oiseaux qui se trouvent dans telle ou telle zone. C'est un
nouveau champ ouvert aux explorations des naturalistes ,
qui pourront peut-être y trouver la solution de plus d'une
question importante et difficile.
— Des lichens utiles ; par M. de Brébisson ; M . de Brébisson
a voué une affection vive à ses chers lichens ; aussi est-ce avec
complaisance qu'il expose tous les services qu'on en peut ti-
rer. Il nous les montre tantôt servant à restaurer les poitrines
délabrées , tantôt offrant un aliment précieux aux malheu-
132 SCIENCES ET ARTS.
reuses peuplades de la zone glaciale , tantôt entrant pour une
part dans la composition de ces fameux nids d'oiseaux tant
estimés des gourmets Chinois. Enfin il énumère les divers usa-
ges que l'industrie peut faire de plusieurs espèces de lichens.
— De l'utilité des hydroplijtes, par M. Cliauvin, Les algues
sont encore généralement trop peu connues pour qu'on ait
beaucoup cherché à en tirer parti. Cependant , au rapport de
de plusieurs voyageurs, elles fournissent une alimentation
saine et agréable à des populations entières , en Laponie , au
Kamschatka , au Japon, etc. On les employé également avec
succès à la nourriture des bestiaux , et l'on s'en sert en plu-
sieurs contrées comme d'engrais pour fumer les terres.
— Listes de plantes nouvelles pour la France, ou la Normandie.
— Liste des plantes recueillies pendant l'herborisation , par
M. Lenormand.
NOUVEAU GUIDE EN AFFAIRES , ou recueil complet des actes sous
seing privé, des actes commerciaux et de la comptabilité agricole ,
mis en exemples ou modèles d'écriture à l'usage des écoles de France,
par M. F. Gigault d'OUncourt. — Bar-Ie-Duc , chez F. d'Olincourt ;
Paris , chez Hachette. 1837 , liv. 1 à 3 1/2 in- 4 , oblong 3 fr.
Ces modèles offrent toute espèce d'actes tels que factures,
billets, lettres de change, mandats, conventions et engage-
mens .divers, bail, cautionnement etc. Leur usage, dans l'en-
seignement de l'écriture, ne peut donc qu'être fort avantageux
en familiarisant les enfans avec une foule de formules dont
on a fréquemment besoin dans le cours de la vie, et dont l'i-
gnorance nécessite le recours aux hommes de loi qui n'en
profitent que trop souvent pour susciter des procès et des em-
barras sans fin. Ils sont d'ailleurs lithographies avec soin et
dans tous les divers genres d'écriture anglaise, ronde, bâ-
tarde, coulée, etc. etc.
M. F. Gigault-d'Olincourt, qui en est l'auteur et l'éditeur
se distingue d'une manière assez remarqurble dans le nombre
des libraires instruits que possède maintenant la France ; il
est auteur de plusieurs ouvrages, il publie et rédige en grande
partie le Père de famille, journal d'instruction populaire des-
tiné à propager les notions scientifiques les plus utiles et les
meilleurs principes moraux; enfin il s'occupe activement de
tout ce qui peut favoriser le progrès des lumières et contri-
buer à les répandre dans toutes les classes de la société.
DE l'iMPMMBMC DE BEAU, A SAI.fT-CEBMA1N-tN-I.ATE.
Bulletin iittlratr*
ET SCIENTIFIQUE.
5- OLuuée. — qA^ .5. — o4b«; 1837.
encyclopédie des gens du monde,
Répertoire universel de toutes les connaissances nécessaires, utiles ou
agréables dans la vie sociale, et relatives aux Sciences, aux Lettres,
aux Arts, à l'Histoire, à la Géographie, etc. ; avec des Notices sur
les principales Familles historiques, et sur les Personnages morts et
vivans; par une Société de Savans , de Littérateurs et d'Artistes,
français et étrangers. — 12 tomes grand in- 8°, sur papier grand-rai-
sin /chacun en deux volumes de plus de 400 pages à deux colonnes ,
en petit caractère neuf, dit gaillarde. Prix de la souscription , 5 fr.le
volume pour Paris, et 6 fr., franc de port, pour les départeniens.
Plus la science fait de progrès, plus son domaine s'agran-
dit; ses conquêtes augmentent chaque jour, et le cercle des
connaissances humaines devient si vaste, que l'homme qui
voudrait faire une étude spéciale et approfondie de cha-
cune de ses branches, n'aurait pas assez de tous les instans
de la plus longue vie à laquelle il lui soit permis d'aspi-
rer ici -bas. L'universalité est devenue une condition indis-
pensable, aussi bien pour le savant que pour l'homme du
monde ; et pour satisfaire à ce nouveau besoin de notre civi-
lisation moderne, on a senti la nécessité de faire de nouvelles
encyclopédies, plus complètes et moins exclusivement scien-
tifiques que celle qu'on possédait jusqu'à présent. Les Alle-
mands avaient déjà, depuis bien des années, compris l'utilité
de semblables recueils, et leur Conversations Lcxiron a servi de
modèle à tous les autres, quoiqu'il fût loin encore de remplir
entièrement le but. En Fiance, le pays classique de la con-
versation, il n'y a pas long-temps qu'on a commencé à pu-
blier quelque ouvrage de ce genre, et cependant, c'est là
peut-être que cette lacune se faisait sentir le plus vivement,
et c'est là aussi qu'elle sera probablement le mieux comblée.
L'esprit français, vif et prompt à saisir du premier coup-d'œil
l'ensemble des questions, son aptitude à les traiter d'une ma-
nière assez complète sans trop les approfondir, sont merveil-
leusement propres à un travail de ce genre, auquel la pré-
cision et la clarté de ia langue se prêtent également fort bien.
Dans nulle autre contrée la science ne parle un langage plus
agréable et plus facile, aussi un succès assuré semblait atten-
io
432 ENCYCLOPÉDIE
dreles premiers écrivains qui essayeraient de faire unepuLi:-
cation de ce genre, et deux entreprises rivales ont commencé.;
à peu près en même temps, l'une sous le titre de Diction/mire
de la Conversation, l'autre sous celui d' Encyclopédie des gens
du monde. L'une et l'autre comptent parmi leurs rédacteurs
des noms illustres, dignes de la confiance publique. Mais la
première a peut-être poussé trop loin la prétention de popu-
lariser la science; à force de vouloir se faire mondaine, elle
est parfois un peu trop futile, et l'on y rencontre souvent plus
de phrases que de faits, plus de style que d'exactitude. Elle
manque de cet ensemble, de cette unité de vues qui devrait
foi nier le lien de toutes ses parties ; la camaraderie s'y est
glissée, et sa déplorable influence s'y fait sentir çà et là, d'une
manière assez fâcheuse.
L'une de ses dernières livraisons, par exemple, renferme
un article sur M. Jules Janin , qui ne saurait être sérieuse-
ment pris pour une notice biographique ou littéraire; c'est
un éloge amphatique, maladroit à force d'être outré, dont
l'enflure exagérée a dû faire sourire de pitié le spirituel aris-
tarque qui en est l'objet.
h7 Encyclopédie des gens du monde, au contraire, a su, sans
mentir à son titre, éviter de semblables défauts. Snn habile
directeur, M. Schnitzler, lui a imprimé l'allure la plus sage
et la plus convenable. De l'impartialité, ou plutôt de la jus-
tice sans indifférence, une modération constante, l'apprécia-
tion calme, et exempte de tout esprit de parti, des opinions,
des faits, des actes, voilà bien ce qu'il faut pour une publi-
cation de ce genre, destinée à exposer des systèmes de toutes
sortes, à expliquer des idées de toutes les espèces, sans que la
discussion doive se permettre d'y rien changer, ni d'en tra-
vestir le sens par des réfutations plus adroites que loyales.
Quelquefois peut-être, on pourrait souhaiter une critique
plus hardie; mais, en général, cependant, on applaudira l'es-
prit modéré et digne qui préside à toute sa rédaction. La plus
complète impartialité distingue les articles biographiques en
particulier, et tous ceux qui renferment l'exposition des di-
vers systèmes philosophiques ou religieux. Les faits et les
doctrines sont présentés avec une scrupuleuse exactitude, et,
à quelque parti ({n'appartiennent leurs auteurs, tout ce qu'ils
renferment de beau et de bon est signalé à l'attention publi-
que. Je citerai, comme un exemple frappant de cette juste ap-
préciation des hommes et des choses, l'article Doctrinaires
rédigé par M. Schnitzler, et inséré dans la dernière livraison
parue.
Oubliant les violentes discussions du jour, laissant de côté
toutes les questions de personnes et d'ambition, l'auteur se
DES GENS DU MONDE. 135
reporte, par la pensée, à l'époque où, éloignée du pouvoir, la
doctrine se formulait dans l'esprit de ses fondateurs. Il sépare
entièrement les théories des laits, dans lesquels leur applica-
tion, entravée par maints obstacles, accompagnée sans doute
de plus d'une faute, ne saurait eue jugée sainement au mi-
lieu d'une tourmente révolutionnaire. Les progrès de la civi-
lisation ne s'opèrent qu'avec lenteur; chez les peuples comme
chez les individus, la réforme ne saurait agir que graduelle-
ment, et toute tentative pour brusquer sa marche, ne sert qu'à
l'entraver, qu'à la fausser, si même elle ne l'arrête tcut-à-
fait. Mais l'esprit humain est de sa nature impatient, il craint
sans cesse de voir lui échapper celte vie si comte, et il a hâte
de faire passer dans les institutions , les idées que la médita-
tion lui suggère. De là ces luties incessantes, ces chocs fré-
quens et terribles, dans lesquels les intentions les plus pures,
les talens les plus supérieurs, viennent souvent s'user au flot-
tement des mauvaises pissions, que les houleversemens poli-
tiques font surgir, se briser contre la force d'inertie qui est
l'essence de ces vieux systèmes d'abus que le temps a consa-
crés. Dans l'ardeur du combat, la logique est foulée aux pieds
par tous les partis, la raison est dédaignée comme un auxi-
liaire trop lent, et les hommes, oubliant bientôt leur point de
départ, se laissent entraîner si loin, qu'on chercherait vaine-
ment les rapports qui lient les principes qu'ils ont d'abord
posés, aux conséquences qu'ils prétendent tirer de leur appli-
cation.
Les publicistes auxquels on a donné le nom de doctrinaires,
paice qu'en effet ils cherchaient a élever des doctrines fonda-
mentales, au milieu des débris de toute nature dont la philo-
sophie du xviue siècle avait jonché le sol, entreprenaient une
tâche difficile, mais grande et noble. Pour les bien juger, il
faut, comme l'a fait M. Schnitzler, remonter au temps où ils
exposaient leurs doctrines, sans songer encore à les appliquer
eux-mêmes dans l'exercice si difficile et semé d'écueils d'un
pouvoir qui était alors bien loin de leur appartenir. L'élo-
quence calme et élevée de M. Roy ei -Colla rd, nous en mon-
trera le principe générateur, dans la reconnaissance de la
raison, comme seul guide et juge suprême des théories gou-
vernementales : « 11 est permis, dit-il, d'en appeler du par-
» terre en tumulte au parterre atteutif , de la souveraineté
» du peuple à une autre souveraineté, la seule qui mérite ce
» nom, souveraineté supérieure aux peuples comme aux rois,
» souveraineté immuable et immortelle comme son auteur,
» je veux dire la souveraineté de la raison, seul législateur vé-
» ritable de l'humanité. »
Sans doute, un pareil principe est fécond en conséquences
136 ENCYCLOPÉDIE
larges et libérales, nul ne saurait le contester, et la logique,
tôt ou tard , lui fera produire les résultats les plus heureux
pour la liberté et l'avenir du monde. Mais malheureusement,
en France, toutes les questions se résument en rivalités de
noms propres. Dès qu'un homme commet une faute dans
l'application, aussitôt on en accuse les doctrines qu'il a ins-
crites sur sa bannière, quelque innocentes qu'elles soient le
plus souvent de ces étranges aberrations de l'esprit Immain.
On voue ainsi à la haine et au inépris publics, les systèmes les
meilleurs, dont le seul tort est d'avoir de maladroits inter-
prètes. M. Schnitzler ne juge pas les doctrinaires à l'œuvre, il
s'arrête devant les faits qui semblent peu d'accord avec les
doctrines ; il ne prétend point les suivre dans l'exercice du
pouvoir, et pense avec raison que le moment n'est pas encore
venu de se prononcer avec impartialité sur leurs actes ni sur
les violens reproches auxquels ils sont en butte. Il se contente
de repousser l'accusation singulière de matérialisme adressée
à leurs tendances ; quelques paroles de M. de Broglie lui suf-
fisent pour les justifier à cet égard.
Cette même livraison de Y Encyclopédie des gens du monde
renferme un morceau très-remarquable de M. l'évêque Guil-
lon, sur Dieu. C'est une éloquente dissertation, écrite dans un
style noble et pur, digne de la grandeur du sujet ainsi que
des lumières de notre époque. Il est à regretter seulement
que l'auteur ait cru devoir lui donner une foi nie polémique
trop prononcée. La plus grande partie de son article est con-
sacrée à réfuter l'athéisme, à combattre, une à une, toutes les
les objections de ce prétendu système. Il me semble qu'il eût
mieux valu se contenter de poser la question : Existe-t-il des
athées? et répondre hardiment : Non, il n'en existe pas; car
ceux-là mêmes qui prétendent nier l'existence de Dieu, re-
connaissent toujours une puissance créatrice quelconque, à
laquelle ils donnent, tantôt le nom de hasard, tantôt celui de
nature ou de matière organisée. L'athéisme n'est donc qu'une
des mille formes diverses de cette idolâtrie, dans laquelle les
• plus monstrueux écarts de l'esprit humain viennent encore
s'offrir, comme autant de manifestations, grossières il est vrai,
mais incontestables, du sentiment religieux mué dans le cœur
de l'homme. Je pense, donc je suis, est un axiome générale-
ment reçu; Je pense et je suis, donc Dieu existe, en est un au-
tre non moins vrai, puisque le philosophe le plus incrédule
trouverait absurde d'admettre un effet sans cause, et se voit
inévitablement conduit à admettre une cause première, né-
cessairement éternelle et toute-puissante.
Au reste, dans un pays comme la France, où la raison pu-
blique est en général trop récemment émancipée, et encore
DES GENS DU MONDE. Î37
irop peu éclairée pour se tenir en garde contre les adroits
sophismes des rhéteurs , peut-être la discussion est-elle né-
cessaire pour combattre leur influence pernicieuse, et pour
réveiller ce Bon sens éternel, dont une longue servitude a pu
seule étouffer la voix. M. Guillon est sans doute meilleur
juge que nous des convenances à cet égard, et d'ailleurs, quoi
qu'il en soit, son article ne peut manquer d'exciter au plus
haut degré l'attention des lecteurs.
Nommer MM. Dupin aîné, Rossi, Taillandier, de Sismon-
di, de Gerando , Matter, c'est dire assez que la législation,
l'économie sociale , les sciences morales et politiques ont
trouvé ici de dignes interprètes. Le défaut d'espace nous em-
pêche seul, dans cette revue rapide, d'analyser quelques-uns
de leurs articles, où l'on reconnaîtra toujours des vues gran-
des et élevées, aussi étrangères aux passions de l'esprit de
parti qu'aux étroits préjugés de coterie.
Tous les mots relatifs aux sciences naturelles ou exactes,
aux arts, à l'industrie, sont également traités d'une ma-
nière remarquable, parce qu'ils ont été confiés à des hommes
spéciaux, et que les éditeurs n'ont reculé devant aucun sacri-
fice pour faire de leur publication quelque chose de mieux
qu'une spéculation commerciale, pour élever un véritable
monument de l'état actuel de la civilisation européenne dans
toutes ses branches. Parmi les articles historiques et géogra-
phiques, on distinguera ceux de M. Dufau sur diverses phases
de la révolution française, et ceux de 31. Schnitzler sur une
foule de lieux jusqu'ici peu connus ou mal décrits. La géogra-
phie et l'histoire de la Russie ont été pour ce dernier l'objet
de recherches fort intéressantes. On lui doit entr'autres une
notice sur l'empereur Alexandre, dans laquelle les grandes
qualités de ce prince sont dignement appréciées, en même
temps que la dernière partie de sa vie, celle où il abjura
les nobles idées qui avaient rendu son nom célèbre et cher
dans toute l'Europe, pour devenir l'âme et le membre le
plus actif de la sainte-alliance , est jugée avec toute la sévé-
rité qu'elle mérite. 31. Schnitzler a également traité avec un
talent remarquable l'article d'Alexandre-le-Grand. En géné-
ral , toute la partie biographique de cette Encyclopédie se
recommande par l'esprit de haute justice et de sagesse qui
y règne. L'article Calvin, par 31. 3Iatter, peut être cité comme
un exemple de cette juste mesure dans laquelle doit demeu-
rer la critique, lorsqu'elle juge quelqu'un de ces grands
génies qui exercèrent une puissante et salutaire influence sur
leur époque, quoique leurs vues et leurs actes puissent pa-
raître aujourd'hui en complet désaccord avec l'état actuel des
choses et la marche du progrès.
136 ENCYCLOPÉDIE
L'érudition compte déjà de nombreuses célébrités parmi
les rédacteurs qui ont coopéré aux volumes parus jusqu'à ce
jour. Les noms de MM. Artaud, Daunou, Champollion, Ei-
chhoff, Reinau, de Sinner, Hase, Jomiv, etc., sont des ga-
ranties suffisantes des soins apportés à cette partie de l'ou-
vrage.
Enfin, la littérature n'est pas moins bien représentée; et l'on
saura gré surtout aux éditeurs de n'avoir pas sacrifié à la
mode, en cherchant à éblouir par l'éclat de noms en vogue.
Le mérite souvent obscur mais réel a été préféré par eux aux
célébrités du charlatanisme. \ï Encyclopédie des gens du
monde nous offre ainsi, sans doute, bien moins de ces bril-
lantes paillettes qu'on voit jetées à pleines mains dans le
style de la plupart de nos littérateurs du jour ; mais le véri-
table esprit ne gît pas dans l'expression seulement , la phra-
séologie la plus tourmentée ne cache trop souvent que le vide
de la pensée, et c'est avec un vif plaisir qu'on retrouvera,
dans une foule d'articles, cette simplicité et cette pureté de
style qui, sans rien ôter à l'originalité ou au mérite des idées,
leur assurent un succès plus général et bien plus durable.
Parmi les nombreux articles dus à des écrivains dont les
noms sont presque ignorés parce qu'ils n'ont point obtenu
ces ovations si recherchées, si vaines, et souvent si chère-
ment achetées de la presse périodique, je signalerai le mot
Art, traité p r mademoiselle Louise Ozenne. Dans cet excel-
lent article , elle s'occupe principalement de l'art littéraire,
et présente un tableau complet de son développement cbez
les diverses nations, qui lui ont dû leur plus belle part de
gloire et de renommée. Remontant à sa cause, qu'elle pense
avec raison trouver dans le désir impérieux et sublime, dont
notre dîne est sans cesse tourmentée, d'imiter les œuvres du Créa-
teur ; elle nous montre l'esprit de l'homme continuellement
occupé à exercer ses forces et à développer ses facultés en
luttant, pour ainsi dire, avec la nature dont il cherche à
surprendre les secrets, à copier les œuvres, dont son ambi-
tion téméraire prétend même perfectionner les ouvrages en
les ramenant à des types plus parfaits, comme s'il avait ja-
dis assisté , dans le sein de la Divinité , a la contemplation de
ce monde idéal, cpie Platon nous raconte dans ses magnifiques
rêveries. Le génie propre des différens peuples imprime à
l'art une physionomie particulière chez chacun d'eux , aussi
chaque littérature présente-t-elle un genre de beautés qui
ne saurait que difficilement se transplanter, et qui devient
l'origine de la plupart des discussions littéraires, entre les
écoles exclusives. M idemoiselle Ozenne a déterminé d'une
manière très-judicieuse les avantages divers, échus en par-
DES GENS DU MONDE. 139
£»ge à chacune des nations de l'Europe sous ce rapport. Elle
expose également, avec un talent remarquable, tous les gen-
res de manifestations dans lesquels l'art littéraire exerce sa
noble influence. Elle nous le montre tour à tour dans l'épo-
pée, l'ode, le drame, l'histoire, l'éloquence et la philosophie,
et indique, sans pédanterie ni sécheresse, les règles didac-
tiques que la raison ne laisse pas impunément enfreindre,
mais dont elle réprouve aussi l'excès lorsqu'on prétend les
suivre à la lettre sans tenir compte de l'inspiration du poète,
des écarts du génie.
À la fin de cet intéressant morceau , l'auteur jette un coup
d'œil rapide sur la marche de l'art à travers les nations, et sur
les formes variées qu'il a revêtues aux diverses époques de
l'histoire.
Maints autres articles, non moins bien traités, sont égale-
ment dignes de fixer l'attention; mais il nous est impossible
de tout citer. Nous en avons dit assez pour faire juger l'esprit
dans lequel est conçue Y Encyclopédie des gens du monde.
L'habile direction donnée à cette publication, l'a fait ainsi
échapper aux dangers de l'esprit de coterie , et c'est un im-
mense avantage, en ce temps surtout où il se glisse dans la
plupart des entreprises. Nous terminerons en citant à ce sujet
l'excellent petit article de M. de Moléon sur la Camaraderie.
« Le proverbe thérapeutique Passe-moi la casse et je te
passerai le séné, est applicable à presque toutes les conditions
et à presque tous les états; mais nous le voyons justifié d'une
manière incroyable dans l'histoire de la république des lettres,
surtout à certaines époques plus rapprochées de la nôtre. Il
n'est personne qui n'ait ouï médire à juste titre de ces réu-
nions, soi-disant littéraires, de l'hôtel Rambouillet, devenu
si fameux par la morgue et le pédantisme de ses familiers,
par leur esprit exclusif, leurs proscriptions, leur argot, et sur-
tout par l'inconcevable exagération de leurs apologies et de
leurs ovations. Combien d'astres sont restés sur l'horizon de
celte pléiade de beaux esprits, organisée en cour suprême et
qui prétendait de bonne foi imposer ses burlesques arrêts au
bon goût à venir sur la foi des dupes contemporaines î
» De nos jours, la camaraderie littéraire a reçu d'immenses
développemens ; mais il est digne de remarque que ces coa-
litions transitoires d'intérêts opposés, ces parades d'amitiés
mielleuses et emphatiques, entre des puissances rivales, ont
presque toujours pour résultat infaillible quelque réaction
violente et contradictoire.
» Fatigués de leurs encensemens mutuels, et ne pouvant
plus se regarder sans rire, les acteurs de cette comédie, dès
qu'ils ont touché le prix banal réservé à leur fraternité de cou-
140 LITTÉRATURE,
lisses, se dédommagent des secrets ennuis de leur rôle par
l'aigreur des récriminations publiques et la franche manifes-
tation de leurs antipathies ; une inimitié déclarée succède à ces
flagorneries de commande , et les choses se passent à peu près
comme dans la scène de Molière entre Vadius et Trissotin.
Oh ! les bons camarades ! »
LITTERATURE, HISTOIRE,
SCÈNES DE LA VIE ITALIENNE, par Méry. — Paris, 1837. 2 vol in-8c«
15 francs.
Sous ce titre, M. Méry nous donne des souvenirs de voyage
pleins d'animation , d'intérêt et de poésie. Il s'arrête peu
à décrire cette Italie qui l'a déjà été tant de fois ; il se con-
tente de retracer quelques scènes dont il a été témoin, et, par
des récits du temps passé , il nous reporte aux brillantes épo-
ques de Rome et des autres cités fameuses de cette contrée.
Quelques pièces de vers sont semées le long de la route , et si
elles n'échappent pas entièrement à la critique , on y trouve
du moins une verve d'inspiration et une indépendance de
toute école exclusive qui sont rares, aujourd'hui que la poésie
se montre si souvent prétentieuse ou servile. M. Méry ne se
traîne pas dans la vieille ornière de la routine ; mais il ne
craint pas non plus d'exprimer hautement son admiration
pour les grands écrivains de l'antiquité classique. Le moyen-
âge et l'éclat qu'il répandit, par les arts, en Italie , sont les
objets de ses justes éloges; il fait un beau tableau de l'admi-
rable activité de Michel-Ange, de ce génie multiple qui , ma-
niant tour-à-tour la brosse, le ciseau ou la truelle , enfantait
sans cesse de nouveaux chefs-d'œuvre, et semait sur sa route
de gigantesques peintures , des cathédrales et des palais. Mais
il n'oublie pas non plus la gloire des vieux Romains , et les
souvenirs de l'Empire se reflètent aussi dans son livre. Le sort
d'Herculanum lui a inspiré une espèce de cantate dans la-
quelle on trouve de fort belles strophes, quoiqu'on puisse lui
reprocher un peu trop de licence clans la description d'une
orgie, dont les acteurs sont surpris, au milieu île leur luxurieuse
débauche, par la lave brûlante du volcan, et périssent étouffés
sous une pluie de cendres. Il s'est laissé sans doute séduire
par le poétique contraste de ces images voluptueuses , de ces
amours impudiques et effrénés, à côté de toutes les terreurs
HISTOIRE. 14 1
d'une catastrophe qui venait anéantir une ville entière avec
ses habitans , la rayer de la liste des cités et l'ensevelir en
quelque sorte toute vivante.
A Florence, M. Méry est accueilli avec la plus aimable hos-
pitalité par la célèbre cantatrice qui , sous le nom de Catalani,
faisait, il y a quelques années, les délices de tous les dilet-
tanti européens. Retirée aujourd'hui dans une superbe villa,
qui est le rendez-vous de toutes les illustrations de la contrée,
elle cultive encore avec amour cet art qui lui valut fortune
et renommée. Sa demeure est un temple consacré à la musi-
que, et le poète décrit avec enthousiasme les pures et suaves
harmonies dont il s'est abreuvé dans cet heureux séjour.
Fidèle admirateur de tout ce qui tient à la famille Bona-
parte, il a visité également la veuve de Murât, le prince
de Montfort, le comte de Saint-Leu, la mère de l'Empereur,
et rapporte maints détails intéressans sur ces augustes débris
d'une dynastie dont le règne fut aussi court que brillant. Il
est seulement fâcheux que M. Méry laisse souvent des ex-
pressions triviales se glisser dans son style ; ainsi , en parlant
de la mère de Napoléon , il dit : « Et en a-t'elle vu dans sa
» vie, de ces choses qui brûlent la vie ! A-t-elle souvent trem-
» blé pour des fils, quand tous les boulets de l'Europe étaient
» lancés contre eux, à l'éternelle bataille impériale de quinze
» ans ! » De pareilles tournures de phrases ne sont ni fran-
çaises, ni harmonieuses , et si c'est pour donner de la force à
l'expression que l'auteur les emploie, autant vaudrait alors
emprunter au soldat des casernes ses énergiques barbarismes.
Rome est décrite d'une manière fort piquante , l'auteur
rapporte de curieuses anecdotes au sujet des antiquaires et
des fabriques qui se sont établies dans le but de satisfaire
leurs innocentes manies , en spéculaut sur leur crédulité pro-
verbiale.
Enfin, sous le titre de Variétés , on trouve , à la fin du se-
cond volume , plusieurs petits chapitres fort amusans , dont
l'un entr'autres renferme un dialogue entre deux commis-
voyageurs , qui est d'une platitude prodigieuse de vérité; c'est
la nature , et, il faut l'avouer , une bien sotte nature prise sur
le fait.
Dans tout cela , il n'y a pas grand' chose qui justifie le titre
de Scènes de la vie italienne ; mais le titre n'est qu'une en-
seigne pour attirer les chalans , et qu'importe son étrangeté,
si le livre offre de l'intérêt? On ne regrette pas alors de s'être
laissé prendre au titre, et on pardonne volontiers ce petit
chalatanisme d'éditeur.
142 LITTÉRATURE,
MATINÉES, par Hippolyte Bonnellier, 1 vol. in 8. 7 fr. 50 c— LA CHUTE
«ES FFXILLES , par Alphonse Brot. 2 vol. in-8, 15 fr. — RODOLPHE,
ou, A moi la fortune; mœurs d'hier, par Touchard-Lafos.se. 2 vol.
in-8 , 15 fr. — KlNG'SOWN , ou II est au roi ; par le capitaine Marryat.
1 vol. in-8 , 15 fr. — LE CHAMP DES MARTYRS , par Ernest Mesnard.
2 vol in-8 , 15 fr. — vanité , ou F Amour dans un salon ; par Henry
Spie gel.— Paris, 1837. 2 vol. in-8, 15 fr.
Les Matinées de M. Bonnellier se composent d'une suite de
quinze petits contes fort courts , dont plusieurs même ne sont
guère que des scènes ou des fragmens de peu d'intérêt. On ne
pouvait certainement l'aire un volume à moins de fiais, et je
doute que les lecteurs soient bien satisfaits de ces miettes lit-
téraires. Quelques-uns de ces morceaux cependant feront
plaisir.
— Les Feuilles de M. Brot sont des contes dont nul n'ar-
rêtera la chute ; car ils sont vraiment trop médiocres pour
qu'on les regrette. L'auteur débute par déclarer qu'il ne sait
pourquoi il a choisi un titre pareil pour son livre. On pourra
croire qu'il avait un secret pressentiment de son sort; et c'est
d'autant plus probable que souvent il a fait beaucoup mieux.
Il ne suffit pas d'ajouter en note que tel ou tel fragment est
le premier essai de sa plume , et c'est se croire bien grand
écrivain que d'imaginer le public assez avide des moindres
compositions d'un auteur , pour se contenter d'une semblable
excuse.
M. Brot paraît aimer beaucoup à placer son nom en com-
pagnie de ceux des hommes de génie. Arioste, Dante, Sha-
kespeare, Cervantes, figurent tour-à-tour dans plusieurs de
ces petites scènes, qui sont bien peu dignes de si grands per-
sonnages.
— Dans Rodolphe, on reconnaîtra facilement quelles sont les
mœurs cC/iier ou plutôt d'aujourd'hui, que prétend peindre
M. Touchard-Lafosse. Deux jeunes Marseillais quittent leur
ville natale pour venir chercher fortune à Paris, et réussis-
sent chacun selon son caractère et ses principes. Le nom de
Rodolphe cache celui d'un homme que ses talens et les cir-
constances ont amené au faîte du pouvoir ; tous les autres
personnages mis en scènéfpu- l'auteur sont également des
masques transparens qui laissent voir les traits qu'ils recou-
vrent. Sous ce demi -voile, si facile à soulever, M. Touchard-
Lafosse n'épargne pas les reproches et les accusations; aussi
son livre tient plus de la chronique scandaleuse que du ro-
man. C'est une arme de parti plutôt qu'une œuvre littéraire.
— Kingffown est un des meilleurs romans du capitaine Mar-
ryat. Ce titre bizarre est le nom qu'on donne en Angleterre à
un signe qui se place sur tous les objets qui appartiennent en
HISTOIRE. 143
propre au roi. Le héros du livre a été marqué de ce sceau
qu'un matelot a gravé sur son bras. De là naissent maints in-
cidens piquans qui, joints à d'amusans détails, à une intrigue
conduite avec art, et à un récit plein d'intérêt, forment une
lecture très-agréable qui attache d'autant plus que l'auteur
s'y montre plus sobre qu'à l'ordinaire de plaisanteries et de
calembourgs. Les marines du capitaine Marryat, tracées avec
simplicité et sans prétention, sont très-supérieures à toute
la littérature d'eau salée, de jurons et de grog que nous ont
faite nos jeunes écrivains océaniques, parce qu'il peint la na-
ture telle qu'elle est, et trouve l'énergie et la vigueur dans la
vérité, tandis que les autres ne savent tremper leur plume
que dans l'exagération et changer en frénésie les moindres
sentimens de l'âme, les moindres passions du cœur.
— M. Ernest Mesnard s'est inspiré des grands souvenirs de
la guerre civile en Vendée. Il a retracé quelques scènes de ce
terrible drame, et son récit offre un vif intérêt. Plusieurs ca-
ractères énergiquement esquissés et bien soutenus décèlent
chez l'auteur un talent vraiment remarquable. Le Champ des
Martyrs est un roman bien supérieur à tous ceux qui font le
sujet de cet article. Les hommes des deux partis, républicains
et royalistes, y sont peints avec vérité, et à côté des gens pro-
bes et dévoués qui obéissaient à leurs convictions en soutenant
l'une ou l'autre cause, on reconnaît cette écume de la société
qui surgit toujours à sa surface dans les temps de crise poli-
tique. Le seul reproche qu'on puisse adresser à M. Mesnard,
c'est de s'abandonner parfois un peu trop au genre descriptif,
de se laisser aller aux détails minutieux qui gênent la mar-
che de l'action.
La scène se passe en 1795, et l'événement qui domine tout
le récit est la tentative des émigrés sur Quiberon. Quelques
chastes amours , traversés par les discordres de cette triste
époque, forment l'intrigue qui est simple et bien conduite.
On lira ce roman avec plaisir, et l'auteur, pour obtenir un
succès durable, n'a qu'à persévérer dans cette bonne route.
— Vanité, ou X Amour dans un salon, est une composition
fade et très-romanesque attribuée à une haute et noble dame.
C'est du caquetage de grand monde délayé dans un style
pale, d'une légèreté prétentieuse, visant à l'imitation de cer-
tains feuilletons à la mode. Ce livre appartient à l'école de la
forme sans fonds, dans laquelle ou ne rencontre qu'une ap-
parence très -brillante sans doute, mais si mince, que le
vide qu'elle recouvre perce sans cesse au travers.
144 LITTERATURE,
chroniques des petits théâtres de paris , depuis leur création
jusqu'à ce jour; par N. Brazier. — Paris, 1837. 2 vol in-8 , 15 fr.
M. Brazier, l'un des vétérans du vaudeville et du Caveau
moderne, a entrepris d'écrire les annales de tous les petits
théâtres de Paris, c'est-à-dire de tous ceux où l'on ne joue ni
le grand opéra, ni la comédie française. C'est une galerie fort
amusante dans laquelle on passe en revue tous les acteurs et
toutes les pièces cpii ont été pendant bien des années ou sont
encore en possession de la faveur du public parisien. On y
retrouve tous les traits d'esprit ou de bêtise qui, depuis 60 à
80 ans, ont fait rire nos pères et nous-mêmes. Les vicissitu-
des diverses de chaque théâtre sont racontées d'une manière
faite pour intéresser le lecteur, et M. Brazier , dépouillant
tout amour-propre d'auteur, toute rivalité d'écrivain, adresse
les plus grands éloges à tous ses confrères vaudevillistes qui
ont eu part , avec lui , au succès de ce genre de spectacle
éminemment français. On pourrait même lui reprocher plu-
tôt l'absence de toute espèce de critique. Il nous donne une
simple chronique constatant la vogue de telle ou telle pièce ,
de tel ou tel acteur, sans entrer dans l'examen de leur mé-
rite réel qui n'est que trop souvent fort indigne des succès
dus à des circonstances étrangères ou à cet engouement au-
quel un public débonnaire est sujet à se livrer sans rime ni
raison. On regrettera une pareille lacune dans ce livre qui,
complété sous ce rapport, aurait jeté un grand jour sur la
littérature dramatique secondaire de cette période.
M. Brazier aurait peut-être bien fait aussi de multiplier
davantage les anecdotes et les récits concernant la vie des
acteurs et des auteurs. L'histoire littéraire lui en aurait su
gré. Il paraît qu'il a reculé devant le travail, et il s'excuse
en prétendant qu'il faudrait cent volumes et la patience d'un
bénédictin. Cette mauvaise plaisanterie ne trompera per-
sonne sur sa paresse d'écrivain. Mais du reste , puisqu'il a
préféré -ne faire qu'un livre amusant , on la lui pardonnera
volontiers, en lisant les esquisses intéressantes qu'il a tracées.
MÉMOIRES de Mlle sopiiie arxoulT , recueillis et publics par le ba-
ron de Lanwthe-Lcingon. — Paris, 1837. 2 vol. in-8, 15 fr.
Sophie Arnoult fut renommée par son esprit et sa galan-
terie. Aussi doit-on s'attendre à trouver dans ses mémoires
une ample provision de réparties piquantes, de traits spiri-
tuels, ainsi qu'une foule d'aventures quelque peu licen-
HISTOIRE. 145
cieuses. Je ne sais jusqu'à quel point sont authentiques tous
les faits qui remplissent ces deux volumes ; en fait de mé-
moires, le public a appris à se méfier des éditeurs. Mais on
doit rendre à M. Lamothe-Langon la justice de dire qu'il a
su tirer parti de son sujet, et jeter un grand intérêt sur la vie
de cette actrice; son style, facile et parfois un peu délavé,
convient assez à ce genre d'ouvrage dans lequel les détails
abondent et sont la partie capitale.
louis XIV, son gouvernement et ses relations diplomatiques avec
l'Europe, par Capejigue; tomes 1 et 2. — Paris, 1837. 2 vol. in-8,
15 fr.
Un certain poète prétendait jadis mettre l'histoire en chan-
sons; M. Capefigue, au contraire , parait vouloir mettre les
cbansons en histoire. Dans les nombreux volumes qu'il en-
fante avec tant de facilité sur les diverses époques des annales
•historiques de la France , ce sont toujours en effet des ponts-
neufs qui forment les principales pièces justificatives sur les-
quelles il appuie son récit et ses jugemens. Quelques pam-
pblets du temps complètent ces documens d'un nouveau
genre, et c'est muni de pareilles armes, qu'il entreprend de
donner à l'histoire une couleur nouvelle en réhabilitant tous
les actes les plus monstrueux, tels que la Saint-Barthélémy
et la révocation de l'éditde Nantes.
Le règne de Louis XIV , peint d'après de semblables mo-
dèles, pourra fournir un livre piquant, rempli de sopbismes
ingénieux et de sarcasmes spirituels; mais ce ne sera certaine-
ment pas de l'histoire impartiale et sérieuse.
On ne peut , du reste , porter encore aucun jugement cer-
tain sur cet ouvrage, et nous attendrons, pour l'examiner
avec plus d'attention , qu'il soit publié en entier.
IL PICCOLO MCR.VTORI, o Sloria d'Italia nel medio evo, tratta dagli
scrittori délie rose italiane, dalle anticliita1 italiclie cd estensi, e da-
gli annali d'Italia; dal si^n. A. Levati. — Milano, presso A. F. Stella
efigli, 1837. 3 vol. in-321, 4 fr. 50 c
L'auteur de ce petit ouvrage reproche à la plupart des
historiens, et principalement à Botta, d'avoir totalement né-
gligé l'époque du moyen-âge dans l'histoire d'Italie. Il entre-
prend de combler cette lacune , et de tracer une esquisse de
ces temps , où , au milieu du chaos des institutions et de la
lutte des peuples , les arts et les lettres trouvèrent encore de
nombreux adeptes, qui les cultivèrent avec succès. La chute
146 LITTÉRATURE,
de l'empire romain ne fut, en effet, pas suivie immédiate-
ment d'un état de barbarie complète. Quelques flambeaux,
épais çà et là, jetaient encore une vive lumière; le christia-
nisme eut ses écrivains, et son influence favorisa la marche
du progrès toutes les fois qu'une paix de quelque durée lais-
sait les esprits en repos; le commercé fit prospérer quelques
villes , les mœurs plus mâles des hommes du Nord vinrent
retremper le caractère efféminé, et souvent même avili, des
sujets de Rome. Mais il ne faut pas non plus se dissimuler les
désordres qui durent suivie l'invasion , l'ignorance , la bruta-
lité des masses, et le stupide fanatisme des nouveaux con-
vertis.
Le moyen-âge mérite sans doute d'être étudié, comme l'une
des phases les plus curieuses de la inarche de l'humanité,
comme la période de transition entie la civilisation antique
et la civilisation moderne , entre le monde païen et le monde
chrétien. Seulement, il y a chez beaucoup de gens un en-
thousiasme outré pour cette époque historique , dont ils
recherchent et admirent les moindres vestiges comme le nec-
plus-ultrà du sublime. Botta a donc pu , avec quelque rai-
son, se moquei de cette ehronico-manie, qui fait oublier toutes
les grandes questions sociales, tous les progrès de nos temps
modernes, devant un parchemin gothique, ou devant une
ogive. Mais M. Levati est loin de tomber dans de pareils
excès. Les arts gothiques ne sont pour lui qu'une dégéné-
rescence de l'ait grec et romain. Les basiliques du moyen-
âge n'offrent, à ses yeux, qu'une architecture barbare et dis-
proportionnée. Il partage l'opinion de plusieurs écrivains
italiens , qui ont cherché à prouver que l'architecture go-
thique n'était qu'une corruption de celle des Grecs et des
Romains, que l'irrégularité des chapitaux et des colonnes,
ainsi que l'ogive, avaient déjà été introduites dans les édifices
avant les Goths. C'est là un sujet de querelles entre les Ita-
liens et les Allemands, que l'esprit national perpétuera d'au-
tant plus qu'il serait bien difficile de résoudre cette question
d'une manière certaine.
S'appuyant sur les grands travaux de Muratori , notre au-
teur retrace un tableau rapide des destinées de l'Italie sous
les Erules et les Goths , sous les Lombards, sous les Francs ,
et enfin sous les rois et empereurs qui la dominèrent pen-
dant plus d'un siècle, jusqu'à ce qu'en 961 Othon , appelé
en Italie par le pape , qui redoutait également Bérenger II et
Adalbert, entra dans Milan , où il fut reconnu roi dans une
diète, et solennellement couronné dans l'église Sainl-Am-
broise. Ce résume est écrit avec talent et rempli d'un grand
intérêt. Il fait partie d'une collection des principaux mé-
HISTOIRE. 147
moires et curiosités historiques de tous les temps et de tous
les peuples, que publient MM. Stelia et fils, sous le titre
de Amenità Storiche, dont L'ouvrage de M. Levati forme les
volumes 14 , 15 et 18.
archives CL'RiFXSiîS de LA ville de xaxtes et des départemens de
l'Ouest, pièces authentiques inédites, ou devenues très-rares , sur
l'histoire cle la ville et du comté de Nantes, etc., recueillies et pu-
bliées par Verger. — Nantes , chez Forest ; Paris , chez Pesron, 1837,
in-4. 11 paraît chaque mois une livraison de deux feuilles. Prix : G fr.
par an.
Ce recueil est destiné à donner l'extrait des chartes, des
lettres-patentes, de la correspondance, des procès-verbaux
du conseil municipal, et de quelques manuscrits historiques,
relatifs à la ville de Nantes et à quelques-uns des départe-
mens qui l'avoisinenL II contiendra ainsi et servira à réunir
et à conserver une foule de documens épais ça et là, qui
risquent de se perdre, ou exigent souvent de nombreuses îe-
cherches, lorsqu'on a besoin de les consulter. On ne peut
qu'approuver ces travaux de chroniques locales, qui servent
à aplanir la route de l'historien , et lui fournissent une
ample collection de faits nouveaux , curieux , interprèles des
mœurs, des usages, et par suite , de maintes institutions des
temps passés.
Le premier numéro des Archives de Nantes renferme les
articles suivans :
Histoire ancienne de Nantes, court extrait de l'Histoire de Bre-
tagne de Pierre Lebaml.
Composition du traité pour la remise de la ville de Nantes au
pouvoir du Roi en 1496.
Jeu du Papcgault, sorte de tir a l'oiseau.
Premier registre de la commune de Nantes, 1 555 à 1 562.
Procis-verbal de la Séance du Conseil municipal de Nantes, du
a3 septembre 1792; dons patriotiques, passe-ports, etc.
Divers faits sous l'Empire.
Étal de situation des écoles primaires de l'arrondissement de
Nantes pour l'année scholaire i835-i836.
sîneiens murs de ville.
OriAne des Seigneurs de Laval.
Cette table présente un aspect un peu confus, un pèle-
mêle de dates, d'époques, d'événemens , qui ne se lient
point entr'eux; on pourra désirer plus d'ordre et de méthode ;
143 LITTÉRATURE,
mais au début de tout recueil périodique , c'est ce qui arrive.
L'auteur prendra sans doute plus tard une marche plus ré-
gulière. Il ferait bien , peut-être , d'adopter trois divisions
tranchées, telles que : temps anciens, période révolutionnaire,
et époque actuelle.
guide du voyageur de Nantes A paris , par les routes du Mans
et de la Levée, orné d'une carte des deux routes. — Nantes, chez
Forest ; Paris, chez Pesron. 1837, in-18.
Ce petit volume offre un tableau rapide de la route de
Nantes à Paris, avec des détails sur tous les objets intéres-
sans qu'elle présente à la curiosité des voyageurs, et un
court précis historique sur les événemens qui s'y rattachent.
La carte qui l'accompagne est gravée avec soin.
Tiaggio PER LA vizzera orientale , di Tullio Dandolo ; vol. 1 e2.
Ticino — Uri — Schwilz — Zug — Unterwaid. — Milano , presso A. F.
Stella e figli, 1836. 2 vol. in-18, 5 fr.
Schwytz , Uri , Unterwaid , berceau de l'indépendance
helvétique , belles contrées où le voyageur rencontre à cha-
que pas quelque grand souvenir historique, quelque nom
mémorable, qui rappelle l'héroïsme et la vertu. Les cantons
de la Suisse orientale ne sont sans doute pas aujourd'hui les
plus remarquables sous le rapport de la civilisation , de l'in-
dustrie et des lumières ; la plupart d'entr'eux, fidèles aux
antiques institutions de leurs ancêtres, repoussent avec une
opiniâtre ténacité tous les changemens qu'exigerait l'esprit
de l'époque actuelle. Mais , pour le voyageur qui , comme
M. Dandolo, sympathise volontiers avec le mâle courage, la
haine de l'oppression , l'amour de la patrie et les nobles dé-
vouemens qu'il inspire , c'est bien le pays le plus riche en
actes dignes d'exciter l'enthousiasme.
Chaque canton de la Suisse peut réclamer sa part dans les
glorieuses annales de la Confédération ; mais à Uri, Schwilz et
Unterwaid, appartient la première et la plus belle. Là se trouve
cette plaine du Grutli, où des hommes de cœur et vrais amis
de leur pays , jurèrent de délivrer la patrie du joug étranger,
serment qu'ils accomplirent avec autant de loyauté que de
bravoure, sans verser une goutte de sang. Là se voit une
chapelle au lieu où Tell, animé d'un ressentiment trop juste,
comme le prouve une poésie latine du temps , citée par
l'auteur, qui mentionne le fait contesté de la pomme, perça
d'une flèche le cœur du cruel Gessler. Là on montre au
HISTOIRE. 149
voyageur ce champ de bataille de Morgarten , où deux fois,
à quelques siècles de distance, les confédérés, confians en
Dieu et en leur bon droit , défirent les armées étrangères qui
envahissaient leur sol natal. La première fois, les conseils et
les directions d'un Reding leur firent remporter une éclatante
victoire sur les Autrichiens; la seconde fois, un autre Reding
les commandait, lorsqu'ils obtinrent sur l'armée française,
plus nombreuse et plus expérimentée, une victoire qui leur
valut une honorable capitulation.
M. Dandolo jette beaucoup de charme et. d'attrait dans
ses descriptions , en appelant l'histoire à son secours pour
animer la scène, en évoquant tous les souvenirs qui s'y ratta-
chent. Muller et d'autres écrivains sont souvent cités par lui ;
plusieurs chapitres de son livre nous offrent une élégante
traduction des principales scènes du Guillaume Tell de
Schiller. Il nous fait ainsi assister au réveil énergique de ce
peuple qui, au milieu de la servitude générale, sut faire res-
pecter ses droits par les princes et les empereurs, et, quoi-
que religieux jusqu'à la superstition , ne permit jamais à ses
prêtres d'empiéter -sur le pouvoir temporel, brava les foudres
du Vatican , ne recula pas même devant l'excommunication
dont il fut plus d'une fois frappé. Leçons sublimes, d'autant
plus précieuses qu'elles sont pures de tout excès, de tout
désordre.
M. Dandolo tiace un tableau intéressant des diverses
institutions qui régissent ces cantons. 11 présente un résumé
des chan;;einens survenus depuis quelques années dans la
constitution du Tessin , ainsi que de ceux qui se préparent
lentement dans les petits cantons. C'est un aperçu superfi-
ciel sans doute, mais clair et précis, qui servira à faire mieux
connaître cette Suisse , que tant de touristes traversent en
tout sens, sans se donner la peine de l'étudier, quoiqu'elle
offre une mine si féconde à l'observateur. Un esprit sage et
éclairé guide l'auteur dans ses remarques ; on y trouvera une
juste appréciation du caractère Suisse, de ses travers et de ses
qualités.
REVUE DU NORD, 3me année, n. 3. Mars 1837.
11 paraît chaque mois une livraison de 160 à 200 pages, dont trois
se réunissent en un fort volume in-8 Le prix de l'abonnement est de
40 fr. par an, 21 fr. pour six mois et 1 1 fr. pour trois mois pour Paris.
On souscrit au bureau de la Revue, rue du Four- Saint-Germain, 41.
Après une interruption de quelques mois , la Revue germa-
nique a repris le cours de sa publication, sous les auspices d'un
nouveau directeur, M. J.-J. O.Pellion. Les livraisons publiées
1 1
150 LITTÉRATURE,
cette année se distinguent d'une manière remarquable par
le choix, le mérite et la variété des articles qui les composent.
Celle que nous annonçons aujourd'hui renferme un article
fort intéressant de M. Jules-Paul , sur les romans et la criti-
que en France, dans lequel l'auteur caractérise assez bien
l'époque de transition à laquelle nous assistons. Il montre
comment , tandis qu'on discutait souvent sur des mots plus
que sur des idées avec un acharnement irréfléchi , le goût
s'est faussé , les écrivains se sont égarés sur des sentiers per-
dus , et la critique, oubliant son devoir de juge impartial,
a cédé sa place aux préventions de l'esprit de parti, à l'aveu-
gle et sotte spéculation de la camaraderie. Il passe également
en revue quelques-uns des romans modernes les plus re-
nommés ; mais il se montre lui-même critique fort indul-
gent, et prononce certains jugemens qui paraîtront assez ex-
traordinaires.
« Lamartine , dit-il , découvrait une poésie qui ne fut pas
même soupçonnée par les anciens....
» Alfred de Vigny, en s'emparant du moule trouvé par
le romancier écossais , y jetait une œuvre à laquelle son mo-
dèle n'a jamais atteint. »
« Quelques années pltts tard, » ajoute-t-il, « George Sand
détermina une nouvelle révolution : Indiana, Valehtine, Lélia,
André, sont des créations d'un ordre tellement supérieur, que
leurs défauts comme leurs qualités resteront long-temps un
sujet de dispute entre les gens de lettres appelés à les
apprécier. »
Lamartine, trouvant une poésie qu'Homère sans doute
ne soupçonnait pas; Alfred de Vigny placé au-dessus de
Walter Scott ; et George Sand considéré comme un de ces
puissans génies qui changent l'aspect d'une littérature : voilà
ce qui peut s'appeler, il me semble, sacrifier au Veau d'or
de la mode , adorer les idoles , et non point exercer cette
critique consciencieuse, modérée, mais franche et inflexible,
qui seule peut empêcher le goût de se corrompre et la litté-
rature de décheoir.
L'influence de la tradition et des citants populaires sur la litté-
rature polonaise est signalée d'une manière fort remarquable ,
dans un très-bon article de M. Michel Czaykowski.
' Une Rêverie traduite de Jean-Paul , une jolie nouvelle inti-
tulée Marie, un article de M. Monnard sur les Suisses, leurs
mœurs, etc. , quelques recherches de statistique, d'économie
politique et d'histoire, enfin des mélanges intéressans extraits
de diverses correspondances , complettent cette livraison ,
d'après laquelle on peut espérer que la Revue du Nord
obtiendra un succès digne de ses efforts. L'utilité d'un sem-
HISTOIRE. 151
blable recueil ne saurait être niée , car il a pour but de faire
connaître l'Ail .-magne , la Russie, la Pologne, la Suède, le
Dan mai ck, de rapprocher ainsi en quelque sorte le Nord
du Midi, et, de populariser en Fiance des littératures étran-
gères, que l'étude difficile de certaines langues a trop long-
temps fait négliger. Si c'est folie de prétendre changer le
génie propre d'une littérature, et transplanter d'une langue
dans une autre des beautés particulières et originales, qui
tiennent à la nature même du langage ou du pays , on doit
reconnaître aussi que l'exclusisme, en littérature, est le plus
sûr moyen d'étouffer le talent, et que rien ne saurait être
plus favorable que la comparaison des diverses littératures ,
au développement de l'esprit humain.
RELIGION, PHILOSOPHIE, MORALE, EDUCATION.
Sermons sur divers textes de l'Ancien et du Nouveau-Testament, dé-
diés à l'église chrétienne réformée de Nérac, par J.-J. Audebez. —
Paris, 1837. In-8. 5 fr.
M. Audebez semble appartenir à la secte des méthodistes ,
soit comme ils s'intitulent eux-mêmes en France, des chré-
tiens évangéliques. Il se donne le titre de pasteur à Paris,
et c'est sans doute dans l'une des chapelles séparatistes qu'il
exerce ses fonctions , car il ne fait point partie du consistoire
de l'église réformée nationale. Mais cette circonstance ne sau-
rait influer sur le mérite de ses sermons ; elle en explique
seulement l'esprit, qui n'est peut-être pas tout- à-fait de notre
époque. Le rigorisme calviniste , la sécheresse dogmatique y
dominent parfois un peu trop. Cependant on y trouve aussi
une piété ardente , une ferveur de conviction assez remar-
quables.
LES MYTHOLOGIES racontées à la jeunesse ; par Mme Laure Bernard.
— Paris, chez Didier, 1837. 1 vol. in-12, orné d'un grand nombre
de gravures. 4 fr.
L'étude des différentes mythologies est absolument néces-
saire pour l'intelligence de l'histoire. Les mœurs et les cou-
tumes des nations ne sauraient être comprises sans cela , car
elles sont intimement liées à leur religion , à leur culte, aux
préjugés et aux superstitions plus ou moins grossières qui ac-
compagnent les hommages qu'elles rendent à l'Etre-Supréine.
152 RELIGION, PHILOSOPHIE,
La littérature , les beaux arts , toutes les manifestations Je
l'esprit humain viennent aboutir à ces croyances diverses
dans leurs formes, par lesquelles se décèle le sentiment reli-
gieux , dont aucune société d'hommes , quelque barbare et
ignorante qu'elle soit , ne se montra jamais privée. Il est donc
indispensable de faire entrer cette étude dans l'éducation des
enfans. Mais c'est une œuvre délicate qui demande beaucoup
de précautions. Il y a deux grands écueils à éviter dans un
semblable essai. Le premier, c'est de surcharger l'esprit fcrop
tuimpressionable des enfans , de fables et de merveilles surna-
turelles qui les frappent vivement, les captivent , et peuvent
souvent exercer une influence funeste sur le développement
de leurs facultés. Le second est d'exciter chez eux les rêves
de l'imagination, d'éveiller des passions et des sentimens au-
dessus de leur âge. Sous ces deux rapports, le livre de madame
Laure Bernard est certainement fort supérieur aux anciens
abrégés de mythologie de Chompré et autres , mais il ne me
paraît pas encore tout-à-fait irréprochable. On n'y trouve d'a-
bord presque aucune explication historique; la mythologie
est racontée assez sèchement, et d'une manière qui suscitera
encore de la part des enfans bien des questions embarras-
santes. L'auteur aurait dû , pour ce qui concerne les divinités
de l'Olympe grec et romain , prendre, comme un modèle à
imiter, l'admirable petite Mythologie élémentaire de M. le pro-
fesseur Humbert. Elle a voulu donner de plus grands détails,
faire un récit plus suivi , et il en résulte que bien des pas-
sages de son livre ne pourront être ni lus ni compris par les
jeunes lecteurs pour lesquels il est écrit. Quant à la mytholo-
gie des Indous, et à celle d'Odin, de Thor, etc., elles offrent
peu d'attraits par la longueur et la monotonie de leurs fables,
et une grande difficulté par les noms barbares de leurs dieux.
Ce sont , le plus souvent, de symboliques allégories , dont la
profondeur est inintelligible même pour les savans , et elles
n'ont encore eu ni leur Homère, ni leur Ovide, pour les po-
pulariser par le charme de la poésie ou l'intérêt du roman.
De jolies gravures au trait ornent ce volume qui , malgré
les critiques que je lui ai adressées , mérite certainement d'être
accueilli avec faveur, et remplacera d'une manière fort avan-
tageuse les ouvrages de ce genre qu'on destinait jusqu'à pré-
sent à l'amusement de la jeunesse. Seulement, je pense qu'il
ne convient pas à de très-jeunes enfans; il ne doit guère être
placé cpie dans les mains de ceux qui ont atteint 12 à 15 ans.
Il n'est, du reste, pas bien utile d'apprendre la mythologie
avant cette époque; mais peut-être aussi est-on alors en état
de l'étudier d'une manière plus complète et plus raisounée.
MORALE, EDUCATION. ii3
&SCETTES POLITIQUES, par M. Alexis Dumesnil. —Paris, 1837.
In-8, 5 fr.
Satire arrière , dont les traits acérés déchirent , et dans
laquelle personne n'est épargné. Tous les vices , toutes les
perfidies, les trahisons, les lâchetés, toutes les duperies de
notre époque y sont stigmatisés avec énergie. On regret-
tera seulement que des noms propres sfe trouvent mêlés à de
si violentes attaques, car les personnalités inspirent toujours
de la défiance, et quand on se livre ainsi sans retenue à toute
la fougue de son indignation contre la corruption sociale, il
vaut bien mieux laisser au lecteur le soin de faire les applica-
tions. On est toujours porté à soupçonner de haine l'écrivain
qui livre ainsi au mépris public des noms éminens, on veut
lui trouver un motif peu noble, et l'on se sent enclin à défen-
dre l'accusé à ce tribunal où l'accusateur seul se fait enten-
dre. Cependant on ne saurait taxer M. Dumesnil d'esprit
de parti, car il fustige sans pitié des hommes de toutes les opi-
nions; et son livre, écrit avec beaucoup de verve, paraît être
la boutade d'un censeur vertueux , mais franc jusqu'à la
brutalité.
5IYGIÈXE MORALE, ou application de !a physiologie à la morale et à
l'éducation, par Casimir Broussais. — Paris, 1837. In-8, 6 fr.
L'auteur de ce volume cherche à appliquer la doctrine
phrénologique à l'éducation des enfans. Il se pose entre les
spiritualistes et les matérialistes comme médiateur, et offre
pour condition de trêve l'étude approfondie de l'homme, de
ses organes, des facultés qui s'y rattachent. Son opinion est
qu'il faut marcher toujours du connu à l'inconnu, et que
c'est dans l'homme lui-même qu'il faut chercher la cause de
son existence, l'origine de ses devoirs. Les faits sont pour lui
les seules lois qui existent. Il est certain du moins que ce
sont bien celles qui existent le plus sûrement et dont la réa-
lité parle de la manière la plus irrécusable à l'intelligence
humaine. Mais il faudrait que les faits fussent toujours exa-
minés avec loyauté et franchise, sans préoccupation étran-
gère à la science, dans le seul but de trouver la vérité et non
dans celui de faire triompher un système auquel l'aveugle
amour-propre de son auteur ne fait que trop souvent sacri-
fier toute autre considération. Il faudrait observer la nature
pour elle, non pour soi, et employer toutes les facultés de
notre esprit à découvrir les lois qui règlent ses phénomènes,
au heu de vouloir la plier aux fantaisies d'une imagination
154 RELIGION, PHILOSOPHIE,
hardie et absolue. Si l'accusation de matérialisme est adressée
quelquefois avec raison , c'est à ceux qui , une fois munis
d'une idée, prétendent tout expliquer avec elle, ne s'arrêtent
pas aux faits connus, mais en supposent d'autres que rien ne
prouve, et refusent d'avouer qu'après avoir en effet expli-
qué beaucoup de choses dans la nature, par ses observations
et ses travaux bien dirigés, l'homme est obligé de s'arrêter
devant des phénomènes que son intelligence ne peut absolu-
ment pas comprendre.
Du reste, M. C. Broussais expose en détail toutes les facul-
tés que la phrénologie compte sur le crâne humain ; mais
comme il ne donne point les moyens physiologiques de les
reconnaître, et qu'il faudrait d'ailleurs commencer par prou-
ver que cela se peut dès l'enfance , son livre n'offre rien de
bien nouveau sur l'éducation. Il ne fait que répéter ce que
disent tous les moralistes , qu'il faut travailler à réprimer
chez les enfans les mauvaises dispositions, et à développer
autant que possible les bonnes.
TROIS EXISTENCES, OU LA MAISON CENTRALE , par M. A. Peigné. —
Paris, chez Pesron. 1837. in- 12. 3 fr. 50c.
Le conte fait passer la morale avec lui, dit l'épigraphe de ce
volume, et c'est une vérité que nul ne contestera; mais il
peut arriver aussi qu'il la fasse oublier, et c'est à quoi il faut
prendre garde quand on écrit dans un but purement moral.
M. Peigné a voulu faire un livre qui offrît aux détenus une
lecture utile, capable de les intéresser et de les améliorer,
en suscitant dans leurs esprits de salutaires pensées , en ré-
veillant dans leurs cœurs des sentimens d'honneur et de
probité. Des trois êtres qui jouent les principaux rôles dans
cet ouvrage, l'un , Parmenticr, est un mauvais sujet que l'in-
conduite a poussé vers le crime , et dont les facultés dévelop-
pées par une instruction supérieure ont bientôt fait un bri-
gand consommé. L'auteur a eu tort, je crois, de choisir un
nom pareil, car on doit toujours respecter tout ce qui rappelle
le souvenir d'un homme de bien; mais il n'aura pas réfléchi
à cette circonstance, et c'est sans doute par une inadvertance
malheureuse, mais bien involontaire, que sa plume a donné
à son triste héros le nom de l'un des bienfaiteurs de l'huma-
nité. Parmentier entraîne avec lui Amanda, jeune femme
qu'une première faute a jetée sur la route du vice où il la ra-
masse pour en faire sa maîtresse, et Lcmpine, garçon simple
et ignorant, mais ambitieux à sa manière, que son inexpé-
MORALE, ÉDUCATION. 155
rience rendait très-propre à servir d'instrument à quiconque
saurait s'emparer de lui, en flattant ses penchans.
Après avoir débuté par quelques vols plus ou moins auda-
cieux, Parmcnticr et Lemoine commettent un assassinat, et,
dès les premiers chapitres du récit, on les voit fuyant loin
de Paris pour échapper à la justice. Mais avant de partir ,
Parmentier a remis à sa maîtresse les bijoux de sa victime ,
comme un don de son amour, et Amunda, qui ignore tout-à-
fait l'horrible industrie dont ils sont le fruit, se pare aussitôt
de ces dépouilles pour aller le soir même danser dans un bal
public avec une amie. Une querelle d'étudians dans laquelle
la maîtresse de Parmentier se trouve compromise , conduit
cette malheureuse jeune femme à la préfecture de police, et
tandis que les deux assassins roulent sur la route d'Orléans et
se félicitent déjà de leur succès , A manda se voit obligée de
comparaître devant un juge d'instruction qui se trouve juste-
ment être chargé d'informer au sujet du meurtre commis par
eux. Les bijoux qu'elle porte sont reconnus ; la justice est
bientôt sur la trace des coupables , et après un court procès ,
Parmentier et Lemoine , qui ont réussi dans leur défense à se
faire passer pour de simples complices qui n'ont fait qu'ai-
der les auteurs du crime, sont condamnés, ainsi qu* Amandfl ,
à une détention plus ou moins longue, qu'ils vont subir dans
une maison centrale.
Jusque là tout est conforme à la réalité , tout est vrai , et
l'on ne peut repiocher à l'auteur que certaines scènes triviales
qui indiquent chez lui une propension à écrire le îoman plu-
tôt qu'à prêcher la morale. Mais ici l'action se complique
étrangement. La maison centrale devient le rendez-vous de
tous les personnages que M. Peigné nous a successivement
fait connaître. L'amie d'Amanda s'est mariée avec un hon-
nête homme qui est nommé fournisseur de la prison ; d'un
autre côté, Pierre, ancien compagnon de Lemoine, y est em-
ployé comme entrepreneur ; un certain brigadier de gendar-
merie , qui a aussi figuré dans les chapitres précédens , s'y
rencontre également; enfin , l'aumônier se trouve être le
frère de la première victime qu'a frappée Parmentier, et celui-
ci retrouve dans le directeur un père qu'il a abandonné pour
se livrer au désordre et au crime.
Voilà un tissu d'intrigues , tel qu'on en rencontre souvent
dans les œuvres d'imagination , dans les drames de nos théâ-
tres, mais bien peu conforme en vérité à ce que le inonde
nous offre le plus communément. Or, je crois que dans un
ouvrage de ce genre, l'invraisemblance est un giand défaut.
L'imagination ne peut, il me semble, venir en aide à la mo-
rale, qu'à la condition de rester toujours dans les limites, non-
156 RELIGION, PHILOSOPHIE,
seulement du possible , mais même du probable ; autrement,
elle nuit au but qu'on se propose, soit qu'elle distraise l'atten-
tion et parle plus à l'esprit qu'au cœur, soit que , présentant
des conditions qu'il est impossible de réunir dans la réalité,
elle offre aussitôt un prétexte de rejeter les leçons qu'elle veut
donner.
Lemoine et A manda , dociles aux leçons de l'expérience et
aux exhortations des personnes qui s'intéressent à leur régé-
nération morale, se distinguent bientôt par leur bonne con-
duite dans la maison centrale.
Ils gagnent l'un et l'autre l'affection du directeur et de
l'aumônier. Après quelques années ils obtiennent la remise
de leur peine et rentrent dans la société pour y recommencer
une nouvelle carrière, où leur probité ne tarde pas à trouver
sa récompense. Quanta Parmentier, il reste insensible à tout
ce qu'on tente de faire pour lui ; il rejeté les conseils, il brave
les chàtimens, et après avoir assassiné un de ses compagnons
qui avait dénoncé ses projets d'évasion, il se donne à lui même
plusieurs coups de couteau. Le repentir ne trouve accès dans
son cœur que peu d'instans avant sa mort. Il avoue alors tous
ses crimes, dévoile le secret de sa naissance et meurt en frap-
pant ainsi son pauvre père d'un coup qui ne tarde pas à le
conduire également au tombeau.
Sans doute les détenus auxquels M. Peigné dédie son livre
y trouveront des leçons excellentes. Le crime et ses inévita-
bles conséquences y sont peints des plus noires couleurs ;
mais, je le répète, il y a trop du roman , trop d'invraisem-
blance dans les détails. Ces amis dévoués, dont l'auteur en-
toure les malheureux qu'il met en scène, sont de trop rares
exceptions dans ce monde, où l'homme qu'une première faute
enti-aîne dans le crime, se voit, au contraire, abandonné de
tous et ne rencontre qu'obstacles de toute nature sur sa route
lorsqu'il entreprend de se régénérer. A cet égard, M. Peigné a
peint ce qui doit être, mais non pas ce qui est. On lui repro-
chera, je crois aussi, d'avoir quelquefois jeté du ridicule sur
les gens de bien qui figurent dans son récit. L'amie d'Amanda
est une femme bien légère pour jouer le rôle qu'il lui donne ;
son excellent mari tient trop souvent de la caricature , et le
brigadier de gendarmerie, quelque vrai que puisse être son
caractère, me parait bien peu propre à aider l'œuvre de la ré-
forme. Au total , dans ce petit ouvrage , le plan et le but
étaient dignes d'une meilleure exécution, et il est à désirer
que dans une édition nouvelle l'auteur fasse disparaître tout
ce qui en gâte l'harmonie, tout ce qui en fausse l'intention.
Les livres de ce genre sont d'autant plus difficiles à faire qu'il
n'en existe encore presque aucun, et l'écrivain qui, l'un des
MORALE, ÉDUCATION. 157
premiers, consacre sa plume à un travail aussi noble qu'utile,
ne doit pas craindre de remettre plus d'une fois soti œuvre
sur le métier.
le gamin de PARIS , ou le Fils de Geneviève ; par Mme F. Richomme.
— le plaisir et le temps, ou huit jours de vacances; par la
même. 2 vol. in-lG, fig. — Paris, chez Louis Janet.
Ces deux petits volumes, imprimés avec luxe, ornés de jo-
lies gravures, ont un aspect qui séduit. C'est un charmant
cadeau à faire aux enfuis. Madame Richomme , chargée
d'encadrer une suite de petits sujets représentant tous les
jeux de l'enfance dans un texte amusant, s'est tirée avec bon-
heur de celte tache difficile. C'était, il faut l'avouer, une
singulière fantaisie d'éditeur , et l'on pouvait craindre avec
raison qu'il n'en résultât qu'un livre médiocre et inutile.
Mais l'auteur a su se plier à cette exigence et a fait preuve
d'un talent facile et souple. Le Gamin de, Paris est un conte
intéressant qui renferme de bonnes leçons, quoique peut-être
il soit un peu romanesque et qu'on y sente parfois la gène
imposée par l'obligation d'amener les scènes explicatives, des
gravures et de jeter des tableaux de gaîté enfantine au milieu
d'un récit moral. L'auteur aurait mieux fait, je crois, de lui
donner une forme moins sentimentale ; son imagination l'a
entraîné au-delà des limites qui lui étaient assignées et a aug-
menté ainsi les difficultés à vaincre. Il est vrai que les jeunes
lecteurs auxquels est destiné ce livre ne s'apercevront guère
de ces disparates et se laisseront volontiers attendrir par les
malheurs du Gamin, dont ils partageront, également avec un
vif plaisir les amusemens et les joies. Chez l'enfance, les cha-
grins ressemblent à ces nuages fugitifs qui se jouent autour
du soleit pendant un beau jour d'été. Le sourire est déjà sur
ses lèvres, que ses yeux sont encore gros de larmes, et il ar-
rive aussi bien souvent qu'un éclat de rire finit en pleurs.
Cependant je préfère beaucoup l'autre volume qui ren-
ferme huit jours de vacances. Ici , du moins, tout est en har-
monie, texte et gravures marchent ensemble sans effort. C'est
une petite fille qui se propose de ne pas perdre une minute
de ses vacances et les trouve seulement trop courtes pour
pouvoir jouer autant qu'elle le voudrait. Des camarades
viennent se joindre à elle, et tous les jeux de l'enfance sont
passés en revue par la troupe joyeuse. Un petit érudit, qui
en fait partie, raconte aux autres l'origine et l'histoire de
chacun de ces jeux. Ce sont des scènes enfantines décrites
avec grâce et animées de tout l'intérêt dont elles étaient sus-
ceptibles.
158 RELIGION, PHILOSOPHIE,
*JNE FAMILLE, par Mme Guizot ; ouvrage à l'usage de la jeunesse,
continus par Mme Amable Tastu. — Paris, chez Didier, 1837. 2 vol.
in-12, fig. 8fr.
Ce livre, l'une des plus jolies productions dues à la plume
de madame Guizot, était demeuré inachevé. La mort avait
surpris l'auteur au milieu de son travail, et le fragment pu-
blié faisait regretter vivement qu'elle n'eût pas terminé une
œuvre aussi remarquable. Une autre femme , plus connue
jusqu'à ce jour par son talent poétique que comme écrivain
moraliste, madame Ta^tu, dont les inspirations aussi fraî-
ches que gracieuses, unies à un style simple et pur lui ont
assuré depuis long-temps une des premières places parmi nos
muses contemporaines, a essayé la tâche difficile de complé-
ter le dernier ouvrage de madame Guizot. Ce n'était pas une
petite entreprise, car rien n'est plus pénible que d'astreindre
son esprit à développer des plans qu'il n'a pas conçus , à sui-
vre les idées d'un autre. Il fallait se rendre bien complètement
maître du sujet pour parvenir à deviner en quelque sorte
l'extension qu'il devait prendre sous la plume de srjn pre-
mier auteur, et de plus, étudier avec soin son style de ma-
nière à pouvoir en approcher le plus possible, en sorte qu'il
n'y eût pas contraste, et que l'harmonie de l'ensemble ne se
trouvât pas détruite.
Madame Tastu s'est tirée avec bonheur de toutes ces diffi-
cultés. Partageant toutes les vues de madame Guizot sur l'é-
ducation, elle a très -bien su rester fidèle à l'esprit qui la diri-
geait. Toutes les données qu'offrait la première partie <¥U//e
Famille ont été habilement développées par elle, et il faut un
examen bien approfondi pour découvrir le point d'union qui
lie l'œuvre de l'une à celle de l'autre, pour pouvoir dire : Ici
s'arrête madame Guizot, là commence madame Tastu. Le
but de ce livre est d'exposer le tableau d'une famille, dans les
détails journaliers de la vie domestique, et de faire ressortir
des leçons de morale pratique des situations les plus simples,
les plus communes dans le monde. Madame Guizot avait
voulu échapper au reproche adressé à son écolier, en prou-
vant que des évènemens extraordinaires n'étaient pas indis-
pensables pour exciter un intérêt vif et soutenu. Madame
Tastu a suivi cette même idée, et il n'y a guère qu'un seul
reproche à lui adresser, c'est d'avoir peut-être trop brusqué
le dénouement. Les succès et la fortune du pauvre Antoine,
qui, de simple garçon de boutique, devient un grand manu-
facturier, et finit par épouser la fille de son noble protecteur,
ne sont pas, il est vrai, sans exemple dans la réalité. Mais que
d'obstacles ne faut-il pas vaincre pour arriver à de tels résul-
tats ! Combien de persévérance ei de fermeté ne faut-il pas
MORALE, ÉDUCATION. 159
déployer pour combattre les découragemens sans nombre qui
attendent l'homme sur cette route pénible ! J'aurais mieux
aimé qu'au lieu de se contenter simplement d'indiquer par
quelques mots tout ce que Antoine eut à faire pour se créer
une position indépendante et belle, madame Tastu nous don-
nât tous les détails de cette noble lutte. En effet, l'ordre,
la conduite, des facultés supérieures développées par l'étude,
échouent souvent, parce qu'elles sont abattues et perdent
tout courage devant le premier échec. On ne saurait donc
trop exposer aux yeux des jeunes gens, le tableau détaillé
et complet de ces existences pleines et utiles, dans lesquelles
les facultés de l'âme ont su trouver, dans leur développement
moral, la force de triompher de toutes les difficultés qu'op-
pose l'ordre social imparfait aux efforts des hommes nés
dans les rangs obscurs des classes inférieures. Mais la place
a manqué à madame Tastu ; elle a craint, sans doute, de
paraître ambitieuse en donnant à cet ouvrage une exten-
sion telle que la partie écrite par son premier auteur ne
parût plus que la moins importante. Du reste, quoiqu'on
puisse regretter qu'elle ait ainsi abandonné Antoine au mo-
ment où il eût été le plus intéressant de suivre pas à pas ses
travaux et ses progrès , on reconnaîtra dans la Suite d'une
Famille un talent très-remarquable , joint à des principes
sages et féconds.
Madame Tastu s'est acquis ainsi un titre de plus à la
célébrité; elle prend rang parmi cette élite d'écrivains dis-
tingués, dont les productions, destinées à la jeunesse, ne
seront pas celles qui exerceront le moins d'influence sur l'a-
venir de la société. Les idées morales, semées dans l'âme
encore pure de l'enfance, ne sauraient que porter d'excellens
fruits, surtout lorsque, dégagées de tout préjugé, de toute su-
perstition, elles puisent leur force et leur appui dans les
sentimens du cœur, et n'empruntent à la religion qu'amour
et charité, ces deux sources divines de tout ce qu'il y a de
grand, de généreux, de vrai.
wmm*ss^=~
LEGISLATION, ECONOMIE POLITIQUE, COMMERCE.
VISITE DANS QUELQUES PRISONS DE FRANCE, en mai et juin 1836,
et Réflexions sur quelques points tendant à la» réforme et à l'amélio-
ration des prisons en général, par Adrien Picot. — Paris, chez Ab.
Cherbuliez etComp., 1837. In-8, lig. 1 fr. 25 cent.
Pendant un voyage dans le midi de la France , l'auteur
a visité les prisons de Toulon, Marseille, INimes, Montpel-
360 LÉGISLATION,
lier, Avignon, Le Yigan, Valence, Saint-Etienne et Lyon.
Partout il a été frappé des vices que présente l'organisation
actuelle de ces établissemens, et, dans le désir de contribuer
pour sa part à l'œuvre de la réforme qui est aujourd'hui
l'objet des vœux de tous les hommes éclairés , il publie les
notes qu'il a recueillies à ce sujet. Le bagne de Toulon est
en tête de cette revue rapide, et l'on comprend facilement
quelles impressions pénibles ont dû assaillir le voyageur dès
l'abord, en présence de ces monstrueux vestiges de barbarie,
qui protestent si énergiquement contre les prétentions de
cette civilisation imparfaite dont on se montre si fier. Au
milieu de ces espèces d'égouts , dans lesquels la société en-
tasse pèle-mèle toutes ses souillures, le bâton est à peu près
le seul instrument de correction employé pour réprimer
les passions, pour combattre le vice ; et les instituteurs , en-
tre les mains desquels il est confié, sont bien dignes d'un
pareil pouvoir : les garde-chiourmes sont pour la plupart
d'anciens forçats libérés. Là, point d'instruction morale, pas
d'efforts généreux pour relever, améliorer, régénérer l'homme,
point de consolation pour le coupable repentant. Aussi le
bayne n'est-il qu'une école de corruption, de laquelle on ne
sort que pour y rentrer bientôt. Une fois envoyé dans ce sé-
jour par une première faute, le criminel se trouve enlacé
dans un cercle vicieux , dont il ne peut plus guère sortir
que pour monter sur l'échafaud.
Ce triste résultat du bagne peut également s'appliquer
plus ou moins à toutes les autres prisons de France. L'ab-
sence du travail dans un grand nombre, le mélange confus
des diverses espèces de détenus, et les abus de la cantine dans
toutes, suffisent déjà pour priver tout-à-fait ces établissemens
de la faculté d'améliorer l'homme qu'on y renferme. L'oi-
siveté est la mère de tous les vices ; cet adage n'est pas nou-
veau, et nul ne songea sans doute jamais à en contester la
vérité ; cependant, il en est de cette vérité comme de bien
d'autres, qu'on ne se fait faute de répéter sans cesse, mais
qu'on n'applique justement pas aux circonstances dans les-
quelles leur influence s'exercerait de la manière la plus
utile. La force d'inertie est encore plus difficile à vaincre
chez l'homme que dans la nature, et il faut une courageuse
persévérance pour faire adopter, dans la pratique, une vé-
rité que chacun reconnaît comme excellente en théorie.
Au bagne, le travail ne se compose que de manœuvres
pénibles , qui ne constituent point un état capable de four-
nir à la subsistance du condamné, lorsqu'il a fini son temps.
Dans la prison de Toulon, construite cependant depuis peu,
les détenus ne sont astreints à aucun travail, et l'on n'a pas
ÉCONOMIE POLITIQUE, ETC. 161
même jugé à propos de leur donner un aumônier, pour ré-
veiller dans leurs âmes quelques sentimens religieux. Les
prisons de Marseille offrent à peu près le même aspect d'oi-
siveté, et par conséquent de désordre et de corruption. Celles
d'Avignon, du Vigan, de Yalence, sont toutes également de-
meurées étrangères aux progrès qu'a faits, dans ces derniè-
res années, la question de la réforme pénitentiaire. Les
maisons centrales de Nismes, de Montpellier, et la prison de
Perrache à Lyon, présentent quelques essais d'amélioration,
tentés par le zèle d'administrateurs habiles ou de généreux
philanthropes. Mais toutes se ressentent encore plus ou
moins de l'ancien régime , et l'on regrettera sans doute que
M. Picot n'ait pas eu le temps de recueillir un plus grand
nombre de ces détails statistiques , dont la comparaison four-
nit les argumens 1rs plus propres à convaincre ceux qui
doutent encore de l'utilité d'une semblable réforme.
Cette brochure est terminée par quelques considérations sur
le système pénitentiaire, où l'auteur insiste particulièment sur
la nécessité de l'isolement cellulaire et du silence absolu. Il
pense que la plupart des prisons actuellement existantes pour-
raient être métamorphosées en maison pénitentiaire, moyen-
nant une dépense d'environ 500 fr. pour chaque cellule, et
il rappelle, d'ailleurs, qu'aujourd'hui les premiers essais, les
plus coûteux, parce qu'on manquait d'expérience, ont été
faits soit en Amérique , soit en Angleterre, soit en Suisse, et
que l'on a maintenant des plans de prisons nouvelles, qui ne
font plus ressortir le prix de la cellule qu'à 1,000 fr. Quel-
ques-uns de ces innombrables millions qu'engloutit chaque
année le budget, suffiraient pour couvrir bientôt la France
de pénitentiers où ses condamnés trouveraient, dans le tra-
vail, le silence et l'isolement, les vrais et les seuls moyens
de régénération, qui aient quelque influence salutaire sur
l'homme, qui soient capables de le retirer de l'abîme dans
lequel l'ont plongé l'ignorance, l'inconduite, des passions vio-
lentes, ou même quelquefois une extrême misère et le cruel
égoïsme qui ne laisse souvent, à l'ouvrier sans pain, d'autre
alternative que la mort ou le crime.
Sans doute, ainsi que le dit M. Picot, l'argent ne suffit
pas pour assurer l'œuvre de la réforme; il faut encore et
surtout du zèle, du dévouement chez les particuliers; la cha-
rité individuelle est plus féconde que les ordonnances mi-
nistérielles. Mais on lui objectera avec raison que, grâce à
l'excessive centralisation qui règne en France, où le pouvoir
semble jaloux des moindres attributions qui relèvent toutes
plus ou moins directement de lui , le gouvernement seul
peut exécuter cette réforme. C'est à peine si des sociétés
162 LÉGISLATION,
particulières peuvent espérer d'exercer quelque influence sur
ces établissemens , dont elles seront toujours séparées par la
compacte et trop souvent inerte hiérarchie administrative.
histoire de L'ECONOMIE politique EN EUROPE, depuis les an-
ciens jusqu'à nos jours, suivie d'une Bibliographie raisonnée des
principaux ouvrages d'économie politique, par Adolphe Blanqui
aîné, professeur au Conservatoire des Arts et Métiers , directeur de
LÉcole spéciale du Commerce. — Paris, 1837, tome 1er, in-8. 7 fr.
50 cent.
M. Blanqui s'est proposé de tracer le tableau des diverses
vicissitudes de l'économie politique , soit des relations com-
merciales , industrielles et financières des peuples européens ,
dès le temps des Grecs et des Romains, jusqu'à l'époque
actuelle. C'est à tort, selon lui, qu'on prétend devoir la
science de l'économie politique au siècle dernier ; son origine
remonte bien plus haut; on en retrouve des traces chez toutes
les nations civilisées : les questions d'impôt, de douane, de
liberté industrielle, de paupérisme, agitaient les états de
l'antiquité comme les nôtres. Personne, sans doute, ne lui
contestera la vérité de cette assertion , en ce qui concerne les
faits ; mais pour la science, c'est autre chose : avant le dix-
huitième siècle , on peut dire qu'elle n'existait pas, et ce ne
sont pas quelques fragmens épais, quelques maximes isolées
dans les écrits des philosophes antiques, qui pourront jamais
passer pour un système ou un corps de doctrines.
L'existence des faits précède toujours celle de la science
qui s'appuie sur eux; le corps de l'homme existait avec sa
charpente osseuse, ses organes et ses tissus divers, long-
temps avant que l'anatomie prît rang parmi les connaissances
humaines; les corps célestes roulaient dans leurs orbites, bien
des milliers d'années avant que la découverte des lois, qui
règlent leur cours vînt créer l'astronomie. De même , les
nations ont pendant des siècles commercé entr'elles, payé
des impôts, souffert des exactions sans nombre , avant qu'on
se doutât que toutes ces relations de peuple à peuple , ou de
nation à gouvernement, étaient aussi soumises à des lois
invariables, qu'on ne viole pas en vain, et qui constituent
la science à laquelle on a donné le nom d'économie poli-
tique.
L'histoire du passé n'en est pas moins d'une haute impor-
tance sous ce rapport, car elle peut offrir, dans une longue
série d'expériences malheureuses, les plus utiles leçons pour
l'avenir. Il est à regretter seulement que la plupart des
historiens aient totalement négligé de nous transmettre les
ÉCONOMIE POLITIQUE, ETC. 163
documens nécessaires pour éclaircir les questions de ce genre.
Dans leurs ouvrages, ainsi que le remarque fort judicieuse-
ment M. Blanqui , « les armées et les cours occupent le pre-
»> mier plan ; l'espèce humaine , celle qui ne tue ni ne pille,
» figure à peine au second , mais dans un lointain si obscur ,
» qu'on a peine à savoir ce qu'elle est devenue pendant trente
» siècles. »
L'écrivain qui entreprend aujourd'hui de combler cette
lacune , se voit donc obligé de se livrer à de longues et
pénibles recherches , dont le résultat sera peut-être assez peu
satisfaisant. Au milieu de la lutte de toutes ces passions anti-
sociales qui ont si long-temps déchiré le monde , il iàut qu'il
tâche de découvrir l'humble travailleur, dont la carrière
utile, mais obscure, n'a pas laissé de traces visibles, quoi-
qu'elle ait eu une influence plus réelle sur les progrès de la
civilisation; en vain cherche-t-il souvent parmi les ruines
dont les conquérans ont jonebé la terre , quelques restes de
sa cabane, de ses outils, quelques débris qui puissent lui
servir de jalon, pour le guider dans son œuvre. Aux yeux des
hommes sages et éclairés , le métier de l'artisan a aujourd'hui
détrôné l'épée du soldat, mais combien de siècles n'a-t-il pas
fallu pour reconnaître cette vérité, qui n'est même pas en-
core bien généralement répandue! La force brutale a long-
temps régné sans partage. Quelques villes, quelques contrées
privilégiées, apparaissent bien ça et là , profitant du moindre
instant de repos et de paix pour développer leurs forces in-
dustrielles, pour s'élever jusqu'à un haut degré de prospérité
et de splendeur; mais ce sont des exceptions rares au milieu
de ces siècles de barbarie, et bientôt elles succombent sous le
joug d'avides despotes , qui en font leur proie. Quelques
hommes éclairés et d'un génie supérieur font entendre de
loin en loin leur voix , pour réclamer en faveur de la raison
et du bon-sens; mais elle est étouffée sous les préjugés du
temps , et il est presque impossible de rassembler et de coor-
donner ces premiers élémens de l'économie politique , qui se
trouvent dispersés dans maints écrits divers , enfouis sous des
sujets tout-à-fait étrangers à la matière.
En présence de ces difficultés à peu près insurmontables,
M. Blanqui n'a pas pu nous donner une histoire suivie , con-
tenant des faits et des systèmes , dont la succession offre un
tableau vraiment scientifique. Tous ses efforts ne pourront
réussir à reculer de beaucoup la naissance de l'économie po-
litique , ni à nous la faire passer pour une découverte renou-
velée des Grecs. Son livre, cependant, hâtons-nous de le dire,
est loin d'être sans mérite. Un tableau de tous les faits qui ,
dans le cours de l'histoire , peuvent jeter quelque jour sur les
164 LEGISLATION,
questions d'économie politique , qui peuvent servir à com-
battre les préjugés , à repousser les argumentations sophis-
tiques de l'intérêt particulier, et appuyer les saines théories
de la raison et du bien général , ne saurait qu'être d'une
haute utilité à la science, dont il hâtera les progrès. En
économie politique, on ne peut faire impunément des expé-
riences, car il s'agit de la prospérité ou de la ruine de nations
entières; il faut donc chercher dans le passé, à découvrir
celles que l'histoire peut nous offrir; et les travaux qui sont
dirigés vers un but pareil méritent d'être vivement encou-
ragés.
On regrettera peut-être que M. Blanqui ne se soit pas da-
vantage attaché à présenter des faits et des documens. Il dis-
serte beaucoup plus qu'il ne cite ou ne raconte. Son livre
renferme plutôt de brillantes considérations sur les lois éco-
nomiques d'Athènes, de Sparte, de Rome; il expose avec un
talent remarquable les misères de l'esclavage , les souffrances
des peuples antiques, ainsi que les diverses révolutions qui
en fuient la suite, il fait ressortir l'influence universelle du
christianisme; qui vint avec ses principes d'égalité, d'amour
et de support, changer toutes les relations sociales. La Ré-
forme religieuse du xvie siècle est aussi représentée par
lui comme ayant exercé une action extraordinaire sur la si-
tuation matérielle des peuples qui l'ont embrassée. En effet,
il est bien remarquable que les pays protestans offrent en
général, un aspect de prospérité, d'activité, d'aisance qui les
fait reconnaître tout d'abord.
Mais, tout en rendant justice aux bienfaits de la Réforme,
M. Blanqui sacrifie aux idées du jour, à la mode qui veut
qu'on accuse le protestantisme d'égoïsme et de sécheresse.
Selon lui, le schisme religieux a établi entre les diverses na-
tions une rivalité haineuse, qui n'existait point dans la grande
unité catholique.
« Je désire, avant tout, être juste, ajoute-t-il, mais je ne
« puis m'empècher de reconnaître que, si le vieux catholi-
» cisme n'a pas su se mettre à la tète de la production des ri-
» chesses, on n'a point à lui reprocher cette sécheresse de
» doctrines , en vertu de laquelle la distribution s'en fait
» d'une manière si peu équitable dans les pays protestans. »
Etrange assertion ! surtout dans la bouche d'un économiste
qui vient justement de faire l'éloge de l'aspect heureux et
animé des populations protestantes! Les nations se faisaient-
elles donc moins la guerre, lorsqu'elles étaient toutes pros-
ternées devant le Pontife de Rome? Et sont- ce les peuples
protestans qui se sont montrés les plus avides, les plus ambi-
tieux, les plus prompts à la conquête ? La répartition des ri-
ÉCONOMIE POLITIQUE, ETC. F65
chesses était-elle donc plus égale, lorsque les couvens et les
piètres possédaient les trois quarts des terres? Ouvrez l'his-
toire et dites-nous si vos argumens , démentis par les faits,
peuvent avoir la moindre valeur dans la discussion?
Le premier volume de M. Blanqui nous conduit jusqu'à
Colbert, c'est-à-dire jusqu'à l'époque où commence précisé-
ment à se formuler, quoique d'une manière encore bien im-
parfaite, la science de l'économie politique. La seconde partie
nous présentera un exposé rapide de tous les travaux des
hommes qui, dès-lors, ont concouru à poser les bases de cette
science dont l'importance deviendra tous les jours plus
grande dans les destinées de l'humanité. Si l'auteur sait ren-
dre son travail bien complet, si surtout il ne s'en rapporte
pas à des traductions souvent infidèles ou défigurées pour ju-
ger les écrivains anglais et allemands, son livre offrira certaine-
ment un puissant intérêt, et rendra un grand service à tous
ceux qui s'occupent d'économie politique. Lorsque le seoond
yolume paraîtra , nous examinerons jusqu'à quel point ces
conditions auront été remplies.
MÉDITATION POLITIQUE , par M. J. Desrny. — Paris , chez Delaunav.
1837, in -8. 2 fr.
Cet opuscule, écrit avec facilité et dans un esprit de ino-
déiation sage, renferme un examen rapide du progrès euro-
péen, tel qu'il se présente aujourd'hui dans ses diverses mani-
festations. L'auteur passe en revue les principales questions
politiques du jour. Après avoir tracé une courte esquisse de
la marche de l'humanité depuis la chute de l'empire romain
jusqu'à notre époque, il signale les vues ambitieuses de la
Russie , et les moyens par lesquels on pourra combattre les
envahissemens continuels de cette puissance qui semble
chercher à remplacer en Europe le vieil empire de Rome.
Il pense que l'alliance de la France et de l'Angleterre, basée
sur des principes d'égalité , de loyauté et 'de franchise, suffi-
rait pour assurer le triomphe des lumières et pour élever
une barrière infranchissable contre le despotisme oriental.
Ces deux Etats constitutionnels peuvent facilement s'emparer
en quelque sorte de l'avenir du monde, et fonder d'une
manière sûre le règne paisible et durable de la vraie liberté.
La Méditation de M. J. Desray ne renferme , du reste, que
l'expression des idées le plus généralement répandues ; l'au-
teur n'émet pas de vue nouvelles ; il se borne à résumer,
dans un cadre assez resserré , celles qui semblent le mieux
s'accorder avec le progrès humain. Quelques considérations
sur l'Espagne et sur Alger terminent cette brochure ; elles
sont, comme le reste, dictées par un esprit éclairé et conci-
liateur , qui voudrait fonder la liberté et le bonheur du
12
)0C SCIENCES ET ARTS.
momie sur des mesures larges et fécondes en beaux résultats.
C'est delà politique généreuse qui malheureusement s'écrit
plus facilement qu'elle ne se pratique. Les roueries diplo-
matiques ne céderont pas de sitôt la place à la loyauté et
à la franchise qui devraient présider aux relations interna-
tionales, comme aux rapports individuels.
SCIENCES ET ARTS.
découvertes des CAUSES PHYSIQUES des mouvemens des corps
célestes, suivies d'inductioos philosophiques^ sur la création; par
J.-B.-G. — J>aris , chez L. Mathias. f.830. ln-8,~ fig. 7 fr. 50 c.
L'auteur de ce volume, rejetant les théories généralement
adoptées , entreprend de baser le système du monde sur de
nouveaux principes , ou du moins de donner aux idées de
Newton un développement et une direction auxquels ce grand
homme ni aucun de ses successeurs n'avaient encore songé.
Relevant l'ancienne croyance , que la nature a horreur du
vide, et reprochant à Galilée d'avoir sacrifié cette vérité à un
jeu de mots, il établit que le vide n'existe nulle part dans la
nature. Notre atmosphère est, selon lui, comprimée autour
de la terre par un autre fluide plus lourd cpii pèse dessus. Le
soleil est un brasier ardent qui s'alimente, en quelque sorte ,
sans cesse lui-même ; la chaleur et la lumière en émanent
comme d'un feu ordinaire , et sont plus ou moins intenses ,
suivant la densité plus ou moins grande de l'air ; une partie
du calorique , venant frapper les eaux de l'Océan , est réflé-
chie au travers et tend à converger tous ses rayons vers le
centre de la terre , où il s'amasse en assez grande quantité , et
d'où il s'échappe ensuite en produisant les tremblemens de
terre, les volcans, et autres phénomènes du même genre. Les
taches du soleil , dans ce nouveau système , sont foi niées par
des nuages d'épaisse fumée ou de vapeurs oçcasionées par
l'incandescence de cet astre , et qui , arrivées à un certain de-
gré de condensation , retombent sur le soleil et y raniment un
feu plus vif, en sorte qu'au moment où les taches disparaissent,
le soleil nous apparaît plus brillant encore à la place qu'elles
occupaient naguère.
Enfin, notre système solaire serait, ainsi qu'un nombreinfini
d'autres systèmes semblables, soumis à l'attraction d'un énorme
globe Central, siège du Créateur, sur lequel s'élaborent tous les
inondes qui peuplent l'espace. Dans cette hypothèse, les co-
mètes seraient des mondes nouvellement créés , qui, se ren-
dant à la place qui leur est assignée , obéissent plus ou moins
en passant à l'attraction des divers corps célestes qu'elles ren-
contrent sur leur route , et décrivent alors différentes courbes
autour d'eux.
SCIENCES ET ARTS. Î67
Cette nouvelle et bizarre théorie est appuyée sur des cal-
culs trop compliqués pour que nous entreprenions d'y suivre
l'auteur , et nous laisserons aux savans le soin d'en découvrir
et d'en combattre les erreurs.
Nous nous contenterons de faire remarquer la hardiesse d'i-
magination que l'auteur y a déployée ; et, si ce ne sont que des
rêveries sans fondement , nous déplorerons qu'une intelli-
gence forte et élevée ait pu se laisser fausser ainsi, par défaut
de jugement sans doute. L'imagination joue souvent des
tours perfides aux mathématiciens. Mais, sans rien vouloir
préjuger ici au sujet d'un livre qui demande de profondes
études et de sérieuses recherches pour pouvoir être digne-
ment apprécié, nous terminerons cet article en rapportant
quelques passages de l'auteur , sur la création; ses idées à cet
égard ne sont pas moins curieuses, ni moins originales que
le reste.
« Dieu , le dieu matériel organisé que nous reconnaissons,
et qui réside sur le globe matériel immense qui est au centre
de l'Univers, dispose à son gré de la matière. Quand il veut
former un globe actif, comme la terre, il rassemble une cer-
taine quantité de substances minérales de diverses espèces ; il
les dispose de manière que les plus dures et les plus pesantes
occupent le centre de l'agglomération matérielle , et que les
autres soient rangées par couches dont les densités décroissent
en s'éloignant du centre. Le globe ayant le volumej, la pesan-
teur, et, par suite, la force attractive qu'il plaît à sa toute-
puissance de lui donner, il le recouvre de terres calcaires,
argileuses, végétales, et, enfin, de toutes les substances maté-
rielles que nous remarquons à la surface de notre globe ter-
restre
« Plusieurs planètes étant formées de cette manière, ainsi
que leurs satellites, Dieu les enveloppe d'un immense volume
de matières dilatées au plus haut degré par la chaleur , et les
lance ainsi dans l'espace universel
» Les comètes , qui ont dérouté tant de penseurs , ne sont ,
très-probablement , que des centres de systèmes non encore
complètement formés , lesquels , en vertu de l'étendue que
l'état de dilatation de leurs parties leur fait occuper dans l'at-
mosphère universelle , sont poussés vers des régions de l'uni-
vers plus éloignées cpie nous du centre du mouvement géné-
ral. Ces coips, rencontrant quelquefois l'atmosphère solaire
sur leur direction, la traversent. Alors, se trouvant dans les li-
mites de la puissance attractive du soleil , ils sont attirés par
lui, et tracent dans son atmosphère des courbes plus ou moins
allongées; puis ils en sortent, le plus souvent pour continuer
de s'élever jusqu'aux régions où le Créateur les a destinés à
rester fixés par l'effet de leur pesanteur absolue et de leur
étendue atmosphérique. »
168 SCIENCES ET ARTS.
CLINIQUE MÉDICALE DE L'HOPITAL DE LA CHARITÉ, OU Exposition
statistique des diverses maladies traitées à la clinique de cet hôpital,
par /. Bouillaud. — Paris , 1837. 3 vol. in-8 , 24 fr.
Les cliniques des hôpitaux sont les archives de la science,
dans lesquelles l'homme qui veut étudier doit aller puiser les
documens qui lui sont nécessaires. Au milieu des incertitu-
des et des doutes de la médecine , l'expérience est le seul
phare qui puisse jeter quelque lumière sur sa marche, en-
core n'est-ce trop souvent qu'une lueur vague, mais elle
est précieuse, et il serait à souhaiter que tous les médecins
praticiens recueillissent de même, et publiassent aussi les ré-
sultats de leurs observations journalières. Alors peut-être
serait-il permis d'espérer, qu'à l'aide de ces nombreux re-
cueils de faits, on arriverait, quelque jour, à mieux connaî-
tre l'art de guérir.
traité DES MALADIES DES EXFANS , ou Recherches sur les princi-
pales affections du jeune âge, depuis l'époque de la dentition jus-
qu'à celle de la puberté; par A. Derton. — Paris , 1837. In-8, 7fr.
Cet ouvrage, qui offre un recueil très complet d'observa-
tions importantes, rédigées avec soin et clarté, est enrichi
de notes assez nombreuses, de M. Baron, médecin renommé
pour les maladies des enfans. Cette partie de la médecine est
l'une des plus difficiles à traiter; c'est celle peut-être où les
tâtonnemens sont à la fois plus fréquens et le plus dangereux ;
aussi la pratique peut- elle seule y obtenir quelque autorité;
car les théories et les systèmes viennent sans cesse se briser
devant l'expérience, devant la nature capricieuse de cette
vie qui, chez l'enfance surtout, semble parfois s'échapper
comme un souffle fugitif du corps le mieux constitué en ap-
parence, tandis que souvent on la voit tout-à-coup renaître
au milieu de cet affaissement des organes, qu'on regardait
comme le précurseur certain de la mort.
pharmacopoeia londinensis ; pharmacopée du collège royal des
médecins de Londres. — Paris, 1837 ; un vol. in-18. 4 fr.
Cette petite édition 'française de la pharmacopée de Lon-
dres est très-bien exécutée, et d'un prix tout-à-fait inférieur
à celui de l'édition originale. La science ne peut que gagner
à ces traductions de livres étrangers, qui établissent de nou-
veaux liens entre les nations, et leur rendent communes
toutes les connaissances diverses qui sont le patrimoine
particulier de chacune d'elles.
DE '.'iKPMJUMS DE BEAU, A SAINT-C&BSlAIN-KN-LATï.
Bulletin littéraire
ET SCIENTIFIQUE.
5- (Slu„cc. — gA'^ 6. — ;/..;,, 1837.
LITTERATURE, HISTOIRE.
PARALLÈLE DES LANGUES DE L'EUROPE ET T:E L'IKDE , par F.-G.
Eiclihoff. — Paris, Imprimerie royale, 1837. I vol. In-4., 30 fr.
Cet ouvrage se trouve à Paris et à Genève , chez AL. Cheihuliez
et Ce, libraires.
Parmi les mystères qui enveloppent les premiers temps de
l'iiistoire du genre humain, l'origine du langage n'est pas
l'un des moins curieux à étudier. On ne soulèvera sans doute
jamais entièrement le voile qui la cache à nos regards ; mais
des recherches consciencieuses, persévérantes et animées
d'un véritable esprit philosophique, parviendront à lui don-
ner peut-être un peu de transparence.
On analysera d'une manière toujours plus profonde les
rapports qui unissent entr'eux les divers dialectes parlés au-
jourd'hui, et semblent les faire tous aboutir à une même
langue mère, qui serait leur commune source , et appartien-
drait aux plus anciennes langues connues, à celles qu'on peut
regarder comme contemporaines des premiers âges du monde.
On arrivera ainsi à prouver d'une manière certaine, par
les faits et le raisonnement, ce que le simple bon sens nous
indique déjà. En effet, l'homme se montrant partout avec les
mêmes organes, avec les mêmes penchans, et des sentimens
à peu près pareils, il est naturel d'en conclure que l'instru-
ment de la parole et l'esprit qui l'employé étant à peu près
toujours les mêmes, les sons qu'on en tire ont dû aussi se
ressembler, toutes les fois surtout qu'ils ont été destinés à
exprimer des sensations ou des idées semblables.
Le langage primitif fut probablement composé d'un petit
nombre de mots, tous monosyllabiques.
« D'après l'état intuitif et sympathique qui. selon toute
» probabilité, » dit M. Eiclihoff, « marqua l'enfance du
» genre humain, et dans lequel l'âme liée à la nature entière
» en était comme le fidèle miroir, le langage, interprète de
» la pensée, dut être simple et harmonieux comme elle;
i3
170 LITTÉRATURE,
» chaque son devenait une image, chaque image un reflet de
» l'univers. Les sons élémentaires pouvaient alors suffire
» pour peindre toutes les sensations, parce que la perfection
» des organes et leur extrême délicatesse permettaient sans
» doute de les varier davantage, et de leur donner une foule
» d'inflexions diverses, devenues imperceptibles de nos jours.
» Les voyelles, dans leurs modulations sonores, étaient les
» cris spontanés de l'âme, et les consonnes, plus fermes et
» mieux articulées, caractérisaient chaque impression pro-
» fonde, et fixaient d'un seul trait la pensée. C'est ainsi qu'une
» étroite sympathie, fondée sur des lois immuables, unit le
» monde visible au monde intellectuel, et manifesta celui-ci
» par la parole. Cette parole fut nécessairement analogue
» aux sensations qui en étaient la source; les sons mélodieux
» marquèrent les émotions douces, les sons rauques les se-
» cousses pénibles; la beauté, la légèreté, la force se peigni-
» rent par des intonations différentes, et chaque syllabe fut
» commeune note musicale dont, après tant de siècles écoulés,
» il nous est encore quelquefois donné d'entrevoir et de .saisir
» la portée. »
Mais à mesure que les relations devinrent plus nombreuses
et plus compliquées entre les hommes qui se répandaient sur
toute la terre, et faisaient des progrès dans les arts et les
sciences, le langage perdit de sa simplicité primitive ; il adopta
des formes plus savantes, il s'éloigna toujours davantage de
cette expression naturelle et énergique qui avait d'abord fait
de la parole le cri de l'âme. Des modifications successives
donnèrent naissance à des dialectes divers, et amenèrent
graduellement l'état actuel des langues, sans qu'il soit possi-
ble de suivre la marche de ce travail lent et invisible, qui
s'accomplit en. quelque sorte à l'insu de l'homme.
Dans son introduction, M. Eichhoff trace un tableau ra-
pide et brillant de la division des langues et des différens
groupes de peuples qui couvrent la surface de la terre. On
y voit quel nombre immense de subdivisions se sont glissées
dans la forme du langage, et combien est difficile la tâche de
celui qui entreprend d'en apprécier les causes.
Le philologue qui veut aujourd'hui tenter de reconstruire
l'histoire du langage, ou du moins de rassembler quelques
matériaux épnrs de cette merveilleuse Tour de Babel , doit se
livrer à des études profondes, comparer ensemble toutes les
langues connues, et chercher quelle est celle qui, offrant dans
la richesse de ses formes et dans la variété de ses sons une
réunion complète des élémens particuliers à toutes les autres,
peut être considérée comme leur source commune. C'est par
des recherches de ce genre qu'on est arrivé à regarder le
HISTOIRE. 171
Sanscrit, l'idiome sacré des brahmes, comme la langue mère
de tous les dialectes importés eu Europe, par les migrations
des peuples de l'Orient. « Son nom , qui signifie concret,
perfectionné, montre assez, » dit M. Eichlioff, « les phases
qu'il a dû subir avant d'être fixé par l'usage; et cependant
ses monumens littéraires les plus positifs le font remonter,
sous sa forme actuelle, à plus de quinze siècles avant notre
ère. TVacés sur des feuilles fragiles de palmier, cpie la
religion a cachées dans les temples ou transmises d'âge en
âge chez les fidèles Hindous, ces vénérables débris d une
civilisation presque éteinte ont enfin paru à la lumière,
pour révéler aux Européens, avec les élémens de leurs
propres langues, l'origine de leur littérature, de leurs
> sciences et de leurs arts. Riche d'un alphahet de cinquante
lettres classées d'après les organes de la voix, joignant à
la variété des modulations la plus exacte symétrie, et à la
» multitude des combinaisons la clarté la plus admirable, le
sanscrit représente et résume à la fois les idiomes les plus
> complets de l'Europe. » Pour prouver l'identité des langues
indo-européennes, notre auteur établit le parallèle entre le
sanscrit et dix autres langues qui sont : le grec, le latin, le
français, le gothique, l'allemand, l'anglais, le lithuanien, le
russe, le gaélique et le cymre. Il compare d'abord eutr'eux
les divers alphabets européens, soit sous le rapport des
lettres, soit sous celui de leur prononciation, dont il présente
toutes les variétés dans un seul tableau, où les caractères
romains servent à figuier les sons divers. Vient ensuite
l'alphabet indien qui sert à expliquer les autres , car il est le
plus complet, le plus régulier, « il réunit tous les élémens
» phonétiques répandus dans les diverses familles, et se rap-
>> proche plus qu'aucun autre de l'alphabet harmonique na-
» turel. » M. Eichlioff fait ressortir les concordances étymo-
logiques des alphabets, et les modifications particulières
qu'ont subies dans les diverses langues les sons primitifs, évi-
demment empruntés au sanscrit.
Après ces détails préliminaires, qui forment les deux pre--
mières parties de l'ouvrage, le parallèle est établi dans la
troisième sous la forme d'un vocabulaire qui comprend 1° les
particules , soit pronoms , adverbes , préfixes et désinences ;
2° les noms simples et composés, 3° les verbes simples et
composés avec leurs racines dentales, gutturales, labiales et
linguales ou liquides.
Ce vocabulaire offre un immense intérêt, et l'on y trouve
une foule d'étymologies curieuses, d'analogies frappantes, qui
font comprendre toute l'importance d'un pareil travail et des
résultats qu'il produit. L'auteur ne pouvait adopter une
172 LÏTf ÉlUTtilvÈ ,
forme plus propre à frapper le lecteur ei à captiver son atten-
tion. Au reste, on ne peut qu'admirer d un bout à l'autre de
ce volume, combien M. Eichhoff a su babilement dissimuler
tout ce que présente trop souvent d'aride et de repoussant
l'érudition philologique. Animé d'un esprit de liante philo-
sophie et appelant à son aide le charme d'un style noble et.
gracieux, il a fait un livre que les savans rechercheront pour
son mérite scientifique, et que les hommes du monde, curieux
d'aborder ces questions si graves, pourront lire avec plaisir
et avec fruit. La quatrième partie est consacrée à la gram-
maire, dont les diverses formes de déclinaisons et de conju-
gaisons sont comparées ensemble dans une suite de tableaux
formés de toutes leurs terminaisons, qui offrent encore une
suite étonnante de rapports d'autant plus faciles à saisir
qu'ils sont exposés avec une grande clarté.
L'examen de cet admirable parallèle entre les langues de
l'Europe et celles de l'Inde, ne laisse presque plus de doute
sur la possibilité d'un langage universel renfermant tous
les sons, toutes les formes et duquel chaque idiome n'est
qu'une modification, qu'un dialecte que les circonstances ont
plus ou moins altéré. La parole humaine reprend ainsi à nos
yeux son unité primitive , et nous comprenons mieux que
jamais toute la valeur de ce don précieux, par lequel Dieu a
élevé une barrière infranchissable entre l'homme et tous les
autres animaux, et nous a. donné une garantie de notre supé-
riorité toute intellectuelle, en nous accordant un instrument
destiné uniquement à développer notre esprit. Les cris sont
l'expression des besoins physiques; la parole est celle des
pensées de l'âme. Toutes les recherches de l'anatomie com-
parée ne détruiront jamais cette différence.
M. Eichhoff termine son livre en exprimant le désir de
voir adopter dans l'étude des langues de l'Orient, l'emploi
des caractères romains qui faciliterait singulièrement le tra-
vail en écartant une foule de difficultés, provenant de la
forme bizarre et peu commode des lettres usitées dans la
plupart de ces langues. Il donne même un essai de transcrip-
tion générale, qui paraît fort ingénieux et dans lequel il com-
prend 16 alphabets, savoir : le Sanscrit, le Bengali, le Zend,
le Phénicien, l'Hébreu, le Syriaque, l'Arabe, le Persan,
l'Ethiopien, le Copte, l'Arménien, le Géorgien, le Mandchou,
le Thibétain, le Birman et l'Hindostani.
Mais une telle œuvre est bien difficile à accomplir, car
elle exige le consentement de tous les savans européens qui
s'occupent de langues orientales, et dans la discussion qui devra
s'établir pour atteindre ce but , chacun prétendra suivre et
fair;- adopter son système particulier, sans -s'inquiéter de la
HiSIOIRE. 173
confusion qui en résultera. On ne peut cependant que répéter
avec M. Eichhoff :
« Que, par une transcription claire et intelligible à tout
» Européen, l'étude des langues savantes de l'Orient gague-
» rait une extension rapide. Les difficultés de leur vocabulaire
» et de leur grammaire ne sont pas plus sérieuses que celles
» que nous surmontons dans la lecture des auteurs grecs et
» latins; de riebes trésors de littérature nous attendent dans
» cette carrière nouvelle, et le nombre de ceux qui s'y livrent
» avec zèle ne serait certainement pas si restreint, si les abords
» n'en étaient bérissés par cette foule de caractères étranges,
» qui, semblables aux dragons fabuleux , gardent l'entrée du
» jardin des Hespérides, et forcent à une lutte opiniâtre qui-
» conque veut en cueillir les fruits. Au moyen de livres élé-
» mentaires écrits en caractères européens, l'œil se fainilia-
» userait plus facilement avec les formes orales de ebaque
» idiome; on en connaîtrait tous les mots avant de les lire
» dans l'écriture nationale, que l'on apprendrait avec beau-
» coup moins de peine, quand la langue elle-même ne serait
» plus une énigme. »
8.ETTRE A M. LE MINISTRE DE L'INSTRUCTION- PUBLIQUE , Slir l'état
actuel des Bibliothèques publiques de Paris, par //. Ternaiix-Com-
ptias. — Paris, 1837. ln-8.
Cet opuscule a pour objet d'examiner l'état actuel des bi-
bliotbèques publiques de Paris et de faire ressortir les abus
nombreux qu'entraîne la mauvaise administration à laquelle
plusieurs d'entr'elles sont soumises. Ces établissemens sont
créés dans un double but de conservation et d'étude , pour
sauver de l'oubli et de la destruction qui en est la suite les
antiques mouumens historiques ou littéraires , et pour offrir
au public les moyens de consulter une foule de livres que
leur prix et leur rareté ne permettent pas de rencontrer ail-
leurs. Mais trop souvent , faute d'un bon règlement bien
ex cuté, il arrive que les bibliotbèques ne remplissent nul-
lement ces diverses t , litions. Depuis long-temps, à Paris, des
voix nombreuses s • • \ nt pour réclamer, pour faire enten-
dre des avis et de> plaintes au sujet des inconveniens sans
nombre que présente l'organisation actuelle de ces établisse-
mens. Dans des uns, c'est un luxe d'employés inutiles dont
les appointemens absorbent des fonds considérables qui se-
raient bien plus avantageusement consacrés à l'acliatdes li-
vres nécessaires pour tenir la bibliothèque au courant des pu-
blications nouvelles et intéressantes. Dans d'autres, c'est au
contraire un encombrement de livres en désordre, dont per-
174 LITTÉRATURE,
sonne ne peut profiter, parce qu'il manque de conservateurs
pour les ranger, les classer, les cataloguer. Une répartition
plus juste , un emploi plus judicieux des fonds alloués par
le Budget au chapitre des bibliothèques , pourraient réparer
le mal sans qu'il y eût une augmentation réelle de dépenses.
S'il y en avait une du moins, elle ne serait que temporaire ,
destinée , suivant le désir de l'auteur qui est d'accord en cela
avec tous lés anciens bibliothécaires , à payer des employés
extraordinaires chargés de faire des catalogues complets et
raisonnes de toutes les richesses enfouies pêle-mêle dans les
rayons. M. Ternaux entre dans de grands détails au sujet de
la bibliothèque Mazarine, dont il fait ressortir la mauvaise
administration en la comparant avec celle de sa voisine de
l'Institut , qu'il cite au contraire comme un modèle à imiter.
Il voudrait voir ces deux établissemens se fondre en un
seul , placé sous la garde de l'Institut, qui a montré dans la
direction de sa bibliothèque particulière , aujourd'hui pres-
que tout-à-fait publique , une intelligence parfaite de la
manière la plus convenable d'utiliser une semblable institu-
tion .
La bibliothèque de l'Arsenal, par son éloignement du cen-
tre actuel de Paris, n'est à la portée que d'un fort petit
nombre d'érudits qui y trouvent, il est vrai, des riebesses
précieuses et un silence tout à-fait propre à l'étude. Mais
elle demeure peut-être trop en dehors du mouvement scien-
tifique , et i! pourrait être utile ^ott de la fondre avec quel-
qu'autre, soit d'en changer le local et de lui en assigner un
plus central , afin nue dos lecteurs plus nombreux pussent
en profiter.
M. Ternaux pense aussi que des échanges entre les divers
établissemens qui ont beaucoup d'ouvrages à double pour-
raient utilement servir à les compléter réciproquement. Mais
avant de songer à l'exécution de cette mesure, et pour lui as-
surer tout le succès qu'elle doit avoir, il est indispensable
de commencer par dresser des inventaires exacts de ce que
possède chaque bibliothèque, et par établir, soit dans le cata-
logue , ^oil il ;n> l'arrangement des livres, l'ordre le plus par-
fait. Ces! nue chose d'autant plus nécessaire qu'elle pourra
seule empêcher les pertes , les abus de confiance auxquels,
d'après le rapport même de la commission du budget , on n'a
pu encore apporter aucun remède efficace. Il y aurait un cu-
rieux travail à faire sur ce genre de délits, plus communs
qu'on ne pense chez les savans et les amateurs de livres.
L'observateur moral trouverait un sujet digne de ses re-
cherches et de ses méditations dans cette passion qui maîtrise
souvent avec tant de violence des gens du reste probes et
HISTOIRE. S 7 5
honnêtes , qui s'indignent à la seule pensée de faire tort d'un
sou à leur prochain, mais ne peuvent résister au désir de
s'approprier un livre , un parchemin , un chiffon de papier
portant la signature d'un homme célèbre. On ne peut vivre
long-temps dans la librairie ou au milieu des bibliothèques
sans avoir de fréquentes occasions de rencontrer de sembla-
bles phénomènes , dangereux amateurs , dont un seul suffit
pour décoinpléter les plus précieuses collections , pour rui-
ner l'établissement le plus riche.
La bibliothèque Royale est la dernière dont parle M. Ter-
naux , mais il entre à son égard dans de plus grands détails
encore. C'est en effet la plus importante de toutes , soit par
la quantité immense de livres qu'elle renferme , soit par ses
manuscrits et ses collections de gravures et de cartes. Aucune
bibliothèque publique dans l'Europe entière n'offre d'aussi
grandes ressources en tout genre. Mais c'est justement pour-
quoi elle exige encore plus que toutes les autres une prompte
réforme de tous les abus qui s'opposent à son entière prospé-
rité. Le nombre des conservateurs demande évidemment à
être augmenté , et il est à souhaiter qu'à la place du conser-
vatoire chargé de sa direction , on nomme plutôt un chef
responsable dont l'activité et la fermeté puissent donner
l'impulsion nécessaire et encourager le zèle des employés
secondaires.
M. Ternaux pense que l'achèvement le plus prompt du
catalogue est ici plus urgent encore que partout ailleurs ; car
le dépôt des publications nouvelles vient chaque jour accroî-
tre le désordre et grossir l'arriéré. La commission du Budget
s'est prononcée dans le même sens , il est donc à espérer
qu'on se mettra sans retard à l'œuvre et que deux ans ne se
passeront pas avant qu'on ait un catalogue complet de la bi-
bliothèque Royale, si ce n'est imprimé, du moins manuscrit.
Ce catalogue imprimé serait un beau monument élevé à la
gloire de la France; et, en consacrant les fonds nécessaires
à cette publication , on ne fi-rait que suivre le bon exemple
donné par le British-museum , la Bibliothèque de Vienne ,
plusieurs bibliothèques d'Allemagne, de Hollande et d'Ita-
lie , celle de Genève , celles de Lyon , de Bordeaux , de
Rouen, etc.
Une autre amélioration que notre auteur réclame et qui
parait fort désirabl en effet, c'est la séparation des cartes
géographiques, aujourd'hui mêlées avec les gravures. Les
réflexions suivantes rt ce sujet nous sont transmises par un
homme bien placé pour en juger, et que ses connaissances
dans cette partie rendent digne d'être écouté :
« La collection géographique de la Bibliothèque Royale est
176 LITTÉRATURE,
» le seul dépôt public où chacun peut venir, chaque jour, con-
» sulter et copier les cartes nationales et étrangères. Il existe
» des recueils de cartes au Dépôt de la guerre et au Dépôt de
» la marine ; mais ils ont un objet tout spécial, ils sont pro-
» près exclusivement à ces deux ministères, ils ne sont et ne
» peuvent être publics et ouverts à tout le monde.
» Aujourd'hui, plus que jamais, l'on doit sentir le besoin
» d'une collection comme celle de la Bibliothèque royale, sur-
» tout complétée de tout ce qui y manque encore. Cette créa-
» tion est toute dans l intérêt des expéditions du commerce
» et des voyages de découvertes dans l'intérieur des conti-
» nens. Non-seulement le public français y puisera une con-
» naissance exacte des meilleures cartes connues, mais il y
» trouvera des documens précis sur le relief du sol, si néces-
» saire à étudier pour les grands projets de communications
» intérieures, pour les chemins de fer, pour les canaux.
» Des collections géographiques spéciales plus étendues
» sont déjà établies a Gottingue, à Weimar, à Berlin, à Pé-
» tersburgh,à Vienne, et même il en est une à Bruxelles
» formée par un simple particulier: en Fiance, il n'existait
» aucune collection du genre dé celle-ci. Au surplus, le con-
» servateur invoque avec confiance le témoignage des nom-
» breux -avans allemands, anglais', italiens, espagnols, tusses,
» qui sont venus visiter cette institution naissante, ce com-
» nnicemcnt de nuise.' géographique ; ii atteste les voeux
» qu'ils ont tous foi mes et exprimés pour la voir prendre tout
j> le développement, tout l'accroissement qu'elle exige, et
» surmonter les obstael "S qui lui sont opposés. Pour arriver
» à ce but, il est nécessaire qu'un Fonds spécial lui soit con-
» sacré; jusqu'à présent, elle n'a existé qu'en enlevant une
» petite part aux anciens dép utemens de la Bibliothèque. »
Nn[ ne s'occupe de ce qui est l'ouvrage de tous, dit M. Tei-
haux , et cette vérité s'applique fort justement à l'adminis-
tration actuelle de la Bibliothèque royale.
Le besoin cFun chef dequ' émane l'autorité, s'y fait sen-
tir plus vivement encore depuis la mort du savant et mo-
deste Van Praet*, dont les bibliographes vénéreront toujours
la mémoire.
* M. Van Prael , né à Bruges en 1754, auteur de Recherches sur la vie et
les écrits de Cc-lard Mansion ; — d'une Notice sur le tournoi du sire de la
dhlthuysé (publiée en 1780 dans l'Esprit des journaux, et imprimée plus
tard) ; — d'une Lettre sur les chansons de Henri 111, et de Jean II duc de
Brahant (Ibid.) ; — de la Notice des Manuscrits du duc de La Vallière ( 2e
partie du Catalogue, en 17S3) ; — entré à la bibliothèque Royale en 1784;
— a publié, de 18... 1828, son Catalogue des livres imprimés sur vélin de la
Bibliothèque du Roi, et des livres sur vélin qui se trouvent dans les BiDlio-
HÎSTOIRÏi. 177
Mais le talent, la science de tout genre, l'activité, le zèle
de celui qui lui succède, de M. Magnin, et de son nouveau col-
lègue, M. Lenormant ; secondés qu'ils seront (nous n'en dou-
tons pas) par les efforts réunis des employés de ce vaste éta-
blissement, promettent, au département des livres imprimés
de la Bibliothèque, un avenir dont auront également à se
louer et ceux qui y concourront, et le public qui en retirera
plus particulièrement le fruit.
LA PERLE DE L'île D'ISCHIA , par Bénédict d'O.— Paris, chez De-
launay , 1837. 1 vol. ln-18.
M. Sainte-Beuve a publié certain gros livre sur le titre
duquel il a inscrit le mot de Volupté, quoiqu'en vérité l'on ne
trouve rien de bien voluptueux dans ses rêveries mvstiques.
Combien ce titre conviendrait mieux au joli petit volume
tout rempli d'amour que j'annonce ici ! C'est une histoire
fort simple, racontée avec abandon, mais qui plaît et qui
émeut,- parce qu'elle est dictée par le sentiment vrai et na-
turel. C'est l'enivrement d'un cœur de jeune homme qui se
livre sans frein à toutes b-s jouissances de l'amour. Naples,
avec son beau ciel et sa campagne si célèbre, est la nouvelle
Cythère choisie pur notre auteur. Suis doute, il ne faut pas
soumettre In Perle d'Isrhia au critérium d'une austère morale;
elle n'est point destiner à servir d'argument à quelque pen-
sée philosophique ; son seul but a été de peindre une pas-
sion, et, en vérité, re but-là se trouve rempli d'une manière
fort remarquable. D'ailleurs M: d'O. évite, avec le plus grand
soin, tout ce qui pourrait donner à ses tableaux quelque
chose di' licencieux. Il conserve à son amour cette fraîcheur,
cette pureté qui en font seules une passion noble et infini-
ment supérieure à l'instinct de la brute.
Allant visiter pour la première fois ce golfe de Naples, dont
l'aspect suffit, dit-on, pour réveiller l'amour, il était bien dé-
cidé d'avance à combattre de toutes ses forces cette impres-
thèques publiques et particulières, in-8°, 9 vol. ; — en 1829 sa Notice sur Colurtl
Mansion ; — reçu en 1830 membre de l'Académie des Inscriptions et Bellrs-
Letlres; — a publié en 1831 ses Recherches sur Louis de Bruges, seigneur
de la Grufhùyse; — enfin en 1836, Inventaire ou Catalogue de l'ancienne
librairie ou bibliothèque du Louvre. — Il est décédé le 5 février 1S37. Il
laisse de nombreux manuscrits. — M. Magnin, M. P. Paris, lui ont consacré
un article nécrologique, le premier dans !e .Moniteur du 10 février, ie second
dans le Journal des Débats ( reprod. par le Temps du 8 février). Si. Durean
de la Malle, collègue de M. Van Praet à TlDstitut, a aussi payé à sa mémoire
le tribut d'usage. iYo.'c cummunU/u.c par M. de Hoffmanns.
178 LITTÉRATURE,
sion, à lutter contre l'enivrement général, et à conserver
son cœur et son esprit dans leur assiette naturelle. Mais tou-
tes ces belles résolutions ne tardent pas à faiblir devant
le séjour de Naples. Il résiste aux séductions du vice, ce-
pendant, avec une fermeté inébranlable, et c'est l'amour
d'une pauvre fille qu'il trouve sur sa route qui lui fait ou-
blier tous ses projets de sagesse. Il l'enlève à des misérables
qui avaient formé l'odieux projet de spéculer sur ses char-
mes et s'enfuit avec elle dans l'île d'Ischia. Là, les deux
amans se livrent à toutes les joies d'une tendre sympathie,
qui s'harmonise si bien avec l'aspect ravissant de ce beau
climat ; ils goûtent, pendant quelque temps, tous les plaisirs
d'un amour heureux et sans mélange, dont les élans si sua-
ves sont la vie de l'âme. C'est une volupté pure de tout mé-
lange, dont les descriptions sont passionnées, mais chastes,
et parlent à l'imagination un langage digne de l'intelligence
humaine, créée pour sentir autrement que les animaux.
« Au sein de cet asile que nous fit le ciel dans un de ses
» momens de plus douce indulgence, rien ne manquait, de
» ce qu'il fallait à leurs cœurs. Pourquoi n'est-il pas donné
» au fragile mortel d'éterniser de semblables heures? Non,
» rien ne manquait aux deux amans, assis côte à côte sous le
» pin majestueux ; ni l'air souple et parfumé, qui fait boire
» la vie comme un vin délicieux, ni cette molle volupté qu'il
» fait couler doucement dans tous les sens , ni l'éclat et la
» pompe du soleil qui baij;ne sous nos yeux le large faisceau
» de ses étincelans rayons dans la plus joyeuse des mers , ni
» la brise toujours tidèie à cette belle terre, qu'elle vient cha-
» que soir embrasser et féconder de son amour, ni la calme
» et mélancolique paix de la nuit qui doit ici si belle sous
» son dais de pures étoiles.
» Ce n'était plus, il est vrai, cette somptueuse magnifi-
» cence de la nature, se déployant sous un vaste horizon qui
» avait, sur FEpomée, salué les noces de l'époux et de l'é-
» pouse ; ce n'était plus, si je puis parler ainsi, ce cri de vic-
» toire qui s'était échappé pour moi, à mou réveil, de tous les
» points du plus riche horizon de l'univers. Non, non, c'é-
» tait une nouvelle forme «lu bonheur, mus ce n'en était pas
»> moins le bonbeur. Mon Eve, au haut de la montagne,
» Avait ouvert pour la première fois les yeux sur les inei-
» veilles du paradis terrestre ; maintenant elle en jouissait,
» elle en savourait la douceur. Mère complaisante, la na-
» ture avait voulu nous faire parcourir toutes les phases de
•> sa volupté. Du plus impétueux, du plus délirant des sen-
» timens, elle nous avait fait passer aux joies les plusintimes,
» aux jouissances les plus voluptueuses d'une heureuse nié-
HISTOIRE. 179
» lancolie, ou les plus adorables d'une gracieuse paix dans
» la possession de l'objet aimé. »
Cependant ce bonheur n'était pas fait pour durer ; quel
est celui qui peut braver l'épreuve du temps? Les lois de la
société, trop souvent en lutte avec celles de la nature, per-
mettent bien rarement à l'homme de trouver cette félicité
pure et durable qui ne peut exister que dans leur concilia-
tion parfaite.
Un voyage à Naples, nécessité par les devoirs de l'amitié,
vint briser tout-à-coup ces liens si chers. A son retour, l'a-
mant ne trouva plus sa Fioretta. Les persécuteurs de cette
pauvre enfant avaient su découvrir sa retraite, et une lettre
d'adieu fut tout ce qu'ils lui permirent de laisser à son ami.
Le cœur navré du plus cruel de tous les chagrins, il quitta
le beau ciel de Naples après avoir fait de vaines recherches
pour retrouver son trésor. Plus tard, il apprit que les ra-
visseurs de Fioretta avaient reçu sur l'échafaud la récom-
pense de leurs crimes, et que la pauvre fille, rendue enfin à
une existence honnête et paisible, était devenue une heureuse
mère de famille.
Cet épisode est raconté avec beaucoup de charmes. L'au-
teur a su fort adroitement créer un enchaînement de circon-
stances et d'incidens qui pallient et excusent en quelque
sorte ce que cet amour peut présenter d'illicite. Son style
est souvent noble, plein de force et vraiment passionné; seu-
lement il offre putois un peu trop d'abandon, et quelques
négligences le déparent. Le prologue et l'épilogue, surtout,
qui sont en vei . prêt 'raient à la critique. Mais, dans son
ensemble, la Perle d'ischia est u«6 jolie <•( fraîche compo-
sition qui contraste tort agréablement à coté <ie tous les pré-
tentieux romans du jour. On doit accueillir avec indulgence
toute tentative de ram lier la littérature à la simplicité, qui
est véritablement son ancie de salut.
REVUE nr XORD, 3e année, n° 4. Avril 18 37'. On souscrit au bureau,
rue du Four St. -Germain , 41 . Prix pour Paris, 4o fr. par an.
Ce Numéro renferme plusieurs articles d'un grand intérêt, parmi
lesquels nous citerons les suivans :
Les Dieux du Nord, poème épique d'Adam Ochlenscldaeger,
analyse très-bien faite, qui fait connaître, par de nombreuses
citations, le poète danois dont la verve s'est inspirée de cette
mythologie Scandinave, unique monument de l'antiquité des
peuples du Nord. Le voyage du dieu Thor au pays des
géans est l'épisode choisi par le traducteur, et il inspirera
180 LITTÉRATURE ,
sans cloute le désir de mieux connaître ces fables qui, moins
gracieuses peut-être que celles de la mythologie grecque,
sont remarquables par leur originalité, leur teinte énergique,
et les documens qu'elles peuvent nous fournir sur les mœurs
des anciens Scandinaves.
Un fragment d'Eugène Oréghine, roman en vers d' Alexandre
Pouschkine, qui vient après, nous donne un échantillon de
la poésie russe, s'inspirant des brillans frimas de l'hiver,
leur empruntant toutes ses images et décrivant des scènes
qui se passent au milieu des neiges.
Le Mémoire sur l'histoire politique et économique et sur l'état
actuel de l'Islande, par M. Bjarni Thorarensen, premier ma-
gistrat de la province orientale et septentrionale de cette île,
offre un tableaudu plushaut intérêt. Son auteur le rédigea etle
remit au célèbre voyageur, M. Paul Guimard, en août 1836.
C'est un document fort curieux pour l'histoire de l'Islande,
car on y trouve beaucoup de détails sur les mœurs et le genre
de vie de ses habitans. L'Islande offre le bizarre contraste
d'un pays fort arriéré sous le rapport des commodités de la
vie, de l'industrie et des arts, tandis qu'il est au contraire plus
avancé que nul autre peut-être sur la route du perfectionne-
ment intellectuel et moral.
D'un côté, un sol ingrat, mal cultivé, qui, dans les rares
années où la température ne s'oppose pas aux récoltes, pro-
duit à peine de cpioi nourrir ceux qui le cultivent, et qui
n'ont avec cela d'autre ressource que celle de la pèche, à la-
quelle la mer ne se montre pas non plus toujours favorable;
de l'autre, un peuple heureux et sage cbez lequel régnent
l'égalité la plus complète et l'instruction la plus générale,
avec leurs conséquences morales les plus bienfaisantes, puis-
que sur une population de plus de 50,000 àmps, on n'a eu à
déplorer que quatre meurtres pendant un espace de 50 ans.
Yoilà ceites un phénomène digne d'être étudié, et cpii pour-
rait peut-être conduire à reconnaître quelle est la source de
la véritable civilisation et du bonbeur des peuples. De tels
laits ont plus d'autorité que tous les discours les plus élo-
quens ; on ne saurait du moins les accuser dHutopisme.
Un article sur les caisses des pensions des veuves et des orphe-
lins renferme d'excellens conseils sur les moyens de réprimer
les abus qui existent dans ces sortes d'institutions en Alle-
magne.
Enfin on lira avec plaisir la suite d'un Voyage en Bosnie et
en Croatie, qui offre des détails curieux sur ces contrées en-
core peu connues; et les bonunes qui s'intéressent à la mar-
che de la science économique trouveront un grand intérêt
dans les recherches historiques de AI. Octave Delepierre sur
HISTOIRE. 181
Y industrie belge, ainsi que dans l'article sur les modifications
apportées au tarif des douanes russes. L'auteur de ce dernier
morceau traite, il est vrai, de folle chimère le système de la
liberté absolue du commerce; mais les éloges qu'il adresse
au gouvernement russe, pour être justement entré dans cette
voie, prouvent qu'il n'y a pas chez lui un aveuglement sys-
tématique, et que, tout en rejetant ce but comme étant in-
compatible avec l'état actuel des relations politiques, il ne se
refuse pas aux mesures capables de nous y conduire graduel-
lement. Plusieurs petits fiagmens de littérature allemande
terminent ce numéro, qui est, en son entier, digne des efforts
du directeur de la Revue du Nord, pour la placer au premier
rang parmi les recueils périodiques qui se publient en France.
ROSEES , par Mme Hermunce Lesguillon, auteur de Rêveuse. — Paris ,
chez L. Janet. 1837. In-8. 7 fr. iO c.
• « Rêveuse est le prélude de l'existence de la femme. Rosées
» la commence. Les suivans la compléteront. C'est surtout
» par son bonheur qu'on sent le malheur des autres. »
Ces paroles qui terminent la préface de l'auteur, indiquent
la portée de ses intentions et le but vers lequel tendent ses
chants, car Réreuse et Rasées sont des recueils de vers. Ma-
dame Lesguillon, après avoir exprimé le vague sentiment
qui oppresse l'àmede la jeune fille à son entrée dans la vie, a
voulu célébrer les ineffables joies de la femme épouse et mère.
Plus tard elle se réserve sans doute de plaindre les malheurs
qui trop souvent la heurtent, et la brisent sans pitié au milieu
de sa carrière. Mais je ne pense pas qu'il soit très -juste de dire
que c'est surtout par son bonheur cpi'on sent le malheur des
autres. Ce n'est pas du moins ce qui arrive le plus ordinaire-
ment ; car au milieu du bonheur, alors que tout lui sourit,
l'homme oublie trop souvent h s malheureux qui souffrent, et
en général il faut avoir vu soi-même de près les misères de
ce monde, en avoir éprouvé quelques atteintes, pour les bien
comprendre, pour y croire et pour sentir tout ce qu'elles ont
de cruel. Celui qui est rentré heureusement dans le port
après avoir essuyé la tempête compatit sans doute vivement
aux angoisses de ceux que les vagues de la mer ballottent
encore au milieu des écueils; mais celui qui^n'a jamais quitté
la terre-ferme n'y songe guère , à moins que quelque cir-
constance particulière ne porte son attention de ce côté-là.
Enfin, quoi qu'il en soit, cette pensée ,si elle n'est pas ri-
goureusement vraie, nous prouve du moins que madame Les-
guillon est douée d'un bon creur et se trouve heureuse de
.-on sort. Ce sont doux conditions essentielles ici-bas et qui
182 LITTÉRATURE,
semblent bien faites en vérité pour inspirer la verve du
poète. Malheureusement notre auteur, au lieu de s'abandon-
ner tout simplement au sentiment de son bonheur et de lais-
ser le cri du cœur se refléter dans ses vers, se livre trop souvent
à une recherche prétentieuse. Elle appartient à l'école des
rêveries vagues et mystiques, et s'exprime dans un langage
bizarre, dont la plupart des images sont forcées ou même
fuisses.
C'est le soleil obscur , qui brille obscurci , et dont l'ombre
maussade éveille la journée.
C'est l'abîme profond que creuse ce grand vide,
Que jamais rien ne comble en cette terre aride,
Fragile assez pour une tleur!
C'est le soleil d'or et le ciel bleu; c'est
Le bal, avec sa foide et ses brillans flambeaux,
Et ses femmes de gaze et ses hommes jabots!
c'est la pensée échappée à son mors qui s'en va s'amonceler aux
poussières des morts. C'est l'ombre qui pâlit, un concert de nids
et de buissons, le sang de l'esprit ,1a mort qui est un pont sans
arche , un rêve sans corps , etc., etc. On reconnaît là l'influence
funeste exercée de nos jours sur la poésie par certains hom-
mes de talent que l'ambition a jetés sur une fausse route.
Semblables à ces peintres qui, par le contraste des couleurs,
cherchent à exciter l'attention publique sur leurs tableaux, ils
ont joué avec les mots et ont voulu forcer la langue à produire
des effets nouveaux sans doute, mais le plus souvent puérils
et même extravagans.
L'harmonie est dédaignée par eux comme une entrave, et
sous ce rapport aussi l'auteur des Rosées les imite quelquefois
de manière à choquer les oreilles délicates. Ainsi au com-
mencement de sa poésie intitulée : Confession, elle débute
par :
Quand pour moi l'avenir ouvre un autre chemin,
Quand il s'offre joyeux et qu'il me tend la main,
Quand ma vie à toujours se livre , s'abandonne
A celui que mon cœur se choisit et se donne;
Quand je marche à l'aurore où brille l'horizon;
Que je me rebaptise, en déposant mon nom. . .
etc. Ces quatre quand , suivis encore de plusieurs autres, ne
seraient pas supportables même en prose, et l'on ne peut les
lire sans songer aussitôt à ceux de Petit-Jean dans les Plai-
deurs. L'aurore où brille l'horizon n'est guère plus heureux,
HISTOIRE. 183
car jusqu'à présent on avait, au contraire, toujours fait bril-
ler l'aurore à l'horizon.
Combien sont aussi laborieux et pénibles à lire, ces vers
sur le découragement :
Un beau ciel apparaît, qu'aussitôt un orage
S'amasse et se grossit de nuage en nuage,
Puis d'éclair en éclair, de brouillard en brouillard,
Ainsi qu'un long cortège après un corbillard.
Rien n'est vrai , rien n'est sûr ; et la désespérance
Est l'ombre qui vacille où marche 1 existence :
Tout est lointain mirage, et la réalité
Echappe au doigt de l'homme avec la vérité ;
Le seul bien ici-bas que notre œil voie et sonde;
Qu'il soit sûr de trouver dans cette mer profonde,
Ce qui paye à la fin de tout pénible effort,
Ce que chacun aura, grand, petit, pauvre ou riche,
Ce que pour nous le sol garde, promet, défriche,
C'est l'ombre, c'est la nuit, c'est l'oubli! c'est la mort'.
Pour atteindre ce but et lutter sur la plage ,
Qu'il faut de force encore et qu'il faut de courage
Pour ne pas chanceler dans ce large torrent,
Et ne pas se briser aux vagues du courant!
Pour sortir triomphant de ces cruelles joutes,
Où la nuit et le jour sont des heures de doutes ,
Où le penser hâtif appelle un avenir
Qui s'efforce de fuir au lieu de s'en venir!
exactement comme le chien de Jean de Nivelle, qui s'en va
quand on l'appelle.
Enfin dans une pièce adressée à George Sand, la strophe sui-
vante n'est pas moins curieuse :
Pourquoi donc voulez-vous que sa pensée ardente
Ailie se fourvoyer dans la commune pente
Où les bœufs du monde ont passé ?
Et que dans un sillon 1out creusé par avance,
Elle envoie un nom quisélance
Bien loin dans l'avenir tracé ?
Merci du compliment, madame; les bœufs du monde, mais
en vérité c'est charmant !
Après les bœufs , nous ne saurions plus rien citer dans ce
genre ; d'ailleurs nous avons fait la part de la critique assez
grande , et il serait tout-à-fait déloyal de ne pas dire aussi
ce que ce livre renferme de bon. En effet, malgré tous ces
184 LITTÉRATURE,
défauts , il y a du talent poétique chez madame Lesguillon,
et si nous avons été sévère avec elle, c'est que nous regret-
tons de ne pas rencontrer plus souvent dans ses œuvres des
vers tels que ceux-ci de La Jeune malade :
Regarde! ainsi que cette rose blanche,
Ma joue est pâle et mon regard languit !
Comme elle aussi mon jeune front se penche
Fuyant le jour et recherchant la nuit:
Car je le sens, une souffrance amère
Voile mon cœur malade , soucieux ;
Comme en exil , j'étouffe sur la terre :
Adieu, ma mère, au revoir dans lescieux !
Ces nœuds si frais, cette riche parure,
Dont j'étais fière, et le monde et le bal,
Où l'on vantail ma grâce et ma tournure,
Tout me déplaît ; sourire me fait mal ;
Je poi'te envie à la feuille qui tombe ,
Au lac qui dort pur et silencieux:
Je porte envie au vol de la colombe :
Adieu , ma mère , au revoir dans les cieux !
Dans la plupart des morceaux de ce recueil , dans ceux sur-
tout qui expriment l'amour maternel , ses joies et ses angois-
ses , on trouve l'empreinte d'un sentiment réel et vivement
éprouvé. C'est bien quelque chose , mais ce n'est pas tout ce
qu'il faut pour faire un bon poète , et le langage, pour bien
rendre un sentiment vrai , doit être aussi vrai et natu-
rel. Que notre auteur se dépouille donc de tout cet attirail
prétentieux de phraséologie creuse qui ne dit rien en affectant
de dire beaucoup , et qui dans son laborieux enfantement
tue toute inspiration. Un style simple , pur et riche en pen-
sées plus qu'en mots, la conduira beaucoup plus sûrement et
plus promptement au succès et à la gloire.
LA paysanne ET LE dandy , par Cuy d'Agde. 2 vol. in-8. 15 fr.—
la maison rouge , par Emile Sôûvéstré. 2 vol. in-8. 15 fr.— nou-
velles impressions de voyages , par Alex. Duiùas. 1 vol. in-8.
7 fr. 50 c. — MARIE ANGE, par Alfred llalnxud. 2 vol. in-8. 15
fr. — les matelots parisiens, roman maritime; par Suau de
Varennes, ancien officier de marine; précédé d'une introducton par
Eugène Sue. 2 vol. in-8. 15 fr. — L'ILE DE LA TORTUE , roman mari-
time, par Jules Lecomte. 1 vol. in-8. 15 fr.— les montagnards
des ALPES , par Fubre d'OlUet. 2 vol. in-8. 15 fr.— RÊVERIES DANS
LES MONTAGNES, par Mme Camille Badin. 2 vol. in-8. 15 fr.— LA
MARQUISE et la jolie fille des Halles , par Alfred de Beaulieu. Paris,
1837. 2 vol. in-8. 15 fr.
Dans les neuf ouvrages dont les titres sont inscrits en
tète de cet article, i! ne s'en trouve que deux qui offrent mu'
HISTOIRE. 18*
lecture supportable pour les gens de goût , et qui méritent
d'être recommandés. Ce sont les Rêveries dans les nwntagnes ,
de madame Bodin , et la Maison rouge, de M. Souvestre ,
deux recueils de contes et de f; agmens dont quelques - uns
sont d'un intérêt remarquable. Les titres choisis par les au-
teurs n'ont guère de rapports avec le contenu des volumes ;
mais il est d'usage de donner ainsi aux recueils de ce genre
une sorte de passeport dans les cabinets de lecture qui n'ai-
ment pas les contes détachés , et s'imaginent sans doute que
le lien du titre suffit pour les unir les uns aux autres de ma-
nière à forcer le lecteur d'aller jusqu'au bout.
— Dans la Maison rouge , les morceaux les plus saillans
sont : le Chirurgien de marine, Bàle, Brest à deux époques.
— Les Rêveries de madame Bodin sont à peu près égales
d'un bout à l'autre , et l'on reprochera peut-être à leur au-
teur la monotomie des scènes, des passions, des infortunes, qui
sq représentent toujours les mêmes dans tous ses ouvrages.
— La Paysane et le Dandy de M. Guy d'Agde, et La Mar-
auise de M. de Beaulieu sont des romans vulgaires tissus
de commérages sans intérêt, de longues intrigues d'amour
pâles et ennuyeuses. Des lieux communs d'observation ino-
rale, servent de bases à des récits qui n'offrent ni vérité ni
talent de style. Ce sont des produits de la littérature en fa-
brique, et de la plus médiocre qualité. Mais du moins leurs
auteurs n'ont pas la prétention d'être des hommes de génie ,
ni de prendre rang parmi les premiers écrivains de l'époque.
Le public se montrera donc sans doute plus indulgent en-
vers eux qu'envers M- Alexandre Dumas , auquel on doit
demander un compte sévère de l'emploi qu'il fait du ta-
lent dont il a donné maintes preuves brillantes au début
de sa carrière littéraire. On a d'autant plus le droit de
le juger avec rigueur que la modestie n'est pas son défaut ;
il paraît avoir une conscience très-assurée de ses hautes fa-
cultés , et ne manque jamais l'occasion de le faire sentir au
lecteur. Or je le demande à quiconque n'est pas aveuglé par
un fol engouement qui pardonne tout à l'éclat d'un nom
déjà connu , peut- on voir quelque chose de plus niais , de
plus misérable que les Nouvelles impressions de voyages qui
viennent d'avoir le triple honneur de paraître : 1° dans les
Feuilles volantes du Figaro ; 2° dans un volume in-8° , forme
de ces feuilles ; 3° dans deux volumes in-8° avec grand luxe
de papier Rlanc ?
M. A. D. paraît voyager sans rien voir, sans rien connaî-
tre, sans rien apprendre des pays qu'il parcourt. Puis, quand
il est de retour dans son cabinet , il forge une suite de petites
anecdotes plus ou moins plates , dans lesquelles il s'adjuge
'4
186 LITTERATURE,
toujours le principal rôle, et qu'il in lit nie ses Impressions de
voyages. Il vise à la humour anglaise , mais il n'atteint pas ce
but-là aussi bien qu'il prétend avoir atteint celui de la ca-
rabine, où il dit avoir stupéfait, par son adresse, toute une
compagnie des meilleurs tireurs de la Suisse allemande. ïlien
n'est plus plaisant que l'accès de vanité naïve auquel s'aban-
donne M. A. D. , à la pensée que ces hommes, si inférieurs à
lui , pourraient s'imaginer être ses maîtres en fait de tir à la
carabine. Comment donc ? un homme de la grande nation
ne sait il pas tout ? et ces pauvres patres de l'Helvéties'imagi-
nent-ils avoir le conp d'ceil plus sûr qu'un élégant de Paris?
Mais ce n'est pas tout. ; M. A. D. ira chasser le chamois au
milieu des glaciers , et ses prochaines impressions nous le
montreront sans nul doute , succombant sous le poids de sa
chasse , mais luttant encore d'agilité avec son guide , et sau-
tant les précipices à pieds joints aussi aisément qu'un ruis-
seau de la grande ville. En voyant avec quel succès admira-
ble il exploite les Alpes, on regrettera plus vivement encore
qu'il ne mette pas à exécution son grand projet de voyage
dans la Méditerranée. Que de prodigieuses découvertes cetie
entreprise aurait amenées ! On en peut juger par la pèciie
aux truites , le ragoût de marmottes, les carabiniers et main-
tes autres choses non moins merveilleuses que le monde doit
à ses excursions en Suisse.
— Ullc de la Tortue et les Matelots parisiens peuvent être
regardés comme des impressions de voyages maritimes; car
les deux auteurs sont d'anciens ofliciers de marine qui écri-
vent sans doute sous l'impression de leurs souvenirs. J'aime-
rais bien qu'on m'expliquât comme il se fait que de jeunes
écrivains puissent être d'anciens ofliciers de marine. Ces
deux qualités ne me semblent pas trop pouvoir se concilier
avec leurs épithètes respectives. D'anciens ofliciers de ma-
rine peuvent certainement écrire avec talent , mais ce ne
sont pas de jeunes écrivains , et ils font mieux que des ro-
mans médiocres comme ceux-ci, où l'on ne trouve que des
peintures assez grossières, unies à de misérables facéties sans
nul intérêt. Malgré l'introduction de M. Sue , M. Suau ne
nous paraît, point destiné à relever la littérature maritime
dans l'opinion publique.
— Les Montagnards des Alpes de M. Fabre d'Olivet, dont
une composition bistorico-romanesque, dont la scène se passe
au milieu des sauvages vallées vaudoises du Piémont Le su-
jet est puisé dans les longues et effroyables persécutions que
le fanatisme exerça contre ces paisibles montagnards, dont
le seul crime était de ne pas vouloir renoncer à la pureté de
leurs croyances antiques, renier la simplicité de leur culte.
HISTOIRE. 187
Avec de tels élémens, l'auteur ne pouvait manquer d'exciter
l'intérêt. Mais il montre trop de goût pour les conversations ;
ses personnages discourent sans cesse au lieu d'agir, et sou-
vent son style prend une teinte héroïque qui ne convient ni
aux mcours ni aux événemens qu'il veut peindre. Je com-
prends le style héroïque dans les romans de chevalerie pro-
prement dits ; mais dès qu'on veut aborder les détails his-
toriques , peindre la réalité, rien n'est inoins héroïque en
vérité que toutes les turpitudes et les horreurs du moyen
âge et des siècles qui l'ont suivi.
— Quant à la Marie-Ange , de M. A. Yalnaud , voici un
échantillon de la langue dans laquelle écrit l'auteur :
« Par la fin d'un beau jour de printemps, un personnage
» à lace sévère et méditative se promenait au front d'une
» colline, à quelque distance de Florence. 11 s'arrêta tout-à-
» coup. La colline se coupait devant ses pieds, présentant d'a-
» pies anfructuosités sur son flanc : entre ses roches mous-
» sues , pendaient de jeunes chèvres dont la lèvre épointait
» les chardons ailés et les citises amers ; au bas , un ravon
» mourant de soleil léchait le lit sablonneux d'un torrent
» desséché etc. »
Si c'est là un langage riche , il n'est du moins pas harmo-
nieux ; et pour ce qui est de le traduire, je m'en charge
d'autant moins, que le peu que j'y ai pu comprendre m'a
paru empreint d'un certain vague mystique bien obscur ,
dans lequel l'auteur semble se complaire singulièrement.
Ange et Marie sont les noms des deux amans dont il peint
les amours , et l'on peut facilement se figuier tout le parti
que l'auteur tire de ce caleinbourg ascétique.
MEMOIRES , CORRESPONDANCE ET .MANUSCRITS DE GENERAL LA-
FAYETTE , publiés par sa famille. Tomes 1, 2, 3. 3 vol. in-8. 24 fr.
Lafayette , beau nom digne d'être inscrit à côté de ceux
de Washington et de Franklin ; gloire la plus noble et la plus
pure qu'ait produite la France; grand homme auquel il ne
manqua qu'un caractère plus ambitieux pour exercer la plus
haute influence sur les destinées de sa patrie. Mais son àme
aussi naïve que généreuse n'était pas faite pour la corruption
de son époque. Il fut constamment la dupe de son désin-
téressement et de sa confiance dans les autres, qu'il croyait
tous semblables à lui. L'inébranlable constance de ses prin-
cipes et de ses convictions ne fut trahie que par son cœur ,
qui plusieurs fois se laissa tromper, et dont la loyauté n'en-
tendait rien aux roueries diplomatiques , non plus qu'aux
intrigues de courtisans, ni aux haines aveugles de l'esprit de
parti.
188 LITTÉRATURE,
Le beau drame de la guerre de l'indépendance en Amé-
rique, dont il fut lui-même témoin et acteur, l'enflamma
d'un saint amour pour la liberté qui ne s'éteignit qu'avec sa
vie. Il rapporta des Etats-Unis des sympathies tout-à-fait
républicaines, un ardent désir de doter son pays d'institutions
semblables à celles qui régissaient l'Union; beau rêve qui ne
pouvait se réaliser au milieu d'un peuple courbé depuis des
siècles sous le joug de la monarchie absolue, et à peine dé-
livré des chaines féodales qui avaient arrêté chez lui tout
développement moral et intellectuel.
Toute l'existence de Lafayette ne fut qu'une longue lutte
contre les innombrables obstacles qui s'opposaient à l'accom-
plissement de ce projet. Et malgré les déceptions cruelles
qui vinrent si souvent détruire ses plus brillantes illusions ,
on ne vit jamais sa fermeté, calme et basée sur la conviction,
se démentir un seul instant ; le découragement ne trouva
point accès dans son esprit, et il ne cessa jamais d'avoir foi
et espérance dans l'avenir.
Les admirateurs de ce noble caractère accueilleront avec
joie la publication que nous annonçons ici. Ils retrouveront
Lafayette tout entier avec sa simplicité si remarquable, avec
son patriotisme si pur, avec sa raison si éclairée et son esprit
si judicieux, dans les nombreux fragmens et la correspondance
que sa famille livre aujourd'hui à la publicité. Un puissant
intérêt s'attache à cette vie si intimement liée à tous les
événemens historiques des cinquante dernières années. Les
trois premiers volumes comprennent la période qui s'écoula
depuis son départ pour l'Amérique, jusqu'au moment où,
obligé de fuir la France pour échapper aux poursuites du
parti qui l'accusait de royalisme et d'aristocratie, il se vit
traité en ennemi au-delà des frontières, et jeté en prison
comme un dangereux démagogue. On y trouve une foule
de détails sur la guerre d'Amérique, sur ses relations avec
Washington, ainsi que des révélations curieuses sur les pre-
mières années de la Révolution française , sur les hommes
éminens qui surgirent alors de la foule, et sur les intrigues
de la Cour pour en gagner quelques-uns à sa cause. Au
milieu du chaos de cette époque de discordes et de luttes
violentes, Lafayette apparaît comme le représentant des idées
saines et raisonnables, comme le seul champion du bon sens,
que tous les partis foulaient alors aux pieds avec un égal
aveuglement.
On ne pouvait élever à sa mémoire un monument, à la
fois plus honorable et plus durable, que de rassembler et de
mettre ainsi au jour tous les documens qui doivent servir à
le jtfgër dans toutes les circonstances où il a joué un rôle.
HISTOIRE. 189
Peu de renommées supporteraient une pareille épreuve , la
sienne ne fera qu'y gagner en éclat et en respect.
HISTOIRE DE LA REPUBLIQUE DE FLOREXCE, par Mme HoNense
Allait. Paris, 1837. In-8. 7 fr. 50. c.
Ce beau volume est dédié par son auteur aux femmes ré-
formée*. On demandera sans doute ce que signifie cette bizarre
épithète; a-t-elle voulu s'adresser aux femmes de la Réforme
protestante , ou bien cet adjectif serait-il employé dans le
sens qu'on lui donne en parlant des militaires ou des chevaux?
Mais non , il n'est point question ici de protestantisme ; et
quant à la seconde supposition, ce serait une mauvaise plai-
santerie, et je vous assure que Mme Hortense Allart ne plai-
sante pas du tout. Ses femmes réformées sont celles qui ne
se contentent plus d'une existence et d'une vertu bornées, qui
protestent énergiquement pour leur réveil, leur courage , leur
probité. Il paraît que jusqu'à ce jour elles dormaient sans
courage ni probité. A l'avenir leur existence sera sans bornes
et toutes deviendront des dragons de vertu. Mais qu'ont de
commun ces folies avec l'histoire de Florence ? Laissons de
côté la dédicace, sautons à pieds joints par-dessus la préface
qui ne vaut guères mieux , et arrivons au livre.
Les annales d'une république sont une mine féconde pour
l'écrivain, qui sait y puiser les grandes leçons et les nobles
exemples qu'elles renferment. Là, plus qu'en aucune autre
histoire, on retrouve le peuple et l'on peut suivre le déve-
loppement de l'esprit humain sous toutes ses faces diver-
ses. Les républiques du moyen-âge elles-mêmes , quelque
imparfaite que fût leur constitution, et quelque barbarie
qu'on y remarque , offrent un tableau plein de vie de cette
lutte continuelle entre la noblesse et la roture, entre le pri-
vilège et la multitude , dont les monarchies ne présentent
que de rares exemples, lorsqu'elles sont de loin en loin ru-
dement secouées par le flot populaire.
Florence fut certainement l'un des plus remarquables de
ces états libres qui jetèrent tant de lustre sur l'Italie. Mais
celte ville célèbre fut aussi , plus que nulle autre peut-être,
déchirée par des querelles de partis , des guerres civiles,
longues et acharnées. L'époque dont Mme Allart retrace
l'histoire, est justement celle des luttes les plus vives , de-
puis le 12me siècle jusqu'au 15me, celle où les Guelfes et les
Gibelins se disputèrent le pouvoir et connurent tour-à tour
les malheurs de l'exil. Ces temps furent riches en grands
caractères et en évènemens pleins d'intérêts, dans lesquels
les passions humaines se déchaînèrent avec une violence
190 LITTÉRATURE,
extrême. Mme AUart nous en donne un tableau animé des
plus belles couleurs. Son style concis et nerveux s'accorde
assez bien avec l'esprit de l'époque. Maison lui reprochera,
je crois, d'avoir trop resserré son cadre, d'écrire, non l'his-
toire, niais de brillantes esquisses pour ceux qui connais-
sent déjà tous les détails, et qui trouveront dans ce l'apide
résumé une espèce de mémorial destiné à rafraîchir leurs
souvenirs, à leur redonner la vie, à reconstruire à leurs
yeux toutes ces scènes dramatiques si émouvantes qui ont
inspiré au Dante sa divine comédie. On reprochera surtout
à l'auteur une certaine recherche d'effet dans son style ;
souvent le laconisme est un peu forcé, et le désir d'exprimer
beaucoup en peu de mots , lui fait oublier que la clarté
et l'élégance sont deux mérites dont l'historien ne saurait
se passer.
Cependant , sauf ces imperfections qu'un peu de travail
pourrait faire disparaître, ce volume offre un vif intérêt;
Mrae Allait a très-heureusement profité de tous les documens
que lui fournissaient les meilleurs écrivains de l'Italie; et le
grand poète de Florence occupe dans son livre une place
digne de lui.
Le but de l'historien a été de prouver que la démocratie
est le premier élément de la liberté et de la prospérité
d'un peuple, mais qu'elle doit, pour être durable, avoir un
contre-poids dans l'aristocratie du génie et du savoir. Cette
vérité est incontestable ; mais ne peut-on pas dire que cette
aristocratie se formera naturellement, d'elle-même, dans
toute démocratie où le libre développement des facultés
humaines ne sera gêné par aucune entrave, par aucun
privilège? La supériorité intellectuelle se trace elle-même
sa route, elle prend sa place quand les institutions ne s'y
opposent pas; mais il ne faut pas que ces institutions la lui
assignent d'avance et créent un corps privilégié dans lequel,
grâce aux abus inséparables de toute hiérarchie constituée,
l'intrigue et la spéculation remplacent et excluent bientôt
la vraie science.
LE camtox de vaud , sa vie et son histoire; par J. Ol/h-ier. —Lau-
sanne, 1837. 2 vol. in-8. là fr.
Dans l'élan générai! donné depuis quelques années aux
études historiques, la Suisse n'est pas restée en arrière. De
toute part on s'est mis à compulser les vieilles archives, à
fouiller dans les annales antiques, et chaque canton a vu de
jeunes écrivains pleins de zèle évoquer les glorieux souvenirs
du passé pour assurer à son pays la place qu'il mérite d'oc-
cuper dans l'histoire des peuples, si ce n'est dans celle des
HISTOIRE. 191
empires. L'ouvrage de M. Ollivier a pour but de retracer les
destinées du pays de Vaud , depuis les temps les plus anciens
jusqu'à nos jours. La grandeur et l'importance de ce canton
riche et fertile , le rendent l'un des plus remarquables de la
Suisse. Depuis l'époque surtout où , avant secoué le joug de
Berne, il a pu développer librement toutes ses ressources dans
une existence indépendante et libre, sa prospérité toujours
croissante en a fait certainement l'une des plus heureuses con-
trées de la terre. Ses habita ns, voués principalement à l'agri-
culture, se distinguent par la perfection de leur culture, par
leur industrie et leur patriotisme. En parcourant leurs belles
vallées, le vovageur est sans cesse frappé de l'aisance qui y
rè^ne, de l'activité et de la gaîté franche et cordiale qui les
animent.
Sous ces divers rapports le travail entrepris par M. Olli-
vier pouvait offrir un grand intérêt. Il est en effet curieux de
rechercher l'origine des mœurs et des institutions qui font
le bonheur d'un peuple; rien n'est plus digue des médita-
tions de l'historien que la vie de ces peuplades chez lesquelles
l'amour de la patrie ne s'est jamais éteint, et qui au milieu
des bouleversemens politiques dont l'Europe a été tant de
fois témoin n'ont jamais perdu leur nationalité.
Malheureusement M. Ollivier ne parait pas posséder les
qualités qui font le véritable historien. C'est un poète qui
chante plut-jt qu'il ne raconte. Son style est toujours guindé
sur le ton de l'épopée , et , comme il arrive souvent, ses des-
criptions aux formes exagérées , sa verve amph atique , ne ren-
dent nullement l'aspect grandiose des majestueuses beautés
naturelles de la Suisse. Elles ressemblent à certains tableaux
de paysages où les couleurs les plus brillantes, sans cesse op-
posées les unes aux antres, fatiguent la vue, la troublent, et
n'offrent bientôt qu'une image confuse sans contours ni dé-
tails. Poètes et artistes oublient trop facilement que la simpli-
cité est le meilleur moyen de se rapprocher de la nature ,
dont les œuvres n'ont besoin que d'être fidèlement reprodui-
tes pour enfanter les effets les plus merveilleux, et que les
embellissemens dont ils prétendent les surcharger ne servent
qu'à les rapetisser , qu'à changer leurs tableaux en de mau-
vaises caricatures. Les voyages de de Saussure offrent à cet
égard un excellent modèle que M. Ollivier aurait bien fait
d'étudier. Mais l'inspiration poétique l'a emporté, et tout ce
qu'il décrit, il l'a vu au travers d'un voile nuageux qui jette
sur son œuvre un certain vague mystique très-fatigant et fort
peu favorable surtout aux recherches de l'histoire.
C'est très-fàcheux , car son livre décèle des travaux cons-
ciencieux et aurait obtenu sans doute un véritable succès,
si ce défaut ne fût venu en gâter tout le mérite. Il ren-
192 RELIGION, PHILOSOPHIE,
ferme une foule de détails curieux sur les usages du pays,
sur les mœurs de la montagne et de la plaine , sur les fêtes
et les superstitions populaires; il respire un patriotisme cha-
leureux ; il est fait pour exciter et entretenir dans les cœurs
ce feu sacré qui est l'âme des états républicains. Je repro-
cherai seulement à l'auteur de restreindre un peu trop cet
amour de la patrie , en lui assignant en quelque sorte les
limites de son canton. Dès le début de son livre, il laisse
percer une animosité peu raisonnée contre un canton voisin ;
il traite Genève de ville impie ou du moins tout-à-fait indif-
férente, parce que sans doute la tolérance y règne, et il
l'accuse bien maladroitement aussi d'être une ville plus
française que suisse. Ces petites jalousies de localités qui
ne devraient rivaliser entr'elles que de dévouement à la pa-
trie, sont bien misérables. Long-temps elles ont rongé le
corps de la Confédération helvétique , et plus d'une fois elles
firent son malheur. Cependant elles commençaient à s'étein-
dre ; le lien fédéral paraissait avoir pris une vie nouvelle dans
l'oubli du passé, et l'on verra avec peine ce triste sentiment
se faire jour encore dans l'ouvrage de M. Ollivier. Sa plume
en traçant ces mots a sans doute obéi à un mouvement irré-
fléchi, à une pensée d'exclusisme religieux dont la charité
chrétienne devait cependant déjà à elle seule réprimer l'essor,
et il n'aura pas songé que cette phrase suffisait pour détruire
en quelque sorte le but de tout son travail. L'amour de
la patrie n'a de base solide que dans l'union de ses enfans.
RELIGION, PHILOSOPHIE, MORALE, EDUCATION,
LE CHRISTIANISME CONSIDERE DANS SES RAPPORTS AVEC LA
civilisation moderne , par M. I'âbbé A.Sénac, premier au-
mônier du collège Rollin. — Paris, 1837. 2 vol. in-8. 15 fr.
Le catholicisme, secouant la poussière de ses vieilles dra-
peries, veut se mettre à la mode. Il sent le besoin de se ra-
jeunir, et, pour séduire les yeux par un extérieur coquet, le
voici qui s'affuble d'une couverture jaune, comme un roman
du capitaine Marryat ou un poème de Lamartine. Une pa-
reille tentative lesauvera-t-elle de l'indifférence complète avec
laquelle le public le traite depuis long-temps? Espère-t-il
échapper par là à l'oubli auquel le condamnent les progrès
des lumières et de la civilisation ? Ce serait une prétention
folle, si on voulait le restaurer tel qu'il brillait jadis dans toute
la splendeur de ses pompes et de son pouvoir temporel : on
ne fait pas rétrograder l'esprit humain à moins de le replon-
ger dans un état voisin de la barbarie, et, quelques efforts
MORALE, ÉDUCATION. 193
que puissent faire les partisans de l'orthodoxie pour la con-
cilier avec notre civilisation moderne, ils ne réussiront à rien,
parce qu'ils ne veulent pas accorder la moindre concession
à celle-ci, et prétendent courber les intelligences du xixe siè-
cle sous le même joug qui pesa pendant si long-temps sur la
superstition et l'ignorance du moyen-âge.
M. l'abbé Sénac quitte l'ornière orthodoxe et cherche à
nous montrer que le christianisme n'est ni dans l'infaillibi-
lité du pape, ni dans ce système d'abus révoltans, de taxes
vénales, et de prétentions théocratiques qui n'a fait que trop
de mal au monde. Sous le rapport du dogme, il s'incline en
fidèle croyant devant le mystère de la chute de l'homme, et
regarde la raison comme tout-à-fait impuissante à faire le
bonheur de l'homme, à lui découvrir la vérité, à ie diriger sur
la route du progrès. Mais il combat les systèmes de MM. de
Bonald, de la Mennais, de Maïstre, ne reconnaît d'autorité
que dans les Conciles, et semble admettre que la religion
doit modifier ses formes selon les temps, pour se trouver tou-
jours eu harmonie avec la civilisation de la société. La cha-
rité lui parait être aujourd'hui le principe le plus fécond du
christianisme, et il signale avec joie, comme une garantie de
l'avenir, cette sympathie générale qu'éveille partout le sort
des classes ouvrières.
Sans doute , l'abbé Senac et son livre ne larderont pas
à être rangés au nombre des hérétiques par les cerbères de
l'orthodoxie catholique, qui ne peuvent souffrir la moindre
déviation des enseignemens que prescrit l'Eglise. Tous les
hommes éclairés qui ont ainsi tenté de raviver le catholi-
cisme, ont été traités de même par ces orthodoxes fanatiques
qui ne veulent pas souffrir qu'on change ou qu'on supprime
un seul des vieux oripeaux de leur culte, et qui vont procla-
mant que les pompes de l'Eglise, ses taxes et sa fabrique sont
la vraie poésie du christianisme; que, sans elles, la religion
n'offre plus que sécheresse et stérilité.
L'Écolier , ou Raoul et Victor, par Mme Guizot : ouvrage couronné
par l'Académie, comme le plus utile aux mœurs. 4e édition. — Paris,
chez Didier, 1837. 2 vol. in-12 , fig. 8 fr.
Cet ouvrage est l'un des plus beaux titres de gloire de
madame Guizot. Il obtint, dès sa première publication, un
succès très-grand, et l'Académie ne tarda pas à confirmer le
jugement du public en lui décernant un prix. Destiné à offrir
une lecture à la fois utile et intéressante à la jeunesse, dans
cette période de transition, entre l'enfance et l'adolescence,
où les passions commencent à fermenter, il présentait de
grandes difficultés à vaincre, et exigeait, chez son auteur,
194 RELIGION, PHILOSOPHIE,
une connaissance profonde du cœur humain, unie à un tact
parfait des convenances. Ecrit principalement pour les éco-
liers de collège, il devait, par l'action du drame, fixer l'atten-
tion des enfans,si légère, si inconstante à cet âge où la lecture
ne leur offre presque plus d'attrait et devient en quelque sorte
pour eux une étude à laquelle ils ne consacrent qu'à regret
quelques instans de leurs loisirs dérobés aux jeux bruvans,
actifs, passionnés, qui ont alors tant de charmes et sont l'objet
presque exclusif de leur? vœux et de leurs pensées. Il fallait
donc, pour les captiver, unir l'intérêt du roman aux leçons de
la morale, les ressources de l'imagination à l'expérience de îa
nature humaine, de ses pencbans et de ses faiblesses. Pour
atteindre ce but, madame Guizot raconte l'histoire d'uu jeune
garçon chez lequel fermente cet esprit d'indépendance qui
se développe avec tant de force au milieu de la vie des col-
lèges. Dans ces gymnases où les enfans sont trop souvent
abandonnés à eux-mêmes, séquestrés loin de leurs païens
dont l'affection peut seule tempérer ce qu'a de trop dur et de
trop sévère l'autorité du maître, on voit bientôt surgir l'envie
de briser ces chaînes qui paraissent insupportables. Raoul,
dont le caractère est peint de main de maître, trouve le
moyen de se soustraire à toute contrainte. Il fuit à la fois le
collège et la maison paternelle, il se lance dans immonde
inconnu avec toute la folle inexpérience d'un enfant de 14
ans. Il ne tarde pas à payer bien cher cette faute. Sa fierté
naturelle, qui n'avait pu se résoudre à plier devant un père,
est sans cesse humiliée, heurtée, froissée par de bien plus rudes
atteintes. Il acquiert à ses dépens une cruelle expérience de
la vie, et c'est par des épreuves nombreuses qu'il est amené
à reconnaître combien l'obéissance est une qualité indispen-
sable à la jeunesse, combien l'état de dépendance qu'elle
supporte impatiemment lui est nécessaire, et combien, à
tout âge, il est bon de se persuader que la vraie liberté con-
siste à ne vouloir que ce qu'on peut.
L'intérêt le plus vif s'attache à tous les incidens de cette
malheureuse escapade, et la pensée morale de l'auteur s'y
développe d'une manière fort complète. Mais il est à crain-
dre que ses jeunes lecteurs s'intéressent davantage aux aven-
tures de son petit héros , qu'aux résultats moraux qu'elles
sont destinées à amener. Ce reproche a déjà été adressé à
cet ouvrage, et il me paraît assez fondé; il me semble même
me rappeler, qu'étant encore enfant lorsque je le lus pour la
première fois, le sentiment qu'il excita surtout en moi fut
justement le désir de jouir de cette indépendance qui coûta
tant de regrets à Raoul, et que j'enviai plus d'une fois la po-
sition que lui avaient faite les circonstances qui le jetèrent
ainsi loin des barrières de la maison paternelle, à un âge où
MORALE, ÉDUCATION. 195
tout aliment paraît bon à cette activité dévorante, qui com-
mence à se développer avec tant d'énergie dans le caractère
de l'homme. J'ajouterai que madame Guizot a peut-être eu
encore un autre tort en donnant au père de Raoul une sévé-
rité toute militaire, bien faite pour pousser à bout le jeune
étourdi, et pour excuser sa faute aux yeux du lecteur, en-
chanté de trouver un prétexte à sa sympathie.
Ces deux inconvéniens, que l'auteur n'a pas su éviter,
viennent du reste, je crois, de l'état actuel de la société fran-
çaise. Ils sont inhérens au système d'éducation généralement
adopté, qui sépare les enfans de leurs païens en quelque
sorte dès qu'ils sont nés, et ne sait pas les faire jouir des bien-
faits de l'instruction publique, sans les priver de ceux encore
plus précieux de l'éducation de famille. Uccn/irr se trouve
donc offrir la critique la plus forte et laplus juste qu'on puisse
faire de ce faux système. Je conseille aux parens d'en faire
la lecture avec leurs enfans ; car ils pourront ainsi, non-seu-
lement les guider dans la manière de le comprendre et d'en
retirer quelque profit, mais encore y puiser eux-mêmes d'ex-
cellentes leçons sur les moyens les plus convenables d'accom-
plir dignement l'œuvre la plus importante de leur vie, l'édu-
cation d'un fils qui, bien dirigé, deviendra un jour i\n citoyen
utile à sa patrie, quels que soient la vocation qu'il embrasse
ou les taiens dont, la nature l'a doué, et qui, abandonné aux
circonstances avec cette indifférence coupable qu'on ne ren-
contre que trop souvent dans le monde, ne saurait, malgré
les facultés les plus supérieures, que faire honte, dans l'avenir,
à son pays, à sa famille ou à lui-même, ou du moins ne trou-
ver au fond de tous les succès qui pourront venir flatter son
ambition, que déception, ennui, dégoût et malheur.
LEGISLATION, ECONOMIE POLITIQUE, COMMERCE.
LA OUESTION D'ALGER, politique, colonisation, commerce ; par A.
Desjobert , député de la Seine-Inférieure. — Paris, chez Dufart, 1837.
In-8. 6 fr.
Jamais conquête ne fut plus embarrassante que celle d'Al-
ger. Depuis que le drapeau français flotte sur la~Casauba,
chaque année a vu se reproduire ces questions : Que fera-t-
on d'Alger? Colonisera-t-on, ou ne colonisera-t-on pas? Pous-
sera-t-on la conquête plus loin, ou se bornera-t-on à garder
le littoral? Et tandis qu'on discutait sans fin sur ce qu'il y
avait à faire, la conquête devenait chaque jour plus lourde
à la France. Non-seulement quelques millions de plus ve-
naient grever le budget, mais encore des milliers de soldats
196 LEGISLATION,
étaient inutilement sacrifiés dans des combats sans issue,
dans des expéditions sans résultat. Enfin le désastre de Con-
stantine a couronné l'œuvre, en donnant une cruelle leçon
aux administrateurs qui s'imaginent que c'est avec le fer et
le feu qu'on parvient à coloniser une contrée et à lui faire
accepter une civilisation étrangère à ses mœurs, à sa religion,
à ses intérêts. Aujourd'hui se représente, d'une manière plus
pressante encore, cette question jusqu'ici insoluble : Que fe-
ra-t-on d'Alger?
M. Desjobert a essayé de la résoudre, et le plan qu'il pro-
pose nous paraît neuf et digne d'être examiné.
Après avoir passé en revue toutes les fautes commises, tous
les revers éprouvés, il signale les obstacles qui s'opposent à la
colonisation dont il combat tour-à-tour les divers systèmes.
Puis, en jetant un regard en arrière sur l'état du pays sous la
domination turque, il se demande comment il se fait que ce
pouvoir qu'on dit si détestable, ait pu durer 300 ans, appuyé
seulement par une milice de 800 soldats et environ 5 millions
de francs , tandis que depuis la conquête la France emploie
30,000 hommes, dépense quarante millions, et n'a pu par-
venir qu'à rendre le pays beaucoup plus malheureux? C'est
qu'd n'avait pas la folle prétention de coloniser, c'est qu'il ne
cherchait pas à dénationaliser, et savait habilement respecter
la propriété arabe. M. Desjobert voudrait que la France imi-
tât les Turcs sous ce rapport, et allât même bien plus loinr
en aidant Abd-el-Rader à reconstituer la puissance arabe, et
en se contentant de conserver la possession paisible de trois
points importans sur la côte d'Afrique, qui, en cas de guerre
maritime, pourraient être utiles aux flottes françaises. L'Al-
gérie, sous la domination d'un chef arabe, doué de hautes
qualités et imbu de ces idées de civilisation qui se sont déjà
fait jour en Orient par la Turquie, et surtout par l'Egypte,
sera une alliée plus utile et plus glorieuse pour la France
qu'elle ne saurait jamais l'être, réduite à l'état de colonie ou
de province française. Le pays y trouverait d'ailleurs une
grande économie, et le commerce des avantages aussi grands.
Encourager ainsi la régénération d'un peuple et favoriser ses
progrès en lui permettant de se développer lui-même dans
ses propres voies, serait certainement une mission plus noble
et plus civilisatrice que la guerre d'extermination, essayée
jusqu'ici d'une manière si malheureuse.
On pourra se convaincre de l'impossibilité de la colonisa-
tion, en lisant la lettre adressée à ce sujet par M. Huber-
Saladin au directoire fédéral et insérée dans la bibliothèque
de Genève. Elle renferme une foule de faits et de renseigne-
mens puisés sur les lieux mêmes par l'auteur, qui visita
l'Algérie dans le dessein de s'assurer si les émigrans suisses y
ÉCONOMIE POLITIQUE, ETC. 19?
trouveraient des établissemens avantageux à former. On verra
que son opinion à cet égard est tont-à-fait conforme à celle de
M. Desjobert, et cette autorité a d'autant plus de poids, que
M. Huber-Saladin est totalement désintéressé dans la ques-
tion.
PROGRÈS de la Grande-Bretagne , sous le rapport de la population et
delà production; traduit de l'Anglais de M. J. -R. Porter , et accom-
pagné de notes et tableaux présentant les progrès comparés pour
la France, par Ph. Chemin-Dupontès; précédé d'une préface par
M. Michel Chevalier. —Paris , 1837, in-8. 8 fr.
Ce volume offre des détails et des documens statistiques
fort curieux et intéressans, quoiqu'on ne puisse s'empêcher
de regretter que l'auteur n'ait pas étendu davantage son tra-
vail, et ne l'ait pas rendu complet en entrant dans tous les
développemens dont il était susceptible.
La marche de l'industrie et ses rapports avec celle de la
population sont aujourd'hui les sujets qui occupent le plus
l'attention des philosophes et des puhlicistes. Les progrès
immenses et rapides faits dans nos temps modernes par l'in-
telligence humaine appliquée à la recherche du bien-être
matériel et de l'aisance, ces élémens indispensables de la
prospérité nationale, sont les causes qui ont sans doute le
plus contribué à changer la nature des relations sociales, et à
rendre nécessaire aussi de changer les lois qui président à
ces relations. La statistique a pris ainsi rang au nombre des
sciences qui peuvent exercer la plus grande influence sur
le bonheur de l'humanité, et grâce aux efforts de nombreux
écrivains qui s'occupent d'aider à ses recherches, on peut es-
pérer qu'elle parviendra à dresser l'inventaire exact et com-
plet de la situation de la société dans les divers états euro-
péens; mais ses progrès sont lents, et pour arriver à formuler
les lois sur lesquelles repose le développement de l'humanité,
il faut, pouvoir en embrasser tout l'ensemble; des résultats
partiels, des documens particuliers, ne peuvent fournir en-
core que des données obscures, sur lesquelles on ne saurait
rien fonder sans s'exposer à commettre d'étranges erreurs. Il
faut arriver à faire de la statistique comparée, de pays à pays;
ruais pour cela on doit attendre que les documens se trouvent
amassés en nombre assez considérable pour fournir des points
certains de comparaison. M. Chemin-Dupontès a tenté un
essai de ce genre en ajoutant à la traduction de l'ouvrage de
M. Porter, des notes et des tableaux qui présentent les pro-
grès comparés de la France. On trouvera certainement beau-
coup d'intérêt dans cet essai, mais la statistique française est
encore trop arriérée et trop peu riche en documens, pour
qu'il ait pu être ce qu'on voudrait qu'il fût, entre deux con-
198 LEGISLATION,
trées telles que la France et l'Angleterre. Un tableau bien
complet de toutes les forces industrielles, de leur développe-
ment et de leurs résultats, ainsi que du mouvement de la
population dans ces deux royaumes, offrirait certainement le
spectacle le plus beau et le plus fécond pour la science du
gouvernement, de la législation et de l'économie politique;
mais il faudrait pour le dresser, pouvoir s'appuyer sur des
travaux antérieurs dont l'exactitude ne pût être sujette à
discussion. Or c'est justement ce qui manque encore, surtout
pour la France.
SOUVENIRS DES TRAVAUX m' simplos, par M. Céard , ancien pro-
cureur-général à Genève, flls de feu N. Céard, ingénieur, sous la con-
duite duquel ont été exécutés ces travaux. — Genève et Paris, chez
Ab. Cherbuliez [et Ce , 1837. 1 vol. in-fol. orné de .8 vues lithogra-
phiées avec le plus grand soin et de divers plans et cartes. Prix, 36 fi\
sur papier de Chine, 46 fr.
Cet ouvrage est un beau monument élevé par un fils à la
mémoire de son père. M. N. Céard était ingénieur des Ponts-
et-Chaussées , inspecteur divisionnaire , et ce fut lui qui
dirigea tous les principaux travaux de cette admirable route,
percée au travers des rochers du Simplon. De tant d'éclat
jeté par )e règne brillant de Napoléon, de tant d'efforts que
la France a payés si cher, ce sont les Alpes qui ont retiré le
meilleur profit. Grâce à cette volonté de fer qui n'admettait
ni obstacles ni délais, le passage du Simplon, jusqu'alors
dangereux même pour le simple piéton, fut en peu d'années
métamorphosé en une grande route que les avalanches et
les glaces peuvent bien quelquefois encore encombrer, mais
qui presqu'en toute saison est praticable pour les voitures les
plus chargées. ,
Les talens et l'intelligence des ingénieurs contribuèrent
puissamment à acevnplir la pensée de l'Empereur ; et cette
fois du moins ses vues militaires se trouvèrent d'accord avec
l'utilité. Le chemin ouvert aux armées sert aujourd'hui à
multiplier les relations commerciales entre la France et
l'Italie; l'avenir en recueillera sans doute de plus bienfai-
sans résultats encore.
M. Céard donne tous les détails des plans de constructions
et des correspondances qui eurent lieu à ce sujet, entre les
ministres de la guerre et de l'intérieur, ainsi que le directeur-
général des ponts-et-chaussées et les ingénieurs chargés de
l'exécution. On y voit que dans ces travaux une belle part
de gloire revient à son père , dont l'active persévérance
sut vaincre à la fois tous les obstacles de la nature et les
lenteurs de l'administration. Quant à la partie pittoresque,
au lieu de descriptions qui , quelque poétiques qu'elles puis-
sent être, rendent en général la vérité des sites d'une ma-
SCIENCES ET ARTS. 199
nière fort peu satisfaisante , ce livre nous offre une suite de
dessins dus au crayon d'un jeune el habile artiste, M. Hostein,
et lithographies par Engelinann. Les vues dessinées d'après
nature tout exprès pour cet ouvrage , ont été choisies avec
goût et sagacité dans les passages de la route qui réunis-
saient à la fois l'aspect le plus séduisant et les particularités
de construction les plus remarquables. Malgré les nom-
breuses vues du Simplon qu'on a déjà publiées, celles de
M. Hostein offriront certainement un attrait de nouveauté,
car elles rendent mieux qu'on ne l'avait fait jusqu'ici, la
nature si sauvage et si majestueuse des Hautes-Alpes.
SCIENCES ET ARTS.
FXEMENS DE PHYSIQUE , par C. C. Person. 2e partie.— Paris, chez
Germer-Baillère. 1837. In-8, fig.
Nous avons annoncé, dans le courant de l'année dernière,
le premier volume de cet ouvrage. Le second, qui paraît au-
jourd'hui, traite de la chaleur dans tous les phénomènes dont
elle est la cause , dans toutes les modifications qu'elle fait
subir aux divers corps , dans tous les résultats qu'elle pro-
duit. Il renferme le Gme livre divisé en 10 chapitres, dont
voici la table : 1° Températures, mesure des températures ,
températures remarquables.
2° Changemens de volume; mesures des dilatations , usages
des tables qu'on a construites dans ce but.
3° Changemens d'état ; fusion et solidification , formation et
liquéfaction des vapeurs.
4° Force des vapeurs ; mesure de la force des vapeurs , phé-
nomène de l'ébullition , machines à vapeur.
5° Vapeurs considérées dans l'air ; phénomène de l'évapo-
ration, hygrométrie; météores aqueux.
6° Chaleur spécifique; des solides et des liquides , des gaz
et des vapeurs.
7° Chaleur latente; chaleur absorbée par la dilatation et
dégagée par la compression ; chaleur absorbée par la fusion
et dégagée par la solidification ; chaleur dégagée par la liqué-
faction et absorbée par la vaporisation.
8° Propagation de la chaleur; conductibilité, rayonnement
de la chaleur.
9° Echauffement et refroidissement; leur marche générale;
influence de la chaleur spécifique et de la chaleur latente;
influence de la conductibilité; pouvoirs absorbans , rayon-
nans , refléchissans et diatïiénniques ; echauffement annuel
et journalier; lois de Dulong et Petit.
500 SCIENCES ET ARTS.
10° Production et nature de la chaleur, chaleur produite pat'
la combustion ; sources de la chaleur ; théorie de la chaleur
d'après les idées de M. Ampère.
RECHERCHES HISTORIQEES ET CHIMIQUES SUR LE CACAO et ses
diverses préparations; par E. Delcher. — Paris, 1837. 1 vol. ln-8.
fig. 5 fr.
Ce volume renferme la description botanique du cacao,
son histoire , sa culture , sa récolte , des détails sur le com-
merce considérable qui s'en fait , sur les caractères auxquels
on reconnaît les meilleures qualités , enfin un traité bien
complet sur les diverses préparations qu'on lui fait subir, et
en particulier sur la fabrication du chocolat. L'auteur signale
tous les abus qui se glissent dans cette fabrication pour cher-
cher à produire du chocolat à très bon marché. Ici, comme
dans tous les comestibles , la fraude est d'autant plus cou-
pable qu'elle compromet la santé publique , en employant
des ingrédiens dont l'usage peut être plus ou moins dange-
reux. M. Delcher s'est livré à des analyses chimiques sur
le cacao et ses divers produits dont il donne les résultats,
et qui pourront servir soit à dévoiler les falsificateurs, soit à
éclaircir la question de savoir si l'emploi journalier du choco-
lat a quelque influence nuisible ou avantageuse sur le tempé-
rament des personnes qui en font leur nourriture habituelle.
L'usage du chocolat nous vient d'Amérique ; les Espagnols
l'apportèrent du Mexique , où depuis des temps fort recu-
lés il faisait la boisson favorite des habitans. On l'accueillit
avec faveur en Europe, d'abord comme remède merveilleux,
ensuite, lorsque l'addition du sucre et quelques perfection-
nemens apportés à sa fabrication l'eurent rendu plus agréa-
ble , comme un aliment délicieux auquel on attribuait d'ad-
mirables propriétés. De même que le café, il jouit d'une vo-
gue prodigieuse , suivie également d'une réaction violente.
Après l'avoir loué comme une panacée universelle , on le
maudit, et tous les maux de l'humanité lui furent attribués
l'un après l'autre. Au milieu de cettp discussion qui dure en-
core aujourd'hui, quoique moins violente, le chocolat comme
le café s'est naturalisé en Europe , le nombre de ses ama-
teurs a toujours été en augmentant , et les tables de morta-
lité , dont les sentences en dernier ressort sur toutes les
questions d'hygiène publique ne sauraient être suspectes ni
de passion, ni d'injustice, nous prouvent que la vie moyenne
de l'homme n'a pas diminué, depuis l'introduction de ces
comestibles nouveaux en Europe.
DE t'iMPKIMCRIt CE EEAU, »SAl.NT-CEnMAIN-lN-L»TE.
Bulletin littéraire
ET SCIENTIFIQUE.
5* eLu*U. — #gA^ 7. — fiJLu 1837.
LITTERATURE, HISTOIRE.
PLAN D'UNE BIBLIOTHÈQUE UNIVERSELLE , études des livres qui
peuvent servir à l'histoire philosophique et littéraire du genre hu-
main ; suivi du catalogue des chefs-d'œuvre de toutes les langues et
des ouvrages originaux de tous les peuples ; par L. Aimé-Martin. —
Paris, 1837. 1 vol. in-8. 7 fr. 50 c.
Ce volume renferme un brillant inventaire des richesses
littéraires et scientifiques de l'esprit humain. C'est de la bi-
bliographie bien différente de celle que l'on fait en général.
L'esprit philosophique le plus noble et le plus large est venu
animer de son souffle de vie ces nomenclatures d'ordinaire
si arides et si sèches. Toutes les ressources d'un style riche-
ment coloré sont employées à décrire, à analyser non les
titres seulement des livres, mais leur contenu; et les chefs-
d'œuvre de la pensée sont exposés , jugés , comparés entre
eux dans une suite d'aperçus brillans , auxquels on n'a-
dressera qu'un seul reproche , celui d'être trop courts. La
plupart des chapitres demanderaient à être développés, et,
dans cette revue rapide, M. Aimé Martin a posé les bases
d'une histoire de l'esprit humain, considéré dans ses mani-
festations les plus hautes et les plus durables, histoire qu'on
désirera vivement lui voir un jour écrire d'une manière plus
complète. Le plan d'une bibliothèque universelle doit servir
d'introduction au Panthéon littéraire, il est donc destiné à of-
frir le tableau des ouvrages qui feront partie de cette grande
collection. Sans nous arrêter à examiner si l'esprit mercantile
ne menace point de fausser la direction d'une pareille en-
treprise, nous reconnaîtrons, avec M. Aimé-Martin, combien
est grande et féconde l'idée de rassembler en un seul fais-
ceau toutes les lumières que la longue suite des siècles passés
a vues briller dans toutes les contrées de la terre. Populariser
les chefs-d'œuvre du génie est un des plus puissans moyens
de civilisation. Il peut rendre surtout de grands services à la
France, où l'instruction , restée en arrière du mouvement
politique, n'est plus du tout en rapport aujourd'hui avec les
iS
262 LITTÉRATURE,
institutions. Ce contraste fâcheux est la cause principale du
malaise social , c'est lui qui entrave la marche de toutes les
améliorations et qui menace de replonger la société dans de
nouveaux désastres, si l'on n'apporte au mal un remède plus
efficace que la démagogie grecque eWomaine des collèges,
ou l'éducation dévote et ascétique des écoles chrétiennes.
Puisque la loi donne au peuple une paît dans le gouverne-
ment, ne faut-il pas alors qu'on le prépare à s'en rendre
digne et capable par une instruction forte , solide et bien
complète ? Les livres seront ses maîtres, et , pour lui former
une bibliothèque vraiment encyclopédique, il faut « tirer ,
» parmi des millions de volumes écrits sur tous les sujets, à
« toutes les époques et dans toutes les langues , le petit nom-
» bre d'ouvrages qui ont reçu la sanction du génie et du
» temps. y>
La violente polémique de Voltaire et de quelques autres
philosophes du xvme siècle a combattu avec succès la su-
perstition et le despotisme théologiques. Mais trop souvent
l'autel a été renversé avec le prêtre, et, aveuglés par la pas-
sion, ces écrivains ont remplacé les erreurs qu'ils attaquaient
par d'autres erreurs non moins dangereuses. Pour tenir
l'homme en garde contre tous les préjugés qu'enfantent des
doctrines exclusives et systématiques, contre toutes les exa-
gérations de la foi et de l'autorité, rien ne saurait être plus
efficace que de lui présenter les livres sacrés de tous les
peuples, de lui montrer chacun regardant sa croyance comme
la seule vraie, et de lui faire reconnaître au fond de tous ces
cultes, plus ou moins entachés de superstition , l'existence
de ce sentiment religieux inné au cœur humain, qui est la
source de toutes les vertus, et qui fonde la morale sur les
vues manifestes duCréateur. Ainsi la bibliothèque universelle
renfermera d'abord la Bible , avec les écrits des pères de l'E-
glise, les livres sacrés des Chinois, ceux de la Perse, les Vedas
de l'Inde, le Coran.
La jurisprudence n'y tiendra pas une bien grande place,
car la législation ancienne n'offre le plus souvent qu'un dé-
dale de lois contradictoires et barbares; et nos temps mo-
dernes n'ont eux-mêmes fait que bien peu de véritables pro-
grès sous ce rapport.
■< Tant que les lois déshonoreront en punissant, tant qu'elles
fermeront la porte au repentir, nous serons hors de l'Evan-
gile et de la nature. Tant que les lois prononceront la peine
de mort; en d'autres termes, tant qu'elles ôteront ce qu'elles
ne peuvent rendre, nous serons hors du droit et de l'huma-
nité.
» Ce dernier fait mérite toute l'attention du législateur
HISTOIRE. 203
» Que l'homme à demi sauvage tue son semblable, ce nirm»
appartient à l'animal. Mais voyez ce qui arrive à mesure que
l'âme se développe : nous passons de la cruauté à la pitié, de
la pitié à l'humanité, et de l'humanité au doute. C'est le mo-
ment de la lutte. L'homme s'arrête, s'interroge, se fait juge
du meurtre que la loi couvre de son égide. Le doute lui est
apparu comme une lumière; et l'action de tuer^ qui tout-à-
l'heure lui semblait acte de justice, maintenant se termine
par une question sur le droit de tuer. Quelle route immense
parcourue par la conscience, et quel progrès sur cette route !
L'âme humaine est une flamme qui dévore toutes les erreurs !
Je ne crois pas que jamais le tigre se soit enquis du droit de
déchirer ses victimes !
»> Pour la débattre, cette question, il faut descendre dans la
fange, et de là sur la dernière marche où l'homme a faim et
où il apparaît avec sa seule intelligence animale, couvert de
baillons et la main armée par le désespoir. Il a tué, et vous
voulez le tuer; la réaction nous semble plus forte que l'ac-
tion. Vous savez ce que vous faites en punissant le criminel ;
mais lui savait-il bien ce qu'il faisait en commettant le crime ?
Et quand donc lui avez-vous enseigné l'énormité du mal ?
quel soin avez-vous prîs de son enfance ? quelle instruction
avez-vous donnée à son âme? avez-vous songé seulement qu'il
avait une âme? Vous le tuez parce que vous l'avez oublié;
vous le tuez parce qu'il est né dans la bassesse. Tous ses dé-
réglemens viennent de son ignorance et de celle de sa mère.
Si vous l'aviez instruite, sa mère, elle l'aurait éclairé. De quoi
donc venez-vous lui demander compte , à lui qui n'a rien
reçu, à lui qui n'a jamais possédé une seule parcelle de cette
science qui est la vie de l'âme, de ces richesses qui sont la vie
du corps, et dont vous, qui les ^ugez, êtes les heureux déten-
teurs ? >•
Quelques ouvrages sur le droit de la nature et des gens ,
quelques traités généraux sur les lois, voilà tout ce qui mé-
rite d'être conservé parmi ces innombrables volumes de chi-
canes , de commentaires, de discussions puériles qui sont à
la vraie science du droit ce que la théologie scolastique est
à la religion.
La philosophie n'a sans doute pas été non plus exempte de
ces disputes oiseuses que l'amour-propre de l'homme enfante
partout ; mais du moins le sujet dont elle s'occupait étant
plus élevé, on y trouve à faire une plus ample moisson de
bons grains. Il est d'ailleurs nécessaire de mettre en présence
tous ces divers systèmes, dont la comparaison est féconde en
résultats et peut seule conduire sur le chemin de la vérité.
Toutes les écoles seront donc représentées dans le Panthéon
204 LITTÉRATURE,
Littéraire, qui rassemblera ainsi les écrits des philosophes
grecs et latins, à côté de ceux plus modernes des philosophes
français, anglais, allemands.
La république de Platon, celle de Cicéron , la politique
d'Aristote, les écrits de Machiavel, de Hobbes, de J.-J. Rous-
seau, de Filangïeri, etc. etc., formeront la partie politique
de cette collection. On sera surpris sans doute, et avec raison,
de ne point voir figurer dans cette catégorie ni dans les deux
précédentes le nom de Benlham, ce grand publieiste anglais,
dont les théories, quelque opposition qu'elles aient soulevée
par leur hardiesse, par leur polémique âpre et souvent in-
juste, sont pourtant destinées à exercer une grande influence
sur l'avenir. C'est un oubli que nous signalons et qui demande
à être réparé.
L'économie politique comprendra les noms de tous les
écrivains dont les travaux ont contribué à poser les bases
de cette science moderne. On saura gré aux éditeurs d'y
avoir ajouté quelques écrits rares ou peu connus d'économis-
tes français , remarquables par leurs vues larges et avancées.
Du reste le fragment suivant pourra faire apprécier dans quel
esprit M. Aimé-Martin conçoit cette science.
« L'économie politique est une science large, universelle,
fraternelle ; elle repose d'une part sur la loi physique, qui
assigne à chaque climat des produits divers , et d'autre part
sur la loi morale, qui ne fait qu'une seule famille du genre
humain.
» Voyez sorti? des ports de l'Europe et de l'Asie cette mul-
titude de vaisseaux, ceinture animée du Globe : les uns ont
le soleil au zénith, les autres ne le voient qu'à l'horizon ,
ou voguent aux lueurs des aurores boréales. Tous vont dis-
tribuer les productions des divers pays entre des peuples
qui ne se sont jamais vus. Le triste Lapon dissipe ses ennuis
avec le tabac que lui envoie le planteur brésilien, et il pare
sa compagne d'un mouchoir teint en rouge sur les bords
du Gange. L'hermine, tuée dans les neiges du Kamtschatka,
enrichit le dolman des princes de l'Asie, et le nègre de l'A-
frique échange sa poussière d'or contre des barres de fer
coulées en Sibérie, ou des feuilles de papier blanc qu'il croit
faites avec les lames de son ivoire. Partout où l'homme peut
pénétrer , il est sûr de rencontrer quelques richesses nou-
velles. Ici ce sont des moissons de cannes à sucre, là des
prairies d'indigo bleuâtre et des forêts de cotonnier; ailleurs
la cochenille, ailleurs le cannellier ; plus loin les gousses du
cacao et les siliques de la vanille. Un cercle de thé fume
depuis la Chine jusqu'en Angleterre , et les parfums de la
fève de Moka se répandent à la fois sur l'Asie et sur l'Europe,
HISTOIRE. 105
tandis que les vins joyeux de France pétillent dans la coupe
de toutes les nations.
» Eh bien ! ces trésors de la nature que la Providence fait
ressortir à la moralité, à la civilisation de la grande famille
humaine, des prohibitions insensées les circonscrivent et les
arrêtent aux frontières de chaque peuple. Partout vous voyez
des gouvernemens établir des lignes contre le bien-être et l'a-
bondance , comme ils en établiraient contre la peste. Ici des
sentinelles repoussent à coups de fusil le blé qui nous arrive
de l'étranger et dont les riches convois feraient tomber, dit-
on, le pain à trop bas prix; là, des bandes de douaniers sai-
sissent et brûlent des tissus de laine et de coton qui auraient
couvert la nudité des habitans d'une province. Aujourd'hui
on prohibe le bétail pour favoriser les nounisseuis , demain
on prohibera le fer pour favoriser les maîtres de forges , tou-
jours aux dépens des consommateurs. Vainement la loi de la
nature donne à chaque climat son produit , à chaque nation
son industrie, à chaque territoire sa richesse. La loi du fisc
aspire à changer tout cela. Privilèges, monopoles , violences,
tarifs onéreux , troupes de douaniers , elle arme tout contre
le pauvre, prohibe la marchandise, met à l'index la pensée,
poursuit l'intelligence au profit de la tyrannie et les produc-
tions industrielles au profit de quelques privilégiés , isole les
peuples, et, sous prétexte de maintenir la balance du com-
merce , va soulevant partout des famines et des misères fac-
tices , au milieu des richesses de l'univers !
» Terminons en rappelant la belle maxime de Quesnay,
inspirée par Fénélon : laissez faire et laissez passer! Laissez
faire et laissez passer, cela veut dire : plus de barrières, plus
de tarifs, plus de privilèges, plus de prohibitions, plus de
monopoles, plus de douanes! Laissez faire et laissez passer!
c'est la loi de la nature opposée aux lois humaines, le premier
et le dernier mot de la science économique : il résume tout
par la liberté ! »
Cet éloquent plaidoyer en faveur de la liberté du commerce
ne sera certainement pas inutile à sa cause. C'est bien com-
prendre la mission du littérateur que d'employer ainsi son
talent à propager de tels principes et à les mettre par l'attrait
du style à la portée des gens du monde , que les profondes
abstractions des sa vans repoussent trop souvent.
M. Aimé-Martin possède à un haut degré l'art de revêtir
la science de formes gracieuses et aimables. On lira avec un
vif plaisir le tableau qu'il trace des sciences naturelles et de
l'astronomie. Dans cette dernière partie surtout il s'élève à
des considérations générales et philosophiques pleines de
grandeur; on y trouve des aperçus ingénieux et féconds qui
206 LITTÉRATURE ,
font regretter que l'auteur n'ait pu développer davantage ses
idées.
On remarquera également avec satisfaction que, pour l'his-
toire naturelle , les éditeurs du Panthéon se sont surtout at-
tachés à reproduire les œuvres des grands observateurs et
qu'ils font figurer dans leurs catalogues les noms de Bonnet,
deSwammerdam, de Geer, Trembley, Réaumur, etc., à côté
de Pline, Linnée, Bufton , etc.
La théorie et l'histoire des beaux-arts formeront quelques
volumes composés en grande partie d'ouvrages allemands et
italiens.
Enfin les belles-lettres et l'histoire complètent la biblio-
thèque universelle et fournissent à M. Aimé-Martin l'occa-
sion de passer en revue l'histoire littéraire de presque to^s les
peuples. C'est une brillante esquisse, dont chaque trait peint
le génie sous quelqu'une des milles formes diverses qu'il a
tour-à-tour revêtues. Nous regrettons que les bornes d'un
article nous empêchent de suivre pas à pas l'auteur dans cette
galerie magique où il nous conduit. Mais le critique est un
peu semblable au Juif-Errant, il a comme lui son mauvais
ange qui le poursuit et lui crie : Marche , marche ! Si quel-
que pelouse verte et fleurie s'offre à lui , à peine y a-t-il
étendu ses membres fatigués qu'il faut reprendre son bâton
de voyage et recommencer à lutter contre les durs cailloux
qui encombrent sa route. Avant de quitter M. Aimé-Martin,
nous ferons seulement remarquer que si le Panthéon littéraire
suivait scrupuleusement et consciencieusement le plan qui
lui est ainsi tracé , cette collection renfermerait en quelque
sorte tout l'ensemble de la véritable révélation divine, telle
qu'on peut dire qu'elle se manifeste dans les incarnations du
génie au milieu de tous les siècles et de toutes les nations. Ce
serait le trésor de l'esprit et de l'âme , le seul monument hu-
main peut-être qui n'eût rien à craindre des injures du temps.
Mais il faudra pour atteindre ce but des efforts soutenus, des
travaux sérieux et une volonté ferme, car aujourd'hui plus
qu'à tout autre époque la spéculation et le charlatanisme se
tiennent prêts à fondre sur toute entreprise qui offre quelque
chance de gain.
LES VOIX INTÉRIEURES , par Victor Hugo. — Paris,"1837. 1 vol. in-8 de
334 pages, dont 87 blanches. Prix : 8 fr.
« Si le livre qu'on va lire est quelque chose , il est l'écho ,
» bien confus et bien affaibli sans doute , mais fidèle , l'auteur
» le croit , de ce chant qui répond en nous au chant que nous
» entendons hors de nous. »
HISTOIRE. 207
Voilà la définition que M. Victor Hugo donne lui-même
de son titre. Par voix intérieure il entend la poésie dans son
essence intime, et ce livre doit donc être considéré comme
l'expression bien complète de son système , de son école. Il
mérite d'autant plus d'être examiné avec attention, que l'au-
teur continue dans sa préface d'exalter sur le ton le plus
dogmatique la fonction du poète.
« Ce que ce volume contient, dit-il, les autres le conte-
naient; à cette différence près que dans les Orientales , par
exemple , la fleur serait plus épanouie ; dans les Voix inté-
rieures, la goutte de rosée ou de pluie serait plus cachée. La
poésie , en supposant que ce soit ici le lieu de prononcer un si
grand mot, la poésie est comme Dieu : une et inépuisable. »
» Le poète » , ajoute-t-il plus loin , « a une fonction sérieuse.
Sans parler même ici de son influence civilisatrice, c'est à lui
qu'il appartient d'élever, lorsqu'ils le méritent, les événe-
mens politiques à la dignité d'événemens historiques. »
Voilà donc le poète érigé en juge suprême de l'histoire, et
pour justifier de si hautes prétentions, l'auteur débute par
deux poésies politiques, l'une sur l'Arc-de-Triomphe de
l'Etoile , l'autre sur la mort de Charles X.
On comprend bien sans doute que l'Arc-de-Triomphe avec
les grands souvenirs qu'il rappelle puisse prêter à la poésie.
C'est le plus grand monument du règne prodigieux de ce fou-
dre de guerre qui secoua si violemment toutes les nations de
l'Eure. C'est tout ce qu'il reste à peu près de cette insatia-
ble ambition qui voulait conquérir le monde.
Mais pour M. Victor Hugo , tout cela paraît n'être que
secondaire, et ce qu'il admire le plus, c'est le monument lui-
même , c'est sa masse matérielle ; il s'enthousiasme à la pen-
sée que dans l'avenir le temps en fera une ruine couverte
de mousse et à moitié écroulée.
O vaste entassement ciselé par l'histoire !
s'écrie-t-il ,
Monceau de pierre assis sur un monceau de gloire !.
Edifice iuoui!
Toi que l'homme par qui notre siècle commence,
De loin, dans les rayons de l'avenir immense.
Voyait, tout ébloui1.
A ta beauté royale il manque quelque chose.
Les siècles vont venir pour ton apothéose
Qui te l'apporteront.
Il manque sur ta tête un sombre amas d'années
Qui pendent pêle-mêle et toutes ruinées
Aux brèches de ton front.
208 LITTÉRATURE,
La pierre est toute-puissante sur la verve de notre poète ,
surtout la pierre noircie , ébréchée , prête à écrouler.
Ce n'est pas, ce n'est pas entre des pierres neuves
Que la bise et la nuit pleurent comme des veuves.
Hélas', d'un beau palais le débris est plus beau !
Pour que la lune émousse à travers la nuit sombre
L'ombre par le rayon et le rayon par l'ombre ,
Il lui faut la ruine à défaut du tombeau.
Et il se plaît à prévoir un temps ou de Paris tout entier, il
ne restera plus que l'Arc-de-Triomphe, la colonne de la place
Vendôme et les tours de Notre-Dame. Cette idée est féconde
pour la méditation , mais il s'arrête à la surface , il ne voit
toujours que la partie matérielle, la forme des choses et
comme dans son
Monceau de pierre assis sur un monceau de gloire,
il enterre volontiers la pensée sous la matière au risque de
l'étouffer. Ainsi il décrit complaisamment et avec les plus
minutieux détails tous les changemens que le temps fera
subir à ces masses de pierre qui lui semblent si poétiques ,
et laisse aux lecteurs le soin d'en tirer toutes les réflexions
philosophiques que leur aspect est susceptible d'inspirer.
Après avoir passé en revue toutes les cités détruites, il
ajoute : 0
Mais toi! rien n'atteindra ta majesté pudique,
Porte sainte ! jamais ton marbre véridique
Ne sera profané.
Ton cintre virginal sera pur sous la nue;
Et les peuples à naître accourront tète nue
Vers ton front couronné.
C'est qu'on n'a pas caché de crime dans ta base,
Ni dans les foudernens de sang qui s'extravase!
C'est qu'on ne te fit point d'un ciment hasardeux,
C'est qu'aucun noir forfait semé dans ta racine
Pour jeter quelque jour son ombre à ta ruine ,
Ne mêle a tes lauriers son feuillage hideux !
Tandis que ces cités, dans leur cendre enfouies,
Furent pleines jadis d'actions inouïes,
Ivres de sang versé ,
Si bien que le Seigneur a dit à la nature :
Refais-toi des palais dans cette architecture
Dont l'homme a mal usé!
HISTOIRE. 309
Aussi tout est fini; Le chacal les visite!
Les murs voiit décroissant sous l'herbe parasite; '
L'élang s'installe et dort sous le dôme brisé ;
Sur les Nérons sculptés marche la bête fauve ;
L'antre se creuse ou fut l'incestueuse alcôve ;
Le tigre peut venir où le crime a passé.
Ces quatre strophes pèchent également par la fausseté des
idées, des images et le mauvais goût du style. L'Arc-de-
Triomphe de l'Etoile n'a-t-ii pas au contraire coûté des torrens
de larmes , des misères sans nombre , et sa base ne repose-
t-elle pas sur des flots de sang ? N'est-il pas le trophée de la
victoire , et la victoire peut-elle se remporter sans joncher le
champ de bataille de morts et demourans? Et puis, que
signifie un ciment hasardeux ? Qu'est-ce que le feuillage hideux
d'un noir forfait ? Quelle majesté y a-t-il dans ce Dieu qui dit
à la nature : Refais-toi des palais, etc.
Je n'ai pas besoin d'ajouter que dans toute cette pièce les
vers se traînent laborieusement comme si chacun d'eux por-
tait une des plus lourdes pierres de l'édifice. L'harmonie et
la clarté paraissent être au reste les dernières choses dont
se soucient nos poètes du jour.
La mort de Charles X a inspiré à M. Victor Hugo une
assez longue pièce qui offre les mêmes défauts , et qui de
plus montre une singulière prétention à la générosité , à la
grandeur d'âme. Le sujet par lui-même ne semble pas fort
poétique. Charles X n'a jamais durant sa vie, avant, pendant
ou après son règne, fait aucune de ces actions d'éclat, bonnes
ou mauvaises, qui méritent d'être chantées et exaltées par
la poésie. Esprit faible , intelligence bornée , dévotion su-
perstitieuse , voilà quels furent les ti'aits distinctifs de son
caractère. Dans des temps ordinaires, il eût régné comme
tant d'autres , sans bruit, au milieu des petites intrigues de
cour et de sacristie. Mais les circonstances difficiles dans les-
quelles il arriva sur le trône, exigeaient d'autres facultés que
les siennes ; elles ne développèrent en lui rien de grand, rien
de remarquable, et lorsque renversé par les luttes des factions,
le vieillard se vit obligé d'aller finir ses jours dans l'exil, il
s'y résigna sans peine et disparut tout-à-fait de la scène po-
litique si peu faite pour lui. Sa mémoire ne saurait être en
butte ni à la haine , ni à la persécution. Ce n'était pas
l'homme que l'on chassait , c'était son entourage ,£c'était ce
dangereux cortège d'émigrés et de prêtres qui en faisaient
l'instrument de leur ambition. On ne voit donc pas ce que la
fonction du poète peut avoir de commun avec un semblable
règne , et surtout quelle espèce de courage il prétend dé-
210 LITTÉRATURE,
ployer en consacrant sa lyre à en rappeler les souvenirs. Ce
sont là de grands mots, qui ne signifient rien ; car bien certai-
nement aujourd'hui, nul ne se soucie des regrets que peut
exprimer tel ou tel fidèle serviteur du vieux roi. Aussi trouve-
t-on en effet bien peu de vraie poésie dans cette pièce. On y
distinguera une ou deux strophes seulement, dans lesquelles
le poète peint les trois enfans de France entourant leur mère,
dont ils étaient l'espoir et l'orgueil, et pour laquelle ils
eussent été des sujets de tourmens cruels et d'angoisse affreuse,
si elle avait pu lire dans l'avenir et prévoir les destinées qui
attendaient Louis XVI , Louis XVIII et Charles X. Mais
après ce court passage , le poète s'écrie :
O rois! ô familles tronquées!
Brusques écroulemens des vieilles majestés,
O calamités embusquées
Au tournant des prospérités!
et continue jusqu'à la fin sur ce ton, qui est indigne du
talent qu'il a montré d'autres fois, et le fait en vérité des-
cendre au-dessous de la médiocrité.
Mais ce n'est encore là qu'une des voix dont parle M. V.
H. dans sa préface , la voix des évènemens. Il y a de plus la
voix de la nature et la voix du cœur. Voyons quels échos ces
deux dernières font vibrer chez lui. Ici comme ailleurs,
nous trouvons d'abord dans l'expression des idées un lan-
gage embarrassé, obscur, trivial, abrupte, que nous avouons
ne pas comprendre , et dont des citations peuvent seules
faire la critique. Voici pour le genre descriptif :
Une vache était Ta, tout-a-1'henre arrêtée,
Superbe, énorme, rousse et de blanc tachetée,
Douce comme une biche avec ses jeunes faons;
Elle avait sous le ventre un beau groupe d'enf'ans ,
D'enfans aux dents de marbre, aux cheveux en broussailles,
Frais et plus charbonnés que de vieilles murailles,
Qui, bruyans, tous ensemble, à grands cris appelant
D'autres qui, tout petits, se hâtaient en tremblant,
Dérobant sans pitié quelque laitière absente,
Soûs leur bouche joyeuse et peut-être blessante,
Et sous leurs doigts pressant le lait par mille trous,
Tiraient le pis fécond de la mère au poil roux.
Elle, bonne et puissante et de son trésor pleine
Sous leurs mains par momens faisant frémir à peine
Son beau flanc pius ombré qu'un flanc de léopard,
Distraite, regardait vaguement quelque part.
Ailleurs, c'est une pensée qui s'offre à vous connue un
HISTOIRE. 211
trait profond, si profond en effet qu'il est une véritable
énigme, pour quiconque cherche à en deviner le sens :
Dans Virgile parfois, Dieu tout près d'être un ange,
Le vers porte à sa cime une lueur étrange.
Que de gens s'extasieront devant ces deux vers en s'écriant :
Suhlime î ô poète ! ô génie prodigieux ! Car le monde est
ainsi fait; la clarté l'offusque ; comprendre est un travail
que dédaigne l'intelligence paresseuse ; la raison doit , dit-
on, se taire devant la poésie comme devant la musique, et
l'on s'extasie d'autant plus que l'on comprend moins.
Mais il me semble alors qu'on doit exiger de l'une comme
de l'autre cette harmonie pure et suave, qui satisfait l'oreille
si elle ne parle pas à l'esprit, et surtout ce sentiment noble
qui émeut et élève l'âme. Or écoutez ces vers sur la nature
et sur Dieu :
L'hiver des nuages sans nombre
Sort, et chasse l'été du ciel ,
Pareil au temps, ce faucheur sombre
Qui suit le semeur éternel !
Le pauvre alors s'effraie et prie.
L'hiver hélas ! c'est Dieu qui dort ;
C'est la faim livide et maigrie
Qui tremble auprès du foyer mort.
Un ange frappe à sa porte , il entre et dit :
Je suis la Charité, l'amie
Qui se réveille avant le jour,
Quand la nature est rendormie
Et que Dieu m'a dit : A ton tour !
Quelle majesté! ce Dieu qui dort et qui dit à la Charité :
à ton tour! En vérité, c'est un Pont-Neuf sur l'air d'un can-
tique. Il n'y a là ni l'accent de la foi, ni l'élan de l'âme.
Il n'y a que des mots, et dessous, le néant. Cependant , la
conviction seule peut faire le poète. Quelle inspiration y a-
t— il là où elle manque? Et sans inspiration qu'est-ce que
la poésie ? Un vain jeu de l'esprit qui tord péniblement des
mots et des phrases pour s'astreindre à une prosodie gênante,
qui perd]alors tout son mérite. D'effort en effort, on arrive
même à n'en plus respecter les règles et à faire , comme
I M. Victor Hugo , rimer le mois de mai avec aimé.
Mais du moins la voix du cœur vibre-t-elle chez notre
j poète? Ici encore la critique ne pouvant descendre dans
î\1 LITTÉRATURE,
le for intérieur de l'homme, doit se borner à citer le pas-
sage suivant d'une poésie adressée à Eugène Vte . H., qui
paraît avoir été le compagnon des jeux de son enfance," s'il
n'était même uni à notre auteur par des liens plus chers :
Puisqu'il plut au Seigneur de te briser, poète;
Puisqu'il plut au Seigneur de comprimer ta tête
De son doigt souverain,
D'en faire une urne sainte à contenir l'extase,
D'y mettre le génie, et de sceller ce vase
Avec un sceau d'airain ;
Puisque le Seigneur Dieu t'accorda, noir myslère!
Un puits pour ne point boire, une voix, pour le taire,
Et souffla sur ton front,
Et comme une nacelle errante et d'eau remplie,
Fit rouler ton esprit à travers la folie,
Cet Océan sans fond ;
Puisqu'il voulut ta chute, et que la mort glacée,
Seule, te fit revivre en rouvrant ta pensée
Pour un autre horizon;
Puisque Dieu, l'enfermant dans la cage charnelle,
Pauvre aigle, te donna l'aile et non la prunelle,
L'âme et non la raison ;
Tu pars du moins, mon frère, avec ta robe blanche !
Tu retournes à Dieu comme l'eau qui s'épanche
Par sou poids naturel!
Tu retournes à Dieu, tête de candeur pleine,
Comme y va la lumière et comme y va l'haleine
Qui des fleurs monte au fiel !
Tu vas dormir là haut sur la colline verte,
Qui, livrée à l'hiver, à tous les vents ouverte,
A le ciel pour plafond ;
Tu vas dormir, poussière, au fond d'un lit d'argile ;
Et moi je resterai parmi ceux de la ville
Qui parlent et qui vont !
Et plus loin , faisant un retour sur lui-même , mettant en
opposition avec le repos de la mort, avec la poussière du
défunt, sa carrière à lui, qui est resté le dernier, il dit en-
tr'autres :
Quand le peuple au théâtre écoute ma pensée,
J'y cours, et là, courbé vers la foule pressée,
L'étudiant de près,
Sur mon drame touffu dont le branchage plie,
J'entends tomber ses pleurs comme la large pluie
Aux feuilles des lorêts!
HISTOIRE. 213
O vanité ! tu séduis l'homme avec tes trompeuses illusions.
Tu le précipites dans un gouffre recouvert de belles fleurs ,
et il semble que plus il enfonce , plus tu fais luire à ses
yeux leurs couleurs brillantes et variées.
Quand on reporte ses regards vers les heureux débuts du
poète , et qu'ensuite dans ses œuvres on suit pas à pas les
phases de sa décadence, on ne peut s'empêcher de songer à
cet arc-de-triomphe
Monceau de pierre assis sur un monceau de gloire
auquel^ il manque pour être parfait
un sombre amas d'années
Qui pendent pèle mêle et toutes ruinées
Aux brèches de son frout.
On dirait vraiment que M. V. H., dans son amour des
ruines, a voulu se contempler lui-même réduit à cet état
de béatitude. Il a travaillé à s'écrouler de son vivant, et
ravissant aux siècles futurs une part de leurs prérogatives,
il a réussi à se donner une apparence de vétusté aux yeux
mêmes de ses contemporains. Il a pris le ciseau du temps,
ce grand sculpteur, comme il l'appelle lui-même, et s'est
mis hardiment à l'œuvre. On peut comparer son talent à
un rocher colossal , sur lequel son génie frappe incessam-
ment avec un lourd marteau. Chaque coup fait voler mille
éclats de rocs durs, aigus, qui se choquent les uns contre
les autres et au milieu desquels jaillissent çà et là quelques
étincelles brillantes, mais éphémères.
LA BATRACHOMYOMACHIE D'HOMERE, traduite en français par J. Ber-
ger de Xivrey; 2e édition augmentée d'une dissertation sur ce poëme,
traduite de l'italien de M. le comte Léopardi; et de la guerre comi-
que, ancienne imitation en vers burlesques. — Paris , 1837. In-18. 5 fr.
Ce petit poëme attribué à Homère, et toujours publié sous
son nom, quoique les sa vans s'accordent en général à recon-
naître qu'il a dû avoir un autre auteur, est, dans son genre,
un chef-d'œuvre véritable. La grâce et l'invention s'y trouvent
réunies au plus haut degré avec la gaîté des détails comiques
et l'esprit mordant de la satire; car il y a bien certainement
quelque intention de ce genre cachée dans ce charmant badi-
nage ; soit que l'auteur ait voulu, comme le pensent quelques
érudits, parodier l'Iliade, soit qu'il ait cherché à travestir
cette bravoure guerrière si désastreuse, si commune, et pour-
214 LITTÉRATURE,
tant si généralement vantée comme le véritable apanage des
héros.
La traduction de M. Berger de Xivrey était déjà connue,
puisqu'une première édition s'est épuisée. En la publiant de
nouveau, il y a ajouté une excellente dissertation de M. le
comte Léopardi sur les discussions littéraires auxquelles la
Bratrachomyomachie adonné lieu, et une ancienne imitation
en vers français, qui, publiée pour la première fois en 1668,
était presqu'entièrement oubliée. On lui saura gré de re-
mettre au jour cette Guerre comique , dans laquelle se trouve
toute la plaisante verve de Scan on, avec moins de licence et
plus de délicatesse que n'en a montré dans ses œuvres ce
poète bouffon. Toutes ses recherches n'ont pu lui apprendre
à quelle plume est due cette bagatelle, qui offre plusieurs traits
d'allusion aux événemens historiques des deux premiers tiers
du xvume siècle, et maints détails de mœurs fort curieux. Le
morceau suivant nous apprend ce qu'on pensait à cette épo-
que des rats de cave :
Gens, depuis que Je monde est monde,
IN'ont fait sur la terre et sur Tonde
Tant de dommages et de maux,
Comme ces pestes d'animaux.
C'est la plus méchante vermine,
La soldatesque plus mutine,
Les espions plus fins et plus cauts,
Qui soient dans tous les pieds d'escaux.
Leur chef estoit un maniacle,
Plus méchant qu'un démoniacle,
Qui s'appelait Croquejambon,
Un vrai Busire, un lestrigon,
Un mange-peuple, un intraitable.
Un loup, un tigre inexorable,
Qui se vantait de dégrader
( Mais Dieu l'eu veuille bien garder ! )
Jupiter, et dans le ciel mesme
Establir le gros et huitième;
Et si cela faschoit les Dieux,
Mettre des garnisons chez eux.
C'est bien plus : il eût fait encore
Pis, s'il eût pu, le matamore;
Car il n'avait ni foy, ni loy :
Pourtant il servoit bien le roy.
Nous trouvons aussi plus loin la preuve que les pluies de
grenouilles ne sont pas chose nouvelle, car en parlant des
troupes que mit sur pied le peuple des marais, pour résister
à l'armée formidable des rats, l'auteur dit :
HISTOIRE. 215
Du Nil et des autres rivières
Il en sortit des fourmilières :
Mesme il en plut en quelque endroit
Des régimens. à ce qu'on croit.
HISTOIRE DE LA CROISADE CONTRE LES HERETIQUES ALRIGEOIS .
écrite en vers provençaux par un poète conteaiporain ; traduite et
publiée par M. C. Fauriel. — Paris , imprimerie royale , 1837, 1 gros
vol. in-4. 24 fr.
Voici un monument historique bien curieux, qui nous pré-
sente un tableau complet de la croisade contre les Albigeois.
On y retrouve, dans les plus grands détails, l'image de cette
lutte désastreuse, dans laquelle des opinions religieuses d'a-
bord, puis des rivalités d'ambition servirent de prétextes aux
plus atroces barbaries. L'auteur, qui ne saurait être suspect
de partialité, puisqu'il se pose dès le principe comme un en-
nemi déclaré des hérétiques, contre lesquels il épuise toutes
les formules de l'indignation pour exprimer sa haine de l'hé-
résie, l'auteur peint des couleurs les plus noires la marche de
cette croisade, qui fondit comme une affreuse tempête sur la
Provence, traînant partout à sa suite le massacre et le pillage.
Le fer et le feu détruisaient tout sur son passage. On ne faisait
pas de quartier. Les guerres de religion sont toujours sans
merci. Les hommes étaient égorgés, les femmes brûlées, les
enfans et les vieillards écrasés ou torturés de mille façons. Enfin
la cruauté des chefs alla si loin, que l'opinion publique en fut
révoltée. Nous en avons une preuve dans notre auteur lui-
même, qui, après avoir d'abord donné toutes ses sympathies
à l'armée des croisés, dont il ne peut assez louer le courage et
la sainte entreprise dans la première partie de la guerre, fait
tout-à-coup volte-face vers le milieu de son poème, et sans
se prononcer davantage pour les hérétiques , laisse paraître
ouvertement toute l'horreur que lui inspire la barbare con-
duite des croisés.
On ne saurait trouver un tableau plus vrai et plus vivant
de cette époque agitée. La traduction de M. Fauriel repro-
duit avec bonheur la simplicité et la grâce naïve de l'original,
tout en éclaircissant le sens, souvent obscur, d'un récit un
peu diffus. C'était d'autant plus difficile, que ce poème n'est
pas écrit avél une bien grande pureté, et contient une foule
de termes corrompus ou peu usités. Il a fallu que le traduc-
teur en fît une étude toute particulière. Mais M. Fauriel a
été soutenu dans ce pénible travail par la pensée de vendre
à l'histoire de cette époque un de ses documens les plus im-
216 LITTERATURE,
portans. En effet , ce poème, tout imparfait qu'il soit, offre
un tableau curieux des mœurs et des usages du temps où il a
été écrit. Quoique l'auteur ne fût sans doute guère préoccupé
du désir de peindre la société, on retrouve cependant une
foule de traits qui nous la font connaître, et d'ailleurs cette
chronique en vers est le monument le plus complet qui nous
reste de cette guerre si longue et si sanglante. La plupart des
auteurs qui ont écrit sur ce sujet, y ont puisé plus ou moins
directement, mais c'est la première fois qu'on en publie le
texte entier. M. Fauriel a rendu ainsi un vrai service aux
lettres, et ce volume était bien digne de figurer dans la
grande collection historique, publiée par les ordres du mi-
nistre de l'Instruction publique.
FABLES ET méditations, par Ulric Giittinguer. — Paris, chez Jou-
bert. 1837. In-8. 3fr.
Ce volume renferme plusieurs fables qui ne sont certai-
nement pas sans mérite. On y remarque, en général, une
simplicité naturelle, une poésie facile et gracieuse , qui sont
bien appropriées à ce genre d'écrit. Peut-être , n'y a-t-il pas
toujours assez de finesse dans la manière dont la morale est
amenée. Quelquefois on sera surpris de trouver à la fin de la
fable une sentence assez banale , et trop peu saillante pour
mériter les honneurs de l'apologue. Cependant , je dois le
dire , c'est le plus petit nombre auquel peut s'adresser ce re-
proche , et on lira toujours avec plaisir des fables telles , par
exemple , que les Feuilles et le Vent :
Sur un impur fumier des feuilles oubliées
Y languissaient humiliées.
Le vent souffle !... leurs bataillons
Montent en légers tourbillons ,
Voila mes folles dispersées,
Et vers les cieux en tous sens élancées.
Fièresde leurs nouveaux destins,
Les sottes se croyaient des aigles pour le moins :
Voyez! voyez donc, criaient-elles
Aux oiseaux qui, comme l'éclair,
Franchissaient l'espace de l'air,
Nous aussi nous avons des ailes! !
Nous irons loin.... Personne n'en doutait
Du moins tant que le vent soufflait;
Mais il cessa, leur sort changea de face;
Et le bataillon glorieux
Revint confus et furieux
Reprendre sa première place !
HISTOIRE. 217
Que d'orgueilleux sont promptement déçus!
Que de sots dont le temps nous venge,
Et qui retombent dans la fange
Quand le vent ne les soutient plus !
Les Méditations sont empreintes d'une teinte religieuse très-
prononcée. L'auteur cherche dans le christianisme un refuge
contre toutes les déceptions de la vie , et y appelle avec lui
tous ses amis qui restent encore en dehors du temple. Une
poésie adressée à M. Sainte-Beuve, une autre à M. Alfred de
Musset , leur reprochent d'ouhlier Jésus et la Croix , et les
conjurent devenir le rejoindre au pied du Calvaire. C'est une
dévotion mystique qui a inspiré à l'auteur des vers sages et
harmonieux dans la forme , mais le fond en paraîtra vide à
bien des lecteurs.
Dans une pièce sur Ncuilly , M. Guttinguer adresse au roi
de grands éloges; mais il faut convenir qu'il emploie de bien
singuliers raisonnemens pour prouver la supériorité de la
monarchie sur la république. Il met dans la bouche d'un
vieillard , ces étranges paroles :
La République! ah! ah! je connais son histoire;
J'ai de ses assignats encor daus mon armoire;
Je les montre a mon fils, qui m'a l'air quelquefois,
En lisant les journaux, de dédaigner les Rois;
Et, tirant un louis, argument sans réplique :
Voila ma Royauté, voila ta République ;
Et je lui mets en main le vieux papier menteur
Qui ruina mon père, au temps de la Terreur.
De tels argumens peuvent bien être dans l'esprit de notre
époque ; mais on conviendra qu'ils ne sont guère poétiques.
les quatre premiers livres DE tÉLÉMAoue françaîs-anglais et
prononciation figurée en regard , avec la traduction interlinéaire
selon le génie de la langue anglaise , par M. Peyrot. — Paris , chez
Mansut. 1837. In-8. obi. 4 fr. 50 c.
Ce Télémaque est comme le Manuel de la langue anglaise, du
même auteur, destiné plus particulièrement à l'usage des per-
sonnes qui veulent étudier seules, sans le secours d'un maître.
Dans ce but, la même page offre sur trois colonnes, 1° le texte
français coupé par phrases courtes, faciles à saisir et à retenir ;
2° la traduction anglaise ; 3° la prononciation rendue autant
que cela est possible, par des syllabes françaises et par quelques
16
218 LITTERATURE,
signes conventionnels qu'il faut d'abord étudier. Sur la page
opposée à celle- ci , on retrouve encore la traduction anglaise ,
avec l'interprétation française interlinéaire et mot à mot. De
cette manière, il est facile de comprendre et de comparer l'un
avec l'autre les caractères distinctifs des deux langues, de
bien saisir le génie propre à cbacune d'elles , et de se rendre
compte des moyens à employer pour traduire avec fidélité et
élégance , en faisant passer d'une langue dans l'autre , sans
trop les altérer , les beautés originales du style. Sous ces di-
vers rapports , ce petit ouvrage est fort bien conçu , et peut
être d'une très-grande utilité. Je ferai seulement ici la même
observation que j'ai déjà faite, au sujet de la prononciation
écrite, eu rendant compte du Manuel de M.. Peyrot. Il me
semble impossible d'apprendre, de cette manière, à bien
prononcer l'anglais. D'abord il est des sons tels , par exemple,
que celui du th , qui n'ont aucune espèce de correspondant
en français ; maintes dipbtbongues anglaises se trouvent dans
le même cas. Et , en général , les sons de la langue anglaise
sont si peu francs , si incertains , qu'on ne parvient jamais ,
que fort imparfaitement, à les rendre par l'écriture. Ainsi
lie supposée! ne se prononce certainement pas comme un Fran-
çais prononcera hi seuppost ; virtue ne se dit pas vertchiou ,
etc., etc.
Sans doute cette interprétation , quelque grossière qu'elle
soit , peut faciliter au maître le travail de se faire compren-
dre de ses élèves. Mais dès qu'il ne sera plus là avec sa pro-
nonciation correcte , pour leur indiquer comment il faut pro-
noncer cette prononciation écrite , il est fort à craindre qu'ils
ne tombent dans de singulières erreurs , et ne finissent par
parler une langue que ni Anglais , ni Français, ne sauraient
comprendre.
On peut apprendre seul à lire une langue; mais pour la
prononcer , il faut la parler , et un maître est indispensable
dans celte étude qui est toute d'imitation. Quelque ingénieuse
que paraisse la méthode de M. Peyrot , les personnes qui dé-
sirent en retirer tout le fruit possible, feront bien de prendre
plus d'une leçon de lui, ou de tout autre bon maître d'an-
glais. Du reste, quelque méthode qu'on adopte , le Téêémaquc
de M. Peyrot doit être conseillé comme un excellent livre élé-
mentaire, parfaitement bien adapté au but que l'auteur a eu
en vue, celui de rendre moins pénibles et moins repoussans
les premiers pas qu'on fait dans l'étude d'une langue étrangère.
HISTOIRE. 219
la coi'rtisane ET i.e marïyb, par Edouard Féal. — Paris , chez
SchwartzetGagnot, libraires, place St. -Germain l'Auxerroi s, n° 20.
1837.il vol. in-8. 7 fr. 50 c.
Ce volume renferme la première partie d'un drame histo-
rique , que l'auteur nous promet en sept volumes in-8° , et
dont le sujet est la destinée de la ville de Toulouse , à l'épo-
que où elle comptait parmi les plus fameuses cités du monde.
Il nous la montre d'abord au milieu de la lutte du christia-
nisme contre les derniers efforts des druides gaulois et du
paganisme romain. Il veut peindre la corruption abominable
des mœurs du vieux monde ; ce chaos moral au milieu du-
quel la religion du Christ vint tout-à-coup apporter sa ré-
forme austère , son renoncement au monde , ses doctrines de
charité et de sacrifice.' Un grand-prêtre du culte druide animé
d'un fanatisme cruel et féroce, un gouverneur romain livré à
tous les excès de la luxure la plus effrénée, lafille du prêtre gau-
lois vouée d'abord à la débauche et à la prostitution , puis
convertie au christianisme ; enfin, un apôtre du christianisme
qui périt victime de la rage aveugle de ses ennemis, et dont
le martyr ne sert qu'à mieux assurer le succès de la cause à
laquelle il sacrifie courageusement sa vie : voilà les princi-
paux personnages mis en scène par l'auteur. Avec de tels élé-
mens , il pouvait nous offrir des tableaux pleins de vie, d'in-
térêt, d'originalité, et faire de curieuses études sur cette
période de transition si peu connue et si importante. Mal-
heureusement M. Féal ne paraît pas s'être bien pénétré de
l'esprit des temps qu'il veut décrire. Ses druides parlent un
langage qui ne put jamais être que celui de leurs ennemis les
plus ardens; ses Romains sont de vils débauchés , sans esprit
ni grandeur ; il ôte au paganisme toute espèce de poésie , et
fait de ses cérémonies de dégoûtantes orgies , sans la moindre
teinte de foi religieuse ; ses chrétiens eux-mêmes ne sont que
de pâles et froides copies de ces figures énergiques et grandes ,
qui nous apparaissent entourées d'une auréole brillante , au
milieu de ces siècles de ténèbres , auxquels ils apportaient la
lumière au péril de leur vie. M. Féal aurait mieux fait ,
peut-être , d'écrire l'histoire d'une autre manière. La forme
dramatique qu'il a adoptée est sans doute plus propre à
frapper le lecteur, et à peindre l'époque avec sa phvsionomie
originale et ses mœurs si différentes des nôtres; mais elle
exige un talent bien supérieur et des études beaucoup plus
profondes. Combien n'avons-nous pas vu déjà d'écrivains dis-
tingués se fourvoyer sur cette route! et parmi toutes les tenta-
tives de ce genre essayées dans ces derniers temps , c'est à
peine si l'on en compte une ou deux qui soient dignes d'être
220 LITTÉRATURE,
citées, La seule, peut-être, qui soit une œuvre hors de ligne,
et qui mérite de prendre place parmi les gloires littéraires de
notre époque , est due à la plume d'un homme de génie. C'est
Goetz de Berlichingen à la main de fer , qui nous offre un
admirable tableau de ce moyen-âge , tant prôné et si peu
compris par la plupart de nos écrivains modernes. Un tel
chef-d'œuvre est bien fait pour exciter la plus noble ambi-
tion ; mais il est plus facile d'admirer que d'imiter Goethe.
■REVUE DU NORD : Numéro de mai 1837. ln-8. Le prix de l'abonnemenî
est 40 fr. par an pour Paris.
Ce numéro renferme les articles suivans :
1° Des Klccdes de C. L. Woitsitski. Sous ce titre un sa-
vant va publier le recueil des traditions et des chants popu-
laires de la Pologne et de la Russie. C'est une mine tout-à-
fait neuve à exploiter et qui , si l'on en juge par les extraits
que renferme cet article, promet d'être féconde. Cette poésie
du Nord est empreinte d'une teinte sauvage et mystérieuse
qui excite vivement la curiosité. Sa mythologie étrange , le
merveilleux qui règne dans tous ses récits, le sentiment pro-
fond qui s'y révèle, enfin, les détails de mœurs qu'on ne
peut retrouver que là, et qui servent à faire connaître les an-
ciens peuples slaves, tout se réunit pour donner un vif intérêt
à ces débris d'une littérature presque tout-à-fait ignorée.
1° Sur la littérature flamande, les poètes flamands et les res-
titutions littéraires à faire aux Belges ; fragment trop court et
un peu sèchement écrit , dans lequel on passe rapidement en
revue les principaux titres de gloire des vieilles provinces
belges. L'auteur aurait donné plus d'intérêt à ses recher-
ches en y ajoutant quelques développemens ; et la littérature
belge est si peu connue qu'il serait nécessaire aussi de don-
ner des analyses et des citations de la plupart des ouvrages
dont il fait mention.
3° Goethe jugé par Menzcl; article traduit de l'un des plus
célèbres critiques de l'Allemagne. Le génie de Goethe y est
apprécié d'une manière assez juste sans engouement ni pré-
vention. Il rond hommage aux puissantes facultés du poète
allemand , mais il fait aussi ressortir la funeste influence
qu'il a exercée sur son siècle, dont il a reflété dans sa poésie
toutes les faiblesses et tous les vices. 11 fut le poète du maté-
rialisme et n'employa presque constamment son talent qu'à
chanter et à exalter les jouissances physiques. L'âme et ses
besoins religieux furent trop souvent oubliés par lui.
4° Recherches sur les Scandinaves et la Scandinavie ; travail
HISTOIRE TU
de géographie antique et d'histoire par le général G, de Vau-
doncourt , dans lequel il considère Odin, le chef mystique
des Ases et de la nation gothique, comme un personnage
fictif qui désignait le soleil, objet de l'adoration de ces an-
ciens peuples. Il présente un tableau chronologique des rois
Scandinaves, depuis la plus vieille époque historique qui suc-
céda à la dissolution du gouvernement théocratique central.
La durée de ce gouvernement est inconnue, mais semble se
rapporter à ce que les récits de l'Edda appellent le règne
d'Odin. M. de Vaudoncourt donne un court abrégé de l'his-
toire du Daneinarck , de la Suède et de la Nonvège , jusque
vers le milieu du onzième siècle. Ces savantes recherches of-
frent un haut intérêt.
5° De l'influence de la distribution du revenu agricole sur le
développement économique et politique des nations. Cet article,
dû à la plume d'un économiste allemand, a pour but de mon-
trer combien le degré de liberté et de prospérité d'un peuple
se trouve toujours en rapport avec les institutions qui régis-
sent la distribution du revenu agricole. L'indépendance du
cultivateur est la première condition et la plus sûre base de
la liberté politique. Un coup-d'œil jeté sur les diverses con-
trées de l'Europe suffit pour s'assurer de ce rapport constant,
et il est assez généralement reconnu aujourd'hui que la
grande division de la propriété produit une distribution plus
égale et plus juste de la riebesse.
6° Documcns inédits sur l'Islande ; tableaux statistiques des
mariages, des naissances, des morts, des maladies et de la
population de différentes villes.
7° Particularités sur la Suisse, traits historiques , détails de
mœurs qui servent à faire connaître le pays et ses habitans.
Nous citerons le suivant comme l'un des plus caractéristiques
et des plus remarquables : « Le landammaun d'Àppenzell ,
Gebhard Zûrcher , était laboureur , et charpentier de profes-
sion. Le matin , il présidait le conseil et prenait part aux tra-
vaux des commissions ; l'après-midi , il cultivait son champ
ou travaillait dans son atelier. Un patricien d'une des prin-
cipales villes de la Suisse , qui avait des affaires importantes
dans le canton d'Appenzell , trouva le landamann chez lui et
occupé des travaux de son état ; mais , voyant cet homme en
tablier de cuir , le patricien se mit à l'aise , se couvrit , et ,
jouant avec sa badine, il lui exposa ce qui l'amenait. Quand il
eut terminé , — A qui voulez-vous parler? lui demanda le lan-
dammann, est-ce au paysan Gebhard Ziircher ou au landam-
mann du canton? — Au landaminann naturellement, répondit
le patricien d'un ton dégagé. — Dans ce cas, découvrez- vous,
reprit Gebhard Zûrcher, avec une noble fierté, et répétez-moi
222 LITTÉRATURE,
l'affaire à laquelle le landàmann n'a rien compris , car il pen-
sait que vous parliez au paysan votre égal. »
8° Miscellanées, choix de fragmens de littérature traduits du
russe ou de l'allemand, et correspondance scientifique de
Russie, de Suède, d'Autriche, de Hongrie etdeValachie. L'un
des morceaux les plus remarquables de cettp dernière partie
est Un déjeuner en enfer, par le baron Bramheus. On y
trouve une mordante critique de la littérature moderne.
HISTOIRE DE LA CONFÉDÉRATION SUISSE, par Jean de Millier, Robert
Gloutz-Dlozheim et / .-./. Hottinger , traduite de l'allemand avec des
notes nouvelles et continuée jusqu'à nos jours par Ch. Monnard et
L. Vulliemin.— Paris, 1837. Tome 2. In-8. 7 fr.
Le serment du Grùtli , l'expulsion des baillis autrichiens
qui en fut la conséquence , la bataille de Morgarten où les
Suisses surent si bien défendre la liberté qu'ils avaient con-
quise , les destinées de Zurich sous son dictateur Rodolphe
Broun, celles plus brillantes de Berne, sous le commande-
ment de son grand citoyen Rodolphe d'Erlach , enfin la ba-
taille de Laupen : tels sont les grands événemens qui se pres-
sent dans ce volume et qui forment la partie vraiment
héroïque de l'histoire de Suisse. Le plus vif intérêt s'attache
au récit de Muller, et son traducteur a heureusement repro-
duit cette éloquence mâle et simple avec laquelle l'historien
allemand trace le beau tableau de ce petit peuple, qui par sa
prudence et son courage sut se créer une existence indépen-
dante, secouer le joug de l'Autriche et se maintenir contre
les nombreuses armées qui furent plus d'une fois levées dans
le but de le faire rentrer dans la servitude. C'est là qu'il faut
étudier comment un pays, quelque pauvre et quelque peu
étendu qu'il soit , peut être fécondé par l'amour de la li-
berté, par le vrai patriotisme , et s'assurer ainsi une longue
prospérité dans l'avenir , une belle place dans les fastes de
l'histoire. La révolution de 1308, qui posa les premières bases
de la Confédération Helvétique, fut pure de tout excès. Con-
fiais dans leur bon droit, les habitans des Waldstetten ne
versèrent pas une goutte de sang, lisse contentèrent de faire
jurera leurs ennemis qu'ils ne rentreraient plus dans le pays,
et lorsque ceux-ci, infidèles à leur parole, s'avancèrent avec
une puissante armée sur le champ de bataille de Morgar-
ten , les Suisses se jetant à genoux implorèrent le secours du
Tout-Puissant et se précipitèrent avec un courage indomp-
table sur les rangs bardés de fer de la noblesse autrichienne.
Ce fut un étrange spectacle au milieu des ténèbres du
moyen âge, que de voir des paysans vaincre des seigneurs, et
HISTOIRE. 223
ceux-ci durent éprouver une humiliation bien forte, lorsque,
après avoir fait de grands préparatifs pour marcher à une
conquête qu'ils regardaient comme facile et assurée, ils se vi-
rent obligés de fuir en désordre, en laissant à Morgarten bon
nombre des leurs. L'alliance étemelle fut alors renouvelée en-
tre les trois premiers cantons, auxquels vint bientôt se joindre
Lu cerne.
Les villes de Zurich et de Berne commencèrent aussi à
prospérer et à s'assurer une existence indépendante , en ra-
chetant de divers seigneurs des droits, privilèges et hypothè-
ques, et en se plaçant comme villes libres sous la protection
de l'Empire. Zurich fut agitée par des dissensions intestines,
qui altérèrent sa constitution et la soumirent pendant quel-
que temps à une faction populaire, ou plutôt au pouvoir
d'un ambitieux qui savait flatter la foule et s'en servir comme
d'un instrument.
Berne eut une autre lutte à soutenir. La noblesse, irritée
des prétentions et de la fierté de ces bourgeois qui paraissaient
se croire les égaux des seigneurs, entreprit une formidable
expédition contre cette petite république. De tous côtés, des
comtes et des barons, des ducs et des princes, accouraient
pour prendre part à cette entreprise qui promettait un riche
butin et une satisfaction complète a l'honneur blessé de tous
ces nobles.
Berne, dans ce péril, confia sa bannière aux mains du cheva-
lier d'Erlach, et députa auprès des Waldstetten pour leur expo-
ser sa position. Quoique l'alliance de ceux-ci avec les Ber-
nois fût expirée, ils'répondirent à l'envoyé : « Cher sire de
» Krambourg, ;la véritable amitié paraît dans le péril; allez à
» Berne, dites à vos concitoyens que le peuple des Waldstet
» ten leur fera voir comment il pense. » ,
Bientôt neuf cents hommes des Waldstetten, trois cents, du
Hasli, quatre mille bourgeois de Berne et quatre-vingts cava-
liers de Soleure furent réunis près de Laupen, où Erlach ju-
gea convenable de se poster pour attendre l'ennemi.
Les deux armées ne tardèrent pas à se trouver en présence,
et des défis furent échangés entre les hommes des divers par-
tis. Enfin le signal fut donné. « Les frondeurs se précipitè-
rent les premiers sur l'ennemi ; ils firent chacun trois jets,
troublèrent ses rangs et se retirèrent. De lourds chariots de
guerre en fer roulèrent avec fracas dans les rangs rompus ;
des guerriers combattaient avec fureur du haut de ces chars
qu'ils ne pouvaient faire reculer. Cependant ceux de l'arrière-
garde, inaccoutumés aux manœuvres des frondeurs, prirent
leur retraite pour une fuite et se sauvèrent dans la forêt; leur
action remarquée jeta du trouble dans les esprits et fut
224 LITTÉRATURE ,
rapportée au général ; à cet instant, Erlach cria aux troupes,
avec un visage calme et serein : « Amis, nous sommes vain-
queurs, les lâches sont partis; » et Sur-le-champ, tandis que
les chariots de guerre continuaient d'agir, lui, la bannière de
la ville de Berne dans ses mains, et accompagné de ces jeunes
gens, le noyau de son armée, il pénétra puissant, irrésistible,
dans l'infanterie ennemie. Bientôt les Bernois et leurs alliés
furent en effet vainqueurs. La noblesse en déroute combattit
en vain avec courage, ses plus vaillans guerriers tombèrent
sur le champ de bataille, les autres durent prendre la fuite.
» Quand après la poursuite des ennemis , les troupes se
fuient réunies sur le champ de bataille, toute l'armée de la
ville de Berne se mit à genoux pour remercier Dieu d'avoir
béni l'habileté d'Erlach et leur courage , comme il aime à le
faire. Erlach loua leur subordination : « Je n'oublierai jamais,
» dit-il, que je dois cette victoire à la confiance de mes conci-
» toyens et à votre vaillance, braves, loyaux, chers amis et
» soutiens des Waldstetten et de Soleure ; quand nos descen-
» dans ouïront l'histoire de cette bataille, ils estimeront par-
» dessus tout , comme dans ce jour, cette amitié mutuelle ;
» dans leurs dangers et dans leurs guerres, ils réfléchiront de
» quels aïeux ils sont les enfans. » Pendant ce temps, d'autres
pansaient les blessés ; on donna des sauf-conduits à ceux qui
désiraient emporter les corps des leurs dans les tombeaux de
leurs familles ; d'autres furent entassés dans de grandes fos-
ses, à l'endroit où ils succombèrent. Lorsque la garnison de
Laupen vit arriver les bannières amies, beaucoup pleurèrent
comme on pleure à la lecture ou au récit de grandes actions
auxquelles on eût voulu concourir.
» L'armée victorieuse passa cette nuit-là sur le champ deba-
taille , suivant la coutume. Le lendemain , chacun fut de
bonne heure sur pied. En avant marchaitDieboldBaselvvind;
suivaient les bannières conquises, les armes et les cuirasses
des grands qui périrent; sur toutes les figures brillait la
victoire remportée par la vertu qui dépend de l'homme sur
la puissance que donne la fortune. Au milieu de ces pensées,
ils entrèrent dans la ville de Berne. Erlach après avoir re-
nouvelé la gloire de son père en sauvant la république, dé-
posa le suprême pouvoir. Les Bernois et les Suisses des
Waldstetten se prêtèrent un serinent de confédération. »
Ce fut ainsi que la ville de Berne s'acquit un rang et une
renommée que sa petite étendue semblait ne devoir jamais
lui permettre d'atteindre. Elle se distingua par la sagesse de
ses conseils, par la prudence de ses actions, par sa valeur
dans les combats, et commença dès-lors à s'élever à un haut
degré de prospérité.
HISTOIRE. 22J
Le récit de Mullcr offre un intérêt toujours plus vif à me-
sure qu'il avance, on y rencontre une foule de détails de
mœurs fort curieux ; c'est vraiment l'histoire du peuple suisse
et non pas seulement celle de ses gouvernemens. Les vues
élevées de l'auteur savent faire jaillir du moindre trait de ce
genre une pensée profonde, formulée avec clarté et conci-
sion.
FLOREXCE ET SES VICISSITUDES : 1215 - 1790; par M. Delécluze. —
Paris, 1837. 2 vol. in-8. iig. 16 fr.
Cet ouvrage est remarquable, sous le rapport des recher-
ches historiques ; mais il n'offre pas un récit suivi : ce
sont plutôt des documens précieux à consulter sans doute,
mais qui ne présentent pas beaucoup d'attrait à la lecture.
M. Delécluse a divisé son travail en six parties distinctes : les
ti'ois premières renferment une sorte de chronique des évé-
nemens les plus remarquables des annales de Florence , dans
les trois périodes de la république , de l'oligarchie et de la
monarchie que cette ville célèbre a successivement traver-
sées pendant ces six siècles.
Les trois dernières parties traitent du gouvernement , de la
philosophie et des mœurs. On voit que l'auteur s'est livré à
de sérieuses études; il a compulsé tous les monumens des
temps passés ; il s'est inspiré de l'aspect des lieux qu'il décrit,
il ne parle que d'après des autorités certaines. Mais son œu-
vre n'est pas terminée ; elle manque d'ensemble et paraît être
un assemblage de matériaux plutôt qu'une histoire propre-
ment dite. C'est un dépouillement d'archives et de chroni-
ques fait avec érudition, qui aplanira la route aux historiens
tentés d'aborder ce même sujet. On trouvera de l'intérêt
dans les considérations sur l'influence et les résultats des di-
verses formes de gouvernement qui se succédèrent à Flo-
rence. Le tableau des vicissitudes politiques de cette ville est
riche en grandes leçons, en expériences cruelles.
« En jetant , dit M. Delécluze , un regard rapide sur les
trois phases de l'histoire de Florence : la république , l'oli-
garchie et enfin la monarchie médicéenne, on peut faire une
observation importante : c'est que les résultats heureux , ob-
tenus par le peuple florentin à ces trois époques, sont d'une
nature différente , tandis que le mal qui a miné constamment
et détruit chacun de ces gouvernemens est le même. Sous la
république, la cité de Florence conquiert sa franchise , fonde
son commerce et voit naître un poète et une poésie qui se-
ront toujours pour elle un titre de gloire; le gouvernement
226 LITTÉRATURE ,
oligarchique rend le commerce plus florissant encore. L'éru-
dition , la philosophie , les arts prennent un essor non moins
élevé , non moins glorieux que la poésie , sous la monarchie
des grands-ducs de la maison Médicis ; l'agriculture est remise
en honneur, les sciences et la philosophie grandissent , s'éten-
dent et s'élèvent avec le génie puissant de Galilée. Mais
malgré tous ces élémens de vie intellectuelle pour le peuple
florentin, depuis 1218 jusqu'à 1700, un mal incurable a tou-
jours arrêté le développement des institutions et des lois qu'il
a voulu se donner ou qu'on lui a imposées; ce mal est la mau-
vaise administration de la justice.
» En cdhsidérant la politique des Etats sous l'aspect moral,
la forme des gouvernemens n'est jamais qu'une question ac-
cessoire. Ce qui importe avant tout , est que les droits de
chacun , si restreints ou si étendus qu'ils puissent èlre, soient
définis, reconnus , respectés et défendus par les lois. Or c'est
ce qui a manqué à cette belle et malheureuse Florence, sous
la république , pendant l'oligarchie et quand elle a été gou-
vernée par les grands-ducs Médicis. Riche par son commerce,
par sa poésie, par ses arts et par sa science , elle a été pau-
vre de lois, ignorante de justice , vivant toujours d'illusions
folles et s'attachant à l'ombre, sans s'inquiéter même de quel
bien elle devait se saisir. » Cette observation est pleine de
justesse, les formes politiques sur lesquelles on se dispute
avec tant de passion, avec tant de violence et de déraison,
ne sont point dignes de l'importance qu'on leur donne. On
veut les poser comme des principes, tandis qu'au contraire
elles sont des conséquences que le temps seul peut amener.
L'éternelle justice avec tous ses résultats logiques, voilà l'uni-
que base sur laquelle puisse s'élever une liberté féconde et
durable. Les modifications de formes viennent après et
d'elles-mêmes, lorsque le moment est arrivé où elles doivent
passer de l'opinion publique dans les institutions de l'Etat.
Les mœurs des Florentins sont peintes par des extraits de
mémoires écrits à diverses époques, qui contiennent une foule
de détails très-curieux sur la vie privée des citoyens au mi-
lieu des luttes acharnées de la guerre civile, ou dans la bril-
lante prospérité d'une paix glorieuse qui fait fleurir les lettres
et les arts avec tant d'éclat.
Il est fâcheux que M. Delécluze donne souvent à son style
un tour pénible et diffus. Au lieu de parler à la première
personne , soit du singulier, soit du pluriel , il emploie con-
stamment le pronom impersonnel , on. On a dit, on ajoutera,
on remarquera , sont des expressions qui reviennent à chaque
page avec une affectation marquée , et cette manière avec la-
quelle l'auteur s'isole du public, paraissant dédaigner de
HISTOIRE. 22"
s'adresser directement à lui , n'est ni gracieuse , ni favorable
à la narration.
Un plan de Florence et divers médaillons gravés avec
beaucoup de soins , accompagnent ces deux volumes.
PROVINCE DE CONSTAXTIXE. RECUEIL DE REXSEIGXE.MEXS pour
l'expédition ou l'établissement des Français dans cette partie de
l'Afrique septentrionale ; par M. Dureau de la Malle , membre de
l'Institut. Paris , chez Gide, 1837. In-8. Avec une carte. 6 fr.
Chargé de réunir tous lesdocumens historiques, topographi-
queset archéologiques qui pouvaient servir à faire connaître la
province de Constantine, M. Dureau de la Malle a puhliédivers
articles à ce sujet, dans les Annales des Voyages, et les réunit
aujourd'hui en un volume qui pourra offrir un grand intérêt ,
si surtout le projet d'expédition n'est pas abandonné. M. Du-
reau de la Malle n'ayant pas été dans le pays , ne le décrit que
d'après ce qu'en ont dit les auteurs anciens ou modernes, et
d'après les renseignemens à lui fournis par quelques voya-
geurs. Il sera donc curieux de vérifier sur les lieux mêmes
l'exactitude de ces rapports, et de voir jusqu'à quel point
un mémoire de savant, rédigé uniquement d'après des livres,
peut servir à la connaissance d'une contrée.
Ce travail est divisé en trois parties principales : Description
du pays ; Statistique spéciale; Géographie comparée; Archéolo-
gie. La première et la dernière sont sans doute celles qui peu-
vent inspirer le plus de confiance ; la province de Constan-
tine avait été occupée par les Romains , et ils ont laissé de
nombreux renseignemens sur la nature du sol et sur la géo-
graphie. C'est également sur ces deux points , ainsi que sur les
monumeils antiques dont les ruines subsistent encore, que
les voyageurs modernes fournissent les données les plus cer-
taines ; et les recherches de M. Dureau de la Malle présen-
tent , sous ce rapport , un véritable intérêt. Tous les écrivains
anciens et modernes , qui ont parlé de cette province , s'ac-
cordent à vanter la fertilité de son sol. Elle parait offrir la
position la plus avantageuse pour l'établissement des Euro-
péens sur la côte d'Afrique. Son climat est plus sain que
celui des autres parties de la Régence; « le voisinage et la tem-
pérature froide des montagnes ne doivent pas peu contribuer
à préserver Constantine de l'influence morbifique des cha-
leurs. » Les nombreux monumens antiques dont elle ren-
ferme les ruines, prouvent quel développement elle avait
S ris sous la domination des Romains et sous celle des rois
[umides.
228 PHILOSOPHIE,
Quant à la partie statistique du livre de M, Dureau de la
Malle , elle ne peut être que fort hypothétique. Dansées con-
trées à demi barbares , il n'existe pas de documens officiels ,
et les voyageurs ne sauraient se procurer que des données
tout;à-fait vagues sur la population , sur les revenus , sur les
mœurs des pays dans lesquels ils séjournent si peu. Pour
tout ce qui concerne la statistique , l'occupation seule pourra
fournir des renseignemens exacts; et d'ailleurs, à cet égard
surtout, la conquête , si elle avait lieu , changerait rapide-
ment toutes les relations existant aujourd'hui.
Une fort belle carte d'une partie de la province de Con-
stantine accompagne ce volume.
PniLOSOPniE, MORALE, EDUCATION.
ETIENNE ET VALEXTIN ou mensonge et probité , par M11" S. lilliac
Trémadeure; ouvrage couronné. — Paris, chez Didier, 1837. 1 Toi.
In-12. 3fr. 50 c.
Ce volume , qui s'offre à nous sous la couverture de la Bi-
bliothèque d'Education, ne doit pas plus que tous les autres
livres du même auteur, être confondu avec la foule des pro-
ductions de ce genre. Non-seulement il se place hors de ligne,
par le talent avec lequel il a été conçu et écrit , mais encore
le but que s'est proposé l'écrivain , lui assure un rang distin-
gué parmi les ouvrages de haute morale, dont l'influence peut
amener les résultats les plus utiles.
La Société pour le patronage des jeunes libérés a su di-
gnement apprécier son mérite , en accordant à mademoi-
selle Ulliac le prix qu'elle avait fondé pour le meilleur livre
destiné à être mis entre les mains des malheureux en fan s ,
dont elle s'occupe avec tant de sollicitude. On ne saurait
ter que le public ne s'empresse de confirmer ce jugement,
et que bientôt l'expérience qu'on fera de sa lecture, parmi les
jeunes détenus , n'y ajoute une sanction plus haute encore ,
en lui assurant un succès aussi durable que bienfaisant.
Essayons d'analyser cet excellent petit livre. Deux pau-
vres enfans de onze à treize ans se voient enlever à la
fois , par un affreux incendie , leurs païens et tout moyen
d'existence. L'aîné , Etienne , possède un de ces caractè-
res aimans, mais non passionnés, qui paraissent souvent à
l'extérieur faibles et nuls , jusqu'à ce. que des circonstances
viennent les développer. Valentin, au contraire, est ce qu'on
appelle une mauvaise tète, et son cœur a été gâté par la cou-
MORALE, ÉDUCATION. 229
pable indulgence de ses païens, 'dont il était le favori, le
Benjamin auquel on pardonnait tout; tandis que son frère
était souvent repoussé et obligé de concentrer ses affections
en lui-même.
Etienne et Valentin avaient été passer quelques jours à
Syrod, chez un oncle forgeron; et c'est à leur retour au vil-
lage natal , qu'ils ne trouvent plus qu'un monceau de cendres
encore fumantes , à la place de la maison de leur père. Ce dé-
sastre affreux les plonge d'abord dans un morne désespoir. Ils
s'éloignent en pleurant, et ne sachant de quel côté diriger
leurs pas. L'oncle de Syrod et quelques autres païens leur
restent encore ; mais le premier élan de la douleur passé,
Valentin reprend bientôt sur son frère l'ascendant que lui
donne son caractère léger, mais volontaire, habitué à n'être
pas contrarié; et il déclare que , puisque les circonstances
l'ont rendu libre, il ne veut pas s'aller mettre sous de nou-
velles chaînes, ni être à charge à personne. Le désir de voya-
ger, si attrayant pour le jeune âge, lui suggère l'idée d'aller
à Paris ; il propose à son frère d'employer le peu d'argent
qu'ils ont dans leurs poches à acheter quelques marchan-
dises qu'ils vendront le long de la route , et Etienne , qui
aime trop son frère pour le contredire, consent à tout.
Voilà donc nos deux orphelins sur le chemin de la Capi-
tale. L'un , toujours profondément affecté par son chagrin , se
reprochait parfois de ne pas être plutôt retourné deman-
der un asile à quelque membre de sa famille; l'autre, au
contraire, oubliant déjà ou du moins chassant loin de lui ces
tristes souvenirs de la veille , se berçait de rêves brillans , et
bâtissait d'admirables projets d'avenir. Cependant le com-
merce , sur lequel les deux frères avaient fondé leur premier
espoir, n'allait pas; et ils se virent bientôt obligés de tendre
la main aux passans pour avoir du pain. Cette humiliation
chagrinait vivement le pauvre Etienne ; mais Valentin n'y
voyait qu'une ressource toute naturelle; et, cédant à un pen-
chant malheureux qu'il avait toujours eu pour le mensonge ,
il n'était pas d'embellissement qu'il ne brodât sur le canevas
de leur aventure, pour exciter la commisération en leur fa-
veur. Le modeste atelier du tourneur , leur père , se changeait
en une vaste fabrique , et cette tactique réussissait si bien ,
que l'argent abondait, et bon gré malgré, Etienne se vit
forcé d'en profiter jusqu'à Paris.
Arrivés dans cette grande ville , les deux frères cherchèrent
à s'occuper pour gagner leur vie ; mais sans aucun guide ,
sans aucun appui , il est impossible que d'aussi jeunes garçons
trouvent à se placer. Réduits à attendre leurs seuls moyens
d'existence du produit de quelques commissions qu'ils étaient
230 PHILOSOPHIE ,
rarement charges de faire, ils sont exposés à souffrir de la
faim. Yalentiu se laisse entraîner par quelques mauvaises
connaissances ; il commet de petits vols , et se voit arrêté et
conduit au dépôt de Saint-Denis, où il retrouve son fière
qui a été également arrêté , mais seulement comme vaga-
bond, parce qu'il n'avait ni papiers ni domicile. Triste aber-
ration de la loi, qui confond ainsi le coupable avec l'innocent
malheureux, et les entasse pêle-mêle comme pour les cor-
rompre les uns par les autres.
L'aumônier de cette maison se trouve être un de ces hom-
mes rares et précieux qui accomplissent avec un zèle éclairé,
avec un dévouement intelligent, les nobles fonctions du prê-
tre. Il s'intéresse au sort des deux frères, obtient la mise en
liberté d'Etienne , et le place en apprentissage chez un horlo-
ger de Saint-Denis. Quanta Yalentin , il subit un jugement ;
mais réclamé au nom de son oncle , il est également libéré , et
le bon prêtre leur fournit les moyens de se mettre en route,
pour retourner à Syrod. Tandis qu'Etienne , profitant des le-
çons de l'aumônier, avait travaillé sérieusement chez son pa-
tron pour réparer le temps perdu , Valentin, resté au milieu
des mauvais sujets qui peuplaient la maison de Saint-Denis, y
avait puisé de détestables principes , pris des leçons de crime ,
et , lorsqu'il en était sorti , il avait trompé l'aumônier , en
ajoutant l'hypocrisie à la dépravation. Un misérable s'était
chargé de lui servir de mentor, et trop docile à ses leçons ,
Valentin forme l'abominable projet de dépouiller son frère.
A Dijon , après une nuit du plus profond sommeil, Etienne
en se réveillant ne trouve plus Valentin à ses côtés; la cein-
ture contenant leur petit trésor a disparu, et bientôt il ne
peut plus douter de l'affreuse vérité : son frère l'a volé. Ne
voulant pas perdre Valentin dans l'esprit de son oncle , en
dévoilant son infâme conduite , Etienne préfère retourner à
Saint-Denis, où le bon abbé Duménil le fait rentrer dans la
maison de l'horloger. Là, il réussit à se faire aimer et à se
rendre utile, si bien qu'après la mort de son maître, il est
chargé de la conduite des affaires ; et, quelques difficultés s'é-
tant élevées à ce sujet avec le fils de la maison, il trouve à
acheter un fonds d'horlogerie à Paris , et s'établit avec le pe-
tit héritage que lui laisse l'oncle de Syrod , qui meurt aussi
sur ces entrefaites. La réputation d'activité et de probité que
s'acquiert alors Etienne , commençait à le faire prospérer ,
lorsqu'un incident vient tout-à-coup ébranler son crédit. Une
lettre de Valentin lui apprend que ce malheureux enfant est
détenu à Poissy, par suite d'une nouvelle condamnation pour
vol. Aussitôt Etienne se rend à la prison, obtient de le voir;
rt , après une entrevue touchante , dam laquelle l'amour fia-
MORALE, ÉDUCATION. 231
ternel pardonne toutes les fautes du passé , il fait les démar-
ches nécessaires pour rendre la liberté à Valentin , et le ra-
mène dans sa propre maison , où il le prend en qualité de
commis. Cet acte si noble , si beau en lui-même , ne pouvait
être compris de tous ceux qui avaient quelque intérêt engagé
dans le commerce d'Etienne. La plupart le menacent de lui
retirer leur confiance ; mais il tient ferme , il résiste à l'orage
et garde son frère avec lui. Le succès couronne enfin de si
grands efforts; mais ce n'est pas sans peine que Valentin pai-
vient à refaire sa réputation. Il a de rudes combats à soutenir
contre ses mauvais penchans ; la sage prudence d'Etienne
vient plus d'une fois à son secours; il se trouve surtout ex-
posé à de difficiles épreuves , et ce n'est qu'à force de cou-
rage et de persévérance qu'il sort vainqueur de la lutte.
rfous ne pouvons dans cette trop courte analvse faire sen-
tir tout ce qu'offrent de remarquable les détails de cet inté-
ressant récit. Plusieurs chapitres sont écrits avec un sentiment
si vrai , si profond qu'on ne saurait les lire sans être vive-
ment ému. Les exhortations du digne abbé , la rencontre des
deux frères dans la prison de Poissy , la dernière épreuve à
laquelle est soumis Valentin, lorsque, devenu le commis-
voyageur de son frère et d'un autre négociant, il se retrouve
en présence d'un jeune homme que , dans le temps de sa
vie criminelle il avait indignement trompé , sont autant
de scènes admirablement décrites. Point de déclamations
inutiles , de sermons ennuyeux ; d'un bout à l'autre les faits
parlent d'eux-mêmes, et l'intérêt qu'ils présentent ne peut
manquer de produire le plus grand effet. Mademoiselle Ulliac
a su s'associer ainsi de la manière la plus efficace à l'œuvre
que se propose la Société pour le patronage des jeunes libérés,
œuvre qui est certainement l'une des plus utiles et des plus
importantes qu'ait entreprises la philantbropie moderne. De
semblables travaux resteront comme les monumens les plus
honorables de notre époque, car eux seuls seront capables de
faire sortir les gouvernemens de cette apathie dans laquelle
ils demeuraient jusqu'à présent plongés pour tout ce qui
concerne la morale et les plus chers intérêts de l'humanité.
DES aveugles et de leur éducation, ouvrage couronné par la Société
de la morale chrétienne , etc. , par Mme Eugénie JS'iboyet. — Paris,
chez Ah. Cherbuliezet Ce. 1837. 1 vol. in-12.3 fr.
Ce petit volume renferme l'historique des institutions éta-
blies pour les aveugles , des considérations sur le genre d'in-
struction dont ils sont susceptibles, et un plan d'améliorations
232 PHILOSOPHIE,
à introduire soit pour rendre les établissemens actuels plus
dignes de leur destination, soit pour en augmenter le nombre
et les mettre plus en rapport avec l'état présent de la popu-
lation et des lumières.
L'hospice des Quinze-Vingts fut fondé par Saint-Louis, qui
offrit ainsi un asile à 300 chevaliers, frappés de cécité durant
les guerres des croisades. Plus tard, il devint le refuge des
pauvres aveugles; mais aucun soin n'était pris de leur éduca-
tion morale, aucune tentative n'était faite pour leur fournir,
par l'enseignement d'une profession, les moyens de soutenir
eux-mêmes leur existence. Long-temps on se contenta de
nourrir le petit nombre d'aveugles que les ressources bornées
de l'établissement permettaient d'admettre , et l'on demeura
persuadé qu'il était absolument impossible de les tirer de
cet isolement forcé , auquel semblait les condamner leur
malheureuse infirmité. Ce ne fut que vers la fin du 18e siècle
que les travaux d'un philanthrope distingué , de Valentin
Ilaiïy, le frère du célèbre minéralogiste, attirèrent l'attention
publique sur cet objet et fondèrent un institut pour les jeunes
aveugles qui, après des tribulations diverses, occasionées
par les changemens politiques dont la France a été le théâtre
depuis cette époque , se trouve aujourd'hui placé rue Saint-
Victor.
Cet établissement, l'un des premiers en ce genre qui aient
été formés , excita d'abord à un haut degré l'intérêt des
savans et des philosophes, qui y voyaient à la fois une géné-
reuse pensée d'humanité et un sujet d'études fort curieuses.
Mais malheureusement le zèle qui avait su vaincre les pre-
miers obstacles s'est ralenti , on n'a point cherché à perfec-
tionner les premiers essais , et pas une amélioration en
quelque sorte n'a été introduite dans l'institut des jeunes
aveugles depuis Hauy. La plupart des élèves ne retirent
presque aucun fruit de l'instruction qu'ils y reçoivent , car il
en est bien peu qui puissent obtenir des places de professeur
dans l'établissement , et l'on ne s'occupe point assez de pro-
curer aux autres une profession qui puisse les faire vivre
sans avoir recours à la charité publique.
Il est cependant bien prouvé que les aveugles peuvent en
grande partie remplacer par le toucher et l'ouïe la vue qui
leur manque. Non-seulement une foule de faits particuliers
prouvent jusqu'à quel haut degré de perfection s'élèvent
alors ces deux autres sens , mais encore les instituts améri-
cains, organisés sur des bases bien plus larges que ceux
de l'Europe , offrent des résultats fort remarquables. On s'y
attache non pas à former deux ou trois élèves capables, par
leurs facultés supérieures, de satisfaire l'amour -propre des
y
MORALE, EDUCATION. IXi
maîtres en attirant l'attention publique , mais bien à éclairer
la masse des élèves d'une manière égale et aussi complète
que possible.
Madame Niboyet fait remarquer avec beaucoup de raison
que la prospérité de ces établissemens dans le Nouveau-
Monde, tient peut-être à ce qu'ils sont la propriété de so-
ciétés particulières. Pour cet objet comme pour beaucoup
d'autres , l'émulation et la responsabilité sont deux élémens
qui manquent au gouvernement, et dont l'absence rend
impuissans ses efforts pour le bien public.
Il serait donc à désirer que des sociétés se formassent dans
les divers départemens pour fonder autant d'instituts sembla-
bles, qu'en exigent les 20,000 aveugles que l'on compte en
France et dont environ une centaine seulement ont été
jusqu'à ce jour admis à jouir des bienfaits de l'éducation
publique.
Madame Niboyet donne des détails curieux sur le déve-
loppement des facultés morales chez les aveugles, ainsi que
sur les moyens employés pour aider leur intelligence et
éclairer leur esprit. On regrettera seulement que son livre
soit si court. Un sujet pareil pouvait facilement s'étendre
sous la plume et donner lieu à des dissertations du plus
haut intérêt. Mais l'auteur s'est plutôt renfermé dans les
faits. Un chapitre cependant est consacré à l'éducation
morale et renferme des pensées nobles et justes ; je repro-
cherai seulement à madame Niboyet d'avoir mal choisi
la citation par laquelle elle repousse l'opinion qui prétend
que les aveugles sont prédisposés à l'athéisme. Ce fragment
dans lequel un aveugle dit : « Renoncer à croire, ce serait
» non-seulement renier nos professeurs, mais aussi nos études
» littéraires et historiques, pour nous refaire au hasard un
» système qui ne nous satisferait pas. » Ce fragment ne
prou verien du tout, puisqu'il base la foi sur l'autorité et
la fait entièrement dépendre du professeur. Qu'arriverait-
il donc si ce professeur était lui-même un athée ?
LES enfans , Contes à l'usage de la jeunesse, par M""" (iuizot : 4e édi-
tion. 2 vol. in-12, fig. 8 fr. — NOUVEAUX CONTES à l'usage de la
jeunesse, par la .même. 2 vol. in-12, fig. 8 fr. — Paris, 1837. Chez
Didier.
Vcici d'anciennes connaissances, de vieux amis d'enfance
qu'on retrouve toujours avec un nouveau plaisir, quand on
les rencontre sur sa route. Lorsque les contes de Mme Guizot
parurent pour la première fois, nous étions encore des en-
l7
234 l'HlLOSOPHlh,
fans, et nous n'avons pas oublié l'intérêt avide avec lequel
nous dévorions ces charmantes scènes, où toutes les meil-
leures leçons pour l'enfance sont habilement cachées dans
des récits pleins d'un attrait irrésistible. Que de soirées dé-
licieuses passées à lire les Aventures d'un Luuis d'or , les tri-
bulations du Premier jour de Collège , ou les vicissitudes de la
pauvre Franrou! Et avec quel chagrin on se voyait forcé de
fermer' le volume lorsque sonnait l'heure du repos. Que de
fois on soupirait après l'époque où l'on serait assez grand
pour pouvoir veiller tant qu'on voudrait avec ses auteurs fa-
voris ! Hélas! le temps s'enfuit rapidement, cet âge arrive
bientôt ; mais avec les années vient aussi la raison, le juge-
ment se forme, les illusions s'envolent, et combien peu il
■.este alors d'ouvrages d'imagination qui résistent au critérium
«lu bon sens froid et posé !
Mais si aujourd'hui nous n'éprouvons plus les mêmes joies
et les mêmes émotions en parcourant ces pages qui remuaient
si fortement notre cœur dans l'enfance , nous sommes aussi
plus capables d'apprécier dignement les mérites de l'écrivain,
tant sous le rapport du but moral que sous celui de la forme
et du style. Cet examen estl'écueil contre lequel viennent se
briser la plupart de nos premières sympathies; bien des au-
teurs qui avaient fait les délices de notre jeune âge, tombent
alors tout-à-coup du piédestal sur lequel nous nous étions
plu à les élever ; mais il en est aussi dans le nombre quelques-
uns qui résistent, car l'enfance bien dirigée n'est pas toujours
un mauvais juge, et ses suffrages naïfs sont quelquefois con-
firmés par la raison de l'âge mûr. IMme Guizot est peut-être,
parmi les écrivains du commencement de ce siècle, celle qui
a le mieux mérité et le plus complètement obtenu celte
gloire durable et précieuse, parce que ses ouvrages ont tou-
jours été inspirés par un but moral, noble et élevé, qu'elle a
constamment suivi avec une ferme persévérance, et auquel
l'imagination s'est subordonnée, sans abdiquer pour cela son
pouvoir magique. Ses contes sont en général vrais d'un bout
à l'autre, et si un reproche peut leur être adressé, c'est que
parfois là grâce de la narration est sacrifiée à la réalité, les
détails sont un peu crus, la forme un peu sèche. Mais ce dé-
faut, si c'en est un aux yeux de l'homme de lettres, passe
inaperçu pour l'enfant, et contribue même à lui faire mieux
comprendre le sens du récit. D'ailleurs, hâtons-nous de le dire,
ce n'est que le plus petit nombre de ses écrits qui offre cette
mm l> t fiction. La plupart sont aussi remarquables par la
foi tue que par le fond, et quelques-uns de ses contes sont de
i ha; niantes esquisses tracées avec, autant d'art que de vérité.
Us nit eelade précieux smtout > que tout y est à la portée des
ÉCONOMIE POLITIQUE, ETC. 23)
jeunes lecteurs auxquels ils sont destinés etqu'on peut les leur
abandonner entièrement sans craindre qu'ils y rencontrent
aucun préjugé, aucune idée fausse, aucune impression fâ-
cheuse. On peut être certain qu'ils n'y puiseront ni exagéra-
tion sentimentale, ni sensibilité prétentieuse. Il y règne une
piété élevée, une religion pure et raisonnable, un saint amour
de la vertu, dont les semences jetées dans des cœurs encore
tout neufs, ne peuvent que produire d'excellens fruits pour
l'avenir. Mais une chose dont devraient bien se convaincre les
païens qui mettent de semblables livres entre les mains de
leurs enfans, c'est qu'il faut cultiver le sol pour que la se-
mence germe, c'est qu'il ne faut pas repousser les premiers
élans de ces jeunes âmes par l'indifférence, ou ce qui est pire
encore, par l'ironie du doute. L'éducation est l'affaire la plus
importante de la vie, et c'est celle dans laquelle la plupart
des hommes agissent avec le plus de légèreté, à laquelle ils
consacrent la moindre partie de leur temps et de leurs pei-
nes. Ltonnez-vous après cela si le monde va de travers, si la
société présente tant de tableaux tristes et bonteux ! Là est le
véritable siège du mal, là est la plaie qui ronge notre ordre
social.
LEGISLATION, ECONOMIE POLITIQUE, COMMERCE.
TRAITÉ DE LÉGISLATION, ou Exposition des lois générales suivani
lesquelles les peuples prospèrent , dépérissent ou restent stationnai-
res ; par Charles Comte. T édition. — Paris , chez Chamerot. 4 vol.
in-8. 32 fr.
N'ayant point rendu compte de cet ouvrage lors de sa pu-
blication , nous saisissons avec empressement l'occasion qui
s'offre à nous de réparer cet oubli. M. Ch. Comte fut un de
ces hommes malheureusement trop rares qui cultivent la
science par amour pour elle, pour son heureuse influence sur
le bonheur de l'humanité, et non dans de simples vues de
gloire ou d'ambition personnelles. Il ne fit (peut-être pas
son chemin comme bien d'autres, mais il en fit faire quelque
peu du moins à ces idées de vérité et de justice qui ont tant
de peine à se propager dans le monde, parce que chacun,
après s'en être servi comme d'un moyen pour parvenir, les
abandonne bientôt et les foule aux pieds dès qu'il pense n'en
avoir plus besoin.
Le principal but de ses travaux fut d'appliquer l'analyse à
l'étude des sciences morales et , cherebant les expériences
236 LÉGISLATION,
qu'offrent les faits accomplis et qui sont les seules qu'on
puisse avoir, de discerner quelles sont les causes qui entraî-
nent tel ou tel résultat clans la société, afin de pouvoir corri-
ger ou détruire celles qui ne produisent cpie de funestes abus,
que des maux déplorables.
Remontantà l'origine de la législation, il commence par com-
battre l'opinion de ceux qui veulent que tout soit basé sur le
sentiment moral inné dans le cœur de l'homme, et prétendent
ainsi ériger la conscience en principe absolu. Il fait voir com-
bien peu sont sûres et claires les données de ce sentiment moral ,
il montre combien peu ceux-là mêmes qui veulent en faire la
base des lois, le croient infaillible, puisqu'ils se garderaient
bien de le laisser seul diriger leurs enfans dès leurs premiers
pas sur le sentier de la vie. On prétend que nous avons en nous
une conscience qui nous fait distinguer le bien et le mal, qui
nous avertit de nos fautes, nous approuve lorsque nous agis-
sons avec droiture , nous blâme lorsque nous foulons aux
pieds la justice; et cependant, loin de se fier à ce sentiment
qu'on dit si certain, on ne cesse de travailler, en quelque
sorte dès notre naissance, à nous inculquer des principes, à
nous prescrire ce qu'on regarde comme bon, à nous défendre
ce qui est mauvais. C'est qu'on est bien forcé de reconnaître
que la conscience a besoin d'être formée par l'éducation, que
ce sentiment vague comme il a dû l'être pour que l'homme
fût libre et responsable de sa conduite, doit être déterminé
par l'influence sociale. La conscience ne peut donc pas être
un principe ; c'est un instrument qui rend des sons divers
suivant la manière dont il est accordé, et la morale qui doit
lui servir de diapason est obligée de chercher ailleurs sa base.
M. Comte rejette aussi les diverses définitions données avant
lui de ce qu'on appelle lois naturelles. Il ne pense pas qu'elles
existent d'une manière bien déterminée et croit que nous de-
vons appeler de ce nom simplement certaines causes de
prospérité et certaines causes de dépérissement, qui produi-
sent constamment les mêmes effets sans que nous puissions y
-rien changer. Un homme a pris du poison, il en meurt; voilà
la loi naturelle : c'est la logique qui veut qu'un principe une
fois posé, toutes ses conséquences en découlent. La principale
et la première étude du législateur doit donc être celle des
résultats que produit tel ou tel principe. 11 faut, ne pouvant
faire des expériences nouvelles sur un pareil sujet, qu'il pro-
fite de celles du passé et recherche dans les annales de tous les
peuples du monde, les données qu'elles peuvent lui fournir
sur l'influence de toutes les institutions établies au milieu
d'eux. Le sentiment moral ne lui servira pas de seul guide
dans ce travail, car ce serait vouloir juger d'après lesprin-
ÉCONOMIE POLITIQUE, ETC. 337
cipes de son étlucation particulière des conditions sociale»
qui leur sont tout-à-fait étrangères, et prétendre établir dès
l'entrée sa propre supériorité, fort contestable cependant aux
yeux des autres. Il faudra donc prendre un autre critérium
pour juger la bonté de chaque système, et ii est bien évident
qu'on ne saurait en trouver un meilleur que le bien-être et
la conservation de la société. L'homme ayant été créé pour
vivre dans de continuelles relations avec ses semblables ; son
bonheur ou son malheur ici-bas dépendant presque entière-
ment de la condition dans laquelle il se trouve vis-à-vis
d'eux, il est naturel que toutes les lois destinées à assurer
son repos, son bien-être et son développement moral, aient
pour but aussi le repos, le bien-être et le développement de
la société.
Notre auteur partage une grande partie iles idées de Ben-
' tham, mais il reproche au publiciste anglais de se poser d'une
manière trop absolue. Il ne reconnaît pas au législateur une
autorité qui ne soit pas appuyée sur des faits, et c'est par
l'analyse de ceux-ci qu'il veut arriver à peu près au même
principe que Bentham émet dès l'abord comme un article
de foi. Il reproche à celui-ci de baser toute sa théorie sur un
(/avoir qu'il impose aux savans ou aux législateurs; il ajoute
que d'ailleurs Bentham n'a rien inventé de nouveau, et n'a
fait que développer les conséquences d'un principe déjà posé
par la plupart des publicistes qui l'avaient précédé. Mais
quel est l'écrivain qui puisse se vanter de n'avoir pas pro-
fité des travaux de ses devanciers, d'avoir inventé quelque
idée qui n'eût jamais été émise avant lui? Le genre humain
tourne constamment dans un certain cercle qu'il ne lui est
pas donné de franchir, et la plus grande gloire du génie est
de dévoiler aux hommes quelqu'une des admirables voies de
cette logique qui forme l'essence de la vérité.
M. Comte semble d'ailleurs tomber à son tour dans un ex-
trême opposé , quand il prétend renfermer toute la science
dans l'analyse. Il est bien certain que l'étude approfondie
des faits doit précéder toute théorie législative , mais cette
étude elle-même ne doit-elle pas partir d'un principe qui,
pour n'être pas posé d'une manière absolue, n'en influe pas
moins sur tout le travail de l'esprit?
Dans le second livre de son traité, l'auteur examine la na-
ture des lois, les élémens qui les constituent , les effets qu'el-
les produisent et les diverses manières dont elles affectent les
hommes. Les peines et les plaisirs moraux sont considérés par
lui comme l'un des principaux élémens de puissance des lois
qui sont appelées à régir la société. Il fait voir comment la
force de la loi morale résulte des rapports qui existent entre
238 LEGISLATION ,
le bien-être individuel et le bonheur social. Il expose enfin
comment il arrive fréquemment que, faute de bien étudier
les conséquences logiques d'un principe et leur influence sur
les relations sociales, on voit la perturbation et le désordre
causés par l'établissement d'institutions qui sont cependant
dictées par les meilleures intentions et semblent en elles-
mêmes excellentes.
Le livre troisième est destiné à examiner ce qui constitue
le perfectionnement et la dégradation de l'homme; les causes
de ces effets opposés et les diverses catégories qui en résul-
tent dans le classement du genre humain , d'après le degré
de civilisation et de développement des différons peuples de
la terre. L'influence du climat est l'objet principal des re-
cherches de l'auteur. Il passe en revue toutes les régions du
j;lobe, et combat le système qui veut faire du froid et de la
chaleur les principes invariables du développement intellec-
tuel. Rien n'influe plus sur l'homme que l'homme lui-même.
Indépendamment de toutes les causes extérieures qui peu-
vent varier en effet, suivant les climats, il porte toujours au
dedans de lui des facultés identiques, des forces qui sont par-
tout les mêmes. Aussi voyons-nous sous toutes les tempéra-
tures des institutions semblables produire à peu près les
mêmes résultats, le despotisme et l'esclavage entraîner à leur
suite l'abrutissement et la barbarie , tandis qu'au contraire
la liberté relève l'espèce humaine et In pousse vers le perfec-
tionnement. Et rien ne prouve encore qu'aucune contrée de
la terre puisse être inaccessible aux bienfaits de la civilisa-
tion. Les faits d'ailleurs ont été encore trop peu étudiés
sous ce point de vue pour qu'on en puisse tirer aucune con-
clusion bien certaine. Tout ce qu'on peut en inférer , c'est
que les climats chauds paraissent avoir été en général le ber-
ceau de cette civilisation qui de là s'est répandue petit à petit
vers les pôles. Mais si en effet, dans l'origine, le Nord semble
être le séjour de la barbarie, à mesure qu'on avance dans la
suite des siècles, on voit au contraire les nations méridiona-
les retomber comme épuisées dans une dégradation morale
presque complète, tandis que la civilisation transplantée
chez les peuples du Nord y pousse de vigoureuses racines, y
porte des fruits abondans.
« En considérant les diverses nations répandues, sur la sur-
face du globe, dit M. Comte, nous observons quelques phé-
nomènes très-remarquables; nous voyons la civilisation se
former autour de la terre ; se répandre de là graduellement
vers les pôles, et ^arrêter à un certain degré d'élévation;
nous voyons les populations non civilisées des extrémités on
des parties plus élevées, tendre continuellement vers le cen-
ÉCONOMIE POLITIQUE, ETC. Ï39
tic ou vers les terres les plus fertiles , asservir les peuples qui
oat déjà fait plus de progrès, et y porter leurs préjugés et
leurs vices; nous voyons des gouvernemens analogues s'éta-
blir chez toutes les populations conquises ; nous voyons les
conquérans perdre parmi les vaincus une partie de leur
ignorance et de leur férocité, tandis que les peuples de même
espèce qui restent dans leurs pavs originaires , conservent
leurs mœurs primitives; enfin, nous voyons, dans tous les
pays, les vices inséparables de la barbarie , et la même dégra-
dation morale presque partout où nous observons le même
défaut de développement intellectuel.
» Si nous n'observions ces phénomènes que sur quelques
points du globe ou chez une seule espèce d'hommes, nous
pourrions les attribuer à quelques circonstances fortuites : à
l'apparition d'un génie extraordinaire qui aurait réuni des
hommes épais, qui leur aurait enseigné les arts et donné des
lois; mais ces phénomènes sont généraux, ils ont existé sur
tous les continens et chez des nations de toutes les espèces;
chacun des peuples les plus anciennement civilisés a attri-
bué à quelque grand homme les progrès qu'il avait faits :
les Chinois , les Indous , les Perses , les Arabes , les Juifs, les
Egyptiens, les Grecs, les Romains , les Péruviens, les Mexi-
cains , ont eu leurs sages , leurs législateurs ; mais pourquoi
les Kamtchadales , les habitans des îles Aleutiennes , les
Esquimaux, les Groenlandais, les Iroquois , les Polonais, les
Russes et les habitans de la Sibérie, n'ont-ils pas eu aussi les
leurs ? Pourquoi trouvons-nous Bacchus dans l'Inde , en
Egypte et en Grèce , et pourquoi ne le trouvons-nous pas sur
les vastes plateaux du centre de l'Asie, dans la Sibérie, dans
la Nouvelle-Zélande ou dans les îles des Renards ? » Mais est-
on bien certain que les Ramtschadales , les Groenlandais,
les Esquimaux n'aient pas eu aussi leurs sages ? Les tradi-
tions de la mvthologie Scandinave ne nous montrent-elles
pas également un passé héroïque dans le Nord ? Et ne pour-
rait-on pas en retournant la question demander pourquoi
aujourd'hui la Chine, l'Inde, la Perse sont stationnaires ;
pourquoi l'Egvpte , l'Arabie , la Grèce sont retombées dans
la barbarie?
Les deux derniers livres renferment une foule de détails
du plus grand intérêt sur les effets produits au milieu des
hommes par toutes les diverses influences auxquelles ils sont
soumis. Cette partie de l'ouvrage de 31. Comte est le résultat
de recherches immenses, et offre des faits innombrables re-
cueillis dans l'histoire du inonde entier et dans les récits des
plus fameux voyageurs. C'est une mine féconde pour la mé-
ditation , c'est un véritable trésor pour l'observateur. On y
240 LEGISLATION ,
remarquera surtout ce qui concerne l'esclavage, ses divers
genres et les déplorables résultats qu'il produit pour les maî-
tres comme pour les esclaves. L'auteur a rassemblé sur ce
dernier point tous les documens possibles. Il trace un tableau
bideux des formes cruelles sous lesquelles s'est toujours pré-
senté l'esclavage, et, par la seule exposition des faits , il in-
spire l'horreur la plus forte pour ce reste de barbarie, que la
civilisation moderne n'a pu encore effacer tout-à-fait. Le livre
cinquième, tout entier consacré à cet important sujet, est le
plus éloquent plaidoyer qu'on puisse faire en faveur des mal-
heureuses populations encore courbées sous le joug de l'escla-
vage. Il termine dignement cet excellent ouvrage, qui, s'il
n'offre pas réellement un traité de législation, remplit du
moins de la manière la plus satisfaisante le second titre que
l'auteur lui a donné. Il présente, en effet, un tableau bien
complet de l'influence qu'exercent sur la prospérité ou le dé-
périssement des peuples les lois qui les régissent , et il déve-
loppe avec clarté les conséquences inévitables que la logique
fait découler de tout principe admis pour base d'un système.
C'était un travail non moins difficile qu'important, et non-
seulement M. Comte s'en est acquitté avec un talent fort re-
marquable en vue de la science elle-même, mais encore il a
su lui donner la forme la plus intéressante , la mieux faite
pour attacher et convaincre le lecteur.
statistique de la Grande-Bretagne et de l'Irlande , avec une carte ,
par Al. Moreau de Jonnès— Paris , 1837. Tome 1er. In-8. 7 fr. 50 c.
Ce volume, beaucoup plus détaillé et plus complet que
celui de M. Porter sur le même sujet , présente un tableau
du plus haut intérêt. C'est la récapitulation de toutes les
conquêtes de l'industrie, si brillantes et si rapides depuis
cinquante à soixante ans , surtout en Angleterre. L'auteur a
consulté tous les documens les plus certains qu'il a pu se
procurer sur les productions agricoles et industrielles de
cette contrée , depuis les temps les plus reculés. Les chif-
fres qu'il nous donne comme résultat de ses recherches,
pour diverses dates historiques, fournissent par leur com-
paraison un moyen d'apprécier les progrès de la civilisation.
On voit par là combien sa marche , long-temps entravée,
a été rapide depuis la fin du siècle dernier. C'est de cette
époque que datent la plupart des perfectionnemens appor-
tés à l'industrie , et l'impulsion qui a porté les esprits à
s'en occuper avec tant d'activité et de succès. Presque tou-
tes les commodités de la vie , aujourd'hui répandues jus-
ÉCONOMIE POLITIQUE, ETC. 241
que dans la cabane du paysan , étaient inconnues des siè-
cles antérieurs , même chez les princes et dans les palais
des rois. « Nous apprenons par la Vision de Pierre le labou-
reur, espèce de satire et de moralité qui appartient au XVe
siècle , qu'alors on faisait communément le pain sans blé ,
avec des pois et des fèves seulement. Sous Henri VIII ,
les maisons des villes étaient encore sans cheminées , leurs
fenêtres étaient garnies, au lieu de vitres, de petits carreaux
de corne ou de treillis de bois. Le plancher était jonché de
roseaux. On se servait d'assiettes d'étain dans les châteaux,
et de plats de bois chez les bourgeois. En 1298 , les couteaux
à manche d'argent , les cuillers et les gobelets de ce métal
étaient un luxe que se permettait seulement la plus riche
noblesse. On se servait d'éclis de bois résineux , en guise de
chandelle ou de lampe , pour éclairer les appartemens. »
Lorsque l'attention se dirigea vers l'industrie , et que l'in-
telligence humaine en fit le but de ses recherches et de ses
travaux, les perfectionnemens , les découvertes , les inven-
tions se succédèrent avec rapidité. La civilisation marcha
alors de progrès en progrès , la population s'accrut , des
bourgs furent bientôt changés en villes florissantes , riches et
laborieuses. Depuis le commencement de ce siècle surtout,
cette progression continuelle est facile à constater et à suivre
dans ses admirables résultats.
M. Moreau de Jointes, après quelques considérations pré-
liminaires et fort détaillées sur l'état physique du territoire
de la Grande-Bretagne, sa division administrative et agri-
cole , sa population ancienne et actuelle , commence sa sta-
tistique par un tableau de l'état de l'agriculture depuis les
temps les plus reculés , des changemens qu'elle a subis , et
de sa prospérité présente. On y trouve une foule de détails
fort intéressans , et l'auteur ne néglige rien pour faire ap-
précier, comme elle le mérite, la marche rapide de l'Angle-
terre sur la route de la civilisation. Un des témoignages les
plus curieux qu'il cite en faveur de la supériorité de l'agri-
culture anglaise, c'est l'accroissement considérable du poids
des animaux. Il y a cent cinquante ans, dix bœufs ne four-
nissaient que 2,600 livres de viande , aujourd'hui ils en
donnent plus de 8,000; dix moutons n'en donnaient que 280,
aujourd'hui c'est 800 ; dix veaux en fournissaient 400 , au-
jourd'hui c'est 1400 ; etc.
Pour arriver à de tels résultats, il a fallu certainement de
bien grands efforts , et le progrès qu'ils indiquent dans la
classe agricole, la plus lente de toutes à s'émouvoir, peut d'au-
tant mieux faire juger l'ensemble du pays , que l'Angleterre
est une contrée essentiellement industrielle et commerçante.
242 LEGISLATION ,
Les manufactures , les usines , présentent des laits encore
bien plus extraordinaires, et qui tiennent presque de la ma-
gie. Leur marche ascensionnelle ne date guère que de soi-
xante à quatre-vingts ans, mais elle ne s'est pas arrêtée , et
dans ces dernières années surtout elle a été vraiment prodi-
gieuse. Depuis 1820, par exemple, l'importation et la con-
sommation des cotons a doublé ; les manufactures anglaises
en emploient aujourd'hui pour une somme de 300 millions ,
et la valeur en étant à peu près quadruplée par la fabrica-
tion , on peut estimer cette production seule à plus de
900 millions de francs. Plusieurs autres industries ont mar-
ché du même pas, et on lira avec le plus vif intérêt tous les
documens cpie renferme ce volume. ïl est à regretter seulement
que l'impression n'en ait pas été mieux soignée. Les erreurs
y sont assez fréquentes, et dans les chiffres ia moindre faute
suffit pour dérouter le lecteur peu accoutumé aux calculs.
M. Moreau de Jonnès , tout en exprimant avec enthou-
siasme son admiration pour la puissance industrielle de l'An-
gleterre , a prévu les objections qu'on ne manquerait pas de
lui opposer au sujet des misères affreuses qui accompagnent
son développement et semblent sans cesse menacer son exis-
tence. Il répond avec beaucoup de sagesse, que l'industrie ,
cette puissance colossale du xixc siècle, a, comme toutes les
grandeurs humaines , ses plaies douloureuses et inévitables.
Mais n'est-ce pas au prix de semblables épreuves , que sont
achetés chacun des pas de l'homme sur la route de la civilisa-
tion? Doit-on s'étonner surtout de ce que dans ce mouvement
rapide , nos vieilles institutions faites pour d'autres temps ,
pour d'autres mœurs , étant demeurées à peu près intactes,
il en résulte des froissemens pénibles , des contrastes dange-
reux ? Des relations nouvelles , établies entre les diverses
classes de la société , appellent impérieusement des lois nou-
velles, et le temps, ce grand réparateur des maux que causent
sans cesse l'impatience et l'imprévoyance humaines , saura
certainement répartir avec plus de justice les bienfaits de la
civilisation.
« On ne saurait en douter , le plus grand nombre des
> maux attachés à l'industrie peuvent être prévenus ou dé-
tournés. Déjà des efforts couronnés de succès ont été faits
en France , par Darcet , pour rendre plusieurs professions
moins insalubres. On recherche partout avec activité les
moyens d'empêcher l'explosion des machines à vapeur. Le
parlement britannique a réglé le travail des enfans dans
les manufactures , pour l'empêcher d'être exclusif. Les
écoles du dimanche leur permettent d'acquérir quelque
instruction. En l' raine, les ouvriers ont. dans plusieurs
ÉCONOMIE POLITIQUE, ETC. 243
'> villes, des cours publics et gratuite* très-bien organisés.
» Les caisses d'épargne leur procurent le moyen de faire des
» économies. En Angleterre , des associations libres leur
» donnent des secours pendant leur maladie et prennent soin
» de leur famille après leur mort.
» Il reste sans doute beaucoup à faire ; mais il est bien
» prouvé par les heureux résultats qu'on a déjà obtenus ,
» qu'il n'y a rien d'impossible :
» 1° Dans le perfectionnement des procédés de l'industrie,
» non-seulement pour qu'il en résulte un plus grand nombre
» de meilleurs produits, à des prix moins hauts, mais en-
» core pour qu'ils deviennent progressivement moins insalu-
» bres , moins pénibles et moins dangereux;
» 2° Dans l'éducation physique, intellectuelle et morale
» des ouvriers ;
» 3° Dans l'amélioration de leur existence domestique et
» sociale.
» Ce triple objet est recommandé par la bienfaisance pu-
» blique , par l'intérêt national, par les vœux de la religion
» et de la philosophie , aux investigations des sciences , à la
» haute protection des gouvernemens et aux efforts généreux
» des citoyens voués au culte de la patrie et de l'humanité.»
DE LA DEPENSE ET DU PRODUIT DES CANAUX ET DES CHEMINS DE
FER , et rte l'influence des voies de communication sur In prospérité
industrielle de la France, par le comte Pillet-Will. — Paris, («37.
2 vol. in-4 , dont 1 de planches. 38 fr.
Ce bel ouvrage renferme le précieux inventaire d'une par-
tie des richesses industrielles de la France, de la partie la
plus importante peut-être, car l'influence des voies de com-
munication sur le développement de la prospérité nationale
est immense. Le commerce et l'industrie d'un pavs sont pres-
que entièrement subordonnés à la facilité plus ou moins
grande qu'ont les produits de se transporter d'une extrémité
à l'autre du territoire. Beaucoup de travaux ont été entrepris
en Fiance pour doter le pays de ces ressources précieuses qui
lui manquaient; mais soit par suite des secousses politiques
qui l'ont presque continuellement agitée depuis cinquante
ans, soit à cause de l'inconstance et de la légèreté qu'elle ap-
porte souvent dans l'exécution de ses projets , une grande
partie des canaux et des chemins commencés sont restes
inachevés et par conséquent inutiles, nuisibles même, car ils
absorbent d'immenses capitaux qui ne rendent ainsi aucun
intérêt.
>4i SCIENCES ET ARTS.
M. Pillet-Will présente le tableau de toutes les dépenses
déjà faites, des travaux admirables entrepris avec un zèle et
une activité qui ne se sont malheureusement pas soutenus
jusqu'à la fin ; il insiste avec force sur la nécessité de faire
encore quelques efforts généreux pour achever l'œuvre et ré-
pandre ainsi la vie dans tous les départemens, dont la prospé-
rité ne tarderait pas à en éprouver la bienfaisante influence.
Des planches nombreuses et gravées avec une grande perfec-
tion donnent le tracé des diverses constructions de canaux, de
ponts, de cbemins, les plans et les cartes topographiques des
contrées qu'ils traversent. C'est à la fois un beau monument
élevé à la gloire industrielle et un livre utile par les résul-
tats qu'il pourra produire en attirant l'attention publique sur
ce qui reste à faire à cet égard.
Mais dans l'introduction que l'auteur a placée eu tète du
premier volume , il se prononce avec plus de vivacité que
de raison en faveur du système protecteur; il traite de géné-
reuse utopie, de rêve d'honnêtes gens , la liberté du com-
merce, et soutient ainsi les erreurs économiques les plus gra-
ves. On regrettera d'autant plus ce défaut de logique chez
M. Pillet-Will, que sur divers autres points il se montre par-
tisan d'idées plus avancées et plus justes. Ce qu'il dit sur
la prodigalité stérile et corruptrice des gouvernemens sera
vivement approuvé par tous les hommes sages et éclairés.
SCIENCES ET ARTS.
MEMOIRES POUR SERVIR V L'HISTOIRE ANATOMIQUE ET PHYSIOLO-
GIQUE DES VÉGÉTAUX ET DES ANIMAUX , pat' 1M. //. Dlltrocllct ,
membre de l'Institut. — Paris, 1837. 2 vol. in-8 et atlas. 24 fr.
M. Dutrochet a réuni dans ces deux volumes tous ses di-
vers mémoires, publiés à différentes époques sur des points
curieux de physiologie. C'est un recueil rempli du plus haut
intérêt, car il offre les détails d'une foule d'observations faites
avec soin et habileté, et les résultats de recherches qui ten-
dent à soulever quelque coin du voile qui cache à nos yeux
les secrets de la nature.
L'auteur pense avec raison que les lois de la physique
générale ne sont pas étrangères aux phénomènes de la phy-
siologie animale et végétale ; c'est à ces lois sans doute que
doivent plus ou moins directement se rapporter la plupart
des mystérieuses merveilles que nous voyons s'accomplir
chez les êtres organisés, et il est déjà assez probable que le
SCIENCES ET ARTS. 24ô
mode d'accroissement des êtres vivons doit être assimilé à
celui des corps inertes. Il veut de même' que le mouvement
vital soit considéré comme un phénomène physique excep-
tionnel et temporaire, comme le résultat d'une modification
particulière de quelques-unes des causes physiques générales
qui impriment le mouvement aux molécules de la matière.
Ses travaux tendent à détruire le mysticisme introduit dans
la science par certains systèmes, et à poser les premières hases
d'une science nouvelle , la physiologie générale, qui donnera
peut-être un jour la clé de hien des phénomènes.
Voici quels sont les mémoires renfermés dans ces deux
volumes :
i. De l'endosmose.
•2. Des élémeus organiques des végétaux.
3. Recherches sur l'accroissement des végétaux.
4- De la déviation descendante , ascendante et latérale de
l'accroissement des arbres en diamètre.
5. Observations sur les variations accidentelles du mode.
6. Observations sur la forme et la structure primitive des
embryons végétaux.
7. Recherches sur les organes pneumatiques et sur la respira-
tion des végétaux.
8. Recherches sur les conduits de la sève et sur les causes de
sa progression.
9. Coup-d'œil général sur les mouvemens des végétaux ; exa-
men du mécanisme des modes élémentaires de mouvement par
incurvation et par torsion.
1 o. Du réveil et du sommeil des plantes.
1 1 . De l'excitabilité végétale et des mouvemens dont elle est la
source.
12. De la direction opposée des tiges et des racines.
i3. De la tendance des végétaux à se diriger vers la lumière
et de leur tendance à la fuir.
14. De la génération sexuelle des plantes et de l'embryologie
végétale.
i5. Observations sur les transformations végétales.
16. Sur les champignons.
17. Sur l'origine des moisissures.
18. Recherches sur les enveloppes du fœtus.
19. Observations sur l'ostéogénie et sur le développement des
parties végétantes des animaux.
20. Recherches sur la métamorphose du canal alimentaire
chez les insectes.
2 1 . Observations sur la structure et la régénération des plumes,
avec des considérations générales sur la composition de la peau
des animaux vertébrés.
22. Recherches sur les rotifères.
23. Du mécanisme de la respiration des insectes.
246 SCIENCES ET ARTS.
aii, Observations sur !a spongille rameuse.
•_>.5. Observations sur les organes de !a génération chez les
pucerons,
26. De l'usage physiologique de l'oxigène, considéré dans ses
rapports avec l'action des excitans.
•27 . De la structure intime des organes des animaux et du
mécanisme de leurs actions vitales.
•28. Essai d'une nouvelle théorie de la voix.
APPENDICE.
1. Comment agit la diatase pour déterminer la rupture des
léguinens des graines de. fécule.
1. Expériences sur la circulation des liquides dans les tubes
de verre verticaux.
NOTIONS ÉLÉMENTAIRES de GÉOLOGIE, de Physique , de Chimie ,
de Botanique et de Physiologie végétale, appliquées à l'Agriculture;
parM.f/e Marivault. — Paris, chez Mathias. 1837. 1 vol. in-18.2fr. 50e.
Ge volume offre une espèce de petit mémorial fort commode
pour se rappeler ou même pour apprendre une foule de no-
tions utiles dont on a sans cesse besoin lorsqu'on se livre à
des travaux agricoles. Tl est divisé en quatre sections, qui
traitent de la Géologie, la Physique, la Chimie et la Botanique.
Dans la première est exposé le système de la structure du
globe et le tableau des divers terrains qui forment son écorce
extérieure, ainsi que des différentes sortes de terres qui com-
posent le sol.
La seconde s'occupe des principes vivifians : de l'air, de la
lumière, delà chaleur, de l'électricité, de l'eau et de leurs
phénomènes. On y trouve également quelques détails sur le
mouvement des astres, sur l'influence de la lune et celle du
rayonnement , sur l'attraction et sur les lois du mouvement.
Dans la troisième, l'auteur examine les causes de l'état et
du changement d'état des corps ; il nous présente leurs com-
binaisons et analyse rapidement la nomenclature chimique.
11 fait aussi l'application de maints secrets de la chimie à
divers usages domestiques, et en particulier à la connaissance
de la nature et des qualités des terres.
Enfin la quatrième et dernière partie traite de la nature
des végétaux, de leurs caractères, des vaisseaux séveux , du
càmbium. de l'irritabilité des végétaux et de l'action chimi-
que des agens qui concourent à leur nutrition.
Ces notions scientifiques sont en général claires et con-
1 ises
SCIENCES ET ARTS 247
GUIDE aux eaux minérales de la France, de l'Allemagne, de la
Suisse et de l'Italie; par Isid. Bourdon. T édition. — Paris , chez
Crochard et Ce. 1837. In- 18. 5 fr.
Les nombreux voyageurs que chaque été réunit aux Eaux,
soit pour cause de maladie , soit pour leur plaisir , trouveront
dans le guide de M. Isid. Bourdon tous les renseignemens dé-
sirables, non-seulement sur les divers pays où sont situées des
sources minérales, mais encore sur la composition chimique
et les vertus médicales de chacune d'elles en particulier. Je
élirai même que cette dernière partie est la plus intéressante,
car l'auteur ne brille pas dans le genre descriptif , il ne pa-
raît pas être un bien fort littérateur; mais il est membre de
l'Académie royale de Médecine, ainsi que de la Commission
permanente des Eaux Minérales du royaume, et par con-
séquent apte à traiter un pareil sujet. Ses conseils pourront
être fort utiles pour le choix des eaux et la conduite du
traitement II a rendu cette seconde édition plus complète en
y ajoutant plusieurs eaux nouvellement découvertes , ou du
moins dont il n'avait pas encore parlé.
En France seulement, on compte 87 établissemens de bains
de cette espèce, savoir : douze du premier ordre, onze du se-
cond et soixante-quatre du troisième. On estime à environ
38,000 le nombre des baigneurs qu'ils reçoivent chaque été ;
et l'on calcule que cela met en circulation un capital de 10
à 12 millions.
C'est donc un objet de haute importance, qui mérite d'en-
trer en ligne de compte dans les revenus du pays.
LE chasseur-médecin , ou traité complet sur les maladies du chien ,
à l'usage des chasseurs , des fermiers , des bergers , etc. , par Francis
Clater , traduit de l'anglais. — Paris, chez Mathias. In-18. 2 fr.
Ce petit volume renferme toutes les directions nécessaires
pour soigner les chiens dans les diverses maladies auxquelles
ils sont sujets. C'est un guide indispensable pour toutes les
personnes qui ont des chiens, car plus on s'attache à ce fidèle
et bon animal, plus on doit rechercher tous les moyens de
le soulager et de lui épargner les souffrances. On y trouve
également de sages conseils sur la manière de les dresser
et sur l'hygiène qu'il est bon de leur faire suivre pour les
conserver toujours en bonne santé. L'auteur décrivant avec
soin les symptômes des maladies, en exposant avec clarté les
causes, et donnant les plus grands détails sur la manière
d'administrer les médecines dont il indique les doses avec
exactitude, chacun peut facilement soigner soi-même son
chien.
248 SCIENCES ET ARTS.
DE L'ORIGINE ET DU PROGRÈS DU CAFE , opuscule du 17e siècle , par
Galland , auteur des Mille et une Nuits; nouvelle édition, aug-
mentée d'instructions sur les propriétés de cette fève et le meilleur
procédé pour en obtenir la boisson dans toute sa perfection. Brocb.
in-8 de 64 pages. Prix : 1 fr. — Paris , chez Deracbe , libraire, rue du
Rouloy , n° 7 , au 2e.
Réimpression d'un petit opuscule du savant orientaliste
Galland , qui avait été publié pour la première fois, en 1699,
à Caen , et qui était devenu fort rare. C'est une lettre adressée
à M. Chassebras de Camaille, dans laquelle Galland, après
quelques remarques sur l'étymologie du mot Café, raconte,
d'après un auteur arabe, que le café fut d'abord en usage
dans l'Ethiopie et dans la Perse , d'où il fut apporté en Arabie
par un Muphti , nommé Gémaleddin Abouabdallah Mo-
hammed Bensaïd, Aldhabani. Les Arabes l'accueillirent avec
transport, et le goût en devint si général, si passionné, que les
prêtres de la religion se crurent obligés d'y mettre un frein
par leurs défenses. Galland décrit en détail tout ce qui a rap-
port à l'établissement des cafés en Turquie, et termine par
quelques considérations sur les propriétés de la graine de
Moka. On a ajouté à cette lettre des fragmens extraits du dic-
tionnaire des sciences naturelles et une notice de Cadet de
Vaux sur la préparation du café.
manuel DE maréchalerie , à l'usage des élèves maréebaux de l'é-
cole royale de cavalerie. — Saumur , chez Dubosse. Paris, chez Le-
neveu. I836.1n-12.
Ce petit ouvrage , rédigé par demandes et par réponses ,
traite en détail de tout ce qui a rapport à l'art du maréchal-
ferrant. Il est divisé en quatre parties, savoir : 1° De l'art de
forger ; description de l'atelier de maréchalerie , du fer et du
charbon , de la confection des fers ; 2° De l'art de ferrer; ana-
tomie du pied , manière d'appliquer le fer, différentes ferru-
res suivant la conformation des pieds; 3° Des opérations chi-
rurgicales dépendantes de la maréchalerie , opérations d'un
usage journalier, maladies accidentelles , précautions à pren-
dre dans l'administration des remèdes ; 4° Notions d'anatomie ,-
de la dentition ou connaissance de l'âge , description du sque-
lette.
IIP. I 'iMPMMF.FlE DE BEAU, A VUHT-C F.RM A 1 N-fcW-l.A VC.
Bulletin £ittévaive
ET SCIENTIFIQUE.
5» (SLu.ée. — oA^ 8. — ÊIoûl. 1837.
LITTERATURE, HISTOIRE.
MAUPRAT , par Georges Sand. — Paris , 1837, 2 vol. in-8. 15 fr.
Récit plein d'intérêt et écrit avec ce brillant style qui a
lait la réputation de l'auteur. Si G. Sand avait toujours su
rester ainsi dans la vérité , et employer son talent à raconter
des faits , à tracer des caractères que sa féconde imagination
enfante si aisément, personne sans doute ne lui disputerait
la première place parmi nos romanciers du jour. Mais de plus
hautes prétentions lui ont malheureusement parfois tourné
la tête , et elle s'est écartée de la bonne route sans paraître
s'apercevoir que, malgré les complaisantes flagorneries des
amis ou les applaudissemens des badauds, chaque écart était
marqué par une chute. On reconnaissait alors la femme qui
veut se faire homme , qui chausse le pantalon , fume et boit;
on y sentait toujours, plus ou moins, l'estaminet et l'orgie.
Au contraire , dès que , mieux inspirée , elle rentre dans
la voie du roman proprement dit , on retrouve la femme
ardente, passionnée sans doute, mais douée d'un cœur et
d'une âme, mais faite pour sentir et pour exprimer toutes les
plus délicates nuances du sentiment. C'est ainsi que dans Mau-
prat elle se montre infiniment supérieure à ce qu'elle était
dans les Lettres d'un voyageur. Son but est de peindre les bru-
tales passions de ces petits tyrans féodaux , dont la France
était semée avant 89 , en opposition avec le développement
moral et intellectuel du peuple , qui s'accomplissait sourde-
ment et préparait la révolution. Les Mauprat sont une de
ces familles seigneuriales qui , à défaut de talens ou de
vertus , s'étaient rendues célèbres à force d'audace et de
crimes. Leur nom seul glaçait de terreur à plusieurs milles
à la ronde, et le manoir de la Roche- Mauprat était fui
comme un repaire de brigands. Retirés derrière leurs fossés
et leurs murailles, les propriétaires bravaient impunément
les lois, et il se passait un long temps avant que l'autorité
se décidât à recourir aux grands moyens pour les soumettre,
18
250 LITTÉRATURE ,
à faire faire le siège en règle de leurs châteaux. Ces nobles et
dignes restes du moyen-âge sont fort bien peints par G. Sand
qui , malgré son exagération et les travers auxquels se livre
souvent son esprit, possède un tact parfait de ce qui convient
à notre siècle et un instinct populaire qui lui fait haïr le passé
dans tout ce qu'il avait d'oppressif , deseivile, d'aristocrati-
que. Ces rares qualités font regretter d'autant plus vivement
de les voir si fréquemment gâtées par une malbeureuse affec-
tation qui fausse tout ce qu'elle touche. La partie romanes-
que de ce livre en offre encore plus d'une trace. Le héros est
le dernier des Mauprat qui, soumis à des influences étrangè-
res, et obéissant malgré lui à l'impulsion donnée par la marche
des idées et des événemens, a réhabilité ce nom détesté dans
sa province. C'est une femme qui est le principal acteur de
cette conversion morale. L'amour y joue un grand rôle, et
en effet c'est bien la passion qui dompte le mieux toutes les
autres. Mais pourquoi G. Sand peint-il toujours l'amour sous
des couleurs si fausses, si exagérées? C'est de la frénésie, c'est
de la rage , de la folie; mais ce n'est pas l'amour tel qu'on le
rencontre ici-bas, timide et réservé chez la femme, quoique
pouvant lui faire faire les plus grandes comme aussi les plus
tristes choses, entreprenant et impatient chez l'homme, quoi-
que accompagné d'une crainte respectueuse qui enchaîne sou-
vent l'impétuosité de ses désirs et le rend esclave des moindres
caprices de celle qu'il aime. Non, G. Sand ne connaît que les
élans passionnés, sans frein ni repos, vrais amours de lions
ou de tigres. Mais ce défaut ne ressort point trop vivement
dans Mauprat, où tous les événemens sont empreints de la
teinte énergique de l'époque. D'ailleurs les ligures calmes du
bonhomme Patience , du curé et du sergent, n'en brillent
que davantage au second rang. Ce sont des portraits pleins
d'originalité, qui jettent du charme et de la variété dans le
récit. En résumé , Mauprat m'a paru supérieur aux autres
ouvrages du même auteur, parce qu'il s'y trouve plus de sim-
plicité, moins d'affectation et par conséquent plus de vrai-
semblance. Car, malgré tout ce qu'on a pu écrire sur l'art de
faire de l'art , sur l'idéal, etc. etc. on en reviendra toujours à
la maxime du poète :
Rien n'est beau que (e vrai
HISTOIRE. 251
LE CHATEAU »E PïERREFOXDS ; ,1594; par Jtlelhm Bernier. 2 vol.
in -8. |j fr. — l Exco.mmcxjé , roman posthume, entièrement
inédit. 2 vol. in-8. 15 fr. — aventures d'en gentilhomme pa-
risien. 2 vol. in-8. 15 fr. — IL regiale; romans et nouvelles par
Th. de Puymctigre. — Paris , 1837. In-8. 7 fr. 50 c.
De ces quatre romans, les deux premiers sont d'une médio-
crité désespérante. Je ne pense pas qu'il soit possible de lire
plus de deux pages du Château de P ierre fonds ; encore n'est-il
pas sûr qu'on les comprenne bien d'un bout à l'autre. C'est un
style barbare , surchargé d'épithètes, employées le plus sou-
vent fort mal à propos , et dont la construction n'est pas tou-
jours française. L'auteur a voulu nous oifrir des tableaux de
mœurs du xvie siècle , mais j'avoue que j'ignore totalement s'ils
sont vrais ou faux , bien ou mal exécutés, car je n'ai pas eu
* le courage d'affronter l'ennui d'une pareille façon d'écrire.
— L'Excommunié est un de ces romans que l'on attribue,
comme dit l'éditeur, au plus fécond de nos romanciers. En d'au-
tres termes c'est une de ces compositions fort m< diocres que
M. de Balzac a écrites sous le pseudonyme de Saint-Aubin,
avant de s'être fait la réputation qu'il a aujourd'hui , et que
maintenant il vend volontiers au libraire, mais ne signe pas.
V Excommunié s'annonce comme inédit, mais on reconnaîtra
facilement qu'd date d'une époque déjà un peu ancienne,
car on n'y rencontre pas encoie de traces de celangage forcé
et bizarre que M. de Balzac a adopté et auquel il doit ses suc-
cès auprès d'un certain public.
C'est un roman historique, sans vérité dans les détails, sans
énergie dans l'action, qui peut à peine être mis sur la même
ligne que ceux de M. JJinocourt. Quel que soit le ridicule en-
gouementavec lequel on accueille tout ce qui sort de la plume
de M. de Balzac, je doute fort que les romans inédits ou non de
Saint-Aubin, obtiennent jamais une grande vogue. Le public
le plus débonnaire finit par se lasser d'être dupe, et le charla-
tanisme se suicide en poussant trop loin ses audacieuses en-
treprises.
— Les Aventures d'un gentilhomme parisien, écrites sans pré-
tention, sans jactance, offrent un intérêt bien supérieur et
obtiendront certainement un succès estimable parmi les lec-
teurs fatigués de tout ce faux brillant qu'on sème aujourd'hui
à pleines mains sur les ouvrages de cegenre. Le gentilbomme
parisien peint d'une manière fort piquante la société de Lon-
dres et donne beaucoup de détails sur les mœurs anglaises.
Aprèsfjs'ètre ruiné à Paris , de telle façon que le séjour de
cette capitale lui fut rendu impossible par les nombreux
ciéaucie,.'} qu'dy rencontrait à chaque pas, il va cherche! un
252 LITTÉRATURE ,
refuge à Londres. Là il continue sa vie de fashionable jusqu'à
ce qu'il ne lui reste plus un sou; puis, quand il a épuisé tout
le crédit qu'il peut encore trouver, il se fait chevalier d'in-
dustrie pour se procurer les moyens de vivre, et se voit en
butte à de nombreuses vicissitudes qui lui permettent d'étu-
dier l'une après l'autre toutes les classes de la société. Son
récit est très-amusant et la trame en est fort simple.
— Il B agi aie n'offre sans doute pas le même intérêt; mais
il m'a paru cependant mériter sous quelques rapports d'être
distingué de la foule. C'est un recueil de nouvelles pour la
plupart historiques, qui sont en général écrites avec simpli-
cité; quelques-unes surtout seront lues avec plaisir. Ce qu'il
y a de moins bon dans ce volume , c'est le titre. Pourquoi
prendre un mot étranger et un mot surtout qui ne signifie
rien ? On est alors obligé de faire dans la préface un com-
mentaire sur le titre, et le lecteur, mécontent des mauvaises
raisons alléguées par l'auteur, ferme souvent le livre, sans
vouloir aller plus loin. A quoi bon cette recherche pédan-
tesque? Quand on écrit pour des Français et qu'on l'est soi-
même , on ne saurait trouver pour exprimer ses pensées un
meilleur instrument que la langue française.
LA VIE MILITAIRE SOUS l'esipire , ou mœurs de la garnison , du
bivouac et de la caserne, par E. Blaze. — Paris, 1837. 2 vol. in-8.
15 fr.
Ce titre effarouchera sans doute plus d'un lecteur, et en
effet, l'auteur nous en prévient par son épigraphe empruntée
à Lafontaine :
Les mères, les maris me prendront aux cheveux,
Pour dix on douze contes bleus,
Voyez un peu la belle affaire!
On doit nécessairement s'attendre à trouver dans la Vie
militaire plus d'une aventure galante , et surtout plus d'une
anecdote de corps de garde. Mais l'auteur n'a point abusé de
cette licence , il s'est montré très-sobre de scandale, et son
livre contient certainement bien moins de scènes et de ta-
bleaux de ce genre que maints romans du jour. Il renferme
de plus qu'eux un grand fond de gaîté et un naturel rare
aujourd'hui. Dans un style simple et agréable, M. Blaze nous
trace des esquisses pleines de vérité et nous fait assister ainsi
à la plus spirituelle revue de toutes les jouissances et d<e tou-
tes les misères de l'état de soldat. On y trouve des portraits
fnppansde la vraie bravoure comme de la gloriole françaises.
HISTOIRE. 253
L'auteur , ancien militaire, qui raconte ce qu'il a vu , en
parle sans prévention ni pour, ni contre ; il n'adopte ni le
style des bulletins officiels, ni celui des mécontens ; son juge-
ment est constamment dirigé par le bon sens , et il ne perd
pas un moment de vue son but principal, qui est d'amuser
ses lecteurs, de leur offrir une galerie piquante, de leur mon-
trer souvent le côté ridicule que présente, comme toutes
cboses en ce monde, la carrière héroïque des conquérans. La
rapidité de l'avancement pendant les guerres de la Révolu-
tion avait placé dans tous les grades de l'armée une foule
d'hommes plus braves que savans. Il n'était pas rare de
rencontrer des lieutenans, des capitaines, des généraux même
qui savaient à peine écrire, quoiqu'ils s'entendissent admira-
blement bien à conduire leurs troupes à l'ennemi et à rem-
porter la victoire. Ce contraste singulier entre l'autorité du
grade et la culture intellectuelle donnait souvent lieu à de
curieuses scènes, et M. Blaze a trouvé dans ses souvenirs une
foule de traits plaisans , dont il profite pour nous peindre ce
courage gai et léger avec lequel le militaire fiançais affronte
la mort sur le champ de bataille.
De graves pensées philosophiques accompagnent souvent
ces récits , et quelque plaisir qu'on éprouve à la lecture de
la Vie militaire, on ne se sent nullement tenté de la connaître
autrement. Car au milieu des jouissances courtes, mais vives,
de cette vie nomade et insouciante, on retrouve à chaque pas
la servitude de la discipline , et l'homme que la mort a
épargné sur le champ de bataille, après avoir consacré ses
plus belles années à pratiquer l'art de iuer ses semblables, à
exercer des fonctions qu'on est convenu d'appeler honorables,
quoiqu'elles ressemblent singulièrement à celles de l'exécu-
teur des hautes-œuvres , se trouve le plus souvent au bout de
sa carrière avec des infirmités précoces pour tout profit, pour
toute récompense.
Puisse bientôt arriver le temps où il n'y aura plus nulle
part d'autres soldats que les citoyens armés pour la défense
de la patrie contre toute aggression de l'étranger ! Alors la
bravoure ne sera plus indignement employée à soutenir des
projets injustes ou ambitieux; alors les guerres deviendront
de plus en plus rares , et il ne restera plus enfin de la vie
militaire que des souvenirs tels que ceux de M. Blaze.
HISTOIRE DE LA FILIATION ET DES MIGRATIONS DES PEUPLES ,
par F. de Brotonne. —Paris, 1837. 2 vol. in-8. 15 fr.
Le sujet de cet ouvrage est de la plus haute importance,
2j4 LITTÉKAÏURE,
et les recherches savantes de l'auteur sont bien f «ites pour
exciter un grand intérêt. Les destinées de l'humanité, ses
vicissitudes diverses, la route qu'elle a suivie dès l'origine du
monde pour s'avancer vers un progrès continuel, tels sont
les graves objets qui y sont traités. Etablissant d'abord la
mémoire comme la première faculté nécessaire au dévelop-
pement de l'homme, puisque c'est par elle seule. qu'il peut
acquérir l'expérience, M. de Biotonne envisage l'humanité
dans son ensemble, comme un tout auquel doivent se rap-
porter les faits particuliers et dont chaque peuple n'est
qu'une fraction, chaque époque historique une période, qui
indique sa marche vers un perfectionnement que nul obstacle
ne saurait l'empêcher d'atteindre, parce qu'il parait être sa
destination évidente. Si les nations semblent jusqu'ici en-
chaînées dans un cercle qu'elles parcourent l'une après
l'autre, en passant successivement delà barbarie à la civilisa-
tion, puis de celle-ci à la corruption, qui les replonge dans la
barbarie; si l'homme a été ainsi porté avec une apparence de
raison à ies comparer à. sa propre destinée individuelle qui
le conduit de l'enfance à l'âge mur, puis à la vieillesse et à la
mort; l'humanité ne saurait être astreinte par analogie à ces
mêmes conditions, pas plus que le règne végétal n'est con-
d unné à périr, parce que les individus qui le composent sont
sujets à la décomposition, cette loi générale qui régit toutes
les métamorphoses de la matière. Bien plus, l'humanité est
destinée à marcher vers un but inconnu, auquel la conduit
l'expérience du passé, dont les traditions toujours mieux con-
servées agrandissent sans cesse la science de l'avenir. Au
milieu des bouleversemens de toute espèce qui paraissent
menacer de jeter le monde dans le chaos, aucun progrès ne se
perd, et en passant en revue l'histoire universelle , on recon-
naît facilement que , malgré l'antagonisme constant des pas-
sions humaines, l'homme considéré en général s'est amélioré,
a toujours mieux développé ses facultés morales et a fait, en
dépit de toutes les chaînes dont il s'est lui-même chargé, des
progrès certains sur la route de la vérité.
Cette idée est grande et féconde, on sent qu'elle doit être
vraie parce qu'elle est d'accord avec la logique et qu'elle
seule, arrachant au hasard, à la fatalité, l'aveugle pouvoir
qu'on prétend leur donner, répond dignement à l'intelligence
toute-puissante qui n\ pas créé sans but l'univers et tout ce
que contient son étendue infinie. Elle ramène à l'unité tous
les phénomènes divers qui happent notre vue et nous rem-
plit d'une admiration nouvelle pour ces innombrables formes
sous lesquelles se manifestent les lois simples et sublimes qui
président à la conservation et au perfectionnement du tout.
HISTOIRE. 255
La vie sociale apparaît alors comme la destination de
l'homme sur la terre, comme le caractère propre qui le dib-
tingue des autres animaux et lui donne sur eux une si haute
supériorité. C'est dans ce but que le don de la parole lui a
été exclusivement réservé. Mais ces deux principes posés,
leur développement a été tout-à-fait abandonné à sa volonté,
afin qu'il fût un être libre et responsable. De là les applica-
tions différentes qu'ils ont reçues chez tous les peuples et à
toutes les époques; de là les luttes dans lesquelles l'expé-
rience s'acquiert, l'esprit s'élève, l'homme se perfectionne ;
de là enfin ce sentiment d'une plus haute destination qui
nous soutient au milieu de toutes les misères de ce inonde
et nous rend capables de grandes choses. Mais de là aussi
devraient découler la tolérance la plus parfaite , l'esprit de
support et de charité, la noble émulation qui exclut toute
pensée de haine , de prévention ou de jalousie. Nous ne
sommes tous ici-bas que des ouvriers travaillant au même
œuvre, et la raison nous dit que mieux nous concerterons nos
efforts , plus nous approcherons du but. Malheureusement
ce flambeau divin offusque bien des yeux trop faibles pour
supporter son éclatante lumière/t le plus souvent les hommes
l'éteignent en jetant sur lui le voile épais de leurs passions
et de leurs préjugés.
L'auteur du livre inscrit en tète de cet article, tout en re-
connaissant et en exposant avec beaucoup d'indépendance
ces grands principes qu'il appelle humanitaires, et que j'aime-
rais mieux nommer tout simplement universels , ne sait pas
secouer tout-à-fait le joug des préjugés , et sacrifie à la mode
du jour sur deux points qui, gâtant son travail, lui ôtent l'au-
torité que sans cela il aurait justement obtenue. Après avoir
rangé d'abord au nombre des obstacles que rencontre la civi-
lisation , l'étroite nationalité qui place entre les divers peu-
ples des murs d'airain, il proclame la nation française la pre-
mière de toutes , la seule qui ait envisagé les questions sous
le point de vue humanitaire , la seule qui ait toujours eu dans
sa politique des vues grandes et généreuses. Sans parler de
la contradiction qui ressort de cet oubli d'un principe d'abord
posé, nous demanderons à M. de Brotonne sur quels faits
s'appuie une pareille assertion, dans quelle époque historique
l'expérience lui a fourni un semblable résultat. Sera-ce sous
les règnes de François Ier, de Louis XI , de Louis XIV, de
Louis XV, qu'il ira chercher des exemples de cette politique
large et généreuse? Ou bien les trouvera- t-il dans l'époque
désastreuse de la Terreur, et dans l'esprit envahisseur et des-
potique de l'Empire? Une autre erreur du même genre se
trouve dans la manière dont il parle de la Réforme. Après
256 LITTERATURE,
avoir montré les dangers du pouvoir pontifical et indiqué
sa chute comme un progrès , il accuse le protestantisme d'é-
goïsme. Il répète cette phrase vide de sens et démentie par
les faits : « Les tendances politiques présentent plusparticu-
» lièrement le caractère d'égoïsme national dans les pays de
» protestantisme. »
Or, nous le demandons, quel est le peuple qui partout où
il à porté ses armes et sa domination , a prétendu tout plier
à ses usages, à ses lois, à ses préjugés, anéantir toute nationa-
lité pour y substituer la sienne , et foulant aux pieds non-seu-
lement les tendances politiques , mais encore les croyances
religieuses, n'a pu, justement à cause de cela, se maintenir
dans aucune de ses conquêtes , fonder nulle part des colonies
riches et prospères ? Ce peuple , il faut bien le dire, n'est ni
anglais, ni américain, ni protestant, c'est le peuple français,
chez lequel vous prétendez que le catholicisme a fécondé les
doctrines humanitaires.
Nous ne le disons pas pour le placer au-dessous de nul au-
tre, car rien n'est plus ridicule que ces rivalités étroites , qui
divisent l'humanité en. familles ennemies. La nation fran-
çaise possède assez de droits à être rangée au premier rang,
elle a une part assez belle dans la gloire commune, pour qu'il
ne soit pas nécessaire de dépouiller les autres en sa faveur.
Mais chaque peuple, comme chaque individu, a ses travers à
côté de ses belles qualités, et le premier devoir de tout his-
torien est de dépouiller, à cet égard , toute espèce de vanité
glorieuse, d'amour-propre étroit, pour se poser en juge im-
partial et désintéressé. On ne saurait surtout repousser avec
trop d'énergie ces paradoxes bizarres qui, se glissant aujour-
d'hui à travers les idées les plus larges et les plus fécondes,
menacent d'anéantir toute leur influence en jetant le désor-
dre dans les esprits et en rompant sans cesse la chaîne du
raisonnement. Ce n'est pas entre le pape et Luther qu'il faut
se prononcer; c'est entre l'autorité et la raison , c'est entre le
despotisme et la liberté; vous aurez beau employer tous les
sophismes d'un esprit ingénieux pour intervertir la question,
vous n'arriverez jamais à un accommodement entre tes deux
principes, qui diffèrent l'un de l'autre comme la nuit du
Jour-
Les documens sur la filiation et les migrations des peuples,
sont trop incertains et trop peu nombreux pour fournir à une
histoire complète et bien suivie. On ne peut que se renfermer
dans un cercle d'hypothèses plus ou inoins contestables, se
contenter de comparer ensemhle les diverses traditions de
l'antiquité et faire ressortir les rapports qui les lient, ainsi que
ceux qui se trouvent dans les mœurs, les lois et les religions
HISTOIRE. 267
desdifférenspeuplesde l'univers. Sous ce rapport, l'ouvrage de
M. de Brotonne est fort remarquable et atteste uue érudition
profonde, des recherches consciencieuses. Les seuls faits qui
paraissent à peu près prouvés et qu'il expose comme tels ,
d'après les meilleures sources, sont 1° l'existence de trois ra-
ces humaines distinctes, qui se trouvent placées à des degrés
différens sur l'échelle de la civilisation. Ici l'auteur appuie
peut-être trop sur cette différence, et en induit un peu légè-
rement une inégalité de facultés intellectuelles. Sommes-nous
bien sûrs que la race mongole, ou même la race nègre , n'aient
jamais tenu en main le sceptre de la civilisation? Et alors ne
pouvaient-elles pas aussi se croire, à cette époque, supérieures
à la race caucasienne , plongée encore dans la barbarie?
2° L'unité primitive du langage , qui ne se «divisa que peu
à peu en langues diverses, dont on peut encore aujourd'hui
•saisir quelques-uns des rapports communs qui semblent leur
donner à toutes une même origine.
3° L'existence primitive d'un peuple unique , appelé Indo-
Perse ou Bactrian , duquel sont sortis tous les autres. Cette
dernière hypothèse parait la moins sûre et la plus difficile à
prouver. Elle semble surtout se contredire avec l'existence de
trois races humaines distinctes.
HISTOIRE DE FRANCE , par M. Michèle t, professeur à l'école Normale ;
tome 3. — Paris , chez Hachette , 1837. 1 vol. in-8. 7 fr. 50 c. — ORI-
GINES du droit français, cherchées dans les symboles et for-
mules du droit universel; par le même. Paris, chez Hachette , 1837.
1 vol. in-8. 7 fr. 40 c.
Les Vêpres Siciliennes, la révolte du roi de France contre le
pape , le supplice des Templiers, la guerre avec l'Angleterre ,
la Jacquerie et l'expulsion des Anglais , tels sont les principaux
événemens relatés dans le premier de ces deux volumes , qui
comprend un siècle, de 1270 à 1380. C'est l'époque où le
moyen-âge commence à décliner devant le pouvoir royal, qui
lutte à la fois contre l'Eglise, et la féodalité. Philippe-le-Bel
accomplit rudement sa part de cette tâche difficile. Il débute
dès les premières années de son règne par exclure tout-à-fait
les prêtres de l'administration de la justice. Cette première
attaque contre le pouvoir du clergé est bientôt suivie d'une
rupture avec Rome. L'Eglise française est soustraite à la do-
mination directe du pontife , et le roi se substitue en quelque
sorte au pape vis-à-vis d'elle, du moins pour ce qui concernait
les revenus et redevances à en tirer, et pour une bonne part
de la suprématie à exercer sur le clergé. Puis vient le procès des
258 LITTÉRATURE,
Templiers , grande injustice qui enrichit le trésor de Philippe,
et augmenta le pouvoir royal en brisant la plus puissante de
ces confréries qui formaient autant d'états dans l'Etat, autant
de gouvernemens indépendans qui usaient et abusaient d'un
pouvoir arbitraire. La ruine des Templiers lut suivie de celle
de .plusieurs autres ordres dont les richesses tentaient la cupi-
dité royale, et dont l'influence pouvait être redoutée. Les
roturiers sont admis à l'acquisition des biens féodaux , les
gens de chicane- et les marchands d'argent commencent à
surgir du milieu de la plèbe , jusque là comptée pour rien.
Ainsi tombe pièce à pièce ce moyen-âge si brillant et si che-
valeresque. Il cède graduellement la place à notre organisa-
tion moderne, et, on ne saurait le nier, au premier abord,
le changement ne pouvait paraître bien avantageux. Au bri-
gandage audacieux et poétique des seigneurs féodaux , qui op-
primaient et massacraient les marchands pour s'enrichir de
leurs dépouilles, succède la fourbe chicanière qui ne vaut
guère mieux, quoiqu'elle procède autrement, dépouillant
d'abord sa victime pour la laisser ensuite périr de misère ou
de chagrin. L'insolence brutale des nobles, jusque là sans
bornes, trouve un contre-poids dans l'impassible fermeté de
ces officiers de la justice chargés de l'application de la loi, de-
vant laquelle tout doit plier.
« Ces Chevaliers en droit , ces âmes de plomb et de fer ,
» les Plasian, les Nogaret , les Marigni , procédèrent avec
» une horrible froideur dans leur imitation servile du droit
» romain et de la fiscalité impériale. Les Pandectes étaient
» leur Bible, leur Evangile. Rien ne les troublait dès
» qu'ils pouvaient répondre à tort ou à droit : Scriptiwi
» est — Avec des textes, des citations, des falsifications,
» ils démolirent le moyen-âge , pontificat , féodalité , cheva-
» lerie. Ils allèrent hardiment appréhender au corps le pape
» Boniface VIII ; ils brûlèrent la croisade elle-même dans la
» personne des Templiers.
» Ces cruels démolisseurs du moyen-âge sont , il coûte de
» l'avouer , les fondateurs de l'ordre civil aux temps moder-
» nés. Us organisent la centralisation monarchique. Us jet-
» tentdans les provinces des baillis, des sénéchaux , des pré-
» vôts, des auditeurs, des tabellions, des procureurs du roi ,
» des maîtres et peseurs de monnaie. Les forêts sont envahies
» par les verdiers, les gruyers royaux. Tous ces gens vont chi-
» caner, décourager, détruire les juridictions féodales. Au
» centre de cette vaste toile d'araignée, siège le conseil des
» légistes sous le nom de Parlement (fixé à Paris en 1302).
» Là , tout viendra peu à peu se perdre, s'amortir sous l'au-
» torité royale. Ce droit laïque est surtout ennemi du droit
HISTOIRE. 259
» ecclésiastique. Au besoin, les légistes appellent à eux les
» bourgeois. Eux-mêmes ne sont pas autre chose , quoiqu ils
» mendient l'annoblissement , tout en persécutant la no-
»> blesse. »
Sous les successeurs de Pbilippe-le-Bel , la noblesse cher-
cha bien à ressaisir le pouvoir qui allait lui échapper, et la
guerre avec l'Anglais sembla lui venir en aide pour lui en
fournir une belle occasion , en la rendant plus indispensable
que jamais au roi , qui ne pouvait compter que sur elle pour la
défense de ses états. Mais , au milieu de tous ces beaux faits
d'armes que l'historien chroniqueur par excellence, Froissait,
se plaît tant à conter, le peuple souffrait cruellement; car vain-
queurs et vaincus l'opprimaient, le pillaient également, et,
de quelque côté que fût le triomphe, c'était lui qui le payait de
§es sueurs , de ses épargnes, de son sang. Les paysans poussés
à bout se soulevèrent donc, et l'on eut les horribles scènes de
la Jacquerie. Ce fut le prélude sanglant de cette lutte si lon-
gue entre le peuple et ses tyrans privilégiés. Le pays se vit
jeté dans une anarchie presque complète, à la vérité, mais
de laquelle devait sortir sa régénération. Le désordre arrivera
bientôt a son comble, lorsque le sceptre se trouvera dans la
main débile d'un roi fou , mais:
« Patience! sous la rude éducation des guerres, sous la
» verge de l'Anglais, la brute va se faire homme. Serrée de
» plus près tout-à-l'heure , et comme tenaillée , elle échap-
» pera, cessant d'être elle-même, et se transfigurant; Jacques
» deviendra Jeanne , Jeanne la vierge , la Pucelle.
» Le mot vulgaire, un bon Français, date de l'époque des
» Jacques et de Marcel. La Pucelle ne tardera pas à dire : « Le
» cœur me saigne , quand je vois le sang d'un Français. »
» Un tel mot suffirait pour marquer dans l'histoire le vrai
» commencement de la France. Depuis lors ., nous avons une
» patrie. Ce sont des Français que ces paysans, n'en rougissez
» pas; c'est déjà le peuple français , c'est vous , ô France. Que
> l'histoire vous les montre beaux ou laids, sous la capucede
» Marcel , sous la jaquette des Jacques , vous ne devez pas les
» méconnaître. Pour nous, parmi tous les combats des no-
>> blés, à travers les beaux coups de lance c<ù s'amuse l'in-
» souciant Froissait , nous(' chercherons ce pauvre peuple.
» Nous Tirons prendre dans cette grande mêlée , sous l'éperon
» des gentilshommes, sous le ventre des chevaux. Souillé,
» défiguré, nous l'amènerons tel quel au jour de la justice et
» de l'histoire, afin que nous puissions lui dire, à ce vieux
» peuple du quatorzième siècle : Vous êtes mon père , et vous
» êtes ma mère. Vous m'avez conçu dans les larmes. Vous
» avez sué la sueur et le sang pour me faire une France. Bénis
260 LITTÉRATURE,
» soyez-vous dans votre tombeau. Dieu me garde de vous
» renier jamais. »
Cette citation donne une idée du style nerveux , concis ,
énergique de M. Miclielet , qui cherche sans cesse , peut-être
même un peu trop , à frapper par l'originalité de l'expression ,
à graver dans la mémoire par la force de l'image. Il oublie
souvent que l'historien doit d'abord raconter, et il se laisse vo-
lontiers entraîner par son talent à esquisser à grands traits les
caractères des hommes et des époques , sans trop se soucier
du détail des événemens. Cependant il ne néglige rien de ce
qui tient aux mœurs et peut servir à faire connaître le peu-
ple. Sous ce rapport il est bien supérieur à la plupart des his-
toriens , il se montre franchement du peuple , et du peuple
de notre siècle , qui , éclairé sur ses véritables droits , place
aussi sa véritable gloire dans les efforts de ses ancêtres poul-
ies conquérir. Son style peut paraître quelquefois bizarre ,
mais cette bizarrerie même lui donne en certains passages
une vigueur tout-à-fait remarquable. Ecoutez-le nous peindre
l'état du clergé au commencement du xive siècle :
« Entre ce roi affamé et ce peuple étique, il y avait pour-
» tant quelqu'un de rick?. Ce quelqu'un , c'était l'Eglise.
» Archevêques et évêques, chanoines et moines, moines an-
» ciens de Saint- Benoît , moines nouveaux, dits mendians,
» tous étaient riches et luttaient d'opulence. Tout ce monde
» tonsuré croissait des bénédictions du ciel et de la graisse de
» la terre. C'était un petit peuple heureux, obèse et reluisant,
» au milieu du grand peuple affamé qui commençait à le re-
» garder de travers. »
Et plus loin avec quelle énergie il trace le portrait du
Juif:
« Au moyen-âge, celui qui sait où est l'or, le véritable alchi-
» miste, le vrai sorcier, c'est le Juif; ou le demi-Juif, le Lom-
» bard. Le Juif, l'homme immonde, l'homme qui ne peut
» toucher ni denrée ni femme, qu'on ne la brûle ; l'homme
» d'outrage sur lequel tout le monde crache, c'est à lui qu'il
» faut s'adresser.
» Sale et prolifique nation , qui par dessus toutes les au-
» très eut la force multipliante, la force qui engendre, qui
» féconde à volonté les brebis de Jacob ou les sequinsde Shy
» lock. Pendant tout le moyen âge, persécutés, chassés, rap-
» pelés, ils ont fait l'indispensable intermédiaire entre le fisc
» et la victime du fisc, entre l'agent et le patient, pompant
» l'or d'en bas, et le rendant au roi par en haut avec laide
» grimace Mais il leur en restait toujours quelque chose...
» Patiens, indestructibles, ils ont vaincu par la durée. Ils
» ont résolu le problème de volatiliser la richesse; affranchis
HISTOIRE. 261
» par la lettre de change, ils sont maintenant libres, ils sont
» maîtres; de soumets en soumets, les voilà au trône du
» monde. »
On le voit , si cette manière d'écrire est vivement colorée
et pleine de vie, il serait dangereux d'en abuser cependant,
parce qu'elle fatiguerait bientôt le lecteur par sa mardi e sac-
cadée. De plus elle peut facilement tomber dans la familiarité
et perdre ainsi le ton digne et grave de l'bistoire.
Au reste, elle s'accorde peut-être mieux que tout autre
avec l'époque historique que M. Michelet avait à retracer.
Sa libre allure tient de la brusque naïveté et de la rudesse
franche et grossière de ces âges reculés. Mais s'il nous était
permis d'adresser à l'auteur une observation , nous lui con-
seillerions de modifier son style à mesure qu'il se rappro-
chera de notre temps, et d'ajouter ainsi un mérite de plus
à son travail par une teinte locale qui pourra servir à faire
mieux comprendre encore les diverses époques de l'histoire.
— Les Origines du droit sont un livre savant qui a dû
coûter de longues et pénibles recherebes, mais qui cependant
intéressera les hommes les moins versés dans l'étude du droit.
Il a pour objet d'établir la filiation qui unit les coutumes du
vieux droit français avec les anciennes coutumes germaniques
et autres, si poétiques dans leur naïveté primitive. La poésie
du droit est morte aujourd'hui; à ses antiques formules, à
ses images symboliques ont succédé les formes simples, gra-
ves , prosaïques du droit moderne. A mesure que la barbarie
s'en allait , elle a emmené avec elle tous ces symboles, tons
ces signes par lesquels on cherchait jadis à impressionner vi-
vement les esprits. Sans regretter précisément ces formes ,
M. Michelet croit qu'elles ont eu leur utilité, leur influence
bienfaisante, et il les considère d'ailleurs comme un sujet
historique fort curieux. Prenant l'homme dès son entrée dans
le monde et suivant les diverses phases de sa vie, il nous ex-
pose toutes les formules qui l'entouraient depuis le berceau
jusqu'à la tombe, donnant un sens profond et mystérieux à
la plupart de ses actions et employant pour agir sur son esprit
encore peu éclairé la crainte superstitieuse, le mysticisme reli-
gieux, à la place de la raison dont il n'eût pu comprendre la
voix. L'auteur a emprunté à tous les peuples de l'antiquité
leurs pratiques et leurs usages pour en former un tableau
curieux dans son ensemble et dans ses détails. On y trouve
une foule de coutumes bizarres, naïves, touchantes, qui rap-
pellent la simplicité primitive et les premiers développe-
mens de l'organisation sociale ; d'autres, cruelles et barbares ,
témoignent de la rudesse des mœurs chez ces peuples guer-
riers, pour lesquels la justice était toujours armée d'un glaive
262 LITTEIUTURE ,
et d'une hache, prête à frapper sans pitié le coupable. Ici
ce sont des cérémonies pleines d'une douce et tendre allégorie
qui entourent le berceau du nouveau né ; c'est le miel et l'or
que les lois de l'Inde veulent qu'on lui fisse goûter dès sa
naissance; c'est son bien dont la coutume allemande s'in-
quiète et qu'elle ne permet de vendre qu'en cas de nécessité
suprême, pour lui sauver la vie. Ce sont les formules gra-
cieuses et poétiques du mariage, qui chez la plupart des peu-
ples apparaît comme une seconde naissance, comme l'entrée
de l'homme dans une vie nouvelle, où il doit accomplir la
plus belle part de sa destinée. C'est la symbolique féodale
avec toutes ses allures bizarres, puériles en apparence, sou-
vent cruelles dans tout ce qui touche surtout à la justice et
aux châtimens des coupables. Les usages qu'avait créés la
féodalité sont innombrables ; la vie se trouvait cernée dans un
rempart de pratiques extérieures qui ne laissaient sans doute
pas à l'esprit le temps dépenser, à l'âme celui de sentir, à l'in-
telligence celui de se l'éveiller. Enfin, le dernier acte de la vie
humaine, la mort se présente encore avec mille cérémonies
diverses, suivant la manière dont les différens peuples l'ont
envisagée. Chez beaucoup d'entre eux la vieillesse eut be-
soin pour être respectée de l'autorité des lois qui commandè-
rent aux enfans d'honorer la tête blanche de leur vieux père,
et de lui rendre dans ses derniers ans les soins qu'ils en
avaient reçus durant leurs premières années. Ailleurs le
vieillard sentant venir sa fin, s'éloigne de la société et va dans
la solitude attendre la mort.
« Quand le brahmane voit ses cheveux blanchir, et qu'il
» a sous ses yeux le fils de son fils, il s'en va dans quelque
» forêt, habiter seul sous le ciel, parmi les racines d'un figuier
» indien. Ayant déposé en lui le feu sacré, il n'a plus de feu
» domestique; il vit de fleurs ou de racines. Il attend, silen-
» cieux comme l'ouvrier, le salaire du jour. Il ne désire point
» la mort, il ne désire point la vie. Bientôt, il laissera l'odieuse
» enveloppe comme l'oiseau quitte la branche, comme des
» bords d'une rivière, la terre et l'arbre se détachent.
» Le christianisme, entre toutes les religions, a aimé la
» la mort; il l'a embellie à plaisir, l'a parée tendrement,
» comme une sœur qu'on mène à l'autel. Il a fait mieux; il
» lui a changé son nom, il a juré qu'elle était la vie. 11 a
» appelé le dernier jour : Natatis dics. — « Non nioriar, sed
>' vivam , et narrabo opéra Domini. » — La légende dit d'un
» Saint qui meurt : Et alors, il commença de vivre et cessa de
» mourir! « Et tune viverc ineœpit, morujue riesiit. »
Mais toutes ces formes poétiques ne pouvaient convenir
qu'à des temps d'ignorance primitive et de foi naïve. Du mo-
HISTOIRE. 563
ment où le raisonnement se glissa dans les esprits elles durent
perdre toute leur efficacité , et devenir bientôt une source
d'erreurs et d'injustices nombreuses. Ceux qui profitèrent de
ces abus y prirent goût , et quand ils virent que ces ruines du
moyen-âge ne pouvaient plus subsister, ils surent babilement
remplaces les formes pratiques, par les formules de l'Ecriture.
La poésie des formes fut reléguée dans le domaine des tradi-
tions , mais les abus qu'elles recouvraient furent scrupu-
leusement conservés. Ils substituèrent à ces vieux usages
l'astuce d'un langage obscur, à double entente, d'un stvle
barbare, embrouillé à dessein et tout-à-fait étranger au lan-
gage vulgaire. Tristes monumens d'un égoïsme anti-social,
qui jusqu'à nos jours a résisté à tout et obstrue encore aujour-
d'bui les voies de la justice même cbez les nations les plus
civilisées.
mémoires de GRÉGOIRE, ancien évêquc de Blois-, député à l'assem-
blée Constituante, etc., précédés d'une notice historique sur l'auteur
par M. H. Carnot. —Paris, 1837, 2 vol. in-8. 15 fr.
La vie de l'abbé Grégoire se rattache trop à tous les événe-
mens de la révolution française, pour ne pas exciter un vif
intérêt. Ce prêtre fut un de ceux qui se jetèrent le plus fran-
chement dans le mouvement qui entraînait alors tous les
esprits éclairés. Il embrassa avec ardeur les idées révolution-
naires et fut un des premiers à prêter serment aux nouvelles
institutions , mais sans jamais renoncer au caractère sacré de
sa vocation. Son attachement à la religion l'exposa même plus
d'une fois à de vives attaques de la part de ses collègues à la
Convention ; mais la ténacité de son caractère et la hardie
fermeté avec laquelle il soutint son rôle l'emportèrent à la fin
sur toutes les résistances. lise montra le plus zélé à rouvrir les
temples au culte catholique, et soutint avec une égale per-
sistance la double lutte dans laquelle il s'engagea ainsi d'une
part avec les conventionnels jacobins, qui ne voulaient plus
de prêtres, et de l'autre avec les prêtres récalcitrans et la cour
de Rome, qui les appuyait de son approbation. Cette position
difficile lui suscita une foule d'ennemis, et il se vit durant toute
sa vie en butte à la calomnie. Mais l'activité infatigable de
son esprit ne lui laissait pas le temps de s'en tourmenter beau-
coup. Aux attaques de la méchanceté , aux persécutions du
pouvoir, il répondait par une charité intarissable qui semait
ies bienfaits à profusion, et par un zèle peu commun pour la
propagation des lumières , zèle qui lui faisait employer une
bonne part de son revenu à acheter des livres pour les répan-
dre d'un bout du monde à l'autre, partout où il pensait qu'il
264 LITTERATURE ,
fût nécessaire d'éclairer et d'instruire. Les mémoires que pu-
blie M. Carnot ont été rédigés par M. Grégoire lui-même, en
l'année 1808, et offrent des détails curieux sur les hommes et
les choses de la Révolution. On y trouve surtout beaucoup de
faits peu connus relatifs au clergé. L'éditeur, dans une notice
fort remarquable qui remplit presque tout le premier volume,
raconte la dernière partit; de sa vie, et complète ainsi sa bio-
graphie qu'il livre au public comme un monument élevé à la
mémoire d'un homme probe, vertueux et véritable ami de
son pays.
ÉLOGE de BENJAMIN CONSTANT, prononcé le 12 juin 1833, dans la
chaire de l'Athénée royal de Paris, par Michel Derr, In-8. — LET-
TRES DE VOLTAIRE à Mme Du Deffant, au sujet du jeune de Re-
hecque, devenu plus tard cclèhre sous le nom de Benjamin Con-
stant. Paris, 1837. Iu-8. 1 fr.
B. Constant fut sans contredit un des publicistes les plus
remarquables de notre époque. Sa place était au premier
rang de cette courageuse et persévérante opposition qui , soit
à la tribune ,soit dans les journaux, combattit pendant quinze
ans la déplorable influence de la Restauration. Né et élevé en
Suisse, mais venu fort jeune à Paris, il s'était promptement
distingué par le talent avec lequel il maniait la plume et trai-
tait les questions politiques. Lorsque la carrière parlementaire
lui fut ouverte , il se montra aussi éloquent orateur que bon
écrivain , et il eût sans doute déployé d'autres capacités en-
core dans la nouvelle condition que lui eût probablement faite
la révolution de Juillet, si la mort n'était venue le frapper
peu après ce grand événement.
L'éloge de M . Berr relate toutes les circonstances de la vie de
B. Constant et donne une analyse de ses nombreux travaux
ainsi qu'une appréciation, un peu exagérée peut-être par l'a-
mitié, de leurs divers mérites. Le style de l'auteur est fort pro-
lixe, surchargé de phrases incidentes , de digressions, de pa-
renthèses, à mettre hors d'haleine tout lecteur qui ne possède
pas au même point que lui cette merveilleuse volubilité de
langue dont il est doué. M. Michel Berr, comme quiconque
poursuit un but, un système, une idée fixe, entremêle à tout
ses vues sur la régénération de la race juive. Israélite lui-
même, il a compris que le temps était venu de réformer aussi
cet ancien culte et de contribuer à combler la distance qui
sépare les Juifs des Chrétiens, en faisant faire aux premiers
la moitié du chemin. Avec un zèle fort louable sans doute,
mais jusqu'ici peu récompensé, il cherche à propager ses
idées à cet égard et à se ci'ier quelque influence au milieu
HISTOIRE. 265
de ses coreligionnaires , chez lesquels il rencontre une double
opposition , dans les fidèles adorateurs des anciens usages et
dans l'aristocratie d'argent, qui ne se soucie guère du progrès
intellectuel ou moral. Nous ne connaissons pas assez l'état de
cette question pour pouvoir juger la portée des vues de
M. Berr, mais ce que nous voudrions , ce que nous appelons
de tous nos vœux, c'est qu'on se hâte de rendre partout aux
Juifs les droits civils , dont on les a si long-temps injustement
privés; c'est qu'on anéantisse ainsi ce barbare anatbème que
le christianisme a malheureusement contribué à perpétuer,
quoiqu'il fût si peu d'accord avec les principes de chanté et
d'amour qui forment la base de sa divine morale.
— Les Lettres de Voltaire au sujet de Benjamin Constant
offrent un piquant intérêt. Il est curieux de voir comment la
sagacité du Patriache de Ferney découvre dans les saillies
d'un enfant de douze à treize ans tout l'avenir d'un homme
célèbre. Mais ces lettres sont-elles bien autbentiques ? Nous
avouons avoir des doutes à cet égard, non qu'on n'y retrouve
bien le caractère et le cachet du grand écrivain , si aimable
causeur dans les innombrables lettres de toute sorte qu'il
écrivait chaque jour ; mais une préface dans laquelle l'éditeur
explique comment ces lettres sont venues entre ses mains et
dévoile, en cherchant à la pallier, une erreur de date dans
l'âge du petit de Rebecque, nous a fait soupçonner qu'il pour-
rait bien y avoir là-dessous quelque bonne mystification lit—
téraire. Si cela est , l'éditeur n'en a que plus de mérite. Il est
impossible de mieux rendre la légèreté spirituelle et gaie ,
la grâce parfaite , et la plaisanterie mordante du vieillard de
Ferney. 11 a fallu pour cela une étude approfondie de son style
jointe à une facilité d'imitation bien grande. C'est en quel-
que sorte l'art du comédien transporté dans les lettres et la
faculté imitative appliquée aux pensées et au style, au lieu de
l'être aux paroles et aux gestes.
le comte D'Artois et l'Émigratiox , histoire impartiale, par
P. Pierre de Champrobert. — Paris, 1837. ln-8, 7fr. 50c.
L'émigration fut certainement la période la plus active
et la plus intéressante de la vie de Charles X. A cette époque
seulement il joua un rôle sur la scène politique, et l'on put
juger quels étaient ses moyens et ses sentimens réels. Jusque
là sa vie s'était écoulée entre les plaisirs et les petites in-
trigues d'une cour dissolue. Elevé au milieu de la corruption
qui entourait les marches du trône pendant les dernières
années du règne de Louis XV, il avait pour ainsi dire respiré
•9
26C LITTÉRATURE ,
dès l'enfance les plus détestables principes. Les succès que
lui valaient et sa qualité de prince et ses avantages physiques
plus réels, enivraient facilement le jeune homme cpii s'appli-
quait alors à briller bien plus par l'élégance de ses manières,
par l'extravagance de ses caprices , et par ses goûts effrénés
de dissipation, qu'en travaillant à acquérir la science des
hommes et des choses.
Lorsque plus tard il monta sur le trône, Charles X disparut
entièrement derrière la faction qui, s'emparant de lui, en avait
fait son instrument, son mannequin destiné à porter le man-
teau royal et le sceptre, tandis qu'elle se réservait le pouvoir,
pour faire à son gré rétrograder la nation française vers ces
temps d'ignorance et de féodalité dont elle regrettait si vive-
ment tous les privilèges tyranniques. Elle devina parfaite-
ment bien quel était le côté faible du monarque et, comme
le dit avec beaucoup de justesse l'auteur dans sa préface, «la
« couronne de Charles X fut jouée contre un peu d'encens et
» quelques bouffées de vanité dévote ! »
Quand la Révolution commença à faire retentir les premiers
accens de la terrible voix |populaire , le comte d'Artois , livrg
à cette vie de plaisirs et de folles dépenses qui précipita si
rapidement la ruine de la monarchie, ne comprit ni l'esprit
de l'époque, ni les événemens qui se préparaient. Il crut
d'abord que des intrigues suffiraient pour arrêter l'élan dé-
mocratique, et lorsque le débordement rompit toutes les
digues , il fut le premier à donner le signal de la fuite. Son
exemple entraîna la foule des courtisans et des peureux, qui
allèrent le rejoindre dans l'émigiation, donnant pour excuse
à une conduite si peu d'accord avec leurs fanfaronnades et
leurs protestations de dévouement, le mépris, et la crainte de
se compromettre en daignant combattre des ennemis que le
prince lui-même jugeait indignes d'un tel honneur.
Pendant tout le temps que dura ce long exil, le comte d'Ar-
tois demeura entouré de tout ce qu'il y avait de plus exalté
dans la vieille noblesse et dans le clergé. On le regardait
comme le représentant de cet esprit chevaleresque sur lequel
on comptait pour reconquérir le royaume. L'esprit plus éclairé
et parfois assez caustique de son frère éloignait de celui-ci
un grand nombre d'émigrés ; d'ailleurs le comte d'Artois
était doué d'un cœur plus sensible et accueillait mieux bien
des dévouemens que Louis XVIII repoussait avec une du-
reté, une sécheresse d'âme que l'exil même n'avait point
modifiées. Quoi qu'il en soit , le prétendu héroïsme du comte
d'Artois ne sut trouver aucune occasion de se montrer autre-
ment qu'en paroles. Il s'occupait plus volontiers de négocier
que d'agir. Plusieurs missions auprès des souverains étran-
HISTOIRE. 267
gers, pour les engager à soutenir la cause des princes exilés,
lui plurent d'autant plus qu'elles lui permettaient d'étaler
encore quelque magnificence et de se procurer toutes les
jouissances du luxe. Mais la seule entreprise à la tète de la-
quelle il se mit pour tenter un débarquement en France se
termina brusquement , avant qu'il pût seulement se montrer
sur le champ de bataille. Aussi le livre de M. Champrobert,
qui parait écrit avec une haute impartialité, sans la moindre
trace d'esprit de parti , ni de prévention quelconque , ne
donne-t-il pas une grande idée des facultés intellectuelles du
dernier roi de France. Il nous le représente comme le type
de ces émigiés pour qui les grandes leçons de la révolution
française furent comme non avenues, et qui après vingt ans
d'exil rentrèrent dans leur patrie avec les mêmes préjugés,
les mêmes haines, les mêmes espérances que s'il n'en étaient
partis que la veille. Et pour dernier trait de ressemblance,
Charles X n'avait aucune des qualités nécessaires pour faire
un despote, pour combattre avec avantage les idées révolu-
tionnaires et pour ramener sous le joug uu peuple qui avait
secoué ses liens.
VOYAGE du maréchal duc de Raguse en Hongrie, en Transylvanie, dans
la Russie méridionale, en Crimée et sur les bords de la mer d'Azoff,
à Constantinople , dans quelques parties de l'Asie- Mineure , en Syrie,
en Palestine et en Egypte. — Paris , 1837. tomes I et H. 2 vol. in-8.
16 fr.
Si nous en croyons le prospectus qui se trouve en tête de
cet ouvrage , M. de Raguse est tout à la fois un Xénophon,
un Vauban et un Ulysse. Ses Mémoires sont le livre le plus
remarquable, le plus important, et, selon la curieuse expres-
sion employée par celui qui a écrit ce prospectus , le plus uni-
que qu'on ait publié depuis bien des années.
Quelque accoutumé que l'on soit au style boursoufflé de la
littérature marchande , on ne pourra qu'être frappé de la
dose plus qu'ordinaire d'exagération et de charlatanisme ré-
pandue dans cette prodigieuse annonce. Elle produit d'autant
plus d'effet , qu'elle contraste singulièrement avec le journal
de M. de Raguse , dont le style fort simple et souvent même
trop négligé ne semble guère cacher de si hautes prétentions.
Désireux sans doute d'employer utilement les loisirs de l'exil
volontaire que lui avait imposé la révolution de 1830, M. de
Raguse a parcouru des contrées en général peu connues, et il
raconte jour par jour les événemens de son voyage , ainsi que
les observations qu'il a pu faire. Il donne quelques détails
intéressans sur l'état actuel de la Hongrie et de la Russie mé-
ridionale, ainsi que sur celui de la Turquie. Malheureuse-
268 RELIÔION,
ment il voyage trop en grand seigneur, et séjourne en général
fort peu de temps dans les divers lieux qu'il décrit. D'ail-
leurs les principaux objets de ses remarques sont circonscrits
dans une sphère assez étroite, qui ne s'étend guère au-delà
de l'hippiatrique et de l'art militaire. Le cheval et le soldat
semblent être à ses yevix les deux premières richesses de tout
pays, les élémens véritables de sa force et de sa prospérité. Ce
sont du moins ceux dont il parle le plus et auxquels il con-
sacre toujours la meilleure place dans ses souvenirs. Sous ce
rapport, son livre offre peut-être un assez grand intérêt de
spécialité ; mais la plupart des lecteurs regretteront sans
doute de n'y pas rencontrer plus de charmes dans les descrip-
tions , plus de traits de mœurs et d'incidens de voyage. De
son côté , M. le maréchal-duc saura probablement fort peu de
gré à son éditeur d'avoir été si maladroitement accoler son
nom à ceux de Xénophon , de Vauban et d'Ulysse. La fable
de Y Ours et de l'Amateur des jardins ne figurerait pas mal en-
tre le Prospectus et le livre de M. de Raguse.
RELIGION, MORALE, EDUCATION.
HISTOIRE DU PEUPLE JUIF mêlée de réflexions à l'usage de la jeunesse,
par Mme Mary Meynieu. — Paris, chez Ab. Cherbuliez et C, 1837.
1 vol. in-12. 2 fr.
L'auteur de ce livre a voulu réunir dans un résumé clair et
concis tout ce que l'histoire du Peuple juif peut offrir d'inté-
ressant et d'utile pour la jeunesse. Empruntant à Y Ancien-
Testament ceux de ses récits qu'elle a jugés les plus propres à
remplir son but, madame Meynieu les a mis à la portée de
l'enfance, soit parla simplicité et la clarté de son style, soit
par les réflexions dont elle les a entremêlés. L'esprit le plus
éclairé paraît l'avoir guidée dans ce travail, qui est fort supé-
rieur à tout ce qu'on avait fait jusqu'ici en ce genre. Autant
que possible , elle s'efforce de ne mettre aucune idée fausse
dans la tète de ses jeunes lecteurs ; elle concilie la foi avec la
raison , et s'attache surtout à leur faire saisir le sens moral, ca-
ché sous le langage allégorique oriental, si souvent usité dans la
Bible. Ecrit avec un talent fort remarquable , ce petit volume,
quels que soient les préjugés qu'il aura à vaincre, quels que
soient les obstacles qu'il rencontrera, finira sans doute par
obtenir le succès qu'il mérite. Il vaut mieux écrire pour l'a-
venir que pour le passé. On est moins bien accueilli peut-être
MORALE, ÉDUCATION. Î89
dès le premier abord ; mais on peut espérer de survivre à tant
de médiocrités littéraires , dont l'éphémère succès est suivi
bientôt du plus complet oubli.
AVENTURES DE ROBIXSOff CRUSOE , par Daniel de Foé, trad. par
Mme A. Tastu , suivies d'une notice sur Foé et sur le matelot Selkirk,
par Louis Reybaud, et ornées de 50 gravures sur acier, d'après les
desseins de M. de Sainson. — Paris, chez Didier. 2 vol. in-8. fig.
Le chef-d'œuvre de Foé, en possession depuis si long-temps
déjà de la première place parmi les livres destinés à la jeunesse,
a été en général plus'" ou moins gâté par les traducteurs , imita-
teurs et faiseurs de toute espèce , qui se sont mêlés de lui faire
passer le détroit pour le naturaliser en France. Les uns lui
ont enlevé toutle charme de naturel etde simplicité qu'offre le
style de l'auteur; les autres ont voulu l'abréger , et ont mon-
tré peu de discernement dans les retranchemens qu'ils ont
jugé couvenable d'y faire. L'esprit religieux, qui domine d'un
bout à l'autre l'histoire du pauvre Robinson , était trop
étranger au caractère français du siècle dernier, pour pouvoir
être compris et bien rendu. Foé avait certainement une ten-
dance prononcée vers la religiosité , qui ne pouvait être ap-
prouvée des philosopbes incrédules , et qui en même temps ,
dépouillée de toute pratique superstitieuse , apparaissait au
parti contraire sous une couleur plus philosophique que reli-
gieuse.
Aujourd'hui il s'est opéré un changement à cet égard dans
les esprits. On commence à séparer la religion de la théologie,
et à comprendre que la première gît dans le sentiment et
non dans de vaines pratiques. Robinson Crusoé a. donc été étu-
dié de nouveau, mieux compris, et l'on a essayé d'en donner une
nouvelle traduction. Commencée par M. L. Reybaud, avec un
peu de négligence peut-être , elle a été terminée avec plus de
soin par madame Tastu. L'œuvre de Foé y est reproduite
dans son entier , avec toutes les réflexions quelquefois as-
sez longues de l'auteur. Comme travail littéraire, on a bien
fait peut-être de respecter ainsi l'original ; mais alors on fera
bien également, pour une seconde édition , de revoir le style,
de lui donner plus d'élégance, plus de mouvement. Comme
ouvrage destiné à la jeunesse , il faudra en élaguer les médita-
tions mystiques , qui entravent la marche des événemens et
sont au-dessus de la portée des enfans. Un livre tel que celui-
là , dont le succès est assis sur des bases inébranlables , mérite
bien qu'on s'y reprenne à plusieurs fois, et pour envoyer son
nom à la postérité à côté de celui de l'écrivain anglais, un tra-
ducteur ne doit pas reculer devant le travail ; il faut qu'il re-
270 RELIGION,
motte sou ouvrage sur le métier, jusqu'à ce qu'il soit parvenu
à le rendre complètement digne du chef-d'œuvre original.
CONTES AUX JEUNES GARÇONS, par MmeZ. S. Belloc et Miss Edge-
wortk. 1 vol. in- 18. t fr. 50 c. — contes aux jeunes filles, par
les mêmes. Paris, chez Hachette. 1 vol. in-18. 1 fr. 50 c.
Trois contes , dont deux de miss Edgeworth et l'autre de
madame Belloc, remplissent ces deux petits volumes qui sont
un fort joli cadeau à faire à un enfant. L'histoire de Simple
Suzanne ou La Reine de mai , est très-touchante et remplie
d'utiles leçons. C'est le triomphe de la vertu simple et naïve
sur les machinations des médians qui la persécutent. Il y a
beaucoup d'intérêt dans ce récit. On n'y trouve point cette
sécheresse qui se remarque souvent dans les écrits , d'ailleurs
excellens et fort nombreux , que les Anglais possèdent pour la
jeunesse. .
Garry Owen , ou La Femme sous la neige, fait également
honneur au bon goût de madame Belloc dans le choix de ses
traductions.
C'est encore une histoire simple et faite pour exciter de dou-
ces émotions. On reprochera seulement peut-être au style
d'avoir quelquefois un peu trop de prétention à la naïveté.
A quoi bon mettre sous les yeux des enfans un langage incor-
rect ? C'est une teinte de couleur locale qui est pour eux sans
aucune valeur, et plutôt nuisible qu'utile.
Dans Persévérance , de madame Belloc , nous trouvons
l'histoire de Bernard de Palissy, le célèbre potier qui inventa
le premier l'art de colorer et de vernir la faïence. Pauvre et
chargé d'une nombreuse famille , cet homme de génie em-
ploya sa vie à des études profondes, à des essais réitérés avec
une admirable patience, jusqu'à ce qu'il eût atteint le but
qu'il s'était proposé. Il eut à lutter non-seulement contre
la misère, mais encore contre le découragement, mal bien
plus cruel et plus difficile à guérir. Sa volonté ferme, sa
philosophie stoïque , le soutinrent au milieu des plus rudes
échecs, et il finit par se faire un nom célèbre, une position
brillante. Cette esquisse biographique est à la fois très-inté-
ressante et riche en leçons utiles. C'est un genre d'écrit qui
me paraît plus que tout Mitre convenable pour la jeunesse ,
car il joint l'intérêt et la véracité de l'histoire au charme qui
s'attache à une vie aventureuse et semée d'épisodes variés.
Il est d'ailleurs très-propre à exciter l'esprit, à réveiller les
facultés, en montrant ce que l'homme peut faire avec du tra-
vail et de la persévérance.
ÉCONOMIE POLITIQUE, ETC. Vt
LÉGISLATION, ECONOMIE POLITIQUE, COMMERCE.
DE LA DÉMOCRATIE NOUVELLE, par Edouard Alletz. — Paris, 1837.
2 vol.in-8. 15 fr.
L'auteur de cet ouvrage donne le nom de démocratie nou-
velle à la puissance des classes moyennes en France. On pourra
contester la justesse de cette dénomination , car si notre épo-
que présente une tendance différente de celle des époques
précédentes, c'est précisément en ce que les classes moyen-
nes, qui formaient bien réellement jadis la démocratie ou le
tiers-état, semblent vouloir aujourd'hui se constituer au con-
traire à leur tour en aristocratie. M. Ed. Alletz le reconnaît
lui-même, puisque dès ses premières pages il nous montre la
fortuue ayant détrôné la noblesse et régnant à sa place. Sans
doute cette nouvelle aristocratie est bien moins restreinte que
l'autre, bien moins stationnaire surtout, car chacun peut y
aspirer par le travail , et l'homme de talent pouvant y arriver
même du sein des classes ouvrières , on comprend que cet état
de choses paraisse à quelques-uns réaliser ce qu'on entend par
une démocratie. Mais ce sont là des subtilités phraséologiques
qui ne mènent à rien ; voilà cinquante ans qu'on se dispute
sur les mots , il est temps d'en venir aux choses et de chercher
le bien ailleurs que dans des formes politiques, dont les
brusques et nombreux changemens entravent la marche des
véritables progrès; tandis qu'on se querellait sur la place pu-
blique pour de vagues théories , les abus ont subsisté dans la
pratique, et n'ont souvent même fait que s'accroître et deve-
nir plus intolérables. Il est temps de faire cesser ces luttes
insensées et d'examiner les institutions existantes dans leurs
rapports avec l'état réel des hommes qu'elles sont appelées à
régir. Il est temps enfin de prendre les hommes tels qu'ils
sont, et non pas tels qu'ils ont été ou tels qu'ils pourront
être un jour.
M. Alletz a bien senti cette nécessité, et son livre renferme
un examen assez détaillé des mœurs actuelles, des modifica-
tions apportées par les événemens politiques aux diverses
relations sociales, des contrastes qu'offre l'état arriéré de
l'instruction populaire à côté des idées de progrès qu'on a
semées le plus souvent au hasard, et qui ont germé dans
un terrain qui n'était point assez préparé à les recevoir.
Toutes ses sympathies sont pour le gouvernement qui régit
actuellement la France , et dans lequel il voit la seule forme
politique qui puisse convenir au pays. Il pense, avec raison ,
272 LEGISLATION,
que dans le calme qui a succédé aux orages des passions et de
l'esprit de parti, on pourra porter plus sûrement et d'une
main ferme la réforme dans toutes les parties de l'administra-
tion qui la réclament. Ainsi se consolidera de plus en plus le
pouvoir des classes moyennes , les principes de liberté passe-
ront des idées dans les institutions , de là dans les mœurs ,
et, sans secousse ni mouvemens trop violens, le pays mar-
chera d'un pas sûr vers cet avenir de grandeur et de pro-
spérité dont il n'est donné à personne de prévoir les bornes.
M. Alletz ne partage point les craintes de ceux qui croient
voir la France marcher à une dissolution générale. Il perce
la superficie, et, sous cette apparence de corruption et d'im-
puissance, il retrouve un principe de vie, qui ne demande
qu'à être favorisé dans son développement pour régénérer le
monde. On ne peut qu'applaudir à ces vues consolantes , ainsi
qu'aux vœux pleins de sagesse et de philanthropie que l'auteur
émet en faveur de l'agriculture et de l'industrie, qu'il voudrait
voir petit à petit débarrassées des entraves qui gênent ces deux
grandes sources de la richesse publique.
Il est fâcheux seulement que ce livre ne soit en quelque
sorte qu'ébauché. C'est un recueil dépensées, de méditations,
qui manque de cet enchaînement logique si nécessaire lors-
qu'on traite des sujets d'une telle importance. On y reconnaît
bien l'auteur des Esquisses de la souffrance morale; c'est le
même stvle, pur, correct, parfois poétique, mais qui con-
vient bien moins au publiciste qu'au philosophe moraliste.
Du reste, il traite en effet la question plutôt sous ses rapports
philosophiques, et le principal but qu'il se propose est d'ob-
tenir l'établissement des moyens propres à /aire avancer de plus
en plus l'éducation de la classe moyenne. Et c'est bien là que gît
en réalité tout l'avenir. On a déjà beaucoup tenté pour ré-
pandre l'instruction; l'impulsion une fois donnée, on a vu et
l'on voit tous les jours le mouvement se dessiner avec plus
de force ; mais pour l'éducation tout est encore à faire , et il
est d'autant plus urgent d'y songer que c'est l'unique moyen
do rappeler les hommes à la morale, d'imprimer uni1 direc-
tion bienfaisante à la science, et d'assurer le triomphe de la
vraie liberté. Nous n'examinerons pas quels moyens propose
M. Alletz pour atteindre ce but, mais nous le féliciterons d'a-
voir employé sa plume et son talent à fixer sur ce grave sujet
l'attention de tous les hommes éclairés.
ÉCONOMIE POLITIQUE, ETC. 373
Rxql'ÈTE sur les causes patentes ou occultes de la faible proportion
des naissances à Montreux , par sir Francis d'Ivernois. — Genève ,
1837. In-8°.
Cette enquête a pour objet le curieux phénomène que pré-
sente une petite commune du canton de Vaud, dans laquelle,
grâce à l'influence de causes qu'il est aujourd'hui bien diffi-
cile de reconnaître, la population est arrivée à ses plus ex-
trêmes limites de décroissemenl. Tandis que dans le reste de
la Suisse le taux commun des naissances est de 1 sur 27 ou 28
habitans, il est à Montreux de 1 sur 46. M. d'Ivernois attri-
bue cela à la prudente prévoyance des habitans de ce village,
et les loue beaucoup d'avoir atteint ainsi un résultat qui de-
vrait être le but des efforts de tout peuple désireux d'échapper
aux malheurs qu'ont prédits Malthus et les autres économistes
anti-populationistes.
« La force intrinsèque des peuples, » dit-il, « et leur degré
de civilisation , dépendent beaucoup moins du nombre des
têtes recensées , que de celui des années vécues ou des vies
utilisables. Plus s'agrandit le nombre des nouveaux nés, plus
se rapetisse la proportion de ceux qu'on conserve ; et vice
versa, plus on en conserve, moins il en renaît. »
Cette vérité est appuyée sur plusieurs faits qui ont conduit
M. d'Ivernois à la regarder comme tout-à-fait incontestable.
La marche de la civilisation doit donc tendre vers le double
but de diminuer le nombre des naissances et d'augmenter la
proportion des enfans que l'on conserve. On comprend bien
en effet qu'un tel résultat est fort désirable, puisqu'en retran-
clrant une foule de maux et de misères qui suivent l'encom-
brement de la population, il augmentera réellement l'aisance
des individus, la puissance de l'état et le bien-être général.
Les paysans de Montreux sont sans doute fort heureux de
l'avoir atteint et de voir ainsi la naissance et la mortalité
également rares parmi eux. Mais comment y sont-ils arrivés?
Quel moyens ont-ils emplovés? Comment les autres peuples
pourront-ils réussir à suivre leur exemple? Ce sont là trois
questions que l'enquête de M. d'Ivernois examine, mais
qu'elle ne résout point. Ici comme dans la plupart des phé-
nomènes que nous présente le monde, nous apercevons fort
bien les effets, sans pouvoir parvenir à découvrir les causes.
Les mariages tardifs apparaissent à M. d'Ivernois comme
devant donner le mot de l'énigme, et il en conclut qu'il faut
encourager ces sortes de mariages, il va jusqu'à proposer un
impôt basé sur l'âge des conjoints. Mais il avoue lui-même
que de semblables mesures ont été à peu près impuissantes
partout où elles ont été prises, et d'ailleurs il faut convenir
274 SCIENCES ET ARTS.
qu'elles ne s'accordent guère ni avec la liberté individuelle,
ni avec la moralité, deux élémens essentiels cependant de la
civilisation.
Comment en effet élever une barrière fiscale contre le ma-
riage du pauvre et lui interdire les jouissances les plus pures,
les plus légitimes qui puissent adoucir sa malheureuse car-
rière, sans entraîner de graves désordres dans les mœurs, sans
risquer de corrompre la société.
C'est une matière qui semble trop délicate pour pouvoir
être réglée par des lois; d'ailleurs, l'exemple de Montreux
prouve qu'il n'est pas nécessaire d'employer de pareils moyens.
11 faut probablement attendre à cet égard tout du temps et de
l'influence des institutions libérales. La seule mesure à pren-
dre est de s'abstenir de tout encouragement à une procréa-
tion surabondante. Mais il est bon d'accueillir avec faveur et
de populariser tout travail du genre de celui-ci, qui a pour but
l'étude de ces grandes questions si importantes pour l'hu-
manité, et qui cherche à signaler au monde les résultats bien-
faisans que produit la marche de la civilisation dans les rares
et petites localités où les circonstances lui permettent de
prendre tout son développement, du moins sous certains rap-
ports matériels.
SCIENCES ET ARTS.
OEUVRES D'histoire naturelle DE GOETHE, contenant scs mé-
moires sur l'anatomic comparée, la botanique et la géologie ; tra-
duits et annotés par Ch. F. Martins, docteur médecin, avec un atlas
renfermant les planches originales de l'auteur et trois belles plan-
ches de botanique accompagnées d'une explication par M. Turpin,
de l'Institut.— Paris, chez Ab.Cherbuliez ctComp6. 1837. 1 vol. grand
in-8 [et atlas grand in-folio. 21 fr.
Si Goethe s'est acquis durant sa vie une haute renommée
comme poète, ses travaux scientifiques méritent également
de le faire ranger parmi les premiers naturalistes de notre
époque. Quittant les régions fantastiques de l'imagination, il
employait souvent à l'étude de la nature les puissantes fa-
cultés de son esprit Avec le coup d'œil juste et hardi du génie,
il cherchait à percer les mystères de la créaàon et se livrait
à l'observation la plus assidue, la plus patiente. Ayant décou-
vert dans l'homme l'os intermaxillaire, que jusque là on lui
avait refusé en croyant ainsi élever une barrière entre sa
structure anatomique et celle du singe , Goethe conçut l'idée
d'un type idéal, qui devait avoir servi en quelque sorte de mo-
SCIENCES ET ARTS. 275
dèle à la nature et auquel se rapporteraient toutes les orga-
nisations diverses dont le globe nous offre des exemples. L'i-
dée d'unité s'unit chez l'homme à celle de puissance, d'ordre
et de majesté; elle séduit d'ailleurs son esprit comme plus
facile à saisir dans son ensemble et dans ses développemens.
Aussi trouvons-nous dans la plupart des systèmes une ten-
dance à nous y ramener. Tous les efforts de la science se
dirigent vers ce but, et sous ce rapport les travaux de Goethe
pourront contribuer beaucoup à son avancement. Avec une
audace qui n'appartient qu'au génie, il reconstruit le type
idéal de tous les êtres vivans. Il nous le montre composé
comme eux de trois parties principales, la tète, le thorax,
l'abdomen. Dans chacune de ces parties se développent con-
stamment des organes semblables dans leur destination res-
pective, quoiqu'ils présentent souvent des différences très-
grandes dans leurs formes extérieures. « La tète occupe la
partie antérieure : c'est le point de concours des organes des
sens; le cerveau, formé par la réunion de plusieurs ganglions
nerveux, règle et concentre ces moteurs tout-puissâns. La
partie moyenne, le thorax, contient les organes de la vie
intérieure qui agissent sans cesse de dedans en dehors. La
partie postérieure ou l'abdomen est occupée par les organes
de la nutrition, de la reproduction , et de la sécrétion des
liquides peu élaborés.»
Chacune de ces parties se développe de diverses manières,
suivant le milieu dans lequel vit tel ou tel animal , et selon
les habitudes auxquelles il est destiné. Le poisson , l'oi-
seau, le quadrupède mammifère, nous offrent trois systèmes
différens bien tranchés , qui se subdivisent eux-mêmes en
des milliers de variétés , d'après les mœurs de chaque espèce.
C'est leur harmonie qui constitue ce que nous appelons la
beauté. Mais il arrive souvent que cette harmonie est dé-
truite par le développement extraordinaire de l'une d'elles ,
qui a toxijours lieu aux dépens des autres. Ainsi, dans la gi-
raffe , un long cou se trouve accompagné d'un petit corps; le
premier semble avoir absorbé presque toute la matière dont
il n'est pas resté assez pour faire le reste de l'animal en pro-
portion avec ce cou qui s'est élevé, allongé, jusqu'à ce que la
tête se trouvât à la hauteur des arbres dont elle broute les
feuilles.
Ces idées sont les mêmes que celles que le savant M. Geof-
froy-St-Hilaire a émises et soutenues dans tous ses écrits, et qui
occasionèrent ses discussions avec Cuvier. Mais, chez Goethe,
elles sont accompagnées d'une tendance assez prononcée
vers le panthéisme, forme sous laquelle se manifeste sou-
vent , dans les esprits allemands , ce doute qui produisit chez
276 SCIENCES ET ARTS.
!es philosophes français du dernier siècle les funestes doc-
trines du matérialisme. Ceux-ci ne voulaient plus voir Dieu
nulle part ; les autres , au contraire , prétendent le voir par-
tout. Entre ces deux partis s'en présente un troisième qui ,
personnifiant Dieu et lui donnant les facultés humaines per-
fectionnées à un haut degré, le font intervenir, comme un in-
tendant, en tout ce qui se passe ici-bas, et expliquent tout par
les causes finales. La raison humaine est impuissante à pro-
noncer dans ce débat ; mais il est assez probable que, dans l'un
comme dans l'autre de ces trois systèmes , il y a de l'exagéra-
tion. Où l'homme n'en met-il pas? Le désir de faire triom-
pher ses idées l'emporte toujours au-delà des bornes, et l'a-
mour-propre lui fait faire plus d'un faux pas sur la route de
la vérité.
Deux planches d'anatomie , lithographiées avec le plus
grand soin par M. Jacob, sont destinées à accompagner cette
partie des œuvres de Goethe. Elles représentent plusieurs
têtes d'animaux et d'hommes, sur lesquelles l'os intermaxil-
Ia.ii e peut facilement se reconnaître.
Dans la botanique, c'est l'idée de la métamorphose qui do-
mine Goethe, et dont il se sert pour expliquer le développe-
ment de tous les organes. La feuille constitue en quelque sorte
à ses yeux tout le végétal. Il nous la montre déjà contenue
dans le cotylédon, lorsque celui-ci est encore renfermé dans
la graine ; il la suit dans son développement successif et dans
les diverses transformations qu'elle subit jusqu'à la fleur, où
elle se métamorphose en une graine nouvelle. Ce tableau est
exposé avec une clarté et une concision admirables. Il décèle
une connaissance approfondie de la nature , puisée dans l'ob-
servation de ses phénomènes et de leur marche , ainsi que
dans les hautes méditations d'un esprit supérieur auquel les
moindres données suffisent pour lui faire deviner les plus
grandes choses.
Le beau travail de Goethe se trouve complété et commenté
parles trois planches de botanique et l'esquisse d'organogra-
phie végétale que M. Turpin a insérées dans l'atlas de cet ou-
vrage. La première de ces trois planches représente un végé-
tal-type idéal, dont tous les détails, puisés dans la nature, nous
montrent les métamorphoses de la feuille dans les deux sys-
tèmes, aérien et terrestre , de la plante. M. Turpin considère
tout végétal comme se développant en forme sphérique , de
manière à figurer une boule, si on refoule par la pensée tous
les rameaux et les racines vers le centre. C'est comme un ar-
bre qui, trempé dans l'eau jusqu'aux branches inférieures,
s'y réfléchit et représente deux hémisphères, l'une dans l'air,
et l'autre dans l'eau. De même chaque plante se divise en
SCIENCES ET ARTS. 277
deux demi-sphères , en supposant une ligne passant par le
point central , duquel partent d'un côté la tige , de l'autre la
racine. Dans son végétal-type , M. Turpin expose ce double
développement supérieur et inférieur, aérien et terrestre,
dans ses phases diverses et avec tous les organes nombreux
auxquels il peut donner naissance. On suit pas à pas le
travail de la nature, et l'on surprend en quelque sorte la
feuille à l'instant même des merveilleuses métamorphoses
qu'elle subit. Cette grande planche, qui prendra rang sans
doute parmi les plus belles que l'on ait encore faites en bo-
tanique , représente avec une clarté parfaite le système de
Goethe , et l'on regrettera seulement que ce grand homme
n'ait pas vécu assez long-temps pour voir réaliser ainsi l'un
de ses vœux les plus chers ; car, dans les dernières années de sa
.vie, il exprimait l'ardent désir de voir M. Turpin entrepren-
dre ce travail , que seul , disait-il , il était capable d'exécuter.
Une seconde planche, composée de détails propres à com-
pléter la première et à appuyer par de nouveaux exemples la
transformation des organes les uns dans les autres , fait égale-
ment honneur à l'esprit d'observation et au talent de M. Tur-
pin. Ainsi, appuyées sur une étude profonde de la nature,
les idées de Goethe en reçoivent un lustre nouveau et une
autorité plus grande. Les adversaires qu'elles pourront ren-
contrer ne seront plus du tout fondés à les repousser comme
les rêveries d'un poète. Il faudra nécessairement descendre
dans l'arène publique de la discussion , et les principes fé-
conds de la métamorphose des plantes ne tarderont pas à
produire pour la science les plus beaux résultats.
Le moment est opportun pour une semblable publication.
Les esprits fatigués d'une sèche analyse, qui détaille tout et
ne conduit le plus souvent qu'à compliquer les systèmes de
classification , par la découverte de quelque nouveau caractère
presque imperceptible, qui fait multiplier les genres et les es-
pèces; les esprits, fatigués de ce travail pénible et sans résul-
tat, semblent se tourner avec anxiété vers la synthèse pour
lui demander la raison des choses. Par un travers qui est le
propre de l'homme, on ne tarderait sans doute pas à passer
d'un extrême dans un autre , et proscrivant l'analyse comme
inutile, on se jetterait bientôt dans des rêveries funestes
pour la science. C'est pourquoi le livre de Goethe arrivera fort
à propos pour rappeler une vérité qu'on oublie trop souvent;
c'est que la synthèse, pour être féconde, doit s'appuyer sur
l'analyse, et que ce n'est jamais qu'à l'aide de ces deux
moyens qu'un esprit supérieur s'élève au-dessus de la foule et
parvient à lui imprimer une forte direction.
Une dédicace à la mémoire de Buffon , accompagnée d'un
278 SCIENCES ET ARTS.
parallèle fort remarquable entre ces deux grands hommes ,
dont l'œuvre est aujourd'hui continuée par M. Geoffroi-Saint-
Hilaire, indique le lien qui unit Goethe au grand naturaliste
français. Tous les deux suivirent à peu pi es la même route,
commençant par étudier la nature autour d'eux, s' élevant petit
à petit à des vues générales, et finissant par développer les
grandes lois qui dirigent l'univers. Chez le second seulement,
l'esprit synthétique se développa plus tôt, marcha de front
avec l'anlyse, et le conduisit rapidement à se distinguer sur la
route que le génie de son prédécesseur avait , à la vérité, déjà
frayée. Comme lui il embrassa la nature dans son ensemble, et
rien ne demeura étranger à sa vaste intelligence. Les phéno-
mènes géologiques furent pour Goethe des sujets de profonde
méditation. Dans tous les pays qu'il parcourait, au milieu des
travaux littéraires et administratifs qui remplissaient 'sa vie,
il ne perdait pas de vue la configuration des grandes masses
inorganiques et consacrait à leur étude ses promenades et ses
loisirs. Carlshad , Marienbad , le Marienbrunnen, le Kammer-
berg, le Wolfsberg, etc., ont été explorés par lui le marteau
à la main , et tout eu donnant un catalogue de leurs roches
diverses , il sait faire jaillir du milieu de ces détails des idées
générales qui les lient ensemble et les rattachent aux plus
hautes questions de la science. Quelques blocs de granit con-
fusément dispersés en un lieu nommé Luisenburg, dans les
environs d'Alexandersbad, sont pour lui un trait de lumière
qui lui dévoile la marche lente et continue par laquelle la
nature accomplit avec les siècles et presque insensiblement
les travaux les plus prodigieux
Enfin le temple de Jupiter Sérapis fut pour Goethe l'ob-
jet de recherches curieuses , et c'est lui le premier qui a donné
une explication rationnelle du singulier phénomène que pré-
sente ce temple, dont les colonnes ont été, à une certaine
hauteur , perforées par des coquillages marins. Il supposa
qu'une éruption volcanique avait enfoui la base de ces co-
lonnes , et qu'un lac s'était formé au-dessus. Mais, depuis, on
a étudié de nouveau ce problème, et d'après la note ajoutée
par M. Martins au mémoire de Goethe , il paraît qu'on a
découvert d'une manière assez positive que le terrain sur
lequel repose le temple de Jupiter Sérapis, est oujet à des
oscillations qui le placent tantôt au-dessus, tantôt au-dessous
du niveau de la mer et l'exposent par conséquent quelque-
fois à être inondé parles eaux de celle-ci.
On voit, d'après cette courte analyse, que l'ouvrage que
j'annonce ici touche à toutes les questions les plus importantes
de l'histoire naturelle. Le monde savant y trouvera un intérêt
tout particulier, et les littérateurs, ceux même qui sont le plus
SCIENCES ET ARTS. 279
étrangers aux sciences naturelles, seront curieux de savoir
comment le poète est devenu naturaliste. Ils liront avec un
plaisir véritable, les nombreux fregmens autobiographiques
dans lesquels Goethe faitl'histoire de ses études et se complaît
à raconter, avec les plus grands détails, la marche de son esprit.
M. Martins a recueilli avec soin tous ces précieux fragmens,
et les a intercalés entre les divers mémoires scientifiques de
Goethe , comme des points de repos qui , si je puis m'expri-
mer ainsi, permettent à l'esprit de reprendre haleine, et en
même temps, comme des jalons échelonnés sur la route par-
courue par ce puissant génie, et destinés à servir de guides à
ceux qui entreprennent de le suivie.
Tout semble ainsi réuni pour donner à ce livre une haute
importance, et je ne saurais mieux faire l'éloge de la traduc-
tion qu'en disant qu'elle est d'un bout à l'autre digne d'un
paieil ouvrage.
DE LA CONNEXION DES SCIENCES PHYSIQUES , OU exposé simple et
rapide de tous les principaux phénomènes astronomiques, physiques,
chimiques, géologiques et météorologiques; accompagné des dé-
couvertes et expériences les plus remarquables des savans modernes,
tant français qu'étrangers ; par Mary Somenilie ; trad. de l'anglais
par M"" Meulien. — Paris, 1837. 1 vol. in-8. 7 fr. 50c.
Toutes les sciences physiques se tiennent. Un lien mysté-
rieux les unit l'une à l'autre. Pour les étudier avec fruit et
succès, il faut les embrasser dans leur ensemble et dans leurs
rapports multiples. L'analyse seule ne suffit pas, elle n'est
bonne qu'à enregistrer quelques faits nouveaux sur le cata-
logue des observations stériles, parce qu'elles sont isolées. La
synthèse doit venir féconder l'analyse et profiter de ses maté-
riaux pour jeter un hardi regard dans les profondeurs ca-
chées où la nature accomplit son travail. L'astronomie sem-
ble être le point de rencontre de toutes ces sciences, car elle
les renferme toutes, elle embrasse à la fois la science des nom-
bres et des quantités , celle du repos et du mouvement. Elle
élève l'âme d ailleurs, agrandit l'esprit et forcebientôt l'homme
à quitter les ornières communes pour s'élancer dans les espa-
ces et contempler avec ravissement le sublime spectacle de
l'univers entier. C'est donc par elle que madame Somerville
débute dans son livre, et c'est avec autant de précision que
de clarté qu'elle expose tout ce que les travaux de tant
d'hommes de génie ont pu découvrir sur les mouvemens des
corps célestes et les lois qui les régissent. De là elle passe à
tous les phénomènes que présentent l'air, le son , la lumière,
la chaleur, etc. C'est un tableau immense qui se déroule à
nos yeux sous la baguette d'une magicienne et qui nous con-
580 SCIENCES ET ARTS.
duit à la connaissance, imparfaite sans doute encore, mais
déjà sublime, des lois générales que le Créateur a établies
dans l'univers. On ne lira pas sans surprise un livre semblable
dû à la plume d'une femme. Il atteste en elle des connais-
sances plus profondes que celles que l'on a coutume de ren-
contrer chez les personnes de son sexe. Peut-être même lui
reprochera-t-on parfois trop de science. Il est vrai qu'elle se
trouvait obligée de se résumer et de se renfermer dans un
cadre fort étroit, en élaguant une foule de détails et de digres-
sions utiles peut-être pour l'intérêt et la forme de l'ouvrage.
Quoi qu'il en soit, ce livre se recommande par la quantité de
notions scientifiques qu'il renferme et il paraît très-propre à
donner une idée exacte de l'état actuel des sciences physiques.
PRÉCIS HISTORIQUE ET ANALYTIQUE DES ARTS DU DESSIN, avec
7 planches ; suivi d'un précis de la danse ancienne et moderne, par
C. J. Jiuteux. — Paris, chez Ah. Cherhuliez et Ce. 1 vol. in -8. fig,
6 fr.
Ce volume renferme des notions théoriques sur la sculpture,
la peinture et l'architecture , sur les principes qui doivent
diriger l'artiste dans la recherche du beau et un abrégé de
l'histoire de ces divers arts , ainsi que de la danse chez les peu-
ples anciens et modernes. Ecrit avec simplicité et cherchant
surtout à rassembler tous les faits les plus importans, il pré-
sente un intérêt assez vif et peut sous ce rapport être recom-
mandé pour la jeunesse, qui y puisera une foule de connais-
sances qui ne se rencontrent pas ailleurs, et dont cependant
l'utilité est incontestable. M. B. retrace rapidement les diverses
vicissitudes qu'ont éprouvées les formes architecturales chez
les différens peuples delà terre , et quelques gravures au trait
permettent d'apprécier les caractères dislinctifs de chaque
genre, depuis les gracieux et sévères contours de l'architec-
ture grecque, jusqu'aux colossales proportions des ruines gi-
gantesques de l'Amérique du Sud. L'essai sur la danse est plu -
tôt une espèce de mémorial, renfermant des documens précis
et nombreux pour l'histoire de cet exercice corporel qui se
retrouve chez presque toutes les nations du globe. Il se ter-
mine par quelques réflexions fort justes touchant, les ballets
modernes et l'état actuel de la danse sur les théâtres.
L'iMPKIHERIB DE BEAU, » 3ilNT-CEI\MilN-LN-LlTÏ.
iSuUitm JTittératre
ET SCIENTIFIQUE.
5* (SLutce. — gA° 9. — cfyteiii&o 1837.
littérature, histoire.
un COEUR POUR DEUX AMOURS, par Jules Janin. — Paris, 1837.
ln-8. 7 fr. 50 c. = ne touchez pas A la reine , par Michel
Masson.— Paris, 1837. In-8. 7 «r. 50 c.
Un cœur pour deux amours; c'est beaucoup de verbiage pour
une idée; c'est une longue variation sur un seul thème; c'est
un déluge de phrases brillantées, saccadées, sautillantes, dans
lequel se noie une pauvre petite pensée; c'est un long feuil-
leton commencé à propos des frères Siamois, et dont l'auteur a
fait un volume, sans doute pour en tirer un meilleur prix. Car
M. Jules Janin est un des plus habiles parmi lé^s habiles à
faire mousser la moindre petite bribe; à enfler la moindre
grenouille jusqu'à la rendre plus grosse qu'un bœuf; à délayer
l'esprit hoinéopathiquement; à tirer quelque chose de rien
et beaucoup de volumes de peu d'idées. C'est l'enfant auquel
on confie de l'eau de savon avec un chalumeau de paille.
Il souffle, il souffle, l'eau bouillonne, les bulles se forment;
il souffle, il souffle, ce n'est bientôt plus qu'un monceau de
pierreries; il souffle, il souffle, et les mille couleurs de l'arc-
en-ciel viennent se jouer sur ce joyau brillant. Alors c'est à
qui voudra l'avoir, on le met à l'enchère, on se l'arrache, on
le prône, on le porte aux nues; puis, quand on l'a possédé
quelque temps, on est tout étonné de ne rien tenir, de voir
disparaître cette apparence fugitive et trompeuse, de n'avoir
plus qu'une goutte d'eau sale au fond d'une tasse. A la place
de savon mettez de l'encre , à la place du chalumeau de
paille , mettez une plu.me , et à la place d'une goutte
d'eau sale au fond d'une tasse, vous aurez un volume de
papier imprimé, mais non1 écrit, imprimé, mais non pensé,
qu'on n'aurait pas pu lire il y a dix ans, qu'on ne pourra
plus lire dans dix ans, et qui cependant se vendra , et qui
cependant fera grand bruit parce qu'il est de M. Jules Janin ;
parce que M. Jules Janin est un des coryphées de la presse
périodique, et que la presse périodique dira que c'est unchef-
20
282 LITTÉRATURE ,
d'œuvve, et que le public s'y laissera encore prendre comme il
s'y laisse toujours prendre , parce qu'il est écrit que le char-
latanisme trouvera toujours des dupes, que plus il est effronté,
mieux il réussit, et que la race des jobards et des badauds
n'est point près de s'éteindre.
Si je voulais continuer sur ce ton-là, je vous en dirais bien
d'autres; mon article s'allongerait , s'élargirait; mon article
s'étendrait, se développerait; mon article se déroulerait en
tout sens; mon article deviendrait un article monstre, un
traité ad hoc, un cours complet de mystification littéraire,
un volume in-8° de 7 fr. 50 c. Et dans mon prochain nu-
méro je vous ferais un article sur mon article, je vous dirais
qu'un grand événement littéraire vient d'avoir lieu, je vous
annoncerais en gros caractères que j'ai publié un véritable-
chef-d'œuvre .
Mais , c'est en vain ;
Chassez le naturel , il revient au galop.
Et me voici déjà tout essoufflé pour avoir essayé un instant
de cette allure qui n'est pas la mienne. Revenons à nos mou-
tons et voyons s'd est possible d'analyser Vu cœur pour deux
amours sans vous fatiguer de ce style haletant.
L'auteur va visiter les deux jumaux siamois, et la vue de
cet étxange phénomène lui suggère une longue série de phra-
ses que vous pouvez bien vous imaginer, mais que je ne sau-
rais vous rendre; car, après avoir débuté par y parler d'un
double néant, et dit mainte autre chose qui sent le matéria-
lisme il termine par des invocations à Dieu , à la Providence,
en sorte que, comme c'est l'usage avec lui, on ne sait plus du
tout où l'on en est.
Tandis qu'il est occupé à considérer les Siamois, vient un
étranger qui leur parle pendant quelques instans et les quitte
en leur disant que deux sœurs les attendent au ciel. Cet
étranger est un Espagnol enveloppé d'un grand manteau, et
vite M. Jules Janin nous fait deux ou trois pages sur les Espa-
gnols et leurs manteaux. Puis, frappé de l'air profondément
ému avec lequel celui-ci avait regardé les Siamois, il se met
à le suivre, et l'aborde pour lui en demander l'explication. Or
il se trouve que cet Espagnol avait eu en sa possession deux
jumelles qui offraient le même phénomène que les Siamois,
et il lui raconte comme quoi après les avoir élevées il avait
été amoureux de l'une d'elles, avait eu un rival qui était
amoureux de l'autre , s'était battu en duel avec lui , puis enfin
avait vu mourir les deux sœurs, parce que le bonheur de l'une
faisait le malheur de l'autre. Il paraît qu'à elles deux elles
HISTOIRE. 283
ne possédaient qu'une âme , quoiqu'elles aimassent chacune
pour son propre compte, en sorte que ce double amour était
senti également par toutes les deux , quoique chacune con-
servât son individualité, son affection particulière et ne par-
tageât point les transports de l'autre. Il n'y avait qu'un cœur
et deux amours, et chaque sœur prise séparément avait un
amour séparé, quoique prises ensemble elles n'en pussent avoir
en réalité qu'un seul à la fois, ce qui entraînait nécessaire-
ment le malheur de l'une par le bonheur de l'autre. Ce n'est
pas très-clair, vous n'avez peut-être pas- compris; mais c'est
justement là le beau du roman qui a la prétention de nous
donner une analyse physiologique de la plus sublime profon-
deur. Il faut voir avec quelle complaisance l'auteur s'étend
sur cette double individualité confondue dans une seule. Il
entasse phrase sur phrase, page sur page, et les développe-
mens de cette énigme remplissent la moitié du volume. Des
digressions incidentes et tout-à-fait étrangères au sujet en
occupent un autre quart. C'est ainsi qu'il trouve moyen
d'amener au travers de son récit l'éloge le plus amphatique
de Fempereur de Russie , de son gouvernement et de ses
sujets. C'est la mode parmi une certaine coterie de littéra-
teurs. Ils se sont tout-à-coup épris d'un bel amour pour le
régime du knout et ses douceurs. lis ne rêvent que Russes ,
que roubles et ukases. Le Ts?.rles a tous ensorcelés; par quel
moyen je ne sais, mais il faut^jutil emploie des argumens
bien irrésistibles pour les séduire si piomptemcnt et de si loin.
Il ne reste donc plus qu'un quart du volume pour l'action
du roman, et en vérité c'est tout au plus même si elle le
remplit en entier, car elle est d'une nullité complète.
Comme tous les autres ouvrages du même auteur, celui-ci
n'est qu'une suite de feuilletons cousus à la file les uns des
autres, et malheureusement le talent de l'écrivain ne paraît
pas avoir pris la route du progrès. Jamais son imagination
n'avait été si pauvre, jamais son style n'avait paru si fati-
guant. C'est à peine si dans tout le volume on trouve une
page digne d'être citée. M. Jules Janin a enterré son esprit
sous un flux de paroles qui le cachent si bien qu'on ne peut
plus l'apercevoir. En lisant Un cœur pour deux amours , ses
plus intrépides admirateurs seront tentés de chanter un de
projundîs.
— M. Michel Masson nous donne également de l'Espagnol.
Son livre commence à peu près comme Gil-Blas. C'est aussi
un jeune aventurier qui s'en va chercher la fortune à Ma-
drid, et s'attache en route à un compagnon qu'il rencontre.
C'est, je crois , comme le Cœur de M. Janin , de la littérature
de feuilleton , du roman périodique. Mais du moins il s'y
284 LITTÉRATURE ,
trouve quelque intérêt , et quoique ce ne soit qu'une bluette
sans importance , on s'aperçoit cependant que l'auteur a cher-
ché à nouer une intrigue , à tisser une trame , à inventer une
action. Il ne se repose point uniquement sur l'éclat de son
style , et ne paraît pas croire qu'il suffise de bavarder ab-hoc
et ab-hac pour captiver l'attention du public. Ne touchez pas
à la Reine est un ancien dicton espagnol qui eut long-temps
force de loi et qui interdisait, sous peine de mort, de jamais
porter la main sur la reine , fût-ce même pour la sauver d'un
danger pressant , pour l'arracher à une catastrophe certaine.
C'est là-dessus que M. Masson a basé son roman. Ses deux
aventuriers parviennent jusqu'à la cour, obtiennent des fonc-
tions très-élevées , et, compromis dans des intrigues avec
la reine elle-même, l'un des deux est tué par l'autre.
CLANURES D'ÉSOPE , recueil de Fables, par J.-J. Porchat, professeur
de littérature latine à l'académie de Lausanne. — Lausanne, 1837.
1 vol. in-12.
Le champ moissonné d'abord par Esope , puis par La Fon-
taine , a vu de nombreux glaneurs fouler son sol pour y
chercher quelques épis oubliés. La plupart, il est vrai, n'ont
rien trouvé , et bien des gens se sont empressés d'en conclure
que le champ avait été trop bien moissonné pour qu'il fût
possible d'y glaner encore quelque chose. Cependant , un
pareil jugement est trop précipité. Si La Fontaine reste ini-
mitable , ce n'est pas à dire qu'on ne puisse plus faire de
fables. Florian a déjà prouvé qu'en ne suivant pas exacte-
ment la même route que lui, on pouvait atteindre une supé-
riorité fort remarquable. Bailly, La Mothe , Grenus et plu-
sieurs autres ont également réussi parfois avec beaucoup de
bonheur dans les diiïérens génies qu'ils ont adoptés. Mais, on
doit le dire, nul d'entre eux ne s'est approché de la naïveté du
bon La Fontaine ; presque tous ont senti qu'il valait mieux
parler un autre langage que de lutter avec un tel maître.
M. Porchat, dont nous annonçons ici les fables, sans se traî-
ner servilement à la suite de personne , s'est peut-être rap-
proché plus qu'aucun autre de la simplicité parfaite du grand
Fabuliste. Tout en écrivant pour son siècle, et en prenant
ses sujets et sa morale dans l'esprit du temps présent , il a su
conserver à la forme une fraîcheur naïve, qui ressort d'une
manière bien frappante au milieu de l'affectation et du faux
brillant dont aujourd'hui notre littérature est affublée. C'est
une teinte vraiment originale qui donne à sa poésie un charme
tout particulier. La bonhommie helvétique s'est alliée chez
HISTOIRE. 285
lui à un goût pur et à une grande facilité. Le bon sens dicte
les pensées philosophiques qui font le sujet de presque toutes
ses fables, et l'harmonie la mieux calculée imprime un cachet
de vérité aux diverses trames qu'il emploie. Chacun de ses
personnages parle le langage qui lui convient , et cela, sans
effort , sans que la rime fasse trop sentir ses impérieuses exi-
gences. Ainsi dans la fable intitulée : Le Roi des animaux :
Une mouche effleurant, avec un doux murmure,
Le cristal poli d'un étang,
Admirait dans les flots sa petite figure,
Et disait : «Pour moi seule on a lait la nature.»
La grâce et la légèreté sont très-bien peintes dans ces quatre
vers , où nous retrouvons en quelque sorte la Mouche du
Coche et sa gaie importance.
« Oui-dh ! » reprit en la gobant
Un rapide habitant de l'onde,
Qui murmura soudain : « C'est à moi qu'est le monde !
C'est un de ces jolis petits poissons qui, se jouant à la sur-
face des eaux, happent en passant les insectes assez impru-
dens pour se mettre à leur portée.
Un canard à son tour attrappe le poisson , et dit en bar-
bottant :
« Sachez mieux vous connaître. »
Le voyez-vous ce maître caneton qui, joyeux, s'éloigne en
agitant à la fois sou bec et ses ailes avec une expression de
parfait contentement?
Lui-même il se croyait sans maître;
Il lui fallut bientôt penser d'autre façon :
Frappé d'un plomb mortel, homme, il fut ta conquête.
Homme, ah! sans doute ici mon histoire s'arrête;
C'est toi qui du monde es le roi.
Tu naquis pour toi seul; à toi tout se rapporte.
C'est ton avis du moins, mais prends bien garde à toi.
#
Bah! ne sommes-nous pas les maîtres de la terre ? Tout ce
qui nous entoure n'a-t-il pas été créé exprès pour nous , pour
nos besoins, pour nos plaisirs ? Ces verts ombrages ne furent-ils
pas destinés à nous abriter contre les rayons trop ardensde ce
soleil dont la chaleur bienfaisante répand le bien-être dans
notre corps et fait croître pour nous des fruits de toutes sor-
tes ? Ces innombrables animaux qui peuplent les airs , les
campagnes et les ondes ne sont-ils pas faits pour nous servir ,
286 LITTÉRATURE,
soit de nourriture, soit d'aides dans nos travaux, soit de re-
création pour nos yeux qui admirent leurs mille formes va-
riées? Ne savons-nous pas les forcer tous à nous obéir? En
vérité, ils sont nos esclaves, et l'homme est le roi de la na-
ture ; lui-même le dit et le pense du moins , mais
J'entends quelqu'un rugir qui pense d'autre sorte,
Un lion!... tu pâlis; mais déjà dans ses flancs
Homme, canard, poisson, mouche dorment ensemble.
« C'est moi qui suis le maître, animaux insoleus, »
Dit-il, et cependant de la terre qui tremble
Sous les pas du lion, se glisse, en longs anneaux,
Celui dont quelque jour il sera la pâture ,
L'insecte vil, fangeux, à l'ignoble figure,
Le ver, le roi des animaux.
Cette finale est belle de pensée et d'expression. Elle ter-
mine très-bien la leçon par une forte ironie. Cependant nous
adresserons à l'auteur une seule critique. C'est que le ver de
terre qui se glisse en longs anneaux > n'est point du tout le
même qui dévore les cadavres ; il est fort innocent d'un pareil
délit qui appartient aux larves d'une foule d'insectes dont les
œufs y sont déposés , et entr'autres à celle de la mouche qui,
sous ce rapport, pourrait bien réclamer contre le jugement de
M. Porchat.
On retrouvera dans ces fables l'empreinte bien prononcée
des grandes questions qui agitent tous les esprits aujourd'hui.
L'auteur vivant dans un pays de liberté exprime à cet égard
les idées les plus larges, les plus généreuses. Il n'est pas obligé
d'avoir recours à des subterfuges pour voiler sa pensée, et il
aborde toujours franchement son sujet. De là résulte un grand
avantage, celui d'éviter les périphrases et les longueurs inuti-
les. L'apologue suivant résume, par exemple, en peu de mots
le tableau d'un des plus grands travers de notre ordre social.
Un chien , un écureuil, avaient même seigneur.
A chacun son emploi , chacun tourne sa roue ;
Dans la sienne quand l'un se joue,
L'autre du tournebroche est l'humble serviteur;
L'un travaille , on le bat ; l'autre amuse, on le loue.
A l'un , bouche inutile , il faut du massepain ;
L'autre rôtit la poule , a peine a-t-il du pain.
Nulle proportion des travaux aux salaires.
Que d'histrions millionnaires!
Que d'ouvriers mourant de faim!
Enfin nous terminerons cet article en citant V Hirondelle à
burd comme un morceau plein de grâce et de fraîcheur.
HISTOIRE. 287
Sous les agrès de ce navire
Au port enchaîné quelques jours,
Hirondelle, qui vous inspire
De venir loger vos amours?
Retournez, folle aventurière,
Retournez au nid villageois ,
Par votre aïeule et votre mère,
Par vous repeuplé tant de fois.
Cet océan qui vous balance ,
Ce bruit sourd des vents et des flots
Disaient assez votre imprudence :
C'est en vain; vos œufs sont éclos.
Hâtez-vous donc! mais sur la grève
Vous butinez pour vos petits,
Et le souffle attendu se lève.
On appareille ; ils sont partis.
« Que vois-je ? Où vont-ils ? Quel mystère!
Dit-elle. Enfans , me fuyez-vous?
Me voici, voici votre mère.
Qui nous emporte ? Où courons-nous?
Et la terre où donc s'enfuit-elle ?
Arrêtez , revenez... J'ai peur. » —
Reviens seule, pauvre hirondelle,
Sous nos toits pleurer ton bonheur.
La couvée a tes soins ravie
C'est chez nous un sort peu nouveau.
Eh! qui n'a bâti dans sa vie
Quelque nid sur quelque vaisseau?
bas-reliefs; von Adelbert von Bornstedt. — Francfort-am-Main,
1837. 2 vol. in-12. 10 fr.
N'allez pas croire qu'il soit ici question d'architecture ou de
sculpture. M. Bornstedt, quoique pouvant parler de tout avec
une grande facilité , n'a pas eu la plus légère intention d'a-
border la théorie ni la pratique des beaux-arts. Ce mot de
Bas-Reliefs , inscrit en tète de son livre, est tout simplement
une enseigne qui, selon l'usage, n'a pas le moindre rapport
avec le contenu de la boutique. Sous ce titre , l'auteur nous
donne tout simplement quelques-unes de ces esquisses de
voyage, dont il a déjà publié deux volumes. Cette fois ce n'est
plus Paris , cette capitale tant idolâtrée , qui est le sujet de ses
observations. Il a quitté la France pour quelques semaines,
288 LITTÉRATURE,
et c'est la petite république genevoise qui occupe presque en-
tièrement les deux volumes de Bas-Reliefs. Ne croyez pas ce-
pendant que , volage en ses goûts , il ait reporté sur la cité de
Calvin cet amour qu'il professait naguère avec tant d'enthou-
siasme pour la grande ville par excellence. Non, M. Born-
stedt est bien toujours Parisien , et il se montre tel , autant
que cela est possible du moins à un Allemand, dans les cri-
tiques qu'il adresse à Genève et aux Genevois. Il semble par-
tager celte ironie jalouse et moqueuse que certains écrivains
affectent toujours, lorsqu'ils parlent de cette petite ville qui a
l'audace vraiment bien téméraire de prétendre échapper à
l'influence de Paris, n'être pas française et conserver son in-
dividualité propre. Le; Genevois, dit-il, ont un amour-propre
excessif, ils se croient le premier peuple du monde, et pen-
sent que tout le monde s'occupe d'eux. Il y a quelque chose
de vrai sans doute dans cette accusation tant de fois répétée.
Mais aussi comment voulez-vous qu'une petite ville ne s'enfle
pas un peu d'orgueil , lorsqu'elle voit chaque année des écri-
vains , d'entre les plus distingués des diverses contrées de l'Eu-
rope , s'occuper d'elle , lui consacrer leur' talent , employer
leur plume à décrire ses environs , les mœurs de ses habitans,
les institutions qui la régissent, etc.? Si elle est si peu de chose,
pourquoi vous, monsieur de Bornstedt, la mettez-vous en
bas-reliefs? N'est-ce pas reconnaître réellement sa supériorité,
que delà juger digne de faire le sujet de deux volumes de vos
spirituelles esquisses? Mais, dircz-vous sans doute, c'est une
supériorité étroite , matérielle , sèche , qui se résume en écus
et n'a rien de poétique, ni d'artistique. Il y a encore du vrai
dans cette objection , surtout ,si l'on ne fait que jeter un coup
d'oeil en passant , si l'on s'arrête à l'extérieur fort peu at-
trayant du Genevois, et si l'on prétend juger son caractère
après avoir séjourné à peine deux mois chez lui. Mais com-
ment accorder ce jugement si vivement tranché avec les faits
qui semblent lui donner un démenti formel? Vous dites,
qu'au contraire de maintes villes a'iemandes où l'absence de
gens riches empêche lesarts de fleurir, à Genève, c'est justement
l'affluence des gens riches qui semble produirele même îésul-
tat, et cependant vous nommez les Chaponnière, les Praclier,
qui sont sortis de Genève; Ilornung qui est , dites-vous , le
plus grand coloriste vivant ; Bovy qui a gravé la superbe mé-
daille de Calvin , chef-d'œuvre dû à la munificence d'un riche
Genevois , etc., etc. Ne voyez-vous donc pas que cela implique
contradiction , ou que tout au moins cela prouve que sous le
soleil de la liberté, les arts n'ont pas besoin d'une protection,
souvent trop chèrement acbetée , pour fleurir et porter d'ex-
cellcns fruits ?
HISTOIRE. 289
Ce n'est pas Genève , ce ne sont pas les Genevois qu'il faut
considérer ici; la question doit être envisagée d'un point de
vue plus élevé. Ce sont des institutions libres qui permettent
à l'homme, dans quelque condition qu'il se trouve, de dé-
velopper ses facultés, et qui, si elles ne peuvent extirper ces
mauvaises et basses passions dont l'influence est si perni-
cieuse, les paralysent du moins jusqu'à un certain point et
les empêchent d'exercer un empire trop absolu , d'étouffer ce
qui les gène ou les blesse. Un véritable observateur y aurait
vu un sujet d'intéressante étude ; mais M. Bornstedt n'y a pas
songé. Il s'est contenté de répéter, en d'autres termes, ce que
maints voyageurs avaient dit avant lui. Seulement il est plus
qu'eux descendu dans le détail des querelles intérieures,
des conflits , des prétentions jalouses qui agitent parfois
la petite ville. Ici il y a beaucoup à dire en effet, et les
rivalités d'ambition sur ce théâtre de poupée , les velléités
aristocratiques d'une certaine classe , les distinctions de
rangs, tranchées au point d'en faire presque des castes , entre
gens qui s'occupent tous plus ou moins de négoce, les vaniteu-
ses usurpations de titres ou de particules nobiliaires, sont
autant de sujets qui prêtent fort à la plaisanterie et méritent
d'être hautement ridiculisés. Mais tout cela est de bien mince
intérêt hors des murs de Genève, et ne vaut guère la peine
que l'on en parle dans un livre écrit pour l'étranger ; le bon
sens fait justice de ces sottes faiblesses qui se retrouvent d'ail-
leurs dans tous les pays du monde.
M. Bornstedt l'a du reste senti lui-même , et il rend pleine-
ment justice à tout ce que les institutions genevoises présen-
tent de remarquable. Sous ce rapport , son livre renferme des
détails intéressans. Il consacre un chapitre assez étendu à la
prison pénitentiaire, dont le régime est aujourd'hui un mo-
dèle à citer ; il expose les merveilles de l'industrie , et rend
hommage à l'instruction solide répandue jusque parmi les
ouvriers des fabriques.
Quelques portraits bien tracés d'originaux remarquables
par leur excentricité , jettent du piquant dans sa narration; et,
au total, les Genevois ne pourront pas se plaindre dejla manière
dont l'humoriste allemand les a traités. Quelques-uns seule-
ment auraient le droit de l'accuser d'injustice, ou du moins
d'une vivacité d'expression un peu trop forte. Ce sont entre
autres les rédacteurs de la Bibliothèque universelle dont, dans
un dernier chapitre intitulé : Critique genevoise , il en attaque
un surtoutavec.une ironie arrière et mordante ; mais ils ont la
plume et un journal pour lui répondre; entre eux le débat.
Nous nous contenterons de remarquer que M. Bornstedt , qui
estime Alexandre Dumas , l'auteur des Impressions de voyage,
290 LITTÉRATURE ,
comme l'un des principaux e'crivains de l'époque , a mauvaise
grâce d'appliquer ensuite aux opuscules de M. Tœpfer les
epithètes dédaigneuses de Bùchelchen ( petits livrets), Styl-
schnœrkelchen ( rognures de style ). Pour être juste, il fau-
drait mettre les Impressions de Dumas sur la même ligne , et
encore avouer qu'il y a quelquefois plus d'esprit, de gaîté et de
vraie originalité dans les esquisses de M. Tœpfer , quoique
souvent aussi on y rencontre de l'afféterie et de la recherché.
Plusieurs chapitres des Eas-Rdiefs contiennent une excursion
dans le canton de Yaud, dans une partie de la Bourgogne, et
des souvenirs de Mme de Staël, de Byron , ainsi qu'une notice
fort intéressante sur Bonstetten, l'aimable philosophe bernois
dont les nombreux écrits ont obtenu un succès si remarquable.
ODES ET POÉSIES diverses , par Antoine Cunyngham.— Paris, chez
Arthus-Bertrand, 1837. 1 vol. in-18. 3fr.
Il est si rare aujourd'hui de rencontrer un poète qui n'ex-
travague ni ne larmoie, qui parle un langage pur et harmo-
nieux, qui exprime des pensées douces et sages , que l'on est
tout disposé , lorsqu'on en trouve un semblable, à lire ses
vers avec indulgence et à les juger favorablement. On a tant
abusé depuis quelque temps du mot de poésie ! On a tant
vu de ces prétendus inspirés qui se battaient les flancs
pour faire du neuf, du terrible , du bizarre , et ne craignaient
pas d'aller remuer la fange la plus vile, les égoûts les
plus sales pour en tirer, disaient-ils, des émotions fortes et
vraies ! Le plus mauvais rimailleur s'imaginait ainsi faire
preuve de génie , et inscrire en traits de boue son nom sur le
sommet du Parnasse. D'autres , en grand nombre également ,
suivaient une autre route. Voyant l'auteur des Méditations
poétiques et des Harmonies religieuses obtenir un nom glorieux
par ses chants mélancoliques ou pieux , tous ont voulu faire
des méditations et des harmonies , n'importe avec quoi : on a
donc vu une longue suite d'imitateurs , la larme à l'œil et la
croix dans la main, qui nous ont chanté une foi, pleuré des
douleurs qui n'existaient que dans leurs vers. Tout le vocabu-
laire des lamentations et des litanies a été exploité par eux de
mille façons diverses. Les pensées étaient ce dont ils se sou-
ciaient le moins , et pourvu qu'ils assemblassent une série de
sons sonores, ils ne cherchaient ni à être compris , ni à se com-
prendre eux-mêmes. La presse périodique venait à leur aide,
en signalant à l'admiration publique les pièces les plus vides
et les plus empreintes de ce vague nuageux , qui paraissait
être le comble du sublime.
Mais de tout ce mysticisme charlatan , qu'est-il résulté? Pas
HISTOIRE. 29f
grand'chose vraiment; si ce n'est que les épiciers ont pu enve-
lopper leur sucre et leur café dans du papier plus beau et plus
Liane; que maints jeunes hommes qui avaient pris au sérieux
cette triste comédie , ont vu toute leur existence compromise
par de cruelles déceptions, et qu'enfin la poésie, vêtue en pleu-
reuse, n'a plus trouvé de lecteurs dans le public. Il n'en
pouvait être autrement , dès qu'on voulait substituer à la
pensée ce qui n'est qu'une des formes diverses qu'elle revêt,
et qu'on prétendait n'écrire que pour les oreilles, sans s'in-
quiéter de l'intelligence.
JVI. A. Cunynghain n'a point suivi cette mauvaise route ; il
a senti que le véritable rôle de la poésie était de donner un
tour noble , énergique ou gracieux à la pensée qui , pour
être susceptible d'un pareil ornement , devait par elle-même
avoir de la noblesse, de l'énergie , de la grâce. C'est une bril-
lante parure destinée à rehausser les attraits d'une belle
femme; placez-la sur un monstre hideux , vous n'aurez plus
qu'un contraste choquant.
Peut-être 1© titre d'Odes paraîtra- t-il ambitieux , car la plu-
part des poésies que renferme ce volume , sont dans un
genre simple, idyllique ouélégiaque, qui n'approebe point
du délire inspirateur de l'ode. Mais aujourd'hui toutes les
limites qui séparaient autrefois les diverses formes poétiques
sont à peu près abattues , et de hautes pensées philosophiques
se mêlant aux sujets en apparence les plus vulgaires , on par-
donnera facilement la présomption du poète. D'ailleurs ,
qu'importe le titre, si l'on trouve du charme à la lecture ; et
certes je ne crois pas me tromper, en affirmant qu'on lira
avec plaisir quelques-unes des poésies de 31. Cunyngham.
Elles sont écrites avec élégance et facilité ; point de préten-
tion , point de gène ; une harmonie douce, pure , sans enjam-
bemens forcés , comme aussi sans raideur pédantesque. L'a-
mitié , les plaisirs de la campagne, les beautés de la nature,
tels sont les principaux sujets qu'il traite de préférence, et
dans lesquels il réussit le mieux.
La pièce suivante, qu'il adresse à un jeune poète qui fuyait
le monde , après la perte de sa fortune , m'a paru digne d'être
citée , pour faire connaître le genre du poète :
Hé quoi ! toujours le Pactole
Excitera tes regrets!
Quoi ! toujours ta vaine idole
Aura pour toi des attraits!
Ah ! si de sa main légère
La Fortune mensongère
Ne. te verse plus ses biens ,
292 - LITTÉRATURE,
Plus constante et plus sincère ,
L'Amitié l'offre les siens.
Quelle étrange différence
Entre ces divinités !
L'une chercbe la présence
De ceux que l'autre a quittés;
L'une, quand Tonde s'irrite ,
Sans pitié , contre Amphitrite,
Nous voit disputer nos jours ;
L'autre aux flots se précipite
Pour nous porter ses secours.
Fuis donc un amour profane
Pour la fille de Plutus ;
Ce n'est qu'une courtisane
Qui hait toutes les vertus,
Qui nous flatte et nous caresse,
Et puis soudain nous délaisse
Pour quelque nouvel amant
Que sa perfide tendresse
Fera dupe également.
Crois-moi, le bonheur encore
Peut remplacer tes ennuis ;
Souvent la plus belle aurore
Succède aux plus tristes nuits.
Mets seulement en usage
Cette raison, ce courage
Dont tout mortel a besoin,
Et je prédis que l'orage,
Ami , sera bientôt loin.
Pour les chagrins de la vie ,
Faux disciple de Ziénon,
Es-tu sans philosophie,
Ou n'est-elle qu'un vain npm?
La félicité parfaite
Hélas! ne fut jamais faite
. Pour le terrestre séjour :
Les biens que le Ciel nous prête
H faut les lui rendre un jour.
Et souvent des dons célestes ,
Ceux dont tu fus possesseur ,
Nous cachent des maux funestes
Sous leur trompeuse douceur.
Aussi d'Athène et de Rome ,
Sans qu'ici je te les nomme ,
Les plus sublimes esprits
Au métal qui séduit l'homme
Attachèrent peu de prix.
HISTOIRE. • 293
Jadis , lui rendant hommage ,
Salomon a l'Eternel
Demanda-t-il en partage
L'or pour régir Israël?
Non ; au lieu de la richesse ,
11 demanda la sagesse
Qui vaut mieux que les trésors,
Et par qui sa main sans cesse
Les répandait sur ses bords.
Toi qui connais le Parnasse ,
Consulte ses nourrissons;
Le philosophique Horace
T'y donne encor des leçons :
Il t'offre , aux bords d'Hippocrène ,
Une opulence certaine
Dans la médiocrité;
Et tu verras La Fontaine
Riche dans la pauvreté.
Leur exemple, de tes pertes,
Ami, doit te consoler,
Et de tes forêts désertes
Parmi nous te rappeler.
Sans trop fuir la solitude ,
Ne prenons point l'habitude
De vivre comme les ours...
Reviens!... l'amitié , l'étude
Charmeront encor les jours.
Tu fis jadis nos délices
Par ton aimable gaîté;
Aujourd'hui, dans ses caprices,
Montre au sort ta fermeté.
Plus d'une belle t'accuse
D'enterrer ainsi ta muse
Dans ton sauvage séjour;
Et tu n'as point d'autre excuse
Que dans le plus prompt retour.
Pour oublier tes disgrâces ,
Oui , revole auprès de nous !
Bacchus, l'Amour et les Grâces
Ici te réclament tous.
Viens ; le dieu de l'harmonie ,
En faveur de ton génie,
Est prêta te pardonner;
Et la jeune Polymuie
Yeut encor te couronner.
L'Ode a Béranger , celle à la Nature., sur le Bonheur de la
Vie champêtre , une Promenade en Suisse , le Lac et plusieurs.
294 LITTÉRATURE,
traductions sont également de jolies productions inspirées par
une philosophie douce et aimable.
Je reprocherai seulement à l'auteur de n'en pas soigner tou-
jours assez les détails , de se négliger parfois , et de laisser les
chevilles se glisser dans ses vers, comme l'ode aux mânes de
Malesherbes en offre maints exemples. Mais ce sont des ta-
ches qu'un peu de travail fera facilement disparaître.
REVUE DU DAUPHINÉ publiée sous la direction de M. Jules Ollivier. —
Valence, 1837.
Il paraît chaque mois une livraison de 4 feuilles grand in-8°. Prix
de l'abonnement : 15 fr. par an.
Depuis quelques années , la province fait de louables ef-
forts pour secouer un peu le joug de la centralisation pari-
sienne , pour échapper à cette pompe aspirante qui l'épuisé
et la réduit en quelque sorte à l'agonie , dans le seul intérêt
d'une capitale égoïste. Chacune des anciennes provinces fran-
çaises , évoquant ses souvenirs glorieux, tente de ranimer ce
patriotisme que l'unité monarchique a presque complètement
éteint en poussant au-delà de toutes les bornes la centralisa-
tion administrative. On a vu tour-à-tour la Bretagne , l'Al-
sace, la Provence, etc. etc. créer des revues particulières
dans ce but. Quelques-unes, parmi lesquelles s'est distingué
surtout le Lycée Armoricain, ont produit ainsi d'excellens re-
cueils pleins du plus vif intérêt , et rédigés avec un talent
fort remarquable. Cependant, en général , soit faute de trou-
ver assez de plumes exercées pour se soutenir long-temps ,
soit parce qu'elles n'ont pu réussir à vaincre l'apathie d'un
public peu instruit, peu lettré, dont toute l'existence est
vouée à d'étroits intérêts matériels , et qui partage , plus ou
moins , le sot préjugé de ne vouloir lire que ce qui sort des
presses parisiennes , ces revues n'ont brillé qu'un instant et
ont bientôt disparu l'une après l'autre. Il faut bien le dire
aussi , la plupart, à force de vouloir s'éloigner de Paris , sont
tombées dans l'extrême opposé. Rien de grand , rien de large
et d'élevé n'est venu leur donner un intérêt général. Un
goût sévère a rarement présidé à leur rédaction, et on les a
vues se renfermer souvent dans un étroit esprit de localité
qui décelait une complète ignorance de la marche des scien-
ces et de la littérature.
La Revue du Dauphiné, cpii n'est encore qu'à son 6me nu-
méro, paraît vouloir prendre une allure plus large. L'esprit
qui la dirige dans ses jugemens littéraires semble lui pré-
sager une existence plus durable. Crpeudant elle n'échappe
HISTOIRE. 295
pas encoi'e tout-à-fait à ce reproche , et elle fera bien de
veiller avec plus de soin encore à sa rédaction. Nous y avons
vu certains articles de recherches archéologiques , d'autres
sur la puissance paternelle , qui ne sont ni d'un intérêt as-
sez général, ni à la hauteur de la science. Sans doute nous
ne prétendons pas exclure absolument tout ce qui est local,
car ce serait vouloir priver l'histoire de détails qui en font le
charme principal, et nous applaudirons volontiers à des tra-
vaux tels que celui entrepris par M. J. Ollivier sur la ville
de Valence, dont le dernier numéro de la Revue du Qau-
phiné renferme le premier article. Presque toutes les villes de
province offrent à cet égard de riches mines à exploiter; mais
il faut toujours, autant que possible, apporter dans ce genre de
recherches des vues élevées et générales; elles seules peu-
vent les féconder et en tirer un parti avantageux. D'autres
fragmens qui nous ont paru dignes d'éloges dans la Revue du
Dauphiné , sont ceux sur la Biograpbie de Camille Desmou-
lins , l'un des caractères les plus intéressans parmi les hom-
mes que la Révolution a mis en évidence. Avec de tels ma-
tériaux, un recueil périodique peut aspirer à \\\\ véritable
succès, surtout s'il sait y joindre une critique judicieuse,
impartiale et sévère.
UN TOURLOEROU , par Ch. Paul de Kock.= MOEURS PARISIENNES,
Nouvelles, par le même. — Paris, 1837. 3 vol. in-8. 22 fr. 50 c.
Les Mœurs Parisiennes renferment : Un Homme à marier, Une Soi-
rée bourgeoise, Une Partie de plaisir, Un Bal costumé, Une Fête aux
environs de Paris, Un Bal de Grisettcs.
Quand on a lu un roman de Paul de Rock, on peut dire qu'on
connaît, non-seulement tous ceux qu'il a faits, mais encore
tous ceux qu'il fera. Jamais imagination de romancier ne fut
moins féconde que la sienne. Le tissu de ses trames est tou-
jours composé de petits incidens empruntés à l'existence fort
vulgaire des classes inférieures de la société. C'est un thème
sur lequel il fait sans cesse de nouvelles variations qui se
ressemblent toutes. Quelques détails frappans de vérité sont
bien, peut-être , semés çà et là, mais sans but , sans portée ,
sans liaison. C'est comme un peintre de paysage qui s'attache
à reproduire avec la plus minutieuse exactitude un tas de
fumier adossé contre une vieille masure, sans s'occuper du
reste de son tableau , ni de l'effet que produira l'ensemble.
Des grisettes, des étudians, quelques petits bourgeois pari-
siens, voilà le monde dans lequel M. P. de Rock puise tous
ses types, et encore les exagère-t-il toujours de manière à les
296 LITTÉRATURE ,
rendre bien plus ridicules qu'ils ne peuvent jamais être dans
la réalité. Les aventures galantes jouent dans ses romans à
peu près le même rôle que dans ceux de Pigault-Lebi un
dont ils sont une pâle copie. C'est la même légèreté en par-
lant du vice et des désordres les plus funestes ; c'est le mênie
penchant à rire de tout et à semer avec une coupable insou-
ciance des germes corrupteurs dans l'esprit du public peu
instruit, et en général assez mal élevé, pour lequel sont
écrits de pareils livres.
Du reste, on n'en saurait faire l'analyse, car c'est une suite de
conversations assez décousues , de descriptions dans lesquelles
l'auteur se sert toujours du temps présent du verbe , et si
l'on écarte ce verbiage, au fond l'on ne trouve rien qu'une
misérable bluette qui , sous une autre plume , aurait fourni
tout au plus la matière d'une mince anecdocte de quelques
pages. M. P. de Rock semble parfois écrire des exemples de
règles grammaticales plutôt qu'un roman , tant ses périodes
sont courtes et sans liaison aucune.
Ce style haché ne produit pas un mauvais effet dans de
courts fragmens ; et le troisième volume , intitulé Mœurs Pa-
risiennes , renferme plusieurs morceaux tels qu'une Fête aux
environs de Paris , qui ont déjà été publiés dans divers re-
cueils et qui me semblent être ce que l'auteur a fait de
mieux. Ce serait là, je crois, le véritable caractère de son ta-
lent, qui excelle à peindre certaines scènes grotesques de la
vie commune. Mais , en vérité , cette manière d'écrire n'est
pas supportable dans un récit de longue haleine , et l'on ne
peut comprendre comment ses romans sont parvenus à ob-
tenir le succès qu'ils ont.
N'oublions pas de dire, en terminant, pour l'instruction de
nos lecteurs qui , pour la plupart sans doute , ignorent ce que
c'est qu'un Tourlourou, qu'on appelle ainsi aujourd'hui ce
qu'on nommait jadis un Jean-Jean , c'est-à-dire un conscrit
encore novice.
HISTOIRE ET- MODÈLES DE LA LITTERATURE FRANÇAISE , par Léon
, Hcdevy. — Paris, «.liez D. Eyaiery, quai Voltaire, "là. 1837. 2 vol
in-18, 6 fr.
Sous ce titre , M. L. Halevy a fait un petit Dictionnaire bio-
graphique de tous les liltéraieurs français , qui donne quel-
ques notions pleines d'intérêt sur leurs vies , sur leurs tra-
vaux , sur l'époque où ils ont vécu , ainsi que des fragmens
destinés à faire connaître le genre de leurs talens , et extraits
des ouvrages les plus remarquables qu'ils ont laissés. Rédige
avec un goût pur et écrit avec clarté, cet ouvrage pourra être
HISTOIRE. 297
fort utile aux jeunes yens, en leur apprenant de bonne heure
à estimer toutes nos richesses littéraires, et en leur offrant les
meilleurs modèles à suivre. Peut-être , l'auteur aurait-il
mieux fait de donner à son œuvre plus d'étendue , et de mul-
tiplier davantage ses citations. Mais il n'a cependant négligé
rien de ce qui était essentiel, et indiquant avec soin tous les
chefs-d'œuvre qui ont obtenu la sanction de la postérité ,
il servira d'introduction et de guide à une connaissance plus
approfondie de la littérature Française. Quelques morceaux
nous ont paru assez remarquables ; entr'autres , le tableau lit-
téraire de la fin du xvnie siècle. C'est une rapide et bril-
lante revue de toutes les gloires des lettres françaises durant
cette mémorable période. Cependant, M. L. Halevy, écrivant
principalement pour la jeunesse, aurait mieux fait de ne pas
nommer certains écrivains dont la renommée n'est ni très-
pure , ni bien certaine.
La littérature contemporaine a trouvé place à la fin du
second volume ; mais l'auteur s'est borné à donner quelques
fragmens de divers écrivains. En effet, il ne pouvait y ajouter
des notices dans lesquelles critiques ou éloges eussent pu pa-
raître également suspects.
Ces deux volumes prendront ainsi place parmi le petit
nombre de livres qu'on voit figurer avec plaisir dans la bi-
bliothèque des enfans, qui n'y peuvent puiser que le goût
de l'étude et l'amour du beau.
HISTOIRE DES SALOXS DE PARIS, tableaux et portraits du grand
monde, sous Louis XVI, le Directoire, le Consulat et l'Empire, la
Restauration et le règne de Louis-Philippe Ier; par la duchesse
d'Abrantès.— Paris, 1837. 2 vol. in-8. 16 fr.
Pour madame d'Abrantès, l'histoire des peu pies est dans celle
des salons. A ses yeux, le grand monde est le représentant de
toutes les époques remarquables. Elle attache aux salons une
importance qui sans doute paraîtra bien ridicule à la foule
qui n'y met jamais les pieds et qui vit et meurt sans s'inquiéter
de ce qui s'y passe, mais qui flattera ceux qui les composent,
et assurera le succès de son livre dans ce inonde où la mode
règne en souveraine et où quiconque flatte ses caprices est
certain de réussir. Les personnages dont les noms célèbres
ont fourni la matière de ces deux premiers volumes sont :
madame Necker, madame de Polignac , l'archevêque de
Beaumont , la duchesse de Mazarin , l'abbé Moreilet , ma-
dame Roland, madame de Brienne, le cardinal de Loménie,
la duchesse de Chartres , la comtesse de Genlis , Condorcet,
ai
298 LITTÉRATURE, HISTOIRE
la comtesse de Custine , madame de Montesson , et enfin
madame de Staél. L'auteur s'entend fort bien, on le voit, à
réunir tout ce qui peut piquer l'intérêt des lecteurs et exci-
ter leur curiosité. Il est vrai que la plupart de ces personnes
lui ont été entièrement inconnues, qu'elle n'a pu assister
aux réunions qui s'assemblaient cliez elles, et que, comme
sans doute on ne s'imaginait guère qu'un jour viendrait où
l'histoire des salons serait considérée comme une fort grave
matière , il n'est pas resté de documens sur lesquels on puisse
s'appuyer pour tracer leurs portraits ressemblans , pour en
offrir des tableaux vrais et copies d'après nature. Quelques
mots épars çà et là dans des mémoires que tout le monde a
lus, quelques anecdotes qui ont été déjà si souvent répétées
que chacun les sait par cœur, voilà donc les seules ressources
qu'ait pu trouver madame d'Abrantès pour s'aider à rem-
plir les conditions de son titre. Sa grande facilité de style,
son art de conter et de délayer le moindre récit dans un grand
nombre de pages, lui ont fourni le moyen de créer ainsi un
livre avec presque rien. C'est un talent que tous ne possèdent
pas ; mais bien des gens souriront de pi^tié en lisant maints
passages dans lesquels l'auteur laisse percer une tendance
aristocratique des plus marquées. L'étiquette est pour elle
une affaire d'état, et peu s'en faut qu'elle n'attribue la révolu-
tion française, tous ses excès et toutes ses conséquences , aux
robes trop simples que portait Marie-Antoinette.
En vérité , quand on voit de telles extravagances sérieuse-
ment avancées et soutenues par des écrivains qui fréquentent
les salons d'aujourd'hui et qui ont quelque peu la prétention
d'en diriger sans doute l'esprit, d'y donner le ton, on ne peut
s'empêcher de redouter l'avenir. Quoi ! toutes les rudes
leçons du passé sont déjà oubliées ! La terrible voix révolu-
tionnaire est étouffée par les caquetages du grand monde , et
toutes les conquêtes du bon sens si chèrement achetées sont
encore sacrifiées aux puérils hochets, aux vieux oripeaux de
l'étiquette et de la morgue nobiliaire ! Déplorable servilité,
ridicule aveuglement, qui menacent de replonger la société
dans des troubles et des convulsions sans fin.
On trouvera probablement que voilà de biens sinistres pré-
visions à propos d'une binette littéraire. C'est vrai, mais il.
ne faut pas oublier que l'auteur a prétendu faire un ouvrage
grave et qu'elle considère les salons comme jouant un rôle
tiès-important dans l'histoire.
RELIGION , PHILOSOPHIE , MORALE , ÉDUCATION. 299
RELIGION, PHILOSOPHIE, MORALE, EDUCATION.
HISTOIRE DES DOCTRINES MORALES ET POLITIQUES DES TROIS
derniers siècles , par /. Matter, inspeètcur-gcnéral des études.
— Paris, chez Ab. Clierbuliez et C, 1837. Tome 111.
L'ouvrage est complet en 3 vol. in-8. Prix : 22 fr. 30 c
La révolution d'Amérique et celle de France forment le su-
jet de ce troisième volume qui complète le vaste tableau que
M. Matter s'était donné la tâche de soumettre aux médita-
tions de tous les hommes éclairés qui voient dans la marche
des événemens autre chose que le fait matériel, et cherchent
à puiser dans l'histoire du passé des leçons pour la conduite
de l'avenir.
Il juge la révolution américaine d'une manière fort re-
marquable , exempte de toute passion et bien supérieure à
tout ce que la discussion toujours plus ou moins envenimée
par l'esprit de parti avait produit jusqu'ici.
Elle est à ses yeux la seule qui, sans prétendre établir des
doctrines nouvelles, et se contentant d'appliquer avec bon
sens les meilleures d'entre celles qui avaient été émises jus-
que là , sut rester constamment dans les limites de la légalité
et de la justice, et obtenir ainsi une action profonde sur tous
les autres états civilisés. Elle n'inventa rien de nouveau, sans
doute , mais elle réussit si bien à mettre en pratique les piinci-
pes jetés dans le monde parles révolutions qui l'avaient pré-
cédée , qu'on s'accorda dès-lors à reconnaître en fait de doc-
trines politiques une école américaine. Or cette école n'existait
en réalité que dans l'esprit de ses admirateurs ou de ses ad-
versaires , car elle ne songeait qu'à faire appel au bon sens ,
critérium auquel elle soumettait toutes ses institutions , tous
ses actes, en cherchant avant tout à maintenir l'ordre et à
faire respecter la loi.
La religion, ou plutôt le sentiment religieux présida dès
l'origine à toute sa conduite; car ce puissant mobile, inné au
cœur de l'homme, se mêle plus ou moins à toutes ses grandes
actions. Mais ce ne fut point le fanatisme aveugle qui avait
ensanglanté les révolutions d'Angleterre et des Bays-Bas ; ce
ne fut point le dogmatisme sec et exclusif qui était venu en-
traver la marche de la réforme du xvie siècle. La religion
se montra en Amérique sous sa forme la plus noble et la plus
pure. « Ce ne fut pas la religion savante; ce fut la religion
» simple et bonne , ce fut presque la religion grossière ,
» mais ce fut la religion sincère et calme, ce fut la religion
» véritable.
» En effet, on débuta par des jeûnes et des prières , et ou
» continua les prières pendant toute la lutte. Quand tout
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» fut fini , on pria encore , mais on ne pria ni comme avaient
» fait les Puritains , ni comme avaient fait les Ligueurs , ni
« comme avaient fait les Anabaptistes, ni comme avaient fait
» les auteurs des Vêpres siciliennes; il n'y eut aux colonies
» ni un Procida, ni un Muntzer, ni un Jean de Leyde , ni
» un Jacques Clément , ni un Knox , ni un Cromwell. Un
» esprit de piété tendre et vraie régnait là , au contraire ,
» depuis l'origine. Yoici dans quels termes un historien des
» premières années de la Nouvelle-Angleterre peint un dé-
» part et une arrivée d'émigrans. « Ils savaient qu'ils étaient
» pèlerins et étrangers ici -bas. Ils ne s'attachaient pas aux
» choses de la terre , mais levaient les yeux vers le ciel ,
»> leur chère patrie, où Dieu avait préparé pour eux sa cité
» sainte.... La nuit se passa en pieux discours.... Le lende-
» main ils se rendirent à bord; ce fut alors qu'on ouit de
» profonds soupirs et.... d'ardentes prières dont les étrangers
» eux-mêmes furent émus. Le signal du départ étant donné,
» ils tombèrent à genoux, et leur pasteur levant au ciel des
» yeux pleins de larmes, les recommanda à la miséricorde
» du Seigneur. » Ils étaient partis de Deift. A leur arrivée
>. sur les rives de l'Hudson , ils virent bien que, « pour trou-
» ver un peu de paix et d'espoir , ils devaient tourner leurs
» regards en haut. »
Cette piété vive et sincère domina leur révolution; et, alliée
à l'amour du travail et à une saine instruction qui leur fit
voir dans les lumières la meilleure sauvegarde de la vertu ,
elle devint la source de toutes leurs institutions nouvelles.
Les principaux caractères de cette révolution furent :
Une tolérance parfaite qui fit déclarer tous les cultes égaux
devant la loi;
Un ordre et une sagesse admirables qui ne laissèrent point
de place aux folles théories , à de vains débats ;
Un respect de la loi qui la plaça au-dessus de tous les
fonctionnaires de l'Etat, comme un palladium auquel pou-
vait avoir en tout temps recours le citoyen lésé dans ses droits ;
Enfin , une appréciation rigoureuse de l'équilibre des pou-
voirs et du degré d'autorité qu'il convenait de laisser à cha-
que commune, pour empêcher cette centralisation dévorante
qui conduit tout droit au despotisme.
Ces graves résultats fixèrent bientôt l'attention de toute
l'Europe. Ils excitèrent une vive sympathie surtout en France
où les ouvrages des philosophes de l'époque avaient déjà
préparé les esprits, et où les doctrines de répression violente,
si rudement appliquées par Louis XIV, n'avaient plus entre
les mains de ses débiles successeurs la puissance de compri-
mer les manifestations de haine et de vengeance qui se lai-
aient joui de toute part.
MORALE, ÉDUCATION. 30Ï
Mais si la révolution d'Amérique vint retentir en France
et put contribuer par l'exemple à hâter l'explosion , là se
borna malheureusement toute son influence. En imitant le
courage des Américains à secouer le joug de leurs oppres-
seurs, les révolutionnaires français ne suivirent point de
même la marche juste et raisonnable qui avait fait triom-
pher la liberté dans le Nouveau- Monde. Avec des griefs non
moins insupportables et plus anciens encore que ceux des
colons, ils ne surent pas mettre la justice de leur côté en
s'attachant exclusivement a